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Conférences 2000

 
 
VIVRE OU SURVIVRE
 
 
Luc Pareydt
 
 
Conférence du 7 octobre 2001 
 
     
 
Présentation

          Nous avons le plaisir d'accueillir le Père Luc Pareydt qui est jésuite, professeur de philosophie au Centre Sèvres et Secrétaire Général du Forum des Communautés Chrétiennes. Il a écrit deux ouvrages, l'un sur les jeunes d'aujourd'hui, et l'autre sur le devenir de nos communautés chrétiennes dans la société d'aujourd'hui.

          Note : Le texte qui suit est le script d'une intervention orale. Il en garde le caractère.


Exposé

Introduction : VIVRE OU SURVIVRE

     La question qui se pose à l'Eglise aujourd'hui et qui se pose à notre communauté chrétienne est la suivante : "Notre communauté va-t-elle vivre ou survivre ?

     C'est la question à laquelle je vais essayer d'apporter, en quelques remarques et questions, ma modeste contribution.

     Pourquoi ces deux mots ? Ce n'est pas uniquement de la provocation.

     SURVIVRE

     D'abord "survivre". Pour toute institution, pour tout individu et plus spécifiquement encore pour nos communautés chrétiennes, survivre, c'est l'ambiance de la mort. S'il s'agit de survivre, se poser la question de savoir comment on va survivre, c'est qu'on a peur de mourir, c'est qu'on a peur de ne pas pouvoir vivre encore, ou de vivre mal, ou de manquer de souffle, ou de vivre usé. Il faut s'accrocher parce que sinon on va sombrer !

     VIVRE

     Il y a aussi le mot "vivre", qui ne dit pas la même chose. Dans la langue française et dans les images que nous pouvons avoir quand nous employons ce mot ou quand nous l'entendons, vivre c'est inventer. Comme la vie sociale, comme la vie biologique, comme la vie relationnelle nous le disent sans cesse, "vivre", c'est aller son chemin, dans l'aléatoire. On ne sait pas très bien ce qu'on va trouver, mais, enfin, il y a de l'optimisme, il y a de l'espérance, il y a de l'avenir.

     C'est bien la question qui se pose pour votre communauté ici, et plus largement, pour l'ensemble de l'Eglise. Je crois que cette question-là se pose pour beaucoup d'institutions aujourd'hui. Ne soyons pas des "victimes"...

     C'est très important de dire cela au départ, parce que nous avons trop souvent tendance, nous, les catholiques, à nous croire à l'écart du monde, plus maltraités que les autres, plus victimes que les autres.

     Or, l'école se pose ces questions-là aussi. Est-ce que l'éducation, la transmission des savoirs, la transmission entre générations, la transmission de la vocation à enseigner, à éduquer dans une société qui depuis un siècle repose sur ce pilier des savoirs, est-ce que ça va pouvoir continuer en fonction des modifications de la culture, des aléas de l'avenir ?

     Le politique se pose cette question aussi "tout est foutu, pourri...etc." J'ai l'impression qu'en politique, la question ne se pose même plus, c'est déjà la mort. Je ne crois pas que ce soit bien, mais c'est une constatation.

     On pourrait faire ce constat en bien des domaines. Donc, ne soyons pas avec cette obsession de nous croire différents des autres. Ceci dit, cela ne résout pas les questions. Cela veut dire simplement que dans les inventivités que nous allons avoir pour l'avenir, ne regardons pas uniquement notre nombril, mais regardons autour de nous, ouvrons-nous à la société qui est autour de nous pour voir s'il n'y aurait pas des partenaires avec lesquels nous pourrions féconder ensemble (les croyances sont importantes et vont devenir de plus en plus importantes, à mon sens) des réponses adaptées aux temps nouveaux qui se présentent.

     J'arrête là cette introduction. Vivre ou survivre pour notre communauté ? Vous l'avez compris je fais résolument le choix, et je vous y encourage avec moi, de la vie. Je n'emploie pas cette expression par hasard. Vous la connaissez, elle résonne à vos oreilles. "Choisis la vie" c'est le Deutéronome, c'est l'Ancien Testament, c'est la première Alliance accomplie par la venue du Christ "Devant toi, tu as deux chemins, le chemin de la mort, le chemin de la vie, choisis la vie !" (Dt 30, 19 et ss). Ce n'est pas "choisis de survivre".

     La survie c'est quoi ? Un seul exemple, dans l'Ancien Testament : c'est le chemin des idoles. Pourquoi ? Quand on veut survivre, on a la "trouille". A quoi est-ce que je vais m'accrocher pour tenir encore. Je ne vois pas clair. Alors je construis une idole, je suis rassuré, je garde l'idole sur mon coeur et du coup je crois être protégé des aléas et des accidents de l'Histoire. C'est la meilleure manière de me ratatiner et de me casser la figure. Faut-il que nous allions vers cela ? Je ne le crois pas.

     Je voudrais seulement à partir de cela développer mon propos en trois séries de remarques pour essayer de fonder ma conviction (et de vous la proposer pour le débat) selon laquelle nous pouvons encore aujourd'hui, plus que jamais, être une communauté qui veut vivre et non pas survivre.

Premièrement : c'est le moment d'être inventifs

     Il faut choisir la vie parce que cela ne va pas si bien que cela dans notre Eglise. C'est paradoxal, mais justement c'est parce que cela ne va pas très bien qu'il ne faut pas lâcher le dynamisme fondamental de notre tradition. Notre tradition n'est pas de répéter des institutions, ce n'est pas de répéter des messages sans variations, de génération en génération. Depuis l'origine, c'est réinventer sans cesse. Aujourd'hui comme dans d'autres moments de l'Histoire, les choses ne vont pas si bien que cela, et c'est le moment d'être inventifs.

Deuxièmement : que notre culture demande des témoins de sens

     Soyons inventifs et choisissons la vie parce que notre culture demande des témoins de sens. Ce n'est pas le moment de dire "on est en train de mourir, nous les catholiques", alors que les regards sont tournés vers nous plus que nous ne le croyons. Mais, nous n'avons pas les yeux ouverts, les oreilles ouvertes. Nous nous disons "ça n'intéresse plus personne, nos célébrations, nos messages, notre tradition". Ce n'est pas vrai ! Simplement, ce qui a changé et à quoi il faut que nous nous adaptions : le changement de langage, des attentes qui ne s'expriment plus de la même manière, des images que nous véhiculons ne sont plus reçues de manière identique. Ce n'est pas grave. C'est une chance. Ce n'est pas un drame.

Troisièmement : je choisirai trois éléments de notre tradition qui me paraissent particulièrement d'actualité.

Je résume :

1) tout va mal, donc il faut inventer
2) La société nous attend, qu'attendons-nous pour être audacieux.
3) Nous avons des ressources qu'il faut particulièrement soigner au coeur de notre tradition parce qu'elles sont singulièrement contemporaines et adaptées aux demandes de notre temps.

1 - Ca va mal, donc, plus que jamais, il faut inventer !

     Je n'ai pas besoin d'insister beaucoup sur la réalité. Vous la connaissez bien mieux que moi parce que vous êtes sur le terrain tous les jours. Nous, les religieux, les jésuites, nous planons toujours un peu au dessus des réalités ! Vous êtes beaucoup mieux renseignés que nous sur la réalité : de moins en moins de prêtres, de moins en moins de chrétiens dans les églises (ça vaut pour nous catholiques, mais les protestants diraient la même chose, d'autres religions le disent aussi). Il y a de moins en moins de monde dans les églises. Les populations croyantes, pratiquantes vieillissent. Nous peinons à renouveler nos discours, nos images, nos manières de faire. Les gens qui se sont engagés beaucoup dans les années post-conciliaires, sont usés.

     Ce n'est pas facile. Il y a de la fatigue, il y a de l'usure par rapport à l'évolution de l'institution-Eglise. Depuis quelques années, on a parfois le sentiment d'être lassés parce que les efforts que l'on a faits semblent être battus en brèche par des retours en arrière. Nous sommes tous habités par cela. Nous ne savons plus très bien si, par "Eglise", il faut penser "le peuple de Dieu", ou s'il faut penser uniquement la hiérarchie et les institutions.

     Nous avons l'impression que les discours de morale privée, sexuelle, affective de l'Eglise institutionnelle ne correspondent pas à la pratique que nous rencontrons chez les gens aujourd'hui et que nous essayons d'accompagner, avec lesquels nous essayons de dialoguer, de converser.

PIEGES ET TENTATIONS

Par rapport à tout cela, des tentations et des pièges guettent.

Première tentation : le piège du "rétroviseur"

     Il habite beaucoup nos communautés. Qu'est-ce que c'est qu'un rétroviseur sur une voiture ? C'est un instrument extrêmement utile, mais très dangereux. Extrêmement utile parce qu'on en a besoin pour avancer et pour être même très audacieux puisque pour doubler il faut regarder et se servir bien du rétroviseur. Qu'est-ce qu'il y a derrière pour qu'au moment présent je me décide à audacieusement doubler. Mais il est aussi très dangereux parce qu'on peut être fasciné par le rétroviseur. A force d'être fasciné, on ne risque plus rien ou on risque même d'aller dans le mur parce que, regardant le rétroviseur, on ne voit pas l'obstacle qu'il y a devant et on s'écrase lamentablement dedans.

     On peut être constamment à se dire "Hier comme c'était bien ! Tout allait bien. Tout fonctionnait, les rouages, l'Action Catholique, la militance, les solidarités, le Concile ! C'était une autre Eglise. Je suis sans doute, comme un certain nombre d'entre vous, à penser comme cela. Je ne suis pas très âgé, mais j'ai grandi dans une Eglise qui n'est pas la même que celle d'aujourd'hui.

     Mais à force de se dire cela on meurt, et cela ne sert à rien. Surtout, ce n'est pas attirant pour les plus jeunes. Mettez-vous deux secondes à la place des plus jeunes aujourd'hui : ils entendent constamment la lamentation, ce n'est pas attirant !

     Donc, il va falloir qu'on s'organise autrement pour vivre. Pas de piège de la nostalgie. Regardons en avant !

Le deuxième piège : le piège de "l'accélérateur"

     C'est tout aussi subtil. Il va d'ailleurs parfois avec le premier. C'est le piège de "l'accélérateur", si on veut continuer dans les métaphores de l'automobile ! Cela consiste à dire :"On verra bien, de toutes façons l'espérance est devant nous". Cela manque aussi de réalisme parce que cela ignore la situation dans laquelle nous vivons, où il s'agit de se mettre ensemble pour inventer autre chose.

     L'Evangile est rempli de situations, de paroles, d'atmosphère dans laquelle le Christ ne cesse de dire à ses disciples : "Mettez-vous au travail ! Commencez par risquer un pas en avant, c'est comme cela que vous allez construire quelque chose !" C'est ainsi que l'Eglise a commencé. Elle n'a pas commencé en s'asseyant et en priant le ciel, même si c'est très important de prier.

     Il faut risquer des choses. Il faut essayer des "coups". Une communauté chrétienne aujourd'hui qui n'essaie pas des "coups", sans être dans l'obsession de la réussite, dans l'obsession que tout doit aller bien et réussir à tout prix, elle meurt.

     "L'indifférence".      C'est le piège "gérontologique" par excellence. Et ce n'est pas une question d'âge. On peut être jeune et gériâtrique. Le piège, c'est : "il n'y a plus rien à faire". Je trouve que c'est un piège qui est spirituellement grave.

     L'Eglise a commencé à quelques-uns.. Nous risquons d'être dans les années à venir dans la même situation. Réjouissons-nous, c'est la fraîcheur des origines ! N'oublions pas que, malgré ce réalisme difficile que nous vivons, nous sommes en train de retrouver la fraîcheur des origines. C'est ça, notre Eglise. Ce ne sont pas des bâtiments partout, des structures partout. C'est la modestie audacieuse des origines.

     L'Evangile le dit. Ce qui est important c'est le coeur battant de la foi. Nous ne ferons communauté, ici comme ailleurs, que si nous sommes croyants. Voilà le seul pilier. Il n'y en a pas d'autre.

     Ce qui sera la brillance, la vigueur, le témoignage de l'Eglise aujourd'hui et demain dans notre monde, c'est notre foi. Alors ce qu'il faut soigner en nous, c'est la foi. Cela se soigne de façon audacieuse, réaliste, en ne tombant pas dans les pièges que trop rapidement j'ai essayé de souligner et qui sont, à mon avis, des pièges que rencontrent nos communautés aujourd'hui. Arrêtons de gémir sur le passé qui n'est plus et qui ne reviendra jamais comme il a été. Arrêtons de gémir sur le futur que l'Esprit-Saint va embraser par je ne sais quelle magie. Arrêtons d'attendre la mort.

     Nous allons donc devoir soigner notre foi. Ce n'est pas un langage mystique. C'est se remettre devant les piliers fondamentaux de l'Evangile.

     Notre société, notre culture, et notamment les plus jeunes (j'en ai la conviction) nous attendent, mais pas de n'importe quelle manière. Il ne nous attendent pas sous le mode des pièges que j'évoquais à l'instant. Ils nous attendent, à mon avis, sur trois choses :

1°) Où y-a-t-il aujourd'hui des témoins de mémoire ?

     Des hommes et des femmes qui aident à répondre à trois questions ; "D'où est-ce que je viens ? Où est-ce que je suis ? Où est-ce que je vais ?"

     Ce sont des questions qui portent sur mon existence personnelle mais aussi sur l'existence collective, sur l'appartenance sociale. Cela s'appelle l'identité. Grande question d'aujourd'hui, réelle, angoissante, torturante pour beaucoup de gens. Qui est-ce qui va m'aider à faire le lien dans mon existence de façon à pouvoir être assuré de ma position ?

     S'il y a tant de peurs aujourd'hui, s'il y a tant de violences dans nos quartiers, dans nos cités, entre les nations, c'est parce que nous ne savons plus qui nous sommes, et qui nous sommes entre gens de même appartenance. Par exemple, nous chrétiens, nous ne savons plus très bien qui nous sommes ensemble. Qu'est-ce qui nous unit ? Nous allons dire : "Nous croyons au Fils de Dieu mort et ressuscité pour nous." D'accord, mais il faut que cela se traduise en langage de chair.

     Pourquoi est-ce que nous voulons croire aujourd'hui ? Pourquoi est-ce l'essentiel de notre vie ? Est-ce que nous nous le redisons suffisamment ensemble au coeur de nos communautés et pas simplement par des mots mais aussi par des célébrations vivantes entre nous, par des accueils, des invitations que nous faisons à d'autres ? "Venez voir qui nous sommes, non pas parce que nous sommes les meilleurs, mais parce que nous avons envie de vous faire goûter ce qui nous fait vivre et non pas de vous faire partager notre nostalgie".

     Où seront les témoins de la mémoire ? Nous sommes les héritiers d'une tradition de la mémoire : le mémorial. Nous célébrons quoi ? Le passé ? Non ! Le mémorial, pour nous chrétiens, c'est ce qui a été un jour révélé et qui demeure vivant éternellement. D'où est-ce que nous venons, nous les chrétiens ? D'un Dieu fait homme au milieu des hommes et qui est avec nous jusqu'à la fin des temps, aujourd'hui et pour demain, quoi qu'il arrive. Voilà l'espérance. Pour nous, chrétiens, l'espérance, n'est pas de fleurir une tombe avec des chrysanthèmes, c'est risquer l'avenir en s'appuyant sur le passé, aujourd'hui.

     C'est très fondamental pour beaucoup de gens aujourd'hui. Parce que nous, nous croyons depuis longtemps que Dieu s'est fait homme pour le salut du monde. Et aujourd'hui nous tenons cette conviction à la face du monde, et de façon concrète pour éviter que la mort l'emporte. Et nous voulons tenir parole demain, quoi qu'il arrive dans l'Histoire, pour être présents à ce monde-là et aider les souffrances, les blessures, etc.

     Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui attendent cela aujourd'hui, non seulement les plus pauvres, non seulement les plus blessés, mais, d'une certaine façon, tout le monde attend des témoins de paix, des témoins d'espérance.

2°) Où y-a-t-il des témoins de Loi (avec un grand L)

     Je ne suis pas en train de dire : ce monde attend des témoins de règlements ou de règles. Cela, il y en a suffisamment aujourd'hui dans la société. On est en train de régulariser tout. C'est grave parce qu'il n'y a plus d'espace d'autonomie, plus d'espace d'inventivité. Est-ce que nous allons, nous les chrétiens, être les témoins du "principe de précaution". Cela nous arrive aussi : "Garde toi à droite, garde-toi à gauche et tout ira bien". Jésus veille sur moi et je ne bouge pas d'un pouce. Le "principe de précaution chrétien", n'est pas l'un des moins vigoureux dans notre société. La "trouille" généralisée. C'est quand même ce qui nous caractérise à l'heure actuelle, la trouille de tout : la peur du sexe, la peur de ceci, la peur de cela. Est-ce que le Christ est venu pour prêcher la "trouille" ? Il dit plutôt "N'ayez pas peur".

     Ce que j'appelle la Loi dans la tradition chrétienne, c'est le contraire de la peur. C'est-à-dire la liberté. Pourquoi le Christ est-il venu apporter, confirmer, accomplir la Loi ? C'est pour que désormais nous soyons libres. St Paul le dit dans l'Epître aux Romains. Pour que nous soyons libres et non enfermés, pour que nous risquions des choses.

     Nous ne sommes pas des communautés qui doivent apporter une parole bien gentille. Nous sommes des communautés qui doivent dire "oui" quand il faut dire oui, "non" quand il faut dire non, dans l'espace public, dans nos communes, dans nos pays, dans le monde. Et que ce oui soit oui, et que ce non soit non. Il y a des injustices à dénoncer. Il y a des choses qui vont bien, à confirmer, auxquelles nous devons être présents. On a parfois l'impression que nous sommes toujours ailleurs.

     Les chrétiens sont souvent "ailleurs". Nous regardons tout avec hauteur. Nous les chrétiens, nous ne pouvons pas dire autre chose souvent que de manière compliquée. Quelqu'un qui est injustement traité au coin de la rue, si nous ne sommes pas là, en première ligne, nous les témoins de l'Evangile, il y a quelques questions à nous poser. Nos communautés, elles sont incarnées quelque part. Elles sont présentes, ici et maintenant, dans le présent de l'histoire. Le problème est-il de se lamenter sur le fait qu'on n'est plus nombreux dans nos églises ou de savoir si nous sommes encore vigoureux pour être là où le combat doit être mené pour que ce monde vive ?

     Peut-être qu'il y aura moins de messes dans l'Eglise de demain. C'est moi, un prêtre, qui dis cela, mais ce qui m'importe, c'est que la foi chrétienne, comme a dit le Christ, brûle encore : "Je suis venu apporter le feu et combien je voudrais qu'il brûle". Et le souci du Christ à mon sens, n'était pas de savoir si la messe du dimanche allait être assurée. Le souci du Christ était que dans ce monde-ci, le salut soit plus fort que la mort. Il faut nous remettre quand même devant l'essentiel et arrêter de nous lamenter et de gémir sur le fait qu'il n'y a plus de prêtres. Il n'y a plus de prêtres, moi je n'y peux rien ! Adressons-nous là-haut. Il faut prier aussi pour que nous ayons des vocations.

     Mais, il faut aussi prier pour que nous organisions nos communautés de telle façon que tout ne repose pas sur les prêtres, que tout ne repose pas sur cette cléricalisation qui est devenue dans l'histoire un pur accident stratégique et ponctuel. Parce qu'il y avait du monde.

     Quand il y a moins de monde, il faut faire autrement. Le service qu'il faut assurer, c'est le service de la passion de la foi au coeur du monde. C'est cela le ministère sacerdotal partagé par tous les chrétiens, par tous les baptisés depuis que Vatican II l'a souligné de manière très nette.

3°) Où y-a-t-il des gens qui aient un projet ?

     Enfin, il y a une attente qui confirme les deux choses que je viens de dire : l'attente de gens qui aient un projet. L'Ecole a des problèmes comme nous. Le politique a des problèmes. Qui aujourd'hui propose un projet qui puisse passionner ? On dit : "Les jeunes sont mous" ! Cela, ça fait partie des slogans à quatre sous au café du Commerce ! Ils sont mous ! Mais nous, on n'était pas mous à leur âge ? Qu'est-ce que ça veut dire être mou ? Je ne rencontre pas des jeunes mous, je rencontre des jeunes qui cherchent des gens qui ne soient pas mous. Et, quand ils en rencontrent, ils ne sont plus mous.

     Ne nous en prenons pas toujours aux autres pour dénoncer et stigmatiser chez eux ce que nous n'aimons pas chez nous. C'est une tentation très habituelle du chrétien moyen dont je suis. Ce sont toujours les autres qui ont tort. Ce sont toujours les autres qui sont dans le péché. C'est quand même dominant dans les discours de l'Eglise, cela.

     Dans le discours institutionnel, que je n'aime pas sur ce registre-là, c'est toujours les autres. Nous, on est parfaits. On est les Cathares du monde moderne. On s'est isolé sur notre colline à l'écart de ceux-là qui sont divorcés-remariés, ceux-là qui avortent, ceux-là qui ont le sida.... Je ne suis pas prêtre, je ne suis pas croyant pour être constamment en croisade avec ma lance, une espèce de Don Quichotte délirant des temps modernes avec mon Sancho Pança sur son âne pour aller défoncer des moulins à vent.

     Nous sommes contemporains de cette société, nous partageons ses angoisses, nous avons ses mêmes questions. Ne commençons pas à dire des autres que… des autres qui... etc. Nous sommes en projet avec eux pour relever le défi avec notre identité propre parmi et avec celle des autres.

La rencontre

     Je me dis : "Pourquoi crois-tu en l'Evangile ? Au Christ mort et ressuscité pour nous aujourd'hui ? Pourquoi y crois-tu ?" Premièrement (je vous livre ma foi) parce que c'est un Evangile, une Bonne nouvelle de la rencontre. Je réfléchis, je médite aujourd'hui au 21° siècle et je me dis : je crois en l'Evangile de la rencontre. Si je mets cet accent, c'est parce que je rencontre beaucoup de jeunes, et de moins jeunes qui ont soif, fondamentalement, intensément, de rencontres. Une des plaies de notre temps, c'est la solitude, et il n'y a rien de pire que la solitude au milieu d'une grande foule, au milieu d'un tas d'activités, du stress, du zapping...etc.

     La rencontre pour moi se fonde sur cette image de l'Evangile à Césarée de Philippe : la rencontre entre le Christ et ses disciples et la question qu'il leur pose : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?" La réponse n'est pas imposée, la réponse est libre, elle est ouverte. "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant". La réponse est à la mesure de la vérité de la question.

     Personne ne leur a soufflé. Personne ne leur a dit : "Vous allez répéter votre catéchisme !" Personne ne leur a dit : "Vous allez dire ceci ou cela". C'est du coeur qu'a surgi la révélation et l'attestation. Et qu'est-ce que cela a changé ? Rien et tout. C'était une parole en pleine campagne, quelque part, dans un bled perdu. Cela n'a pas révolutionné le monde et pourtant, c'est de là qu'est partie l'Eglise. Pour moi, la fondation de l'Eglise, c'est à Césarée de Philippe. Chacun a ses représentations. La mienne, c'est celle-là. "Qui dites-vous que je suis ?" ; "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant".

     Alors s'ouvrait une audace inouïe. La mort n'avait plus aucun pouvoir même si demeurait l'angoisse. Quelque chose était définitivement retourné. Je rencontre des tas de gens aujourd'hui qui ont soif qu'on leur pose cette question : "Toi, en qui crois-tu ?" Crois-tu en toi ? Crois-tu dans le monde, crois-tu dans la vie, crois-tu en Dieu ?" Causons, conversons, parlons, rencontrons-nous ! Nos communautés ne peuvent-elles pas être d'abord et fondamentalement, au nom de l'Evangile, des espaces de rencontre ?

     Je rêve d'Eglises où il y aurait au lieu d'un mur, une grande baie vitrée, et puis des tas de propositions et surtout des choses simples pour se rencontrer. Je n'ai pas de grand projet pour nos communautés, mais j'ai un désir qu'il y ait toujours, nuit et jour, quelqu'un qui soit disponible pour écouter.

     C'est une richesse inouïe dans notre temps. Où seront, demain, les institutions, les lieux, les personnes qui offriront cette possibilité à tant de jeunes, de moins jeunes, de milieux très divers. Cette demande est transversale aujourd'hui, interculturelle. Ecouter. Comme disait Paul VI, dans son merveilleux texte de 1964 : des lieux où on puisse converser. Et cela demande des transformations de nos espaces, qu'ils ne soient pas refermés vers l'intérieur, mais ouverts vers l'extérieur. Cela demande aussi une conversion de nos finances.

     J'aborde un sujet extrêmement douloureux dans l'Eglise, beaucoup plus douloureux peut-être que la sexualité. Je me dis souvent que les finances, ce n'est pas douloureux quand on n'a pas d'argent ! C'est douloureux, bien sûr, mais ce n'est pas la même douleur que quand on en a beaucoup. Et nous en avons encore beaucoup. Il ne faut pas nous raconter d'histoires.

     Mais enfin, "claquons" notre fric et claquons-le pour mettre à la disposition d'autres dans la société ce que d'autres institutions qui n'ont pas beaucoup d'argent ne peuvent pas faire. Risquons des "coups". On perdra de l'argent, et alors ? Qu'est-ce qu'on va en faire ?

     J'ai l'impression qu'on est un peu comme cela dans nos communautés parfois : on va faire des choix financiers ou budgétaires ridicules alors que les urgences évangéliques, apostoliques, sont sous notre nez. Qu'a-t-on jamais eu à perdre dans l'Eglise si ce n'est la foi ?

L'Incarnation.

Autre pilier : l'Incarnation. Nous sommes une tradition de l'Incarnation. "Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous". S'est fait chair, il ne s'est pas fait ange, il ne s'est pas fait petit nuage, il ne s'est pas fait pur esprit, concept, notion. Il s'est fait chair. Cela veut dire qu'aujourd'hui, il peut parler à beaucoup de gens, y compris hors des frontières de l'Eglise.

Il s'est fait chair. Il s'est fait comme nous. Il s'est fait chair, corps, dans un monde où les repères de la sexualité, de l'affectivité, de la corporéité sont loin d'être clairs. Nous sommes les témoins d'une religion de l'Incarnation, nous les chrétiens. Va-t-on continuer à avoir des gueules d'enterrement ? Soyons un peu libérés et nous apporterons un témoignage que beaucoup de jeunes attendent.

      Où sont les lieux aujourd'hui où l'on peut causer, quand on a 20 ans, avec des hommes et des femmes qui n'ont pas peur de la chair, qui ne sont pas obsédés par une espèce de représentation imaginaire de la chair ?

     Il n'y en a pas beaucoup. C'est soit tout du côté : "Fais ce que tu veux, agis comme tu veux et puis tu verras, la vie est belle", ce qui est pousser les gens vers la mort ; soit : "Ne fais surtout rien, protège-toi, ton sexe est mauvais."..etc. Entre les deux, il n'y a pas beaucoup d'espace aujourd'hui. Nous, nous avons un espace à créer.

     Nous avons à construire un accueil humain, charnel, chaleureux, simple. Il faut que cela se cultive déjà entre nous. Si nous sommes les témoins de l'Incarnation, comment le sommes-nous entre nous ? Est-ce qu'on va passer dans la communauté comme une espèce de météorite, pour venir chercher un service. L'Eglise, service public ? Il faut absolument que cela cesse : "J'ai droit à la messe et je ne vous demande rien d'autre"…

 

DEBATS


Questions

     1 - Il existe actuellement des Assemblées dominicales sans prêtre parce qu'il n'y a pas assez de prêtres, et la communion est distribuée mais avec des hosties qui ont été consacrées ailleurs. Dans l'Eglise primitive, on se réunissait chez le voisin qui présidait la cérémonie, qui distribuait le pain et le vin. Il semble bien qu'il y avait une consécration. Or, lui, il n'avait pas été ordonné, au moins dans la majorité des cas. Ne peut-on pas envisager que dans quelques années la réunion dominicale ait lieu sous la présidence de quelqu'un, d'un laïc "quelconque". Puisque ça "marchait" dans l'Eglise primitive, pourquoi est-ce que cela ne "marcherait" pas maintenant ?

     2 - Au sujet de la liturgie, je trouve qu'on ne nous incite pas à inventer et je ne vois pas comment on pourrait se préparer à nous réunir quand nous n'aurons plus de prêtre. J'ai l'impression que nos prêtres eux-mêmes ne vivent pas la liberté dans le déroulement de la messe et qu'à chaque fois qu'on essaie de préparer une messe, on se retrouve toujours dans le même carcan. Comment faire pour se préparer au temps où nous n'aurons plus de prêtre ?

     3 - A propos de ce que vous avez dit sur le coût et sur les communautés qui ne s'expriment pas, est-ce que vous avez des exemples ? En vous écoutant tout à l'heure parler des événements, du terrorisme, des problèmes avec l'Islam je me dis qu'on a vu des membres de la hiérarchie parler dans les églises, chez nous, et d'un autre côté en regardant hier soir le match de foot France-Algérie, j'ai remarqué que l'Eglise n'était pas représentée. Alors est-ce que notre intervention d'Eglise n'est pas trop dans nos murs et pas suffisamment avec les autres ?

     4° - Qu'est-ce qu'on fait pour rencontrer les musulmans, concrètement. On rencontre des protestants, on rencontre des Juifs. Mais les musulmans, je ne les vois jamais avec nous.

     5° - La subversion, je trouve que c'est un très beau thème, mais pour créer de la subversion, il faut d'abord être subversif et on n'a pas été habitué à cela. On n'est pas dans une situation tellement différente d'un certain nombre de systèmes islamiques où il y a des imams qui passent le pouvoir à des descendants d'Allah. Dans notre Eglise, le pouvoir, la vérité, tout cela, c'est vu d'en-haut et nous nous sommes bien déshabitués à agir. Donc comment est-ce qu'on va refaire quelque chose?

Intervention du Père Denis

     A propos de la réaction de l'Eglise officielle vis-à-vis des actualités, je trouve un écho très positif : notre paroisse nous a imprimé dans une feuille toutes les interventions à partir du Pape, de l'Archevêque de Paris et surtout la conférence épiscopale des évêques des Etats-Unis qui ose, seule, prier pour les terroristes. Dans les éditoriaux de l'extrême gauche jusqu'à l'extrême droite j'ai retrouvé un écho des valeurs évangéliques : "ne vous vengez pas, ne frappez pas, essayez de faire autrement".

     6°- Je voudrais vous demander de revenir un tout petit peu sur le piège du rétroviseur. Il est d'autant plus difficile pour les plus âgés qui ont connu l'Eglise flamboyante, les ostensoirs et les églises pleines.. Les plus jeunes, la génération des 20-30 ans, n'ont pas connu cette Eglise flamboyante. Pour eux l'avenir est probablement plus ouvert et il y a un autre discours à leur tenir.

     7° - Ce qui m'interroge, c'est ce lieu d'écoute dans l'église où les gens viendraient converser. Je vois difficilement des gens qui changent et que ceux qui viennent ne connaissent pas venir créer ce lieu d'écoute et de partage.

 

Réponses


L'avenir par rapport aux célébrations, aux prêtres

     Je ne vais pas répondre à toutes vos questions mais je réagis à un certain nombre de choses. D'abord au sujet de l'avenir par rapport aux célébrations, aux prêtres... etc C'est un dossier-serpent de mer à l'heure actuelle dans l'Eglise. Si je peux vous dire quelque chose simplement, c'est qu'on est en train de perdre un temps infini. On coupe les cheveux en quatre sans voir l'essentiel.

     C'est une question de pouvoir, c'est tout. Quand on regarde la Tradition et l'Histoire de l'Eglise, on est effaré de constater que cette mise en place du pouvoir clérical, c'est quelque chose d'assez tardif. Cela a correspondu à une situation, à certaines circonstances. Comme si les circonstances ne pouvaient jamais changer. Or, elles sont en train, manifestement, de changer.

     Nous sommes en train de continuer à faire comme si rien ne changeait, voire même pour de nouvelles générations de prêtres, à refaire une Eglise uniquement basée sur le pouvoir clérical (ce qu'ils n'ont pas connu).

     Comment est-ce qu'on va s'en sortir ? A mon sens il y a deux choses à considérer. C'est un peu subversif, mais il faut être subversif aussi à l'intérieur de l'Eglise.

     La première chose, c'est que la situation va évoluer. Mathématiquement, dans dix ans en France les prêtres se compteront sur les doigts d'une main amputée. Alors, on va rester comme ça, en attendant que Monsieur le Curé arrive, après avoir fait le circuit sur 55 lieux de culte, c'est à dire un prêtre qui sera réduit à la tâche de distributeur des sacrements.

     Vous voyez les conséquences sur la symbolique des sacrements. Vous avez dit vous-même parce que c'est le langage que nous employons tous : des hosties consacrées ailleurs. Moi je vois tout de suite la chaîne de fabrication. Il y aura des colis d'hosties consacrées. On peut faire cela de façon très logistique. Il y aura une consécration centrale, la grande usine du groupe, et puis on enverra les petits colis dans les lieux de culte ! Ecoutez, non, il faut être sérieux quand même...

     Il y a une tendance de ce côté-là parce qu'il faudrait absolument conserver le caractère "sacral". Non ! Il faut que la théologie évolue. C'est sa mission à la théologie, d'être au service de l'évolution de la pastorale. Si elle ne joue plus ce rôle, il faut faire taire les théologiens et que la pratique aille plus vite que les théologiens. Il faut que nous fassions évoluer, c'est l'une des conclusions du Concile Vatican II.

     D'où une seconde série de remarques sur la liberté de l'inventivité liturgique. Là aussi les boulons sont resserrés depuis quelque temps, parce que peut-être il y a eu des excès. Quelle est l'institution dans laquelle il n'y a pas eu d'excès. Et quels excès ? parce que Monsieur le Curé ne mettait plus la chasuble !...

     Quelqu'un me disait tout à l'heure : "Parfois on a l'impression que dans nos lieux d'Eglise et particulièrement dans les lieux de formation, séminaires et autres, on se préoccupe plus d'affaires de chiffons que d'affaires de pastorale. Ce n'est pas faux. C'est sans doute pour des raisons de peur. On se réfugie dans la sacristie; C'est valable dans toutes les institutions. Regardez les salles des profs dans les lycées et les collèges !

     Dès qu'on a peur, on se retrouve bien au chaud entre profs et c'est toujours le même discours qui revient : "Quand on était jeunes, c'était autre chose" ; "le niveau baisse". Il ne faut pas qu'on tombe là-dedans. Je me pose une question : ne sommes-nous pas à nous auto-censurer plus que nous ne sommes censurés par d'autres ?

     J'ai le sentiment qu'on peut inventer. Je n'ai pas encore vu les gardes suisses intervenir contre une personne qui a inventé. Il ne faut pas commencer à se dire "Mais Monseigneur ne va pas être content". Si Monseigneur n'est pas content, cela se soigne ! On va informer et puis on va relire la situation. On va adapter ce qu'on peut. Cela, c'est un véritable travail d'Eglise.

     Sur la question de la rencontre des autres religions. Je crois que c'est un défi d'avenir. On est dans une société où il y a une quête de sens très forte et où il y a une "offre" de propositions de sens de plus en plus multiformes. Il faut qu'un certain nombre de gens, et notamment de plus jeunes qui n'ont pas forcément la mémoire de tout cela, puissent se repérer là-dedans. Et comment est-ce qu'il s'y repèreront ? En fonction de ce que nous faisons ensemble entre religions pour nous faire connaître.

     Si nous en rajoutons dans l'atomisation, la parcellisation , c'est catastrophique. Il faut au contraire qu'on essaie de manifester un visage de dialogue, de conversation et qu'on s'entende sur l'essentiel. C'est un travail qui est déjà beaucoup engagé, qui est déjà bien mis en oeuvre. Il faut que nos communautés le manifestent et le mettent en pratique

     Des choses ont été dites aussi du côté des décisions à prendre. On m'a dit tout à l'heure : "N'hésitez pas à parler du Forum des communautés chrétiennes". Cela tombe bien. Le prochain grand Forum des communautés chrétiennes qui se tiendra en septembre 2002 à Bruxelles se donne comme objectif de réfléchir sur la question de la décision. Pourquoi ? Parce qu'on est dans un monde où on se demande parfois s'il y a encore des gens qui gouvernent, et quelle prise nous avons sur les décisions à prendre.

     Nous nous apercevons, en parcourant l'Europe, qu'il y a de plus en plus de lieux, y compris dans les églises, où des gens militent, font association ensemble, font des démarches citoyennes pour être de véritables acteurs des décisions, faire pression sur les pouvoirs et les institutions. Ne venons pas dire aujourd'hui que les lieux de décision n'existent plus.

     Jamais il n'y a eu autant de chance pour qu'ils redeviennent ce qu'ils doivent être c'est-à-dire une gestion claire et précise de la subsidiarité. C'est à dire que chacun a à partager la décision, à l'endroit où il se trouve, en prenant la plénitude de ses responsabilités.

     Nous allons devoir élargir notre manière de décider ensemble et de contribuer ensemble, entre pays d'Europe et entre communautés chrétiennes et croyantes d'Europe à cette nouvelle manière de décider. Il ne faut pas tout attendre du haut. C'est bien le problème de notre Eglise : on attend tout du haut. Mais le "haut", il n'est pas magique.

     J'ai été un peu sévère avec les Monseigneurs tout à l'heure. Cette fois-ci, je vais être beaucoup plus tendre ! Je les aime bien et notamment je les aime bien quand ils en ont jusque par-dessus la tête de recevoir dans leur bureau toutes les plaintes, toutes les revendications. Nous pouvons nous organiser ensemble sur un certain nombre de choses. Monseigneur de Nanterre, il n'a quand même pas à gérer la couleur du dallage de l'église, ni le chant d'entrée de la prochaine célébration !

Des lieux d'écoute !

     Je suis bien d'accord avec vous, ce n'est pas facile. Ce que je voulais dire ici, c'est qu'il faut que nous travaillions avec d'autres ! Ce ne sont pas uniquement nos églises qui doivent accueillir. Il faut aussi travailler dans les lieux où s'invente l'écoute. Etre dans une dynamique de l'Evangile aujourd'hui, c'est ne pas avoir peur de contribuer avec d'autres, dans des lieux spécifiques, d'apporter notre identité de chrétiens et d'inventer avec d'autres, de mettre à disposition d'autres, des moyens que nous pouvons avoir.

     Nous avons des lieux, mais ce n'est pas forcément à nous de tout faire. Nous avons une passion, des savoir-faire, ne les gardons pas pour nous. Il y en a d'autres qui ont des projets mais qui n'ont pas forcément le savoir-faire, qui n'ont pas forcément les moyens. Il faut que ça se réunisse et que ça se retrouve. Ce que j'appelle nos lieux ce ne sont pas uniquement les églises. C'est le tissu social où avec l'Evangile, nous devons être pleinement avec d'autres.

     A propos de ma remarque sur le "rétroviseur", je suis entièrement d'accord avec vous. Si de plus jeunes aujourd'hui, qui n'ont pas la mémoire de ce que nous avons vécu dans d'autres générations, semblent revenir à des formes que nous croyions dépassées, je crois que c'est un symptôme de peur. A toutes les époques de peur, on essaie des formules anciennes même si on ne les a pas connues, donc on les interprète mal.

     D'où la mission que nous avons dans nos communautés d'expliquer, de dialoguer avec les plus jeunes. Il faut aussi accepter qu'il y ait des sensibilités plurielles !

     Toute communauté croyante aujourd'hui a ses zones d'ouverture et ses zones de fermeture. Il y a des zones d'ouverture larges dans l'anglicanisme, dans le protestantisme mais il y a aussi des zones fortes de fermeture que craignent beaucoup nos collègues protestants. Dans toutes les religions aujourd'hui existe la tentation de fanatisme et d'intégrisme et cela pour des raisons de peur. Il faut que nous soyons très vigilants à l'intérieur de nos communautés.

     La deuxième chose, c'est ce que vous avez dit de la présence de la mémoire religieuse à l'intérieur d'une nation et d'une société. On est parfois dans un faux débat, à mon avis, dans nos communautés : doit-on dire notre identité ou au contraire la masquer ? Dire ou taire Jésus ? Je crois qu'il faut dépasser ce dilemne. Dans les années 70 on était, c'est vrai, dans une société qui était très marquée encore par la mémoire laïque, laïcarde et ce n'était pas simple.

     Je crois qu'aujourd'hui on s'aperçoit bien que devant les défis du présent et de l'avenir, on a besoin de toutes les ressources de sens. Ce n'est pas toujours commode à mettre en oeuvre, mais le débat public s'élargit de plus en plus. On le voit bien sur les questions éthiques. On a besoin de tous les interlocuteurs. Donc il ne faut pas que nous soyons encore dans une perspective qui consiste à dire : "Moi, je ne dis jamais en qui je crois !".

     Il y a aussi besoin de passion aujourd'hui. Evidemment ce n'est pas la croisade, mais la passion de dire en qui l'on croit. Je l'ai dit tout à l'heure : je crois qu'il y a beaucoup de jeunes qui l'attendent et qui ne l'entendront pas forcément comme quelque chose qui écrase mais comme quelque chose qui indique une prise de position, une identité.

     Nous allons maintenant nous arrêter pour la célébration commune. Ce que je retiens, c'est l'importance de l'invention. Il faut nous prévenir contre la peur en ne craignant pas que tout de suite les foudres du ciel ou de l'institution nous tombent dessus. Nous avons beaucoup plus d'espace que nous ne croyons. Il faut le vérifier en risquant des "coups".


NDLR :
.Nous venons de vous livrer le texte de Luc PAREYDT, relu et allégé par lui.
.Germinal est là pour receuillir vos réactions positives ou négatives.
N'hésitez pas à nous faire connaître vos idées :
- soyez inventifs,
- suggérez-nous des "coups" à risquer,
cela constituera le numéro 125 de Germinal.

.Nous attendons vos textes pour le 20 janvier 2002.

 

 
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