Présentation par Fabienne Gallic
Vous êtes rabbin. Vous êtes
toujours rattaché au Consistoire de Paris. Vous êtes
actif dans le dialogue judéo-chrétien. Vous collaborez
à des journaux tels que Témoignage Chrétien
et vous êtes ouvert au dialogue interreligieux ; vous avez
écrit plusieurs ouvrages dont "Pour expliquer le judaïsme
à mes amis", "Epreuves d'espérance"
et "Le rabbin catalan de la tolérance". J'ai bien
aimé ce que vous mettez à l'entrée de ce livre
"L'homme demanda à Joseph : que cherches-tu ? Il répondit,
je cherche mes frères". Vous allez nous parler aujourd'hui
du prophète Osée et je vous laisse la parole.
Intervention de Philippe Guibard
Je veux vous présenter les
personnes qui vous accueillent autour de Philippe Haddad : Fabienne
Gallic, une paroissienne, Madame le Pasteur Isabelle Pierron bien
connue de cette communauté de St Germain et chez qui nous
irons pour écouter à nouveau Philippe Haddad, le 21
mai (au Centre Protestant de Robinson 36, rue Jean Longuet Châtenay).
Cher Philippe Haddad, vous avez
découvert dans votre foi juive, dans vos racines qui sont
aussi les nôtres, que tous les hommes ont le même Père
céleste et donc que tous sont frères. Aussi on peut
comprendre que le conflit impitoyable qui oppose deux peuples, le
peuple Israël, le peuple de l'Alliance et le peuple palestinien
vous touche encore plus charnellement que nous. S'il est un lieu
où il faudra selon votre belle expression "recoudre
la fraternité", c'est bien là-bas. Mais nous,
nous sommes ici. Alors de tout coeur et au nom de la Communauté
Chrétienne de Robinson si Isabelle me le permet et de celle
de St Germain, je vous remercie de venir nous rappeler que nous
avons tous un seul père qui nous appelle à vivre en
frères. Vous dites dans "Epreuves d'espérance"
: "ceux qui oublient la fraternité sont en errance mais
ceux qui la construisent sont en exil. Ils marchent toujours vers
le retour, car l'exil n'est que la longue et lente marche du retour."

C''est
un signe des temps et une grâce qu'un rabbin se trouve dans
un lieu de culte chrétien, dans une église devant
un public majoritairement chrétien, un signe des temps, une
bénédiction qui est finalement le résultat,
la conséquence d'un travail qui a été élaboré
depuis des années, où Juifs et chrétiens se
rencontrent, dialoguent et essayent d'avancer, que ce soit au niveau
des institutions, au niveau de nos grands représentants,
le Pape, le Grand Rabbin, ou que ce soit par des rencontres à
la base.
Ce soir je vais vous présenter
quelques aspects d'un prophète d'Israël, Osée,
en Hébreu Hoséa. Avant de lire les deux chapitres
que je vais commenter, je vais commencer par exposer succinctement
quelques points sur le prophétisme tel que cette notion est
entendue dans la tradition juive. Qu'est-ce que le prophétisme
et d'une certaine manière en quoi le fait de se trouver ensemble
ce soir, juifs et chrétiens, dans ce lieu de culte, et de
prière, en quoi cette rencontre peut avoir une dimension
prophétique ?
La grande découverte du prophétisme
des Hébreux, (on ne dit pas les juifs dans la Bible, on dit
les Hébreux), les descendants d'Abraham, Abraham l'Hébreu
celui qui passe, "ibri" l'Hébreu, celui qui passe
de l'autre côté, celui qui quitte la Chaldée,
la Mésopotamie, qui traverse l'Euphrate pour aller vers la
terre promise, celui qui traverse une rivière non seulement
sur le plan spatial et géographique, mais celui qui quitte
le paganisme, le polythéisme pour découvrir le Créateur,
le Père, le Créateur des cieux et de la terre qui
a façonné tous les hommes à son image.
La grande découverte des
prophètes hébreux qui sont finalement nos témoins,
c'est la découverte d'un Dieu qui parle. Si l'on entend le
texte de la première Alliance depuis la Genèse, "Au
commencement Dieu créa le ciel et la terre" jusqu'au
dernier prophète Malachie, la découverte du prophète,
c'est la découverte d'un Dieu qui parle, il appelle ses serviteurs
: "Abraham ! Abraham" - "Moïse ! Moïse
!" - "Samuel !" La découverte du prophétisme
est la découverte d'une relation entre le Dieu créateur,
appelé aussi le Père, et puis sa créature la
plus achevée : l'homme, Adam et Eve, et les fils d'Adam,
l'humanité que nous sommes. La découverte donc, d'une
relation.
La démarche prophétique n'a rien à voir avec
la démarche philosophique. Le philosophe parle d'un Dieu
qui se pense, si on reprend la formule d'Aristote. Dans la pensée
il y a une dimension impersonnelle. Aujourd'hui, les ordinateurs
par exemple, sont des systèmes de pensée impersonnels.
Ils pensent plus vite que nous. Ils savent aller beaucoup plus loin
que nous et pourtant, cela reste des machines. Aucune machine ne
sourira. Peut-être qu'on arrivera à fabriquer des machines
qui sourient, mais cela n'a rien à voir avec un visage qui
sourit.
Le penseur est seul, le philosophe est
seul, il chemine seul pour essayer de découvrir la vérité
qu'il va contempler tout seul. Le prophète n'est pas seul.
Le prophète rencontre Dieu. Il est appelé par Dieu
et il peut appeler Dieu. Dans toutes les synagogues du monde, ce
samedi, ce sabbat, nous allons commencer le troisième livre
du Pentateuque, le livre du Lévitique. Les traducteurs latins
ont entendu ce troisième livre comme celui qui concerne la
tribu de Lévi qui était consacrée au service
du temple, qui n'avait pas de terre, qui n'avait pas d'héritage
dans la Terre Promise, mais qui était consacrée à
l'Eternel. Car l'Eternel est son héritage. En Hébreu
le Lévitique s'appelle wayyiqra. Wayyiqra veut
dire "il appela". Le sujet est Dieu. Dieu appela. Le complément
c'est Moïse. Dieu appela Moïse depuis ce qu'on appela
"la tente d'assignation" " 'ohel môed
".qui en Hébreu signifie la tente du rendez-vous.
C'est plus qu'une assignation juridique. C'est un rendez-vous c'est-à-dire
que Dieu donne rendez-vous à l'homme et l'homme peut donner
rendez-vous à Dieu. Ce rendez-vous est possible par l'appel
des noms, la reconnaissance des noms. Dieu appelle l'homme et l'homme
peut appeler Dieu car Dieu a un nom. Dans la tradition juive, par
respect pour le nom de Dieu, on ne le prononce qu'au moment de la
prière, Adonaï, pluriel de majesté qui
signifie Mon Seigneur. Mais dans l'étude on ne prononce pas
le nom de Dieu, on dit ha-Sem, le Nom, celui qui a un nom
appelle ses créatures par leur nom.
C'est la première dimension du
prophétisme, la découverte du Dieu qui parle. La différence
entre la pensée et la parole, c'est que la pensée
peut être solitaire alors que la parole implique immédiatement
une relation. Pour parler, il faut être deux, celui qui parle
et celui qui entend. Et ensuite celui qui entend peut, à
son tour, parler et celui qui a parlé peut entendre. Il y
a cette dialectique de la rencontre et la parole devient l'entre-deux,
un lien entre deux êtres qui sont radicalement différents
et qui peuvent être tout proches en même temps par la
parole.
La découverte du prophétisme, de ce Dieu qui parle,
va encore plus loin. C'est la découverte que toute réalité
du monde est parole, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'élément
insignifiant ou anonyme dans le monde, mais chaque élément
du monde est porteur d'une parole, de la trace de Dieu, de la volonté
de Dieu. Dieu a créé le monde à l'origine et
les rabbins qui étudient le texte avec le microscope et avec
beaucoup de minutie comptent le nombre de fois où il est
dit "et Dieu dit" dans le premier chapitre de la
Genèse et ils trouvent dix fois l'expression "et
Dieu dit". "Et Dieu dit : que la lumière
soit", "et Dieu dit : que les eaux d'en-haut se
séparent des eaux d'en-bas..." jusqu'à "Et
Dieu dit : faisons l'homme à notre image".
Dans ces dix paroles prononcées
à l'origine, il y a certainement un lien avec les dix paroles
du Décalogue. Tous les éléments du monde sont
créés et il se trouve qu'en hébreu le mot "chose"
est le même terme que le mot "parole". Il s'agit
du mot "dabar". Dabar signifie à
la fois une chose, un objet concret et une parole. Chaque langage
est structurant de la pensée. La grammaire est structurante
de la pensée. La parole établit la relation qu'une
culture, qu'un génie culturel établit avec son environnement.
Qu'en hébreu, le terme dabar signifie à la
fois la chose et la parole est signifiant sur le plan du prophétisme.
Cela signifie que chaque élément du monde est parole.
Et d'une certaine manière, la démarche du prophète,
c'est d'être une oreille tendue pour écouter cette
parole qui peut surgir des lieux les plus inattendus.
C'est, par exemple, l'expérience
de Moïse. Moïse est dans le désert. C'est un lieu
vide, un lieu insignifiant parce qu'un grain de sable ressemble
à un grain de sable. Et de temps en temps, il y a des petits
arbustes insignifiants dans le désert. Et voilà que
Moïse va rencontrer Dieu la première fois, justement
à partir d'un élément anonyme de la nature,
le buisson, le seneh en hébreu qui donne le Sinaï.
Le mot Sinaï, cela veut dire la colline du seneh, la
colline du buisson. Il s'aperçoit que ce buisson est porteur
de sens, est porteur de parole.
D'abord il s'aperçoit que le feu
enveloppant ce buisson ne le dévore pas. Il peut donc exister
des pouvoirs qui ne détruisent pas le plus faible. Il peut
donc exister des pouvoirs qui sont des sacerdoces et non pas des
volontés hégémoniques de dominer. Il y a donc
des feux qui peuvent caresser et non brûler.
Mais la démarche prophétique,
ce n'est pas seulement de voir. La démarche prophétique,
c'est d'entendre. Et lorsqu'on étudie les textes, on s'aperçoit
que les choses commencent toujours par la vision et s'achèvent
toujours par l'écoute. L'option du judaïsme, c'est "écoute".
"Ecoute, Israël, l'Eternel notre Dieu, est Un".
"Vous n'avez pas vu Dieu, vous avez entendu la voix",
répètera Moïse dans le Deutéronome. Tout
commence par la vision et tout se termine par l'écoute parce
que la vision est toujours hégémonique, totalitaire.
(on ouvre les yeux, on voit le monde), tandis que pour écouter,
il faut être deux, il faut établir la relation éthique.
C'est la première découverte
du prophétisme. La deuxième dimension du prophétisme,
que je soulignerai, c'est la dimension de la mémoire. Lorsqu'on
lit dans un dictionnaire la définition d'un prophète,
c'est un devin, celui qui prédit, celui qui prévoit,
celui qui voit avant, celui qui dit avant. En fait lorsqu'on regarde
les différents textes, on voit que les prophètes sont
d'abord des hommes de la mémoire plutôt que des hommes
de l'avenir. Ou pour le dire autrement, l'avenir n'est éclairé
que dans la mesure où la mémoire est éclairante.
Le travail des prophètes c'est
plutôt de rappeler en particulier à Israël, mais
aussi aux nations, car si Dieu est le Dieu de tous les hommes et
de tous les peuples, alors les prophètes parlent aussi aux
nations. Les prophètes activent la mémoire. Cela dit,
on pense à des ordinateurs, quand on dit activer la mémoire,
mais ce sont des hommes qui rappellent sans arrêt qu'il s'est
passé quelque chose de très important à l'origine,
une Alliance, c'est-à-dire, une rencontre engageante entre
Dieu le Créateur et l'homme. La Bible enseigne des Alliances
successives, l'Alliance avec Noé, l'Alliance avec Abraham,
l'Alliance avec Israël au Sinaï et on parle aujourd'hui
davantage de la première Alliance et de la deuxième
Alliance que de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament.
Les Alliances nouvelles n'annulent pas
les anciennes Alliances, elles leur donnent une nouvelle dimension
mais ne les abolissent pas. Ce qui est conclu avec Abraham n'annule
pas ce qui a été conclu avec Noé et ce qui
a été conclu avec Israël n'annule pas ce qui
a été conclu avec Abraham ou avec Noé. C'est
toujours la même parole qui s'exprime et en fonction des récipiendaires,
tel ou tel aspect de la parole de Dieu est mis en évidence.
Donc les prophètes sont des hommes de la mémoire qui
rappellent qu'il s'est passé quelque chose d'important, une
alliance. En hébreu pour parler d'une alliance contractée
on dit "couper une alliance", en hébreu
" likrôt berit ". Le propre d'une Alliance
c'est un partage. Partage des responsabilités, Dieu donne
la grâce de la vie, donne la grâce de la parole et les
hommes sont appelés gestionnaires de cette grâce et
gestionnaires de cette parole. Les prophètes sont des hommes,
parfois des femmes qui rappellent justement que les hommes ne doivent
pas oublier.
On pourrait dire que naturellement l'homme
est porté à l'amnésie peut-être pour
oublier les responsabilités qui sont les siennes et qui sont
les responsabilités de son humanité même. C'est
vrai qu'en exergue, j'ai souligné ce dialogue entre Joseph
et cet inconnu du désert, cet inconnu qui dit à Joseph
"que cherches-tu ?" et il répond "
'et-'ahaï 'anoki mebaques " "Je cherche
mes frères". On pourrait penser aussi aux deux premières
questions que Dieu pose à l'homme à l'origine, lorsque
Dieu dit à Adam "où es-tu ?" après
la faute. Bien sûr que Dieu savait où était
Adam, mais est-ce que Adam savait, lui, où il était.
"Où es-tu", veut dire "où
en es-tu ?"
La deuxième question que Dieu va
poser, c'est celle qu'Il pose à Caïn après son
meurtre. Il lui dit "où est Abel, ton frère
?" et Caïn répond "est-ce que je suis
le gardien de mon frère ?" La bonne réponse
c'est "oui, tu es le gardien de ton frère".
Dieu à l'origine pose des questions à l'homme, à
tout homme (nous ne sommes pas encore dans l'histoire d'Israël,
nous sommes dans l'histoire de l'humanité. Adam est notre
père à tous.) Les questions que Dieu pose à
l'identité humaine individuellement et collectivement, c'est
toujours ces mêmes questions. "Où en es-tu
? Où est ton frère ?" Comment se situer par
rapport à soi-même ? Pour un croyant cela signifie
aussi : comment se situer par rapport à Dieu et comment se
situer par rapport à notre prochain. " Tout autre
" est notre frère . En hébreu c'est très
simple à dire pour dire autre on dit" 'aher ".
ah, et ah c'est le frère. Et il se trouve que
le mot " iha " signifie coudre, c'est pourquoi
tout autre est un frère potentiel avec qui je peux coudre
de la fraternité.
Certains ont partagé la même
matrice parce qu'ils descendent de la même mère ou
du même père, alors ils sont frères sur le plan
physiologique, biologique. Mais comme nous descendons tous de Adam
et Eve et que Dieu a créé un seul homme et une seule
femme qui sont à l'origine de l'humanité, alors nous
sommes tous frères. Tout "autre" est un
frère qui appelle cette couture. Il faut l'entendre en hébreu
pour se rendre compte de cette évidence très simple
que tout "autre" est frère et qu'il s'agit
de construire, de coudre du lien comme on dit en français
coudre, tisser des liens ou en découdre lorsque ça
va mal.
Donc la fonction des prophètes c'est
de rappeler qu'il y a un travail de fraternité à réaliser
et peut-être que la première mémoire des hommes
c'est justement de se rappeler qu'ils ont un même père
comme dit d'ailleurs le dernier prophète, Malachie, "N'avons-nous
pas un seul père ?" C'est cette évidence
qui a peut-être été oubliée un jour qui
est à l'origine des conflits : "mon père est
meilleur que ton père", "ma religion est
meilleure que la tienne" ou "mon idéologie,
ma politique est meilleure que la tienne", "ma
manière de servir Dieu est meilleure que la tienne".
A partir de là, les conflits commencent.
Tout peut être relativisé
si finalement nous nous rendons compte que les voies qui mènent
à l'Eternel sont aussi nombreuses que les visages humains,
comme dit cette formule du Talmud "de la même manière
que les visages sont différents, les pensées sont
différentes". Il suffit de regarder simplement nos
propres communautés. Le judaïsme n'est pas Un, il est
pluriel. Le christianisme n'est pas Un, il est pluriel. L'Islam
n'est pas Un, il est pluriel. Pourquoi y a-t-il toujours de la protestation,
de la rupture ? Parce qu'il y a de la différence et que le
grand défi des hommes créés à l'image
de Dieu, c'est d'assumer justement ces différences et de
coudre ces différences non pas pour les abroger, non pas
pour les supprimer, mais pour fabriquer un très beau costume
d'Arlequin.
Je vais maintenant passer la parole aux
personnes qui doivent lire les deux premiers chapitres d'Osée.
(Lecture des deux premiers chapitres d'Osée.)
La Bible est un curieux livre de foi.
Ce n'est pas un livre qui expose les principes de la foi, c'est
un livre qui raconte une histoire, l'histoire de l'humanité
d'abord, l'histoire d'Israël ensuite à l'intérieur
de l'humanité, et cette histoire est faite de hauts et de
bas, de fidélités et d'infidélités,
de mémoire et d'amnésies, de grandeur et de chutes.
C'est un curieux livre Israël a gardé précieusement
dans sa mémoire, dans ses écrits, sur des parchemins
sans effacer un seul mot. C'est une sorte de paradoxe de garder
des textes qui sont aussi durs vis-à-vis d'Israël, qui
remettent en cause cette identité. Celle que Dieu a appelée
au Sinaï à être royauté de prêtres
et nation sainte est bousculée, vilipendée par les
prophètes sans la moindre retenue. Curieux livre donc que
ce livre de la foi et en même temps livre honnête qui
ne cache pas les failles, des hommes et des collectivités,
des peuples.
On dit que le Messie descend de David.
David le psalmiste est aussi celui qui a envoyé Ouri au front
pour prendre Bat-seba. Et de cette union naîtra Salomon qui
construira le Temple, la Maison de Dieu pour toutes les familles
de la terre. Israël est sorti d'Egypte et a reçu le
Décalogue au Sinaï. Quarante jours après, pris
de panique en l'absence de Moïse, il se fabrique un veau d'or.
Moïse va plaider pour Israël. Il brise les tables. Pendant
quarante jours, il n'y a plus de Loi, le peuple est maintenu par
la grâce de Dieu puisqu'il n'y a plus de Loi. Quarante jours
après, le 10 du mois de tichri, Dieu pardonne. Ce sera à
l'origine du grand pardon, le jour de l'expiation, le jour de Kippour,
donc le 10 du mois de tichri, et Dieu redonne la deuxième
table.
C'est un curieux livre qui est une sorte
de miroir de l'âme humaine. Chaque homme, chaque peuple s'il
veut être honnête peut se retrouver dans la grandeur
des personnages et dans leur chute. C'est ce texte-là qui
est gardé en mémoire et qu'Israël doit préserver
dans un rouleau de Torah, dans un rouleau du Pentateuque enfermé
dans l'armoire de la synagogue. Si jamais il y a une lettre à
peine effacée, ne serait-ce qu'une lettre un petit peu coupée
parce qu'il y a un peu d'encre qui a sauté, la lecture publique
du rouleau est interdite. On ferme le rouleau et on prend un autre
rouleau jusqu'à ce qu'on ait réparé le rouleau.
On préserve cette histoire parce que l'histoire des hommes
n'est pas faite que de moments euphoriques, de grands moments d'extase
mystique. L'histoire est faite de hauts et de bas, de fidélités
et d'infidélités.
Hôsea, Osée signifie sauveur.
C'est certainement la même origine que Josué et certainement
aussi que Jésus. Hôséa est un prophète
qui exerce son sacerdoce dans le Royaume du Nord. On sait qu'à
la mort de Salomon, il y a un schisme entre le Royaume du Nord et
le Royaume du Sud. Le Royaume du Nord, le royaume d'Israël,
le royaume d'Ephraïm, le fils de Joseph et le Royaume du Sud,
le Royaume de Juda. En -720, le royaume du Nord sera complètement
effacé de la carte par l'invasion des Assyriens et dix tribus
sur douze vont disparaître, il ne restera que le royaume du
Sud, le royaume de Juda qui donnera ensuite les judéens,
juifs en français.
Les juifs sont descendants des judéens.
Hôséa s'adresse à ses contemporains du Royaume
du Nord et il doit rappeler à ses frères et soeurs
du royaume du Nord la fidélité. Tout à l'heure
j'ai parlé du travail de mémoire que devait réaliser
le peuple et le prophète comme un garde-mémoire, comme
un allumeur de réverbères si on peut dire, un porte-parole
pour réveiller les consciences endormies.
Les prophètes ont peu de pédagogie
si on pense à la pédagogie d'aujourd'hui au catéchisme
où on sait que les professeurs font très attention
à la manière dont on enseigne aux jeunes. Il y a des
classes, il y a des niveaux. Les prophètes sont travaillés
par l'urgence d'une situation. On peut présenter la pédagogie
des prophètes sur un tryptique :
Première méthode prophétique : la réprimande,
et Dieu sait si cette réprimande est décapante parfois.
On l'a vu, on l'a entendu.
Deuxième méthode : la consolation, dire qu'on
aime ceux qu'on réprimande. C'est important. On peut critiquer
Israël mais de temps en temps, Israël a besoin d'entendre
qu'on l'aime. On ne peut pas toujours dire "vous devez être
à la hauteur du projet qui vous est confié".
Alors le prophète, de temps en temps console. La main gauche
pousse, dit le roi Salomon, et la main droite caresse.
Troisième méthode : parfois le prophète va
aussi user des signes, soit les signes du vocabulaire, soit des
attitudes presque théâtrales pour éveiller la
conscience de ses contemporains.
Imaginez Hoséâ, prophète
ès-qualité, reconnu comme celui qui parle sous l'inspiration
du Très-Haut se rendant dans le quartier de Pigalle, par
exemple, pour aller chercher une femme de prostitution parce que
l'Eternel lui a dit "va chercher une femme de prostitution
!" Vous imaginez l'étonnement des contemporains
d'Hoséâ. Que fait-il dans ce quartier, lui qui devrait
rester du côté des maisons d'étude et des maisons
de prière.
Le voilà qui change de quartier
et il va épouser une prostituée et cette femme va
lui donner des enfants, des enfants de prostitution, avec des noms
étonnants : Izréel, Dieu a semé ou Dieu sèmera,
Lo-Ruhamah, non-aimée, Lo-Ammi, non mon peuple. Imaginez
cette Madame Hoseâ se promenant maintenant dans le jardin
du Luxembourg. Les enfants sont en train de jouer au bac à
sable et voilà maman qui appelle ses enfants "Non
mon peuple, non aimée ! on rentre à la maison, il
est tard !" Vous imaginez les mamans en train de surveiller
leurs rejetons entendant "tu n'es pas mon peuple, tu n'es
pas aimée !"
C'est la pédagogie du prophète.
Le prophète doit bousculer, doit réveiller de toutes
les manières possibles, la conscience endormie de ses contemporains.
Le service de Dieu appelle toujours une
vigilance, appelle un état d'éveil. La répétition
n'est jamais bonne. Dans le chapitre 11 du Deutéronome, l'Eternel
qui parle par la bouche de Moïse dit "et si vous écoutez
les commandements que je vous donne aujourd'hui d'aimer l'Eternel
votre Dieu." Aujourd'hui ! Est-ce aujourd'hui que Dieu
a donné la Torah, la parole. C'est à l'époque
de Moïse et la tradition dit "tu dois considérer
qu'aujourd'hui la parole de Dieu a été donnée".
La
Parole de Dieu n'est pas une vieille dame. C'est une expérience
amoureuse qui commence chaque jour, chaque fois. Dans la tradition
juive cela s'exprime par l'accomplissement des commandements. Chaque
commandement accompli est une manière de dire "je
m'engage aujourd'hui dans l'amour de Dieu, dans le service de Dieu".
D'une façon plus générale, le service de Dieu
appelle un état d'éveil, ne pas faire les choses par
habitude, par répétition, mais toujours renouveler
comme si c'était la première fois et comme si c'était
la dernière fois.
Quel est le sens de cette démarche,
de ce curieux mariage effectif et de cette nomination. C'est afin
de renvoyer au peuple une image de sa conduite. La Bible est un
livre parfois difficile, mais c'est un miroir de l'âme humaine.
La vie du prophète est un miroir de ses contemporains. Regardez
le prophète et vous vous verrez vous-mêmes. Finalement
l'étonnement des contemporains de Hoséâ ne devrait
pas tellement être suscité car c'est le peuple qui,
d'une certaine manière, se prostitue, qui oublie l'Alliance
avec Dieu. Ce que le prophète réalise, ce n'est que
mettre en évidence ce que le peuple lui-même est en
train de vivre. On se rend rarement compte de ses défauts.
En général, on voit les défauts chez les autres.
La Tradition dit " quand on voit les défauts de quelqu'un,
c'est son propre défaut qu'on voit ". Si quelqu'un
est voleur, il voit les gens voleurs, si quelqu'un est menteur,
il voit les gens menteurs, si quelqu'un est médisant, il
voit les gens médisants. C'est sa propre expérience
qui permet de voir les défauts. On connaît la parabole
de la poutre et de la paille et le prophète renvoie au peuple
Israël sa propre faiblesse.
La relation avec Dieu serait une relation
maritale. C'est un thème très important de la tradition
prophétique et amplifié ensuite par la tradition juive.
La relation à Dieu est entendue sur différents modes.
En particulier les fêtes juives, les fêtes du calendrier
renvoient chacune à une dimension particulière de
Dieu. Le sabbat, le septième jour renvoie au Dieu créateur,
la fête de Pâque renvoie au Dieu libérateur,
la fête de Pentecôte renvoie au Dieu législateur,
la fête des cabanes renvoie au Dieu protecteur, la fête
du nouvel an renvoie au Dieu juge, juge de l'humanité et
la fête du grand pardon renvoie au Dieu rédempteur,
celui qui pardonne. Dans tous ces cas de figure, la relation est
plutôt verticale. C'est Dieu qui est au-dessus et qui offre
sa grâce de la vie, de la liberté, de la Loi, de la
protection, du pardon. Mais nous voyons déjà dans
la Bible une allusion à une relation maritale : "Vous
ne vous prostituerez pas après vos yeux et après votre
coeur". Le mot de prostitution est entendu comme l'infidélité.
La fête de Pentecôte, la fête
des semaines, voit dans la révélation du décalogue
le mariage entre Dieu et Israël. L'époux serait Dieu,
l'épouse Israël, le Sinaï serait une sorte de dais
nuptial, Moïse serait le rabbin ou le prêtre de la cérémonie,
la Torah serait l'acte de mariage et les dix commandements seraient
l'anneau de l'Alliance. On a tous les ingrédients pour un
mariage. Mais c'est entre autre Osée, Hoséâ
qui va mettre en évidence cette relation maritale c'est-à-dire
que la relation à Dieu n'est pas seulement une relation verticale,
le Créateur par rapport aux créatures ou le libérateur
par rapport aux opprimés, mais aussi le mari par rapport
à l'épouse. Ce n'est pas le même rapport, bien
sûr, si la relation est verticale ou si elle est horizontale.
La relation verticale, c'est une relation de protection, de grâce
et de gratuité. Finalement les enfants, à la maison
des parents, reçoivent le couvert, la vie et le logis. Dans
une relation maritale il y a davantage la notion de responsabilité
et de partage et si la communauté d'Israël est l'épouse
de Dieu, il y a le même rapport que l'homme par rapport à
la femme et lorsque la femme, Eve, va être créée,
Dieu dit "je vais faire un ' ézer kenegdo
", un compagnon ou une compagne en vis-à-vis.
De la même manière que la
femme est compagnon vis-à-vis de l'homme, de la même
manière, Israël devient vis-à-vis, alter ego,
vis-à-vis de Dieu. Et il y a une responsabilisation beaucoup
plus importante de la notion d'Alliance puisqu'il s'agit là
d'un véritable partage. Le mariage est entendu comme un partage
de responsabilités. Or le fait qu'Israël abandonne cette
responsabilité de l'Alliance pour aller courir vers d'autres
dieux, les amants, c'est affaiblir le sens de cette alliance et
ce n'est pas permettre à Dieu d'être connu dans le
monde.
Qui sont les amants ? Les amants sont
appelés Baals. Baal, c'est un dieu cananéen. Il en
existe plusieurs, par exemple : Baal-Péor qui a donné
Belphégor, Baal-Zebul à l'origine de Béelzébuth,
Baal-Berit également, maître de l'alliance. En général,
le dieu Baal, dans les découvertes que nous avons faites
des cultes cananéens, correspond à des dieux de la
sexualité, de la fécondité ou de la pluie,
c'est-à-dire des dieux de la nature qui sont très
importants dans la société cananéenne parce
que c'est un pays qui n'a pas d'eau.
La terre de Canaan est un pays qui n'a
pas d'eau. Il y a juste le Jourdain. Mais l'Eternel a déjà
dit "je vous conduis vers un pays où les yeux doivent
être tournés vers le ciel", contrairement
à l'Egypte parce que l'Egypte a le Nil qui déborde
régulièrement tandis que dans le pays de Canaan, la
terre promise aux promesses, la promesse de l'eau dépend
du regard vers le ciel. Donc il n'y a pas d'eau. C'est pourquoi
le culte cananéen est un culte qui renvoie aux divinités
de l'eau, de la fécondité, de la sexualité.
Parce qu'on a besoin de l'eau. Baal signifie en hébreu, le
possesseur, celui qui possède. Quand on veut parler d'un
propriétaire, on dit un " baal bayit ",
un possesseur de maisons.
Que représente le Baal ? Le Baal
représente le culte de l'instinct qui est soit la sexualité,
soit le culte qui renvoie à des sacrifices pour obtenir de
l'eau du ciel. Toutes les idolâtries dans la Bible, en particulier
les idolâtries cananéennes, renvoient à des
cultes de l'instinct. C'est pourquoi la Bible met en garde. Lorsqu'on
voit dans le Lévitique, la liste des abominations devant
l'Eternel, on s'aperçoit que ce sont toujours des conduites
de la nature, lorsque l'homme se laisse aller à sa nature
la plus basse du point de vue de la révélation de
Dieu, par exemple de faire passer ses enfants dans le feu ou bien
la zoophilie, ou l'homosexualité qui est condamnée
par rapport à la révélation de Dieu.
Toutes ces conduites sont des conduites
qui renvoient l'homme à sa propre nature alors que le culte
de Dieu est un culte qui appelle le dépassement de la nature.
Le fait de rencontrer Dieu, de dépasser sa propre nature,
c'est le sens même de la sainteté, c'est le mouvement
de dépassement de sa nature. Lorsque l'homme est lié
à sa nature, finalement il est "être de nature"
; lorsque l'homme réussit à gérer sa nature
par la Parole de Dieu qui lui est confiée pour s'élever,
alors il est dans le mouvement de la sainteté.
Tous les hommes voudraient profiter des
produits de la terre lorsqu'ils ont semé et travaillé,
et pourtant la Bible nous dit "lorsque tu moissonneras,
tu laisseras un coin pour le pauvre". Qu'est-ce qui oblige
à laisser un coin pour le pauvre, qu'est-ce qui m'oblige
à ne pas prendre la totalité de ma récolte
? C'est la Parole de Dieu qui fait irruption dans ma conscience
et qui dit : le coin sera pour le pauvre. Le fait de laisser le
coin pour le pauvre parce que Dieu le demande, c'est m'inscrire
dans le mouvement de la sainteté. Je dépasse ma nature
gloutonne, totalitaire qui affirme : "si j'ai travaillé,
je prends tout". Je dépasse ce rapport totalitaire
au monde pour donner la part du pauvre.
Le Baal renvoie toujours à un culte
de l'instinct. Si Israël se détache du projet de Dieu
il retombe dans le travers des cultes de l'instinct, des idolâtries
condamnées par la Révélation. Dans le culte
de l'instinct, l'homme est avec lui-même, l'homme est avec
son instinct. Il n'y a pas d'altérité fondamentale,
radicale dans l'idolâtrie, telle que la définit la
Bible. L'homme est renvoyé à lui-même, à
sa solitude et à son instinct. La grande découverte
du prophétisme c'est que l'homme est appelé à
sortir de sa nature pour rencontrer la Parole de Dieu. Et la Parole
de Dieu est obligeante du point de vue du prophétisme. C'est
le dépassement de la nature qui fait la relation authentique,
l'altérité de l'homme, de l'Hébreu avec Dieu.
Quel est le sens de la démarche
du prophète Hoséa ? Il va épouser une femme
de prostitution c'est-à-dire une femme qui, jusqu'à
présent, ne connaissait pas la réalité d'une
fidélité dans le temps. Une prostituée est
une femme qui permet à l'homme d'assouvir un désir
dans un temps très bref.
Il n'y a pas d'alliance avec une prostituée, il n'y a pas
de temps qui s'écoule, il y a l'appel d'un désir qui
est assouvi et une fois que le désir est assouvi, l'homme
va s'en retourner et cette femme est un lieu anonyme par qui les
hommes vont passer sans qu'il y ait d'alliance. Le propre d'une
alliance c'est la fidélité dans le temps. La notion
d'alliance implique le temps. C'est pourquoi les prophètes
sont les hommes de la mémoire qui oblige à l'avenir.
L'alliance est permanente. C'est pourquoi ce que Dieu a conclu une
fois ne peut jamais être aboli et l'alliance est éternelle.
Parce que le propre de l'alliance c'est de continuer dans le temps.
Qu'une alliance s'ajoute à une autre alliance ne change rien
à la pérennité d'une alliance. Elle est éternelle.
Elle est dans le temps et comme il s'agit du temps de Dieu, puisque
c'est Dieu qui est à l'origine de l'Alliance, alors elle
dure le temps de Dieu c'est-à-dire le temps de l'éternité.
La question de la fidélité
d'Israël qui est posée ici c'est : "est-ce qu'Israël
va se maintenir dans le temps ou non ?" La facilité
c'est de tomber du niveau de la relation à Dieu dans le culte
de l'instinct, oublier la responsabilité de l'Alliance. C'est
pourquoi Dieu dit : "Lo-Rohamah , tu n'es plus aimée,
Lo-Ammi, tu n'es plus mon peuple (non avec moi)". La relation
que Dieu établit avec l'homme, nous disent les prophètes,
est le reflet de la relation de l'homme avec Dieu. L'homme s'écarte
de Dieu ? Réaction : il y a l'éloignement de Dieu.
C'est toujours un jeu de miroir, c'est toujours un mouvement de
questions-réponses. Si vous m'abandonnez deux jours, je vous
abandonnerai le troisième. C'est la logique des relations.
Et il faut reconstruire, s'élever de nouveau pour redécouvrir
ce que nous avons perdu, pour reconstruire quelque chose.
Israël perçoit Dieu comme
un Baal ou sa relation avec Dieu passe par la dimension du Baal,
du Dieu possesseur. Mais ce que Dieu attend, c'est que sa relation
à l'homme ne soit pas une relation de possesseur, mais une
relation de ischi. "Car viendra le temps, dit l'Eternel,
où tu ne m'appelleras plus "mon Baal", mon possesseur,
mais où tu m'appelleras "ischi", mon mari, mon
homme." Il y a plusieurs termes en Hébreu pour parler
de l'homme. Il y a le "Adam" qui veut dire le terreux,
le glébeux, celui qui vient de l'humus. Il y a le "Isch".
La différence, c'est que Isch désigne toujours l'homme
dans sa dimension morale, dans sa dimension relationnelle.
Isch donne ischa. Le isch ne peut pas
être seul, il y a toujours la femme, la ischa. Le isch est
l'être relationnel. C'est pourquoi il désigne aussi
un être noble sur le plan de la vertu. C'est pourquoi le isch
peut aussi désigner un ange. Lorsque Jacob combat contre
un ange on dit qu'il combat contre un isch et même dans le
cantique de la Mer Rouge, Dieu est appelé isch, l'homme qui
mène la guerre " isch milhama " Isch renvoie
toujours à l'être relationnel. Si la relation au Baal
renvoie l'homme à sa solitude, finalement au culte de son
instinct qui est sa propre solitude, la relation à isch renvoie
au vrai partenariat.
A travers le premier enseignement de Hoséa,
on nous dit qu'il y a deux manières de servir Dieu. La première
manière, celle qui consisterait à s'accaparer Dieu,
est de faire Dieu notre possesseur. "C'est Dieu qui m'a
créé comme cela, je suis violent, c'est ma nature,
c'est Dieu qui a fait que je suis violent". Lorsque Dieu
a demandé à Caïn : "pourquoi tu as tué
ton frère ?" Caïn dit "Suis-je le gardien
de mon frère ?" Et il y a une lecture du midrash
qui dit "le gardien de mon frère, c'est celui qui
dit je" (le gardien de mon frère, moi). "Si
toi, Dieu, tu ne voulais pas que je tue Abel, il fallait m'empêcher.
Si, mon Dieu, tu ne voulais pas qu'il y ait des avions qui crashent
sur des tours, il fallait empêcher les avions de le faire.
Si, mon Dieu, tu ne voulais pas qu'il y ait des enfants israëliens
ou palestiniens qui meurent de la folie des hommes, tu n'avais qu'à
désamorcer les bombes". C'est la manière de posséder
Dieu. C'est la relation aux Baals. Ce n'est pas une relation responsabilisante.
La responsabilité c'est le fait de dépasser son instinct.
La responsabilité c'est de voir après pour l'autre.
C'est le contraire de la conduite instinctive.
La deuxième démarche religieuse
c'est d'assumer la relation en face à face avec Dieu, non
pas Dieu appelé Baal mais Dieu appelé Isch, c'est-à-dire
l'homme et à ce moment-là tout croyant est d'une certaine
manière dans la dimension féminine par rapport à
Dieu. Et la dimension féminine, c'est la dimension de l'accomplissement,
c'est la dimension de la direction. En hébreu pour indiquer
la direction, on met les mots au féminin. La féminité
est porteuse du projet de Dieu. Dieu construit le monde par le ventre
des femmes et vous remarquerez que lorsque les femmes agissent dans
l'histoire, Dieu n'agit pas, parce que les femmes ont la direction
du couple et ont la direction de l'histoire. Chaque fois que les
femmes agissent dans l'histoire Dieu dit : Amen !
Dieu parle moins aux femmes qu'aux hommes
parce que les femmes naturellement, instinctivement, sont déjà
les porteuses de l'espérance. La dimension de ischa dans
la relation à Dieu, c'est la dimension de la construction
de l'histoire, non pas dans le sens de l'appropriation de Dieu en
tant que Baal, mais la responsabilisation de l'homme par rapport
au projet de Dieu qui lui est confié.
Conclusion
Je terminerai en disant qu'il n'est pas
très fréquent qu'un rabbin se trouve dans une église
pour porter la Parole. Il ne faut pas vous étonner si certains
rabbins n'ont pas la même démarche. Les choses se construisent
lentement. Pour moi c'est une grâce de participer régulièrement
au dialogue interreligieux, c'est aussi ma responsabilité,
c'est une manière de gérer la grâce que Dieu
me donne que de m'engager et de répondre chaque fois que
je peux, positivement, aux demandes de dialogue interreligieux,
en particulier entre Juifs et Chrétiens et ce dialogue on
peut l'entendre justement comme une volonté non pas de nous
approprier Dieu, mais de construire un peu plus de fraternité,
un peu plus de paix, un peu plus de justice. A la fin, le prophète
dit "tu seras fiancé avec moi pour toujours par la
justice, la droiture, la grâce et la miséricorde."
Les deux premiers termes renvoient à Dieu dans son attribut
de rigueur et les derniers à son attribut de miséricorde
et de charité. Le Dieu de la justice est aussi le Dieu de
l'Amour.

Question : Je suis
orthodoxe. J'ai deux questions : Pourquoi est-ce que c'est mieux
l'autre que soi ? et la deuxième question : Comment est-ce
que Dieu appelle l'homme ? Est-ce que Dieu n'a de sens que par rapport
à l'homme ? Est-ce que Dieu et l'homme c'est comme un
cercle et un point, un tout et un petit rien, ou est-ce que c'est
comme le vide et tout le reste du monde ?
Réponse : Est-ce
que c'est mieux l'autre que soi ? Il est dit, dans le Lévitique
: "tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis
l'Eternel !". Cela signifie qu'il faut s'aimer soi-même,
se connaître soi-même. C'est à partir de cette
expérience du "je", de l'amour minimum de
soi qu'ensuite on peut aller vers les autres. Si on n'a pas une
bonne opinion de soi, si on n'a pas un minimum d'amour de soi, si
on est en état dépressif de décomposition,
de stress, on a du mal à aller vers les autres parce qu'on
est enfermé dans ses propres problèmes.
La Bible ne dit pas "Tu t'aimeras
toi-même !" Elle considère que c'est déjà
acquis. A partir de là, quand on a une conscience positive
de soi, il reste une autre démarche, c'est de rencontrer
l'autre. Si je suis moi et s'il y a l'autre, pour l'autre je suis
aussi l'autre. On est toujours l'autre d'un autre. Comment faire
pour que les "je" et les "tu"
vivent ensemble. Tout est dans la relation. Nous ne vivons pas seuls.
On n'a un nom que parce qu'on vit avec les autres. On appelle les
autres par leur nom. Si on est tout seul, la conscience de soi suffit
à soi. Il suffit de résoudre les problèmes
de subsistance, manger, se vêtir, se loger.
De quelle manière Dieu appelle
l'homme ? Il l'appelle par son prénom c'est-à dire
par le nom que ses parents lui ont donné. Quand Moïse
est né on ne sait pas le nom que sa mère lui a donné.
Il n'a pas de nom mentionné clairement dans les textes. Lorsque
le panier d'osier va arriver devant le palais royal, la princesse
dont on ne connaît pas le nom non plus, va prendre cet enfant
et va le nommer Mosche. Mosche cela veut dire celui qui fait sortir
de l'eau. C'est ce nom que Moïse va garder dans sa mémoire.
C'est le nom que lui donne sa mère adoptive qui va devenir
sa mémoire.
La tradition orale dit qu'au moment où
Moïse s'est approché du buisson, il a entendu dans sa
voix intérieure son nom : Mosche, Mosche. La tradition dit :
il l'a entendu comme la voix de son père. Il a dit "est-ce
toi, mon père ?" Dieu lui dit "non, je ne
suis pas ton père, je suis le Dieu de tes pères".
Une tradition dit qu'au Sinaï tous ceux qui se trouvaient présents
ont entendu la voix de Dieu comme la voix du père. Dieu parle
par notre mémoire intérieure. C'est peut-être
la voix du doux silence du prophète Elie et chacun est appelé
par son propre prénom.
Quelle relation ? Est-ce que c'est l'infiniment
grand devant l'infiniment petit, l'infini devant le zéro,
le vide devant le plein ? Au moment de la rencontre, c'est comme
un homme qui parle à son ami et Dieu parla à Moïse
comme un homme parle à son ami. Vous voulez savoir comment
Dieu parle aux hommes ? Faites l'expérience de l'amitié
! En Hébreu pour dire le prochain, le terme utilisé
c'est le mot "réa", ce n'est pas tout à
fait le prochain car il y a un mot pour le prochain " qarob
". On traduit "tu aimeras ton prochain comme toi-même",
mais c'est plus subtil que cela en Hébreu. Il faut faire
de l'Hébreu pour entendre le message des prophètes.
Réa c'est un mot antinomique qui signifie une chose et son
contraire. En français le mot prescription veut dire à
la fois la Loi et l'absence de la Loi, cela veut donc dire une chose
et son contraire. Et le mot Réa signifie à la fois
le mal, le mauvais et en même temps le berger.
Cela veut dire que toute relation avec
l'autre peut basculer soit dans le négatif, je vois l'autre
comme un ennemi, ou bien au contraire j'accepte d'être le
berger, je suis le gardien de mon frère. Lorsqu'on arrive
à cette expérience de l'amitié, à cette
proximité vis-à-vis de l'autre, si on comprend cette
relation, on peut avoir une expérience de la relation entre
Dieu et l'homme. C'est l'expérience de la tente du rendez-vous
" ohel môhed ". Dieu parle à Moïse
comme un homme parle à son ami. Est-ce que c'est l'infini
devant le zéro? Si on compare en valeur absolue Dieu et l'homme,
on va dire que c'est " ketsel ober " comme
l'ombre qui passe. Mais au moment de la relation, c'est une relation
" d'ézer kenegdo ", parce que Dieu appelle
l'homme à parachever ce qu'il a commencé et l'homme
appelle Dieu à lui donner la force d'achever ce que Dieu
a commencé. Lorsque nous prions Dieu, nous lui demandons
: "Dieu, aide-nous à t'aider !".
Question : Je me pose des questions
sur ces cadeaux empoisonnés que Dieu fait à Osée
: une femme de prostitution, des enfants aux noms bizarres. Qu'est-ce
que c'est que la séduction de Dieu ?
Réponse : La caractéristique
du phénomène prophétique c'est que le prophète
n'est plus libre d'échapper à Dieu. Il est séduit.
C'est la découverte de la vérité de Dieu et
de la vérité de son message qui fait que le prophète
ne peut pas faire autre chose que d'être le porte-parole de
Dieu. Il y a un prophète qui essaie de s'échapper,
c'est Jonas, mais il ne pourra pas. Jérémie dit "tu
m'as séduit et je t'ai suivi" Moïse essaye
de résister un peu "pourquoi moi ?". Mais
la grande idée du prophétisme, c'est que la rencontre
avec Dieu devient obligeante. La vérité de la rencontre
avec Dieu et la vérité du message qui est révélé
fait que le prophète ne peut plus faire autre chose que d'accomplir
la volonté de Dieu.
Alors la vie du prophète finalement
c'est une sorte de parole de Dieu qui est transmise au peuple. Ici
au lieu de dire au peuple "vous vous prostituez, vous abandonnez
l'Eternel" Osée va suivre la recommandation, la
prescription de Dieu d'aller prendre cette femme de prostitution.
Mais cette femme va devenir la femme du prophète, donc elle
n'est plus prostituée. Cette femme qui appartenait à
tout le monde finalement elle devient la femme d'un homme, elle
devient Madame Hoséa. Finalement c'est un message d'espérance:
la prostitution peut se transformer en fidélité et
cette démarche du prophète Hoséa en même
temps bouscule le peuple et finalement ce cadeau empoisonné
n'est pas aussi empoisonné que cela, " Gomer Bat-Divlayim
" car elle s'appelle " Bat-Divlayim " qui
signifie "la fille de celui qui est le gâteau de figues".
Gomer Bat-Divlayim ce n'est pas n'importe quelle femme, son nom
est très symbolique. Gomer vient de " ligmor
" qui veut dire "compléter".
Avec Hoséa, elle achève
sa situation de prostitution, elle entre dans une nouvelle relation
qui est une relation dans le temps avec Hoséa et elle prépare
un repas. La datte et les figues sont très importants dans
la tradition d'Israël et dans le paysage des prophètes.
A partir de maintenant elle donne le repas uniquement à un
seul homme. Même l'expérience de Hoséa avec
cette prostituée devient finalement une union durable qui
est justement signe qu'il y a une possibilité de sortir de
cette aliénation aux Baals pour reconstruire authentiquement
le lien avec Dieu. C'est un message d'espérance.
Question
: J'aurai deux questions. La première : vous avez
parlé de la dimension verticale et de la dimension horizontale.
La verticale, créateur-créature, le très-haut,
le petit, la relation horizontale, la relation maritale. Est-ce
qu'on pourrait parler d'une certaine égalité avec
Dieu. C'est ma première question.
La deuxième : est-ce qu'on ne pourrait pas dire que le fait
que la Bible ne retient pas que la fidélité mais aussi
toutes les infidélités du peuple, est une preuve que
c'est la Parole inspirée. Le livre ne raye pas les péchés
du peuple et on a ce livre depuis des siècles.
Réponse : J'ai parlé en effet
de relation verticale, avec le Dieu Créateur, le Dieu libérateur,
le Dieu juge et la relation maritale comme la femme vis-à-vis
du mari qui apparaît ici dans le discours d'Hoséa.
Est-ce qu'on peut parler d'égalité ? Si je pense en
Hébreu, la notion d'égalité n'existe pas. Toute
égalité entraîne la vanité. Si A égale
B, il n'y pas besoin de A ni de B. Il n'y a qu'en mathématiques
que A égale B. Mais dans la réalité on ne trouve
pas d'égalité parce qu'un homme c'est un infini. Qui
sauve un homme sauve le monde entier.
On ne peut pas comparer Dieu et l'homme.
Mais par contre on peut parler en termes d'alliance. C'est-à-dire
un partage des responsabilités. Le Dieu de la Bible est le
Dieu des commencements. Il n'est pas dit : il y eut un soir, il
y eut un matin, jour septième parce que nous sommes dans
le septième jour, et à la fin, dans cette rencontre
universelle messianique de la fraternité retrouvée,
Dieu dira : il y eut soir, il y eut matin, jour septième,
ce sera le huitième jour. Donc plutôt que de parler
d'égalité, je parle de l'alliance responsabilisante
et cela rejoint la première question, c'est-à-dire
que l'homme a une responsabilité dans l'achèvement
du monde.
Quant à votre deuxième question
: oui, on croit que la Parole de Dieu a inspiré les prophètes
lorsqu'ils ont décrit les situations de grandeur et les situations
de chute et on doit tout maintenir parce que l'histoire est faite
de hauts et de bas. Oui, on peut dire que c'est une manière
d'authentifier cette parole. On ne la trafique pas, on ne l'arrange
pas. On aurait pu. On ne l'a pas fait..
Question
: Comment parleriez-vous à des bouddhistes
?
Réponse : C'est une question
que les prophètes ne se sont pas posée semble-t-il,
car il y a deux formes religieuses exprimées dans le discours
biblique, c'est ou le monothéisme, ou l'idolâtrie ou
polythéisme qui serait le fait d'avoir oublié à
un moment donné de l'histoire humaine, le principe du monothéisme.
A partir de Enosh (Gen 4,25) on a commencé à donner
le nom de Dieu aux éléments de la nature. Avant, les
hommes savaient que Dieu est le créateur des éléments
de la nature et à un moment donné on donne le nom
de Dieu aux éléments de la nature.
Le polythéisme serait une occultation
du principe monothéiste originel. Du point de vue de la foi
biblique, il y aurait un monothéisme originel qui ensuite
serait passé à un polythéisme parce que les
hommes n'ont pas su garder la relation authentique avec l'être
absolu. En fait la démarche d'Abraham, c'est la redécouverte
du monothéisme. Pour les prophètes, il y a donc deux
voies.
Aujourd'hui il est évident que
la rencontre avec d'autres spiritualités et notamment les
spiritualités comme le bouddhisme, fait que l'homme est perçu
d'une autre manière que l'homme qui pense ou qui ressent
mais aussi dans un état de méditation. Cela oblige
à poser la question : que diraient les prophètes de
cette situation ?.
On peut dire qu'il n'y a pas de définition
positive de Dieu dans le discours prophétique. Les prophètes
ne disent pas qui est Dieu. Même Moïse qui demande à
Dieu "fais-moi voir ta face !" Dieu lui dit "l'homme
ne peut pas me voir et vivre". Il y a des noms de Dieu
comme le tétragramme, comme Elohim, comme Shaddaï. Chaque
nom révèle une relation de Dieu avec le monde mais
non pas ce que Dieu est en lui-même. L'essence de Dieu ne
peut pas être saisie mais seulement l'existence de Dieu, la
manifestation de Dieu.
Il y a à la fois la dimension transcendante
de Dieu, insaisissable mais en même temps, le prophète
affirme que Dieu est proche de ceux qui l'invoquent avec sincérité
(Ps 145). Il s'occupe de l'histoire, il s'occupe de l'humanité.
Donc à la fois Dieu est transcendant et en même temps
il est proche. Dieu est au-dessus des louanges, au-dessus de toute
louange, c'est-à-dire qu'il n'existe pas de mots sauf le
silence, comme le roi David a dit : "et pour Toi, le silence
est louange".
Il existe un état de conscience,
peut-être hors de la conscience qui est justement une faille
du prophétisme. Mais comme les prophètes ne décrivent
que très peu leur ascension, leur expérience spirituelle,
ce qui a été gardé dans la tradition, c'est
le discours concret des prophètes, un discours pragmatique.
On peut penser que le lien qui pourrait exister avec les spiritualités
d'Extrême-Orient passerait à ce moment-là par
la démarche prophétique ascensionnelle, au-delà
des mots, au-delà des sensations, et les mystiques juifs
qui s'affirment comme les continuateurs des prophètes ont
établi des modes de méditation, avec certains mots,
certaines postures, qui peuvent faire apparaître des liens
avec l'expérience bouddhiste. En effet, là il s'agit
de la phase ascensionnelle et de la rencontre avec ce qui est au-delà
de toute réalité.
Question
: Au début vous avez dit que ce qui
est important, c'est la parole associée à chaque chose.
Il y a un mot, un nom associé à chaque chose. Mais
avec le mot, le nom, la parole, on risque de construire une idéologie.
C'est nécessaire pour avoir quelque chose de signifiant.
Mais est-ce que cela ne risque pas d'amener une concurrence avec
d'autres idéologies et donc de tomber dans le totalitarisme
? Comment résoudre cette contradiction entre d'une part :
elle est indicible et d'autre part, si elle est dicible, à
ce moment-là on fait une idéologie qui va avoir un
caractère exclusif ?
Réponse : En fait c'est
aussi un des enseignements du prophétisme. C'est que toute
expérience humaine peut basculer dans l'idolâtrie.
Naturellement l'homme est porté vers l'idolâtrie c'est-à-dire
porté à donner le nom de Dieu aux éléments
du monde, que ce soit les éléments extérieurs
du monde comme les étoiles, ou bien donner le nom de Dieu
à ses propres expériences subjectives. Et entre idoles
et idéologies, c'est la même racine. Autrement dit
la tentation de plaquer des vérités sur des parcelles
du monde et de prendre ces parcelles pour le tout. Il y a le risque
de faire de chaque chose une parole et les prophètes nous
mettent en garde. C'est-à-dire pour reprendre les termes
de Hoséa, l'homme est toujours envoyé soit aux Baals,
soit au isch, au relationnel.
Chaque chose est parole, cela signifie
que l'homme doit se mettre en permanence dans le mouvement de dépasser
l'objectivation pour dynamiser par la parole. Le risque c'est de
faire de la parole, la chose alors qu'il s'agit de faire de la chose,
la parole. C'est pourquoi les prophètes sont des porte-parole.
C'est pourquoi le prophétisme ne s'arrête pas au "voir",
mais s'arrête à "l'écoute". Il n'y
a pas d'arrêt sur l'écoute puisque l'écoute
appelle en permanence la fluidité d'un échange.
Tout pouvoir est corrupteur. Tout pouvoir
porte en lui la faille. Le pouvoir politique, d'une certaine manière,
est condamné par les prophètes. Le roi va abuser de
son pouvoir. Le juge va abuser de son pouvoir. Le prêtre va
abuser de son pouvoir tel que c'est écrit dans la Bible,
aussi bien les rois d'Israël que les rois des nations. La seule
possibilité c'est la marche d'Abraham, la marche permanente,
c'est sans arrêt la parole, sans arrêt l'échange,
c'est-à-dire ce que les prophètes appellent la connaissance
de Dieu. La connaissance de Dieu c'est le mouvement infini de la
remise en cause de son savoir, de son amour, pour le faire avancer
davantage. C'est la fonction prophétique qui est une fonction
de contre-pouvoir à l'intérieur de la société
qui rappelle cette mise en marche permanente de la parole.
Question
: Vous venez de dire "l'image est
totalitaire". J'aimerais bien savoir ce que vous entendez par
là. Dans le tout début de votre exposé, vous
avez opposé le philosophe au prophète en disant que
le prophète n'est pas seul mais que le philosophe est seul.
Est-ce que vous n'avez pas caricaturé un peu le philosophe
? Il y a toute une tradition de la philosophie occidentale qui commence
à Socrate. Or Socrate sans le dialogue, sans la recherche
avec d'autres, cela n'a pas de sens.
Réponse : Quand je dis
que l'image est totalitaire, je veux dire que le voir englobe tout
dans l'immédiateté du regard. L'écoute oblige
le temps : je n'entends que s'il y a du temps pour que les syllabes
puissent s'égrener. Il y a de la patience. L'image n'est
pas liée au temps, elle est immédiate. L'écoute
demande le temps. C'est ce que je voulais dire par l'image est totalitaire.
Dans la démarche philosophique
par rapport à la dimension prophétique c'est vrai
qu'il faudrait peut-être un peu nuancer ce que j'ai dit. Je
peux dire quand même la chose suivante : c'est que le philosophe
part de lui-même pour trouver la vérité et il
ne sait pas où il va. L'a priori de la philosophie c'est
de placer la pensée au centre et la vérité
au bout d'un chemin. Fondamentalement la démarche prophétique
est une démarche posée en altérité immédiate.
On est "l'autre" de quelqu'un. Cela découle aussi
d'une certaine conception que l'Hébreu a de lui-même.
Il n'y a pas de preuve de l'existence de Dieu mais le prophète
a sa preuve.
Sa preuve est la suivante : je suis un
être qui reçoit la vie. Si je suis l'être qui
reçoit la vie, cela signifie qu'il y a l'être qui donne
la vie. Donc il y a Dieu. C'est la démonstration existentielle
de l'existence de Dieu.
Question
: Pourquoi parle-t-on si peu
de la femme dans la bible ?
Réponse : Il y
a eu quelques prophétesses quand même : Myriam, Déborah.
Mais pourquoi parle-t-on si peu des femmes ? Parce que les hommes
laissent peu de place aux femmes et comme l'Histoire a une part
contingente, les hommes font l'Histoire. Les hommes prennent tellement
de place que finalement il en reste peu pour les femmes. Ainsi des
trois femmes qui ont participé au salut de Moïse, (sa
soeur, sa mère, la princesse égyptienne) on ne connaît
le nom d'aucune d'elles. Il y a toutes les expériences des
hommes qui sont les expériences de la force et de la violence,
du retour à la nature et puis il y a le discours de la femme
qui apparaît lorsqu'il n'y a plus d'espérance et qui
dit "mais j'ai une matrice".