Nous avons
le plaisir d'accueillir le Père Luc Pareydt qui est jésuite,
professeur de philosophie au Centre Sèvres et Secrétaire
Général du Forum des Communautés Chrétiennes.
Il a écrit deux ouvrages, l'un sur les jeunes d'aujourd'hui,
et l'autre sur le devenir de nos communautés chrétiennes
dans la société d'aujourd'hui.
Exposé
Introduction : VIVRE OU SURVIVRE
La question qui se pose à l'Eglise
aujourd'hui et qui se pose à notre communauté chrétienne
est la suivante : "Notre communauté va-t-elle vivre
ou survivre ?
C'est la question à laquelle
je vais essayer d'apporter, en quelques remarques et questions,
ma modeste contribution.
Pourquoi ces deux mots ? Ce n'est
pas uniquement de la provocation.
SURVIVRE
D'abord "survivre". Pour
toute institution, pour tout individu et plus spécifiquement
encore pour nos communautés chrétiennes, survivre,
c'est l'ambiance de la mort. S'il s'agit de survivre, se poser la
question de savoir comment on va survivre, c'est qu'on a peur de
mourir, c'est qu'on a peur de ne pas pouvoir vivre encore, ou de
vivre mal, ou de manquer de souffle, ou de vivre usé. Il
faut s'accrocher parce que sinon on va sombrer !
VIVRE
Il y a aussi le mot "vivre",
qui ne dit pas la même chose. Dans la langue française
et dans les images que nous pouvons avoir quand nous employons ce
mot ou quand nous l'entendons, vivre c'est inventer. Comme la vie
sociale, comme la vie biologique, comme la vie relationnelle nous
le disent sans cesse, "vivre", c'est aller son chemin,
dans l'aléatoire. On ne sait pas très bien ce qu'on
va trouver, mais, enfin, il y a de l'optimisme, il y a de l'espérance,
il y a de l'avenir.
C'est bien la question qui se pose
pour votre communauté ici, et plus largement, pour l'ensemble
de l'Eglise. Je crois que cette question-là se pose pour
beaucoup d'institutions aujourd'hui. Ne soyons pas des "victimes"...
C'est très important de dire
cela au départ, parce que nous avons trop souvent tendance,
nous, les catholiques, à nous croire à l'écart
du monde, plus maltraités que les autres, plus victimes que
les autres.
Or, l'école se pose ces questions-là
aussi. Est-ce que l'éducation, la transmission des savoirs,
la transmission entre générations, la transmission
de la vocation à enseigner, à éduquer dans
une société qui depuis un siècle repose sur
ce pilier des savoirs, est-ce que ça va pouvoir continuer
en fonction des modifications de la culture, des aléas de
l'avenir ?
Le politique se pose cette question
aussi "tout est foutu, pourri...etc." J'ai l'impression
qu'en politique, la question ne se pose même plus, c'est déjà
la mort. Je ne crois pas que ce soit bien, mais c'est une constatation.
On pourrait faire ce constat en bien
des domaines. Donc, ne soyons pas avec cette obsession de nous croire
différents des autres. Ceci dit, cela ne résout pas
les questions. Cela veut dire simplement que dans les inventivités
que nous allons avoir pour l'avenir, ne regardons pas uniquement
notre nombril, mais regardons autour de nous, ouvrons-nous à
la société qui est autour de nous pour voir s'il n'y
aurait pas des partenaires avec lesquels nous pourrions féconder
ensemble (les croyances sont importantes et vont devenir de plus
en plus importantes, à mon sens) des réponses adaptées
aux temps nouveaux qui se présentent.
J'arrête là cette introduction.
Vivre ou survivre pour notre communauté ? Vous l'avez compris
je fais résolument le choix, et je vous y encourage avec
moi, de la vie. Je n'emploie pas cette expression par hasard. Vous
la connaissez, elle résonne à vos oreilles. "Choisis
la vie" c'est le Deutéronome, c'est l'Ancien Testament,
c'est la première Alliance accomplie par la venue du Christ
"Devant toi, tu as deux chemins, le chemin de la mort, le chemin
de la vie, choisis la vie !" (Dt 30, 19 et ss). Ce n'est pas
"choisis de survivre".
La survie c'est quoi ? Un seul exemple,
dans l'Ancien Testament : c'est le chemin des idoles. Pourquoi ?
Quand on veut survivre, on a la "trouille". A quoi est-ce
que je vais m'accrocher pour tenir encore. Je ne vois pas clair.
Alors je construis une idole, je suis rassuré, je garde l'idole
sur mon coeur et du coup je crois être protégé
des aléas et des accidents de l'Histoire. C'est la meilleure
manière de me ratatiner et de me casser la figure. Faut-il
que nous allions vers cela ? Je ne le crois pas.
Je voudrais seulement à partir
de cela développer mon propos en trois séries de remarques
pour essayer de fonder ma conviction (et de vous la proposer pour
le débat) selon laquelle nous pouvons encore aujourd'hui,
plus que jamais, être une communauté qui veut vivre
et non pas survivre.
Premièrement : c'est le moment d'être inventifs
Il faut choisir la vie parce que cela
ne va pas si bien que cela dans notre Eglise. C'est paradoxal, mais
justement c'est parce que cela ne va pas très bien qu'il
ne faut pas lâcher le dynamisme fondamental de notre tradition.
Notre tradition n'est pas de répéter des institutions,
ce n'est pas de répéter des messages sans variations,
de génération en génération. Depuis
l'origine, c'est réinventer sans cesse. Aujourd'hui comme
dans d'autres moments de l'Histoire, les choses ne vont pas si bien
que cela, et c'est le moment d'être inventifs.
Deuxièmement : que notre culture demande des témoins
de sens
Soyons inventifs et choisissons la
vie parce que notre culture demande des témoins de sens.
Ce n'est pas le moment de dire "on est en train de mourir,
nous les catholiques", alors que les regards sont tournés
vers nous plus que nous ne le croyons. Mais, nous n'avons pas les
yeux ouverts, les oreilles ouvertes. Nous nous disons "ça
n'intéresse plus personne, nos célébrations,
nos messages, notre tradition". Ce n'est pas vrai ! Simplement,
ce qui a changé et à quoi il faut que nous nous adaptions
: le changement de langage, des attentes qui ne s'expriment plus
de la même manière, des images que nous véhiculons
ne sont plus reçues de manière identique. Ce n'est
pas grave. C'est une chance. Ce n'est pas un drame.
Troisièmement : je choisirai trois éléments
de notre tradition qui me paraissent particulièrement d'actualité.
Je résume :
1) tout va mal, donc il faut inventer
2) La société nous attend, qu'attendons-nous pour
être audacieux.
3) Nous avons des ressources qu'il faut particulièrement
soigner au coeur de notre tradition parce qu'elles sont singulièrement
contemporaines et adaptées aux demandes de notre temps.
1 - Ca va mal, donc, plus que jamais, il faut inventer !
Je n'ai pas besoin d'insister beaucoup
sur la réalité. Vous la connaissez bien mieux que
moi parce que vous êtes sur le terrain tous les jours. Nous,
les religieux, les jésuites, nous planons toujours un peu
au dessus des réalités ! Vous êtes beaucoup
mieux renseignés que nous sur la réalité :
de moins en moins de prêtres, de moins en moins de chrétiens
dans les églises (ça vaut pour nous catholiques, mais
les protestants diraient la même chose, d'autres religions
le disent aussi). Il y a de moins en moins de monde dans les églises.
Les populations croyantes, pratiquantes vieillissent. Nous peinons
à renouveler nos discours, nos images, nos manières
de faire. Les gens qui se sont engagés beaucoup dans les
années post-conciliaires, sont usés.
Ce n'est pas facile. Il y a de la
fatigue, il y a de l'usure par rapport à l'évolution
de l'institution-Eglise. Depuis quelques années, on a parfois
le sentiment d'être lassés parce que les efforts que
l'on a faits semblent être battus en brèche par des
retours en arrière. Nous sommes tous habités par cela.
Nous ne savons plus très bien si, par "Eglise",
il faut penser "le peuple de Dieu", ou s'il faut penser
uniquement la hiérarchie et les institutions.
Nous avons l'impression que les discours
de morale privée, sexuelle, affective de l'Eglise institutionnelle
ne correspondent pas à la pratique que nous rencontrons chez
les gens aujourd'hui et que nous essayons d'accompagner, avec lesquels
nous essayons de dialoguer, de converser.
PIEGES ET TENTATIONS
Par rapport à tout cela, des tentations et des pièges
guettent.
Première tentation : le piège du "rétroviseur"
Il habite beaucoup nos communautés.
Qu'est-ce que c'est qu'un rétroviseur sur une voiture ? C'est
un instrument extrêmement utile, mais très dangereux.
Extrêmement utile parce qu'on en a besoin pour avancer et
pour être même très audacieux puisque pour doubler
il faut regarder et se servir bien du rétroviseur. Qu'est-ce
qu'il y a derrière pour qu'au moment présent je me
décide à audacieusement doubler. Mais il est aussi
très dangereux parce qu'on peut être fasciné
par le rétroviseur. A force d'être fasciné,
on ne risque plus rien ou on risque même d'aller dans le mur
parce que, regardant le rétroviseur, on ne voit pas l'obstacle
qu'il y a devant et on s'écrase lamentablement dedans.
On peut être constamment à
se dire "Hier comme c'était bien ! Tout allait bien.
Tout fonctionnait, les rouages, l'Action Catholique, la militance,
les solidarités, le Concile ! C'était une autre Eglise.
Je suis sans doute, comme un certain nombre d'entre vous, à
penser comme cela. Je ne suis pas très âgé,
mais j'ai grandi dans une Eglise qui n'est pas la même que
celle d'aujourd'hui.
Mais à force de se dire cela
on meurt, et cela ne sert à rien. Surtout, ce n'est pas attirant
pour les plus jeunes. Mettez-vous deux secondes à la place
des plus jeunes aujourd'hui : ils entendent constamment la lamentation,
ce n'est pas attirant !
Donc, il va falloir qu'on s'organise
autrement pour vivre. Pas de piège de la nostalgie. Regardons
en avant !
Le deuxième piège : le piège de "l'accélérateur"
C'est tout aussi subtil. Il va d'ailleurs
parfois avec le premier. C'est le piège de "l'accélérateur",
si on veut continuer dans les métaphores de l'automobile
! Cela consiste à dire :"On verra bien, de toutes façons
l'espérance est devant nous". Cela manque aussi de réalisme
parce que cela ignore la situation dans laquelle nous vivons, où
il s'agit de se mettre ensemble pour inventer autre chose.
L'Evangile est rempli de situations,
de paroles, d'atmosphère dans laquelle le Christ ne cesse
de dire à ses disciples : "Mettez-vous au travail !
Commencez par risquer un pas en avant, c'est comme cela que vous
allez construire quelque chose !" C'est ainsi que l'Eglise
a commencé. Elle n'a pas commencé en s'asseyant et
en priant le ciel, même si c'est très important de
prier.
Il faut risquer des choses. Il faut
essayer des "coups". Une communauté chrétienne
aujourd'hui qui n'essaie pas des "coups", sans être
dans l'obsession de la réussite, dans l'obsession que tout
doit aller bien et réussir à tout prix, elle meurt.
"L'indifférence".
C'est le piège "gérontologique"
par excellence. Et ce n'est pas une question d'âge. On peut
être jeune et gériâtrique. Le piège, c'est
: "il n'y a plus rien à faire". Je trouve que c'est
un piège qui est spirituellement grave.
L'Eglise a commencé à
quelques-uns.. Nous risquons d'être dans les années
à venir dans la même situation. Réjouissons-nous,
c'est la fraîcheur des origines ! N'oublions pas que, malgré
ce réalisme difficile que nous vivons, nous sommes en train
de retrouver la fraîcheur des origines. C'est ça, notre
Eglise. Ce ne sont pas des bâtiments partout, des structures
partout. C'est la modestie audacieuse des origines.
L'Evangile le dit. Ce qui est important
c'est le coeur battant de la foi. Nous ne ferons communauté,
ici comme ailleurs, que si nous sommes croyants. Voilà le
seul pilier. Il n'y en a pas d'autre.
Ce qui sera la brillance, la vigueur,
le témoignage de l'Eglise aujourd'hui et demain dans notre
monde, c'est notre foi. Alors ce qu'il faut soigner en nous, c'est
la foi. Cela se soigne de façon audacieuse, réaliste,
en ne tombant pas dans les pièges que trop rapidement j'ai
essayé de souligner et qui sont, à mon avis, des pièges
que rencontrent nos communautés aujourd'hui. Arrêtons
de gémir sur le passé qui n'est plus et qui ne reviendra
jamais comme il a été. Arrêtons de gémir
sur le futur que l'Esprit-Saint va embraser par je ne sais quelle
magie. Arrêtons d'attendre la mort.
Nous allons donc devoir soigner
notre foi. Ce n'est pas un langage mystique. C'est se remettre
devant les piliers fondamentaux de l'Evangile.
Notre société, notre
culture, et notamment les plus jeunes (j'en ai la conviction) nous
attendent, mais pas de n'importe quelle manière. Il ne nous
attendent pas sous le mode des pièges que j'évoquais
à l'instant. Ils nous attendent, à mon avis, sur trois
choses :
1°) Où y-a-t-il aujourd'hui des témoins
de mémoire ?
Des hommes et des femmes qui aident
à répondre à trois questions ; "D'où
est-ce que je viens ? Où est-ce que je suis ? Où est-ce
que je vais ?"
Ce sont des questions qui portent
sur mon existence personnelle mais aussi sur l'existence collective,
sur l'appartenance sociale. Cela s'appelle l'identité. Grande
question d'aujourd'hui, réelle, angoissante, torturante pour
beaucoup de gens. Qui est-ce qui va m'aider à faire le lien
dans mon existence de façon à pouvoir être assuré
de ma position ?
S'il y a tant de peurs aujourd'hui,
s'il y a tant de violences dans nos quartiers, dans nos cités,
entre les nations, c'est parce que nous ne savons plus qui nous
sommes, et qui nous sommes entre gens de même appartenance.
Par exemple, nous chrétiens, nous ne savons plus très
bien qui nous sommes ensemble. Qu'est-ce qui nous unit ? Nous allons
dire : "Nous croyons au Fils de Dieu mort et ressuscité
pour nous." D'accord, mais il faut que cela se traduise en
langage de chair.
Pourquoi est-ce que nous voulons croire
aujourd'hui ? Pourquoi est-ce l'essentiel de notre vie ? Est-ce
que nous nous le redisons suffisamment ensemble au coeur de nos
communautés et pas simplement par des mots mais aussi par
des célébrations vivantes entre nous, par des accueils,
des invitations que nous faisons à d'autres ? "Venez
voir qui nous sommes, non pas parce que nous sommes les meilleurs,
mais parce que nous avons envie de vous faire goûter ce qui
nous fait vivre et non pas de vous faire partager notre nostalgie".
Où seront les témoins
de la mémoire ? Nous sommes les héritiers d'une tradition
de la mémoire : le mémorial. Nous célébrons
quoi ? Le passé ? Non ! Le mémorial, pour nous chrétiens,
c'est ce qui a été un jour révélé
et qui demeure vivant éternellement. D'où est-ce que
nous venons, nous les chrétiens ? D'un Dieu fait homme au
milieu des hommes et qui est avec nous jusqu'à la fin des
temps, aujourd'hui et pour demain, quoi qu'il arrive. Voilà
l'espérance. Pour nous, chrétiens, l'espérance,
n'est pas de fleurir une tombe avec des chrysanthèmes, c'est
risquer l'avenir en s'appuyant sur le passé, aujourd'hui.
C'est très fondamental pour
beaucoup de gens aujourd'hui. Parce que nous, nous croyons depuis
longtemps que Dieu s'est fait homme pour le salut du monde. Et aujourd'hui
nous tenons cette conviction à la face du monde, et de façon
concrète pour éviter que la mort l'emporte. Et nous
voulons tenir parole demain, quoi qu'il arrive dans l'Histoire,
pour être présents à ce monde-là et aider
les souffrances, les blessures, etc.
Je crois qu'il y a beaucoup de gens
qui attendent cela aujourd'hui, non seulement les plus pauvres,
non seulement les plus blessés, mais, d'une certaine façon,
tout le monde attend des témoins de paix, des témoins
d'espérance.
2°) Où y-a-t-il des témoins de Loi (avec
un grand L)
Je ne suis pas en train de dire :
ce monde attend des témoins de règlements ou de règles.
Cela, il y en a suffisamment aujourd'hui dans la société.
On est en train de régulariser tout. C'est grave parce qu'il
n'y a plus d'espace d'autonomie, plus d'espace d'inventivité.
Est-ce que nous allons, nous les chrétiens, être les
témoins du "principe de précaution". Cela
nous arrive aussi : "Garde toi à droite, garde-toi à
gauche et tout ira bien". Jésus veille sur moi et je
ne bouge pas d'un pouce. Le "principe de précaution
chrétien", n'est pas l'un des moins vigoureux dans notre
société. La "trouille" généralisée.
C'est quand même ce qui nous caractérise à l'heure
actuelle, la trouille de tout : la peur du sexe, la peur de ceci,
la peur de cela. Est-ce que le Christ est venu pour prêcher
la "trouille" ? Il dit plutôt "N'ayez pas peur".
Ce que j'appelle la Loi dans la tradition
chrétienne, c'est le contraire de la peur. C'est-à-dire
la liberté. Pourquoi le Christ est-il venu apporter, confirmer,
accomplir la Loi ? C'est pour que désormais nous soyons libres.
St Paul le dit dans l'Epître aux Romains. Pour que nous soyons
libres et non enfermés, pour que nous risquions des choses.
Nous ne sommes pas des communautés
qui doivent apporter une parole bien gentille. Nous sommes des communautés
qui doivent dire "oui" quand il faut dire oui, "non"
quand il faut dire non, dans l'espace public, dans nos communes,
dans nos pays, dans le monde. Et que ce oui soit oui, et que ce
non soit non. Il y a des injustices à dénoncer. Il
y a des choses qui vont bien, à confirmer, auxquelles nous
devons être présents. On a parfois l'impression que
nous sommes toujours ailleurs.
Les chrétiens sont souvent
"ailleurs". Nous regardons tout avec hauteur. Nous les
chrétiens, nous ne pouvons pas dire autre chose souvent que
de manière compliquée. Quelqu'un qui est injustement
traité au coin de la rue, si nous ne sommes pas là,
en première ligne, nous les témoins de l'Evangile,
il y a quelques questions à nous poser. Nos communautés,
elles sont incarnées quelque part. Elles sont présentes,
ici et maintenant, dans le présent de l'histoire. Le problème
est-il de se lamenter sur le fait qu'on n'est plus nombreux dans
nos églises ou de savoir si nous sommes encore vigoureux
pour être là où le combat doit être mené
pour que ce monde vive ?
Peut-être qu'il y aura moins
de messes dans l'Eglise de demain. C'est moi, un prêtre, qui
dis cela, mais ce qui m'importe, c'est que la foi chrétienne,
comme a dit le Christ, brûle encore : "Je suis venu apporter
le feu et combien je voudrais qu'il brûle". Et le souci
du Christ à mon sens, n'était pas de savoir si la
messe du dimanche allait être assurée. Le souci du
Christ était que dans ce monde-ci, le salut soit plus fort
que la mort. Il faut nous remettre quand même devant l'essentiel
et arrêter de nous lamenter et de gémir sur le fait
qu'il n'y a plus de prêtres. Il n'y a plus de prêtres,
moi je n'y peux rien ! Adressons-nous là-haut. Il faut prier
aussi pour que nous ayons des vocations.
Mais, il faut aussi prier pour que
nous organisions nos communautés de telle façon que
tout ne repose pas sur les prêtres, que tout ne repose pas
sur cette cléricalisation qui est devenue dans l'histoire
un pur accident stratégique et ponctuel. Parce qu'il y avait
du monde.
Quand il y a moins de monde, il faut
faire autrement. Le service qu'il faut assurer, c'est le service
de la passion de la foi au coeur du monde. C'est cela le ministère
sacerdotal partagé par tous les chrétiens, par tous
les baptisés depuis que Vatican II l'a souligné de
manière très nette.
3°) Où y-a-t-il des gens qui aient un projet ?
Enfin, il y a une attente qui confirme
les deux choses que je viens de dire : l'attente de gens qui
aient un projet. L'Ecole a des problèmes comme nous. Le politique
a des problèmes. Qui aujourd'hui propose un projet qui puisse
passionner ? On dit : "Les jeunes sont mous" ! Cela, ça
fait partie des slogans à quatre sous au café du Commerce
! Ils sont mous ! Mais nous, on n'était pas mous à
leur âge ? Qu'est-ce que ça veut dire être mou
? Je ne rencontre pas des jeunes mous, je rencontre des jeunes qui
cherchent des gens qui ne soient pas mous. Et, quand ils en rencontrent,
ils ne sont plus mous.
Ne nous en prenons pas toujours aux
autres pour dénoncer et stigmatiser chez eux ce que nous
n'aimons pas chez nous. C'est une tentation très habituelle
du chrétien moyen dont je suis. Ce sont toujours les autres
qui ont tort. Ce sont toujours les autres qui sont dans le péché.
C'est quand même dominant dans les discours de l'Eglise, cela.
Dans le discours institutionnel, que
je n'aime pas sur ce registre-là, c'est toujours les autres.
Nous, on est parfaits. On est les Cathares du monde moderne. On
s'est isolé sur notre colline à l'écart de
ceux-là qui sont divorcés-remariés, ceux-là
qui avortent, ceux-là qui ont le sida.... Je ne suis pas
prêtre, je ne suis pas croyant pour être constamment
en croisade avec ma lance, une espèce de Don Quichotte délirant
des temps modernes avec mon Sancho Pança sur son âne
pour aller défoncer des moulins à vent.
Nous sommes contemporains de cette
société, nous partageons ses angoisses, nous avons
ses mêmes questions. Ne commençons pas à dire
des autres que… des autres qui... etc. Nous sommes en projet avec
eux pour relever le défi avec notre identité propre
parmi et avec celle des autres.
La rencontre
Je me dis : "Pourquoi crois-tu
en l'Evangile ? Au Christ mort et ressuscité pour nous aujourd'hui
? Pourquoi y crois-tu ?" Premièrement (je vous livre
ma foi) parce que c'est un Evangile, une Bonne nouvelle de la rencontre.
Je réfléchis, je médite aujourd'hui au 21°
siècle et je me dis : je crois en l'Evangile de la rencontre.
Si je mets cet accent, c'est parce que je rencontre beaucoup de
jeunes, et de moins jeunes qui ont soif, fondamentalement, intensément,
de rencontres. Une des plaies de notre temps, c'est la solitude,
et il n'y a rien de pire que la solitude au milieu d'une grande
foule, au milieu d'un tas d'activités, du stress, du zapping...etc.
La rencontre pour moi se fonde sur
cette image de l'Evangile à Césarée de Philippe
: la rencontre entre le Christ et ses disciples et la question qu'il
leur pose : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?" La
réponse n'est pas imposée, la réponse est libre,
elle est ouverte. "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant".
La réponse est à la mesure de la vérité
de la question.
Personne ne leur a soufflé.
Personne ne leur a dit : "Vous allez répéter
votre catéchisme !" Personne ne leur a dit : "Vous
allez dire ceci ou cela". C'est du coeur qu'a surgi la révélation
et l'attestation. Et qu'est-ce que cela a changé ? Rien et
tout. C'était une parole en pleine campagne, quelque part,
dans un bled perdu. Cela n'a pas révolutionné le monde
et pourtant, c'est de là qu'est partie l'Eglise. Pour moi,
la fondation de l'Eglise, c'est à Césarée de
Philippe. Chacun a ses représentations. La mienne, c'est
celle-là. "Qui dites-vous que je suis ?" ; "Tu
es le Christ, le Fils du Dieu vivant".
Alors s'ouvrait une audace inouïe.
La mort n'avait plus aucun pouvoir même si demeurait l'angoisse.
Quelque chose était définitivement retourné.
Je rencontre des tas de gens aujourd'hui qui ont soif qu'on leur
pose cette question : "Toi, en qui crois-tu ?" Crois-tu
en toi ? Crois-tu dans le monde, crois-tu dans la vie, crois-tu
en Dieu ?" Causons, conversons, parlons, rencontrons-nous !
Nos communautés ne peuvent-elles pas être d'abord et
fondamentalement, au nom de l'Evangile, des espaces de rencontre
?
Je rêve d'Eglises où
il y aurait au lieu d'un mur, une grande baie vitrée, et
puis des tas de propositions et surtout des choses simples pour
se rencontrer. Je n'ai pas de grand projet pour nos communautés,
mais j'ai un désir qu'il y ait toujours, nuit et jour, quelqu'un
qui soit disponible pour écouter.
C'est une richesse inouïe dans
notre temps. Où seront, demain, les institutions, les lieux,
les personnes qui offriront cette possibilité à tant
de jeunes, de moins jeunes, de milieux très divers. Cette
demande est transversale aujourd'hui, interculturelle. Ecouter.
Comme disait Paul VI, dans son merveilleux texte de 1964 : des lieux
où on puisse converser. Et cela demande des transformations
de nos espaces, qu'ils ne soient pas refermés vers l'intérieur,
mais ouverts vers l'extérieur. Cela demande aussi une conversion
de nos finances.
J'aborde un sujet extrêmement
douloureux dans l'Eglise, beaucoup plus douloureux peut-être
que la sexualité. Je me dis souvent que les finances, ce
n'est pas douloureux quand on n'a pas d'argent ! C'est douloureux,
bien sûr, mais ce n'est pas la même douleur que quand
on en a beaucoup. Et nous en avons encore beaucoup. Il ne faut pas
nous raconter d'histoires.
Mais enfin, "claquons" notre
fric et claquons-le pour mettre à la disposition d'autres
dans la société ce que d'autres institutions qui n'ont
pas beaucoup d'argent ne peuvent pas faire. Risquons des "coups".
On perdra de l'argent, et alors ? Qu'est-ce qu'on va en faire ?
J'ai l'impression qu'on est un peu
comme cela dans nos communautés parfois : on va faire des
choix financiers ou budgétaires ridicules alors que les urgences
évangéliques, apostoliques, sont sous notre nez. Qu'a-t-on
jamais eu à perdre dans l'Eglise si ce n'est la foi ?
L'Incarnation.
Autre pilier : l'Incarnation. Nous sommes une tradition de
l'Incarnation. "Le Verbe s'est fait chair et il a habité
parmi nous". S'est fait chair, il ne s'est pas fait ange, il
ne s'est pas fait petit nuage, il ne s'est pas fait pur esprit,
concept, notion. Il s'est fait chair. Cela veut dire qu'aujourd'hui,
il peut parler à beaucoup de gens, y compris hors des frontières
de l'Eglise.
Il s'est fait chair. Il s'est fait comme nous. Il s'est fait chair,
corps, dans un monde où les repères de la sexualité,
de l'affectivité, de la corporéité sont loin
d'être clairs. Nous sommes les témoins d'une religion
de l'Incarnation, nous les chrétiens. Va-t-on continuer à
avoir des gueules d'enterrement ? Soyons un peu libérés
et nous apporterons un témoignage que beaucoup de jeunes
attendent.
Où sont les lieux aujourd'hui
où l'on peut causer, quand on a 20 ans, avec des hommes et
des femmes qui n'ont pas peur de la chair, qui ne sont pas obsédés
par une espèce de représentation imaginaire de la
chair ?
Il n'y en a pas beaucoup. C'est soit
tout du côté : "Fais ce que tu veux, agis comme
tu veux et puis tu verras, la vie est belle", ce qui est pousser
les gens vers la mort ; soit : "Ne fais surtout rien, protège-toi,
ton sexe est mauvais."..etc. Entre les deux, il n'y a pas beaucoup
d'espace aujourd'hui. Nous, nous avons un espace à créer.
Nous avons à construire un
accueil humain, charnel, chaleureux, simple. Il faut que cela se
cultive déjà entre nous. Si nous sommes les témoins
de l'Incarnation, comment le sommes-nous entre nous ? Est-ce qu'on
va passer dans la communauté comme une espèce de météorite,
pour venir chercher un service. L'Eglise, service public ? Il faut
absolument que cela cesse : "J'ai droit à la messe et
je ne vous demande rien d'autre"…
DEBATS
Questions
1 - Il existe actuellement des Assemblées
dominicales sans prêtre parce qu'il n'y a pas assez de prêtres,
et la communion est distribuée mais avec des hosties qui
ont été consacrées ailleurs. Dans l'Eglise
primitive, on se réunissait chez le voisin qui présidait
la cérémonie, qui distribuait le pain et le vin. Il
semble bien qu'il y avait une consécration. Or, lui, il n'avait
pas été ordonné, au moins dans la majorité
des cas. Ne peut-on pas envisager que dans quelques années
la réunion dominicale ait lieu sous la présidence
de quelqu'un, d'un laïc "quelconque". Puisque ça
"marchait" dans l'Eglise primitive, pourquoi est-ce que
cela ne "marcherait" pas maintenant ?
2 - Au sujet de la liturgie, je trouve
qu'on ne nous incite pas à inventer et je ne vois pas comment
on pourrait se préparer à nous réunir quand
nous n'aurons plus de prêtre. J'ai l'impression que nos prêtres
eux-mêmes ne vivent pas la liberté dans le déroulement
de la messe et qu'à chaque fois qu'on essaie de préparer
une messe, on se retrouve toujours dans le même carcan. Comment
faire pour se préparer au temps où nous n'aurons plus
de prêtre ?
3 - A propos de ce que vous avez dit
sur le coût et sur les communautés qui ne s'expriment
pas, est-ce que vous avez des exemples ? En vous écoutant
tout à l'heure parler des événements, du terrorisme,
des problèmes avec l'Islam je me dis qu'on a vu des membres
de la hiérarchie parler dans les églises, chez nous,
et d'un autre côté en regardant hier soir le match
de foot France-Algérie, j'ai remarqué que l'Eglise
n'était pas représentée. Alors est-ce que notre
intervention d'Eglise n'est pas trop dans nos murs et pas suffisamment
avec les autres ?
4° - Qu'est-ce qu'on fait pour
rencontrer les musulmans, concrètement. On rencontre des
protestants, on rencontre des Juifs. Mais les musulmans, je ne les
vois jamais avec nous.
5° - La subversion, je trouve
que c'est un très beau thème, mais pour créer
de la subversion, il faut d'abord être subversif et on n'a
pas été habitué à cela. On n'est pas
dans une situation tellement différente d'un certain nombre
de systèmes islamiques où il y a des imams qui passent
le pouvoir à des descendants d'Allah. Dans notre Eglise,
le pouvoir, la vérité, tout cela, c'est vu d'en-haut
et nous nous sommes bien déshabitués à agir.
Donc comment est-ce qu'on va refaire quelque chose?
Intervention du Père Denis
A propos de la réaction de
l'Eglise officielle vis-à-vis des actualités, je trouve
un écho très positif : notre paroisse nous a imprimé
dans une feuille toutes les interventions à partir du Pape,
de l'Archevêque de Paris et surtout la conférence épiscopale
des évêques des Etats-Unis qui ose, seule, prier pour
les terroristes. Dans les éditoriaux de l'extrême gauche
jusqu'à l'extrême droite j'ai retrouvé un écho
des valeurs évangéliques : "ne vous vengez pas,
ne frappez pas, essayez de faire autrement".
6°- Je voudrais vous demander
de revenir un tout petit peu sur le piège du rétroviseur.
Il est d'autant plus difficile pour les plus âgés qui
ont connu l'Eglise flamboyante, les ostensoirs et les églises
pleines.. Les plus jeunes, la génération des 20-30
ans, n'ont pas connu cette Eglise flamboyante. Pour eux l'avenir
est probablement plus ouvert et il y a un autre discours à
leur tenir.
7° - Ce qui m'interroge, c'est
ce lieu d'écoute dans l'église où les gens
viendraient converser. Je vois difficilement des gens qui changent
et que ceux qui viennent ne connaissent pas venir créer ce
lieu d'écoute et de partage.
Réponses
L'avenir par rapport aux célébrations, aux prêtres
Je ne vais pas répondre à
toutes vos questions mais je réagis à un certain nombre
de choses. D'abord au sujet de l'avenir par rapport aux célébrations,
aux prêtres... etc C'est un dossier-serpent de mer à
l'heure actuelle dans l'Eglise. Si je peux vous dire quelque chose
simplement, c'est qu'on est en train de perdre un temps infini.
On coupe les cheveux en quatre sans voir l'essentiel.
C'est une question de pouvoir, c'est
tout. Quand on regarde la Tradition et l'Histoire de l'Eglise, on
est effaré de constater que cette mise en place du pouvoir
clérical, c'est quelque chose d'assez tardif. Cela a correspondu
à une situation, à certaines circonstances. Comme
si les circonstances ne pouvaient jamais changer. Or, elles sont
en train, manifestement, de changer.
Nous sommes en train de continuer
à faire comme si rien ne changeait, voire même pour
de nouvelles générations de prêtres, à
refaire une Eglise uniquement basée sur le pouvoir clérical
(ce qu'ils n'ont pas connu).
Comment est-ce qu'on va s'en sortir
? A mon sens il y a deux choses à considérer. C'est
un peu subversif, mais il faut être subversif aussi à
l'intérieur de l'Eglise.
La première chose, c'est que
la situation va évoluer. Mathématiquement, dans dix
ans en France les prêtres se compteront sur les doigts d'une
main amputée. Alors, on va rester comme ça, en attendant
que Monsieur le Curé arrive, après avoir fait le circuit
sur 55 lieux de culte, c'est à dire un prêtre qui sera
réduit à la tâche de distributeur des sacrements.
Vous voyez les conséquences
sur la symbolique des sacrements. Vous avez dit vous-même
parce que c'est le langage que nous employons tous : des hosties
consacrées ailleurs. Moi je vois tout de suite la chaîne
de fabrication. Il y aura des colis d'hosties consacrées.
On peut faire cela de façon très logistique. Il y
aura une consécration centrale, la grande usine du groupe,
et puis on enverra les petits colis dans les lieux de culte ! Ecoutez,
non, il faut être sérieux quand même...
Il y a une tendance de ce côté-là
parce qu'il faudrait absolument conserver le caractère "sacral".
Non ! Il faut que la théologie évolue. C'est sa mission
à la théologie, d'être au service de l'évolution
de la pastorale. Si elle ne joue plus ce rôle, il faut faire
taire les théologiens et que la pratique aille plus vite
que les théologiens. Il faut que nous fassions évoluer,
c'est l'une des conclusions du Concile Vatican II.
D'où une seconde série
de remarques sur la liberté de l'inventivité liturgique.
Là aussi les boulons sont resserrés depuis quelque
temps, parce que peut-être il y a eu des excès. Quelle
est l'institution dans laquelle il n'y a pas eu d'excès.
Et quels excès ? parce que Monsieur le Curé ne mettait
plus la chasuble !...
Quelqu'un me disait tout à
l'heure : "Parfois on a l'impression que dans nos lieux d'Eglise
et particulièrement dans les lieux de formation, séminaires
et autres, on se préoccupe plus d'affaires de chiffons que
d'affaires de pastorale. Ce n'est pas faux. C'est sans doute pour
des raisons de peur. On se réfugie dans la sacristie; C'est
valable dans toutes les institutions. Regardez les salles des profs
dans les lycées et les collèges !
Dès qu'on a peur, on se retrouve
bien au chaud entre profs et c'est toujours le même discours
qui revient : "Quand on était jeunes, c'était
autre chose" ; "le niveau baisse". Il ne faut pas
qu'on tombe là-dedans. Je me pose une question : ne sommes-nous
pas à nous auto-censurer plus que nous ne sommes censurés
par d'autres ?
J'ai le sentiment qu'on peut inventer.
Je n'ai pas encore vu les gardes suisses intervenir contre une personne
qui a inventé. Il ne faut pas commencer à se dire
"Mais Monseigneur ne va pas être content". Si Monseigneur
n'est pas content, cela se soigne ! On va informer et puis on va
relire la situation. On va adapter ce qu'on peut. Cela, c'est un
véritable travail d'Eglise.
Sur la question de la rencontre des
autres religions. Je crois que c'est un défi d'avenir. On
est dans une société où il y a une quête
de sens très forte et où il y a une "offre"
de propositions de sens de plus en plus multiformes. Il faut qu'un
certain nombre de gens, et notamment de plus jeunes qui n'ont pas
forcément la mémoire de tout cela, puissent se repérer
là-dedans. Et comment est-ce qu'il s'y repèreront
? En fonction de ce que nous faisons ensemble entre religions pour
nous faire connaître.
Si nous en rajoutons dans l'atomisation,
la parcellisation , c'est catastrophique. Il faut au contraire qu'on
essaie de manifester un visage de dialogue, de conversation et qu'on
s'entende sur l'essentiel. C'est un travail qui est déjà
beaucoup engagé, qui est déjà bien mis en oeuvre.
Il faut que nos communautés le manifestent et le mettent
en pratique
Des choses ont été dites
aussi du côté des décisions à prendre.
On m'a dit tout à l'heure : "N'hésitez pas à
parler du Forum des communautés chrétiennes".
Cela tombe bien. Le prochain grand Forum des communautés
chrétiennes qui se tiendra en septembre 2002 à Bruxelles
se donne comme objectif de réfléchir sur la question
de la décision. Pourquoi ? Parce qu'on est dans un monde
où on se demande parfois s'il y a encore des gens qui gouvernent,
et quelle prise nous avons sur les décisions à prendre.
Nous nous apercevons, en parcourant
l'Europe, qu'il y a de plus en plus de lieux, y compris dans les
églises, où des gens militent, font association ensemble,
font des démarches citoyennes pour être de véritables
acteurs des décisions, faire pression sur les pouvoirs et
les institutions. Ne venons pas dire aujourd'hui que les lieux de
décision n'existent plus.
Jamais il n'y a eu autant de chance
pour qu'ils redeviennent ce qu'ils doivent être c'est-à-dire
une gestion claire et précise de la subsidiarité.
C'est à dire que chacun a à partager la décision,
à l'endroit où il se trouve, en prenant la plénitude
de ses responsabilités.
Nous allons devoir élargir
notre manière de décider ensemble et de contribuer
ensemble, entre pays d'Europe et entre communautés chrétiennes
et croyantes d'Europe à cette nouvelle manière de
décider. Il ne faut pas tout attendre du haut. C'est bien
le problème de notre Eglise : on attend tout du haut. Mais
le "haut", il n'est pas magique.
J'ai été un peu sévère
avec les Monseigneurs tout à l'heure. Cette fois-ci, je vais
être beaucoup plus tendre ! Je les aime bien et notamment
je les aime bien quand ils en ont jusque par-dessus la tête
de recevoir dans leur bureau toutes les plaintes, toutes les revendications.
Nous pouvons nous organiser ensemble sur un certain nombre de choses.
Monseigneur de Nanterre, il n'a quand même pas à gérer
la couleur du dallage de l'église, ni le chant d'entrée
de la prochaine célébration !
Des lieux d'écoute !
Je suis bien d'accord avec vous, ce
n'est pas facile. Ce que je voulais dire ici, c'est qu'il faut que
nous travaillions avec d'autres ! Ce ne sont pas uniquement nos
églises qui doivent accueillir. Il faut aussi travailler
dans les lieux où s'invente l'écoute. Etre dans une
dynamique de l'Evangile aujourd'hui, c'est ne pas avoir peur de
contribuer avec d'autres, dans des lieux spécifiques, d'apporter
notre identité de chrétiens et d'inventer avec d'autres,
de mettre à disposition d'autres, des moyens que nous pouvons
avoir.
Nous avons des lieux, mais ce n'est
pas forcément à nous de tout faire. Nous avons une
passion, des savoir-faire, ne les gardons pas pour nous. Il y en
a d'autres qui ont des projets mais qui n'ont pas forcément
le savoir-faire, qui n'ont pas forcément les moyens. Il faut
que ça se réunisse et que ça se retrouve. Ce
que j'appelle nos lieux ce ne sont pas uniquement les églises.
C'est le tissu social où avec l'Evangile, nous devons être
pleinement avec d'autres.
A propos de ma remarque sur le "rétroviseur",
je suis entièrement d'accord avec vous. Si de plus jeunes
aujourd'hui, qui n'ont pas la mémoire de ce que nous avons
vécu dans d'autres générations, semblent revenir
à des formes que nous croyions dépassées, je
crois que c'est un symptôme de peur. A toutes les époques
de peur, on essaie des formules anciennes même si on ne les
a pas connues, donc on les interprète mal.
D'où la mission que nous avons
dans nos communautés d'expliquer, de dialoguer avec les plus
jeunes. Il faut aussi accepter qu'il y ait des sensibilités
plurielles !
Toute communauté croyante aujourd'hui
a ses zones d'ouverture et ses zones de fermeture. Il y a des zones
d'ouverture larges dans l'anglicanisme, dans le protestantisme mais
il y a aussi des zones fortes de fermeture que craignent beaucoup
nos collègues protestants. Dans toutes les religions aujourd'hui
existe la tentation de fanatisme et d'intégrisme et cela
pour des raisons de peur. Il faut que nous soyons très vigilants
à l'intérieur de nos communautés.
La deuxième chose, c'est ce
que vous avez dit de la présence de la mémoire religieuse
à l'intérieur d'une nation et d'une société.
On est parfois dans un faux débat, à mon avis, dans
nos communautés : doit-on dire notre identité ou au
contraire la masquer ? Dire ou taire Jésus ? Je crois qu'il
faut dépasser ce dilemne. Dans les années 70 on était,
c'est vrai, dans une société qui était très
marquée encore par la mémoire laïque, laïcarde
et ce n'était pas simple.
Je crois qu'aujourd'hui on s'aperçoit
bien que devant les défis du présent et de l'avenir,
on a besoin de toutes les ressources de sens. Ce n'est pas toujours
commode à mettre en oeuvre, mais le débat public s'élargit
de plus en plus. On le voit bien sur les questions éthiques.
On a besoin de tous les interlocuteurs. Donc il ne faut pas que
nous soyons encore dans une perspective qui consiste à dire
: "Moi, je ne dis jamais en qui je crois !".
Il y a aussi besoin de passion aujourd'hui.
Evidemment ce n'est pas la croisade, mais la passion de dire en
qui l'on croit. Je l'ai dit tout à l'heure : je crois qu'il
y a beaucoup de jeunes qui l'attendent et qui ne l'entendront pas
forcément comme quelque chose qui écrase mais comme
quelque chose qui indique une prise de position, une identité.
Nous allons maintenant nous arrêter
pour la célébration commune. Ce que je retiens, c'est
l'importance de l'invention. Il faut nous prévenir contre
la peur en ne craignant pas que tout de suite les foudres du ciel
ou de l'institution nous tombent dessus. Nous avons beaucoup plus
d'espace que nous ne croyons. Il faut le vérifier en risquant
des "coups".
NDLR :
.Nous venons de vous livrer le texte de Luc PAREYDT, relu et allégé
par lui.
.Germinal est là pour receuillir vos réactions positives
ou négatives.
N'hésitez pas à nous faire connaître vos idées
:
- soyez inventifs,
- suggérez-nous des "coups" à risquer,
cela constituera le numéro 125 de Germinal.
.Nous attendons vos textes pour le 20 janvier 2002.