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Conférences 2002-2003

 
 
Accueillir et annoncer le pardon de Dieu
 
 
Philippe Béguerie
 
 
16 mars 2003 
 
     
 


Présentation par J-F. RICHARD
Le Père Béguerie vient nous faire réfléchir autour du thème retenu cette année pour le temps du Carême qui est "face au vertige du mal, quelle parole pouvons-nous avoir ? Comment pouvons-nous réagir par rapport à cela ?"

Premier exposé
Vivre le pardon

Introduction
On a choisi deux plages de travail. Il se trouve qu'à l'intérieur de notre Eglise, nous avons un discours sur le pardon et plus que cela, nous avons l'un de nos sacrements qui est le sacrement du pardon. Or nous vivons dans une société où perpétuellement, on va faire appel à des réalités qui touchent à ce sacrement, ou ce discours.
Dans un premier point on réfléchit pour se demander : "Qu'est-ce que cela touche


dans l'homme ? Je dis tout de suite que St Augustin ne s'est jamais confessé entre sa conversion et sa mort, mais que St Jean Bosco se confessait tous les jours. Donc qui que vous soyez vous êtes à une cer-taine distance de St Augustin et de St Jean Bosco. Nous ne nous demandons pas s'il faut nous confesser, nous nous disons : "que vient faire l'annonce de l'Evangile devant cette réalité humaine qu'est le pardon, à l'heure actuelle ? "
Nous ne pouvons pas ouvrir notre télévision et regarder les actualités (perpé-tuellement on nous parle de choses épouvantables, une petite fille qui disparaît et que l'on retrouve dans une rivière...etc) sans voir les gens concernés par ces drames et qui disent presque tous "je ne peux pas pardonner".
Dans ma paroisse qui est St Lambert de Vaugirard, je travaille avec les gens qui demandent le baptême. Or il n'est pas rare d'avoir des gens qui vous disent : "tout ce que tu veux, mais moi, je ne pardonnerai


pas". Quand une jeune femme m'a dit cela d'emblée, je ne lui ai pas dit "il faut que tu pardonnes", parce que je ne savais même pas de quoi elle parlait. Un mois avant son baptême, elle est revenue me dire "tu sais, je crois que je commence à être capable de pardonner." Quel chemin elle avait fait, qu'est-ce que cela voulait dire, et par rapport à qui ?
Voyez, ce sont des problèmes contem-porains. Moi, ce qui m'intéresse, c'est qu'on mette un peu d'ordre dans nos esprits et qu'on puisse se dire " cela touche quoi ? Comment est-ce que cela rencontre
la vie de l'homme d'aujourd'hui, pas simplement d'un chrétien, mais de tout homme ?" (2 Cor 5, 17-18) :
"Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu'une réalité nouvelle est là. Tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. Car de toutes façons, c'était Dieu qui en Christ réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation. C'est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, et par nous, c'est Dieu lui même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu. "
Ce texte est solennel. Paul s'adresse à la première génération de chrétiens et leur dit "vous êtes ambassadeurs de la réconciliation". Nous avons en toile de fond aujourd'hui, des problèmes inter-nationaux qui ne sont pas simples et cela nous renvoie à nous-mêmes et à la place que nous avons dans le monde.
Nous disons "c'est un sacrement". La plupart du temps nous croyons qu'un sacrement c'est une action faite par un curé sur les gens. C'est une erreur parce que le premier qui a parlé de sacrement, c'est St Augustin et il disait que le sacrement premier, c'était Jésus Christ. Or Jésus Christ n'est pas une célébration, il n'est pas une cérémonie faite par un curé.
On va garder simplement ceci "un sacrement, c'est une part de la vie de l'homme, de la vie du monde qui devient révélateur, qui devient signe du royaume parce que là il se réalise". C'est la définition prise par les évêques de France. Donnons un exemple tout simple : un homme et une femme font alliance, c'est une réalité du monde, cela annonce le royaume de Dieu parce que dans l'alliance, le royaume se réalise.

1 - Les mots de notre foi

A - Le pardon
Le pardon, c'est une réalité du monde qui annonce le royaume parce qu'il n'y a pas de royaume sans pardon. Regardons le mot pardon. C'est un mot français, mais il est né quand ? Dans le dictionnaire de l'Histoire de la langue française, fait par Robert, il dit : "pardon, cela vient d'un mot français qui veut dire redonner la vie."
Quand vous ouvrez l'Evangile vous voyez que le plus ancien, celui de Marc, commence ainsi : "Jean Baptiste arriva et parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés." Fin de l'Evangile : "allez dans le monde entier, les péchés seront pardonnés à qui vous les pardonnerez". Coeur de l'Evangile, ce qui se passe au soir du Jeudi Saint : "Voici le sang de la nouvelle alliance pour le pardon des péchés". Première phrase, dernière phrase et au milieu, nous retrouvons le mot de pardon. Donc, il nous paraît difficile de parler de l'Evangile sans parler du pardon.
Un jour quand je formais des animateurs de communautés chrétiennes en Afrique, on me dit "tu nous fais une session sur l'Alliance". J'ai cherché le mot alliance dans le Nouveau Testament et j'ai découvert qu'il était presque absent dans l'Evangile. J'ai dit "Zut, comment veux-tu que je fasse une session sur l'Alliance, on n'en parle pas dans le Nouveau Testament !" En réfléchissant j'ai découvert que le mot pardon prend la place du mot alliance.
Tous ceux d'entre vous ici qui sont mariés savent bien qu'il n'y a pas d'alliance sans quelque chose qui ressemble au pardon et donc je serais prêt à dire que dans le Nouveau Testament, le mot pardon remplace le mot alliance.
Quel mot ont choisi les premiers chrétiens : "Redonner la vie" ce n'est pas idiot. En réalité, si je cherche dans le vieux français, je vais découvrir que c'est le propre du roi, c'est-à-dire que cela renvoie un peu à "faire grâce". Quelqu'un est condamné. Va-t-on lui redonner la vie ? Le roi a droit de faire grâce. Cela veut dire aussi donner en plus, donner en excès, donner de nouveau. En latin vous vous rappelez "remissio", remissionem pecca-torum, cela sonne encore dans les oreillles. Ou aussi dimittere, remets-nous nos dettes.
Mais ce qui m'intéresse c'est le grec. Je crois que Jésus parlait grec. A l'époque du Christ, on parlait sûrement araméen, et on parlait grec. Quand Jésus allait faire des achats parce qu'il était charpentier, il allait dans une ville qui s'appelait Sephoris, il y avait 20 minutes à marcher dans la montagne, c'est tout. Et à Sephoris, on parlait grec. Donc les premiers chrétiens ont beaucoup parlé grec.
Quand un bateau est au port, il est arrimé. Vous vous dites ce bateau n'est pas fait pour être attaché. Si on ne le détache pas, ce n'est plus un bateau. Donc vous allez détacher le bateau, larguer les amarres. En grec, cela se dit "aphesis". C'est le mot que les premiers chrétiens ont pris pour pardon. Il faut larguer les amarres. Il ne faut pas que le passé nous laisse attaché et empêche le présent. Il y a aussi un problème avec la lune parce qu'il y a un gros dragon qui tient la lune et si vous voulez que la lune se lève, il faut que le dragon lâche ses griffes. Or le lever de la lune se dit en grec "aphesis". Le pardon, c'est le lever d'un astre.
Ce mot a un troisième sens en grec. Quelqu'un a un esclave et ayant lié des liens d'amitié avec lui, un jour il dit à son esclave "écoute mon frère, tu es libre ! Je vais faire ton aphesis. Je vais faire ta libération". Voilà le premier mot grec pris par nos frères chrétiens pour dire ce mot du pardon.
Les gens croient que pardonner cela veut dire oublier. C'est complètement idiot. Si vous avez une querelle dans le ménage avec la famille ou même avec les enfants, il ne s'agit pas d'oublier. Il ne s'agit pas de faire comme si cela ne s'était pas passé. La mémoire, c'est important. Nous sommes différents parce que quelque chose s'est passé. Oublier, c'est inhumain.
Pardon, cela veut dire d'abord "permettre que l'avenir soit". Si on avait le temps on irait chercher le mot hébreu. Vous le connaisssez tous parce que les journaux en parlent, c'est "kippour", "Yom Kippour" le jour du pardon. Je vous donne l'origine. Il y avait deux frères qui s'appelaient Jacob et Esaü. Ils s'étaient brouillés pour une question de lentilles et quand Jacob qui était parti un peu loin, revient, il arrive au Yabbok et il va rentrer dans le territoire de son frère Esaü. Il se dit "je ne sais pas comment je vais être reçu, depuis le temps qu'on s'engueule tous les deux !" Alors, il prend ses troupeaux, il fait des lots de 50 brebis. Il envoie un premier lot de 50 et il dit au gardien : "si tu rencontres les hommes de mon frère et qu'ils te disent "c'est quoi ?", tu diras "c'est le cadeau de ton frère", parce qu'il se dit "si avec 50 cela suffit, ce n'est pas la peine que j'en envoie 50 autres. Peut-être cela suffira à faire briller son visage". Autrement dit : kippour veut dire "rendre le sourire à quelqu'un qui est mécontent".

B - La conversion
Dans le Nouveau Testament, nous avons un deuxième mot : conversion. "Jean-Baptiste arriva, prêchant un baptême de conversion pour le pardon." Il y a deux jours, dans la liturgie de la semaine, nous avions un texte d'Ezéchiel nous disant : "Ce n'est pas la mort du pécheur que Dieu veut, mais qu'il se convertisse et qu'il vive !" Beaucoup d'entre vous font du ski et tout le monde sait qu'une conversion, c'est là où on se casse la figure quand on veut changer de chemin. Conversion, cela veut dire changer de direction.
Donc pardon, c'est la possibilité que l'avenir soit, conversion c'est une autre direction. C'est un mot qui, dans la Bible vient de l'exil. Les habitants de Jérusalem ont été déportés, il faut revenir. Cela veut dire le retour. Isaïe avait un fils, il l'avait appelé "un reste va revenir". Les prophètes vont sans cesse dire "revenez vers, revenez vers !..."

Le jour où vous voudrez creuser ces questions de pardon et de réconciliation, il faut travailler avec des aumôniers de prison. Là, vous êtes dans un contexte où vous ne pouvez plus vous évader, il s'agit de savoir s'il y a un autre chemin vers la vie que le chemin qui a déjà été pris.

C - La réconciliation
Troisième mot : réconciliation. Le plus beau texte, c'est celui que je vous ai lu tout à l'heure où St Paul dit "vous êtes ambassadeurs de la réconciliation". Vous avez aussi ce texte de Marc "quand tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère. Alors tu pourras présenter ton offrande. "
Voilà les trois mots que nous avons dans notre foi chrétienne pour parler de cette réalité que nous essayons de cerner. Ce mot de réconciliation vient souvent dans St Paul. Pardon veut dire "j'ai la possibilité d'aller" - conversion veut dire : " on me donne la possibilité d'aller " cela met en premier la personne qui donne le pardon. Conversion "je change de chemin " - réconciliation, " je refais amitié avec mon frère ".
Vous voyez la panoplie symbolique à l'intérieur de laquelle nous avons à nous promener pour découvrir ce qu'est le pardon pour un chrétien. Vous voyez que ce n'est pas simple. Il faut toujours vous imaginer que vous avez à présenter votre foi chrétienne à quelqu'un qui n'est pas chrétien. Nous déshabituer de croire que nous savons tout et voilà qu'on le redécouvre. Là ce sont des chemins que l'on cherche.
Le nouveau vocabulaire, (les trois mots ci-dessus nommés), a été adopté par les premiers chrétiens. Il marquait bien une attente. Il marquait bien la relation entre deux partenaires. Il montre aussi qu'il y a un chemin à faire et il annonce un changement d'attitude intérieure.

2 - Le visage du Dieu de pardon
Pour mieux comprendre ce que cela touche dans l'homme, j'ai pris des couples de mots. Le premier couple, c'est liberté ou destin. Le deuxième couple sera responsabilité-culpabilité et le troisième couple sera société et conflit.

Je crois que chacun de ces couples définit un domaine important de la vie de l'homme, de notre vie relationnelle, mais ce qui m'intéresse, c'est de se dire "mais, nous, chrétiens, nous apportons quoi là-dedans ?" Cela nous donne des priorités. Je reviens toujours au même problème "vous avez quelqu'un qui n'est pas chrétien et qui vient vous dire : "je voudrais être baptisé, donc je voudrais être chrétien." Qu'est-ce qu'il y a de plus important à lui dire ? Si ce qui est le plus important c'est de lui dire : "tu ne mangeras pas de viande le vendredi", il va falloir faire un long chemin avant de lui dire ce que c'est qu'un chrétien.
En parlant du pardon, nous touchons à un point important, mais on ne va pas en parler d'une façon intellectuelle. Il y a toujours trois directions dans lesquelles se passe notre vie. Il faut se réconcilier avec le monde, avec nous-mêmes et avec les autres.
Un Dieu face au destin, c'est la réconciliation avec le monde. Un Dieu de miséricorde, c'est la réconciliation avec nous-mêmes Un Dieu d'Alliance, c'est la réconciliation avec les autres.

A - Un Dieu qui appelle : face au destin
La première expérience que nous avons tous faite et que tous les jeunes qui arrivent feront et doivent faire, c'est que nous n'avons rien choisi. Moi, je suis du Sud-Ouest et pourquoi ? J'aurais pu naître à la Réunion, mais ce n'est pas là qu'on m'a fait naître. J'ai les yeux d'une certaine couleur. Je ne les ai pas choisis. Le coiffeur me dit que mes cheveux sont comme du crin, je n'y peux rien. Mes grands parents étaient nés à Cuba et il se trouve que chez moi, mon père parlait espagnol et ma mère parlait français et on me disait "vous êtes basque". Je n'ai pas choisi. Je me suis mis à parler francaîs parce que c'était ce qu'on parlait le plus à la maison. La première expérience de tout être humain, c'est de n'avoir rien choisi.
Face à cela, dans le conscient ou l'inconscient, une grande question : où est ma liberté ? Qu'est-ce que je peux faire ? En ce moment, en certains grands ensembles où il y a parfois des affrontements de jeunes, le point d'où ils partent, ils ne l'ont pas choisi. On a chez nous à la paroisse un séminariste qui a la peau un peu plus brune que moi. Quand il est dans le métro ou ailleurs, il se fait arrêter pour délit de faciès. Il ne l'a pas choisi.
Face à cela, vous avez deux solutions ou même trois :
La première, c'est la révolte, et nous la voyons tous les jours… Comment vais-je me construire sinon en me révoltant contre ce qui m'a été donné. Alors, rupture dans les générations, accusation des parents...
Deuxième solution la passivité : qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse ? Je n'y peux rien. J'avais un neveu qui faisait toutes les bêtises imaginables, on l'aimait beaucoup parce qu'il mettait de l'imprévu dans la famille : il a mis du pétrole dans les carottes de ma mère, il a mis le feu sur le toit de la maison et un jour, il arrive, consterné, en revenant du caté et il dit "moi, je m'en fous, j'irai en enfer !" J'avais une tante qui était bonne catéchiste qui lui dit "mais mon petit Dominique, ne parle pas comme ça, à ton âge !" - "Oh ben, la soeur, elle a dit que tous ceux qui font des bêtises, ils iront en enfer et moi, vous dites que je fais que des bêtises. Donc moi, je m'en fous, j'irai en enfer ! "
Il y a enfin le fait de se dire "c'est à l'intérieur de ce cadre que je vais construire" Je crois, moi, que c'est là que va se jouer tout problème du pardon. Liberté ou destin quand j'accuse quelqu'un. C'est un problème d'autant plus vif à l'heure actuelle, parce que tous les progrès scientifiques que nous faisons sont pour nous montrer qu'il y a de plus en plus de choses dans nos gènes. Moi, qui suis un vieux, je ne savais pas que j'avais déjà tellement de choses inscrites dans ma nature. Bientôt on vous dira que vous avez le gène de la cleptomanie, que vous avez le gène du divorce...
Ce n'est pas si simple. C'est évident que dans les problèmes d'homosexualité, il peut y avoir des composantes éducatives et aussi des composantes qui soient davantage prises à l'intérieur de l'être lui-même, de la personne. C'est tout juste si on ne nous dit pas qu'on va trouver le gène du braqueur de banques. Nous voyons bien qu'il y a un débat perpétuel de l'homme.
Et nous, nous allons plaider pour le pardon. Avec un aumônier de prison lorsqu'il se trouve en face de détenus au sujet desquels il n'a pas beaucoup d'illusions à se faire sur ce qu'a été leur passé, nous allons dire : "il y a quelque chose à faire, ce n'est pas l'abandon, ce n'est pas la révolte, c'est la construction." Face à cela, nous amenons un Dieu qui appelle.
Si vous étudiez les différentes religions, vous verrez que dans les livres sacrés, aucune tradition religieuse ne fait une part aussi grande à l'appel. Dans la Bible, tout commence toujours par un appel. Cela commence à Abraham, Dieu appelle. Après, c'est Moïse, Dieu l'appelle, puis Samuel, Dieu l'appelle "parle Seigneur, ton serviteur écoute" Après ce sont les prophètes qui, chaque fois, ont été appelés. Vous ouvrez le Nouveau Testament, cela commence par l'Annonciation. C'est un récit d'appel. Jésus arrive au bord du lac, la première chose qu'il fait, il appelle.
Qu'est-ce que la structure d'appel ? Comment éduquer un jeune sinon en faisant retentir perpétuellement des appels. La structure d'appel, c'est une structure d'humilité, de simplicité. Si vous regardez tous les gens qui ont fait des choses importantes à l'intérieur de notre famille religieuse depuis des siècles, chaque fois il y a un appel. Prenons Mère Teresa. C'est fou ce qu'elle a fait, mais il y a eu un appel pour faire cela. Prenons Soeur Emmanuelle : "ah bien, tu comprends quand j'ai vu les chiffonniers, je me suis dit : il faudrait quand même qu'on fasse quelque chose." Vous prenez François d'Assise, vous prenez Dominique, vous prenez Charles de Foucault, tous vont vous dire "c'était pour répondre à un appel"
Quand les gens vous disent cela, c'est une façon de se déposséder soi-même. Ils ne disent pas "regardez-moi, je suis costaud, t'as vu, j'ai inventé cela. Si tu venais voir." Ils disent "tu ne vois pas ce qu'il y avait, il fallait bien qu'on réponde un peu ". La structure d'appel est très importante dans la Bible. Chaque fois que quelque chose de neuf va se passer, la personne qui est au coeur de cette nouveauté répondra en vous disant "c'était pour répondre à un appel".
Qui dit appel, dit foi en la liberté. Prenez n'importe quelle personne autour de vous, ce n'est pas la peine de l'appeler si elle n'est pas libre. On connaît cela par le téléphone "occupé !" ça ne répond pas. Donc nous croyons à la liberté. Qui dit appel, dit dialogue. Dans l'Evangile, vous voyez Jésus qui appelle, il y en a qui ont répondu, d'autres qui n'ont pas répondu. Mais rien ne vous dit que celui qui n'a pas répondu aujourd'hui ne répondra pas demain.
Chaque fois que nous, chrétiens, nous faisons retentir dans le monde un appel, nous affirmons notre foi au Dieu de pardon.

B - Un Dieu de miséricorde face à nos culpabilités
Deuxième point : responsabilité-culpabilité. Etre responsable cela veut dire répondre. Or Dieu sait que nous sommes une civilisation de la respon-sabilité. Chaque fois qu'il arrive quelque chose, nous nous demandons qui est responsable, qui va répondre. D'abord parce que celui qui est responsable et qui répond, c'est son assurance qui paie et pas la nôtre.
Je ne sais pas si vous vous souvenez de cela. Quand on a construit les grands immeubles qui sont près de la Porte de Versailles, on bâtissait d'abord uni-quement la charpente en fer et après, il fallait mettre les murs. Pour que ça tienne, il y avait des grands étais, des filins qui tenaient cela. Et j'étais dans une paroisse où vivait l'architecte de ces immeubles. Un jour, il y a un camion qui apportait du ciment et le contremaître en se trompant, pour faire passer le camion, a défait un filin et l'immeuble s'est vrillé et des ouvriers sont morts. L'architecte n'y était pour rien. Son idée n'était pas bête, il n'était pas là quand cela a eu lieu. Mais cela a été lui le responsable et sa carrière a été brisée.
Responsable ce n'est pas la même chose que coupable. Avouez que ce n'est pas simple à manier. Dans tous les jugements que nous avons à l'heure actuelle, il est normal que la justice cherche la responsabilité. Que vous preniez le sang contaminé, que vous preniez l'amiante, que vous preniez tout ce que vous voudrez. Nous souhaitons un monde où les gens soient de plus en plus responsables et où on ne les écrase pas sous leur culpabilité.
J'ai un petit neveu qui est mongolien. Il s'appelle Marc et j'admire son papa et sa maman parce que ce n'est pas simple à élever un petit mongolien. Ils se sont battus au quotidien et ils continuent à se battre maintenant qu'il a 14 ans pour que Marc devienne responsable au maximum de ce qu'il peut l'être. On n'a pas à baisser les bras. Quand, plus petit, il jouait avec ses frères et soeurs et que, par ses mouvements un peu désordonnés, il devenait dangereux, on a appris à Marc à ne pas être dangereux. On l'a rendu responsable et il est tout fier de lui.
Mais le jour où Marc faisait mal à ses frères et soeurs dans les jeux, il n'était pas nécessairement coupable. Nos recherches actuelles nous montrent que plus nous avançons dans la connaissance de l'homme, plus nous risquons d'évanouir les responsabilités. On va dire "c'est pas sa faute, vous comprenez, il a tel gène".
Ce qui m'intéresse, c'est de dire "qu'est-ce que nous annonçons, nous ?" Nous annonçons un Dieu qui prend le parti de l'homme contre son péché. L'exemple le meilleur c'est celui de la femme adultère. Dans l'Evangile, il y a un cercle de mort autour d'elle. Jésus n'écoute pas tellement ce qu'on lui dit et à un moment il la regarde. Il vient de dire "que celui qui est sans péché lui jette la première pierre !" Par cette parole, il casse le cercle de mort, après il la regarde et il lui dit "Personne ne te condamne plus ? " - "Non, personne" - "Va et ne pèche plus !"
Ce regard m'intéresse. Un jour, je sortais de dire la messe, j'étais curé à St Séverin. J'étais dans le cloître de St Séverin. Un monsieur que je ne connais pas m'aborde. Il me dit "Mon Père, on peut vous parler ?" Je dis "oui, bien sûr. Si vous voulez, on va dans un bureau ?" Il me dit "Non, ça va bien là." On marche quelques pas et il me dit "Voilà, je viens de tuer un homme." On n'a pas l'habitude de recevoir un coup comme cela. J'avais les yeux baissés quand il m'a dit cela. Et il me dit "Vous avez peut-être compris mon métier ?" En effet, mes yeux baissés voyaient ses pieds et je voyais qu'il était en spartiates et que les ongles de ses pieds étaient passés au vernis rouge.
Je lui dis "oui, je crois que j'ai compris votre métier." Alors il me dit "mon dernier client était tellement dégueulasse que je l'ai tué. Maintenant je vais à la police, mais avant d'aller à la police, j'avais besoin que quelqu'un pose sur moi un regard différent d'un regard de policier." J'ai trouvé cela fantastique. Ce type ne me connaissait pas. Il a vu que c'était moi qui présidais l'Eucharistie et il s'est dit qu'un chrétien était capable de poser sur lui un regard différent d'un regard de policier. Là se joue la distance entre responsabilité et culpabilité.
Face à cela, je me dis : "est-ce que la communauté chrétienne est capable de poser sur l'homme un regard que nous appelons un regard de miséricorde ?" Dans l'Evangile, il est toujours question du regard quand Jésus rencontre quelqu'un.

C - Un Dieu d'alliance, face au conflit
Troisième couple : conflit et société, réconciliation avec les autres. Qu'est-ce que nous apportons, nous chrétiens ? Le conflit arrivera toujours. J'ai envie de dire: plus la société est petite, plus le conflit est douloureux. La société la plus petite étant le couple humain, il est bien évident que c'est dans le couple humain que le conflit est le plus douloureux.
Il ne faut pas confondre conflit et péché… Un jour, je parlais de cela avec des animateurs de communautés. On avait passé la journée à réfléchir là-dessus et une dame est venue me dire "quand même, on m'aurait dit cela plus tôt, cela fait 40 ans que je suis mariée, j'ai toujours cru qu'il fallait m'écraser devant mon mari pour ne pas avoir de conflit parce que je croyais qu'un conflit était un péché. Si j'avais su, je me serais écrasée un peu moins."
Souvent le conflit est nécessaire. C'est une clé aussi pour lire les événements politiques à l'heure actuelle. Qu'il y ait conflit avec l'Irak ce n'est pas idiot. Savoir si le conflit va permettre d'accéder à plus de vérité... ? Peut-être.
La meilleure façon de nier le conflit, c'est de refuser que l'autre existe. Si dans un ménage, ils ne sont pas tous les deux du même avis, le mari va dire à sa femme "D'abord, je sais bien que tu penses comme moi, mais tu ne veux pas l'avouer en public. En réalité quand tu as dit cela hier, c'était exactement ce que je voulais dire !" La seule chose qu'on essaie de montrer, c'est qu'il n'y a pas de différence. On est pareils, donc l'autre n'est plus autre, il est semblable. Dans ce cas-là, il n'y aura pas de conflit.
L'autre étant autre, c'est parce qu'il est autre qu'il devient riche pour nous. C'est le problème du clone. Si on ne nous fait que des clones, ça ne va pas être drôle. Au moins, moi j'avais des soeurs avec qui je pouvais m'engueuler, tandis que si elles sont comme moi, je ne vais même plus m'engueuler avec mes sœurs. Et à quoi voulez-vous que je passe mes journées alors ?
Refuser à l'autre d'être autre, c'est une façon en quelque sorte de le manger. Au contraire quand nous nous trouvons devant le conflit, la question qui se pose, c'est : le conflit va-t-il mener à la mort ou peut-il mener à la vie ? C'est un peu sinistre d'écouter cela au moment où notre monde risque de s'engager dans la guerre, et pourtant c'est cela le vrai problème. Si le conflit ne mène qu'à la mort, on n'a rien résolu. Si la tension que crée le conflit amène brusquement à déplacer les positions, peut-être alors la vie sera plus grande et plus vraie après. Là est le problème.
Face à cela nous amenons quoi ? Nous amenons un Dieu d'Alliance. L'autre devient alors l'image de Dieu. L'autre jour, j'ai assisté à une conférence remarquable par un théologien du Brésil. Il nous a dit que l'effort fait après le Concile, au Brésil, grâce à Helder Camara et à d'autres, a été brusquement de découvrir que l'essentiel de la foi chrétienne, c'était de découvrir l'autre comme autre et de l'accueillir comme autre parce que, seulement lorsqu'il est "autre", il devient image de Dieu. Je résume un peu vite, mais j'ai trouvé que c'était très bien.
Peut-être que Jésus-Christ est venu dans notre monde pour que nous soyons capables non pas d'accueillir nos semblables, mais d'accueillir les autres et de découvrir que Dieu sera toujours plus Autre que les autres qui nous entourent. Mais avec ces autres, nous faisons Alliance. Et parce que Jésus en étant autre a été exclu de notre humanité et qu'en étant exclu il n'a pas condamné, mais il a pardonné, on dit aujourd'hui : il a cassé l'enchaînement de la violence. Tant que nous sommes dans la vengeance, nous ne découvrons pas cette nouvelle dimension du Dieu de l'Alliance. "Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font !"
J'ai travaillé à faire le rituel de pénitence actuel et j'ai toujours peur dès qu'on parle de réconciliation qu'on le prenne par le petit bout c'est-à-dire " faut-il se confesser ou pas ?" Que vous vous confessiez ou pas, cela m'est égal. Ce n'est pas l'essentiel. Mais que nous ne soyons plus capables d'annoncer un Dieu de pardon, alors le monde meurt. Sans pardon, le monde est un monde de mort. Il n'y a pas d'autre solution.
Annoncer le pardon n'est pas une chose simple. Si nous voulons faire connaître au monde le vrai visage de Dieu, il faut que nous annoncions qu'il est possible à l'homme de construire sa liberté à partir de n'importe quelle situation dans laquelle il est, il faut que nous annoncions que l'homme doit devenir de plus en plus responsable et qu'il ne faut pas écraser son voisin sous la culpabilité, il faut que nous annoncions que l'autre n'est pas un danger pour nous parce qu'il est "autre", mais qu'il devient richesse justement parce qu'il est autre. Mais tout cela est difficile et c'est seulement l'Esprit qui nous donnera peut-être de le vivre.

Réponse aux questions

Peut-on pardonner sans oublier ?
Pour moi, oui. Je ne vois pas pourquoi il faudrait oublier et je ne pense pas que l'oubli soit bon, mais nous croyons que le pardon se situe dans l'affectivité. Or le pardon ne se situe pas d'abord dans notre affectivité.
Je prends un exemple qui est important pour moi. Il y avait un groupe de Bible dans une famille où j'allais régulièrement. J'étais alors vicaire à St Pierre de Chaillot. Deux ans après, le téléphone sonne un soir, c'était le papa de cette famille. Bêtement, je dis : "tiens mon vieux quel bon vent vous amène ? " Il me dit : "on vient d'assassiner ma fille au Trocadéro" "Oh quelle horreur !" Il me dit : "Ecoutez, Père, pour ma fille, vous et moi, on pense la même chose. Mais je téléphone pour ceci : le garçon qui vient de la tuer, qu'est-ce que nous allons en faire pour que sa vie ne soit pas morte ?"
C'était le soir même de la mort de la jeune fille. C'est vrai que c'est cela qu'il m'a dit et je sais qu'au moment du procès, le juge a dit : "Vous lui avez pardonné ?" Il a dit "Oui, et je lui ai fait savoir que quand il sortira de prison, il pourra venir à la maison et qu'on ferait ce qu'on pourrait pour trouver un avenir pour lui." Vous n'allez tout de même pas demander à ce père d'oublier que sa fille est morte.
Donc le pardon c'est autre chose. Le pardon c'est essayer d'ouvrir un chemin à l'autre ou tout au moins, ne pas entraver pour qu'un autre ouvre le chemin. Donc le pardon ne veut pas dire, je vais réclamer de l'amitié comme si rien ne s'était passé. Cela me paraît évident. Je sais bien qu'une des images du pardon c'est la relation de la maman avec son enfant et l'amour d'une mère pour son enfant peut être assez grand pour faire que malgré la blessure passée ce soit encore d'amour dont on parle. Dans notre vie courante, ce n'est pas toujours le cas.
Quand j'avais dix ans ceux que nous appelions les boches ne me paraissaient pas très aimables. Je suis d'un maquis où tout le monde a été tué, sauf moi. Tous les copains de mes 15, 16 ans sont morts. Vous dire que j'ai eu beaucoup de facilité après pour rencontrer les Allemands, non. Vous dire que je me suis armé pour pouvoir leur faire le plus de mal possible, j'espère que non et cela, ça me paraît être le pardon.
Je pense que même avec des gens avec lesquels on est très proche, le conflit qui a eu lieu et que l'on n'occulte pas grandit encore la relation que l'on peut avoir après si l'on arrive à la reconstruire. Il y a des cas où l'on n'arrive pas.

Peut-on pardonner sans que l'autre le sache ?
Pardonner sans que l'autre le sache, c'est évident que nous le pouvons. Et nous pouvons même pardonner alors que l'autre le refuse. C'est des cas parfois dramatiques, mais c'est des cas réels. Vous en avez qui ne sont pas capables de supporter le pardon.
L'aumônier des Baumettes m'a raconté ceci. Il y a eu un jour un gars qui est arrivé. C'était un gros caïd de Toulon. C'était un gars qui avait du sang plein les mains. Tant qu'il était dans la rue, il faisait le faraud. Quand il a été en prison, il ne supportait pas le regard des autres sur lui. Il se tenait au fond de sa cellule. Il a refusé d'aller aux douches, il n'allait pas aux promenades.
La première fois qu'on a pu le faire sortir, cela a été pour aller à la communauté chrétienne le dimanche. Et l'aumônier m'a dit : "la première fois qu'il est venu, il s'est mis contre le mur et il tournait pratiquement le dos à tout le monde. Il a fallu lentement que nous l'apprivoisions pour qu'il accepte le regard de ses frères sur lui-même". Il est évident qu'il ne pouvait guérir en lui-même que lorsqu'il acceptait le regard des autres. D'où le retour à la dernière question posée, ce n'est pas toujours simple de se pardonner à soi-même.

Peut-on parler de pardon en dehors des chrétiens ?
Oui, heureusement. La question est quand même astucieuse parce qu'elle pose tout le problème : "Qu'est-ce qui dit Dieu au monde ?" Parmi les non-chrétiens, heureusement pour nous et pour eux, vous avez des gens qui vivent l'alliance matrimoniale avec beaucoup de grandeur. Or nous disons "Dieu est Alliance". Donc chaque fois que l'homme vit une alliance vraie, cela devient sacrement de l'alliance.
Donc est-ce que les couples non chrétiens peuvent être sacrement de l'alliance. Dans ma théologie je dis oui. Est-ce que ça devient un sacrement canonique ? Non, pour la bonne raison que nous avons des lois et un droit canon. Il nous permet de nommer un certain nombre de choses. Mais le Royaume est plus grand que l'Eglise. Mgr Claverie disait "le royaume est plus grand que nous et nous avons à découvrir le royaume chez des gens qui ne sont pas d'Eglise."
Le royaume c'est un monde qui se construit selon l'Esprit. Pour moi, l'acte le plus important de Jean-Paul II c'est la rencontre d'Assise quand il a réuni des gens de toutes les religions du monde, il a dit : "tout homme qui prie, c'est le même esprit qui conduit sa prière."
Le musulman qui prie, c'est le Saint Esprit qui le fait prier. Tout homme qui prie bien, c'est le Saint-Esprit qui l'amène à prier. Un chrétien peut prier mal. J'ai découvert une fois dans mon église un petit billet près d'un ex-voto qui disait :"très Sainte Vierge, faites beaucoup de mal à ma voisine. Elle est épouvantable." Je ne suis pas sûr que le Saint Esprit ait inspiré cette prière.
Nous reconnaissons une présence de l'Esprit chez les autres et donc nous reconnaissons à la suite de Jean-Paul II que les actes des autres deviennent d'une certaine façon, sacrements du royaume, au sens large et nous reconnaissons en même temps que nous ne pouvons pas dire cela sans une critique. Mais les éléments de critique vis-à-vis des autres sont les mêmes vis-à-vis de nous. Donc faire la paix est sacrement de Dieu.

Si Dieu nous a faits pourquoi nous appelle-t-il ?
Comment répondre à cela ? Dieu ne nous a pas faits, il a fait de nous des êtres capables de se faire. Nous ne sommes pas faits quand nous sortons du ventre de notre maman. Nous sommes en train de devenir. A l'âge qui est le mien, je n'ai pas fini de devenir. Si je comprends bien Dieu, la chose la plus fantastique qu'il a faite, c'est non pas de faire des êtres faits, mais des êtres qui peuvent se faire. Pour moi, c'est cela la liberté. Dieu ne nous a pas créés libres. Dieu nous a appelés à la liberté. Donc, nous essayons de devenir de plus en plus libres.

Une petite fille en CM2 me dit un jour "tu sais, je ne suis pas très sûre de croire en Dieu !" Je lui dis "Oh ! que je suis content qu'une petite fille comme toi soit capable de dire cela parce que ça prouve au moins que tu réfléchis." Elle me dit "ah oui !" Et je reprends "et pourquoi tu ne crois pas en Dieu ?" Elle me dit : "quand je vois la guerre et tout ce qu'il y a de moche dans le monde, je me dis, quand même, s'il y avait Dieu ce ne serait pas comme ça. Alors tu vois, je ne suis pas sûre qu'il y ait Dieu." Je lui dis "tu as bien raison ! Tu as un frère ? - Oui, oui '" - "Tu te bats avec lui ?" - "Oui, oui !" - "Souvent ?" - "Oui, oui !". - "T'inquiète pas, quand je vais rentrer à la maison, je vais me mettre à prier Dieu et je vais lui dire que la prochaine fois que tu veux te battre avec ton frère, Dieu t'arrête!" Vous savez, ce qu'elle a crié la petite fille ? "Ah non, alors, je suis libre !"


- "Il y a un sacré problème là. C'est plus important que tu sois une petite fille libre qui se batte avec son frère qu'une petite fille pas libre qui ne se bat pas avec son frère. Il faut qu'on trouve une solution. Alors je vais prier Dieu qu'il te donne son Esprit pour que tu découvres que des fois ton frère n'est pas celui avec qui il faut se battre, mais qu'il est peut-être aussi un ami. On va voir si l'Esprit de Dieu arrive à te transformer."
Votre question m'a fait penser à cela. Dieu, c'est vraiment le mystère. De Dieu, on dit des choses avec des mots un peu naïfs. Qu'est-ce que Dieu, sinon une source de liberté.

Seconde Conférence
Le péché de l'homme

Introduction
C'est difficile de réfléchir sur ce que veut dire le sacrement de réconciliation si l'on fait abstraction d'un discours sur le péché. Quand nous avons fait le nouveau rituel, au début les chrétiens se confessaient beaucoup. Quand je suis arrivé comme prêtre à St Jacques du Haut Pas en 1964, tous les samedis, nous étions quatre prêtres à confesser. Il y en avait un cinquième dans son bureau que le sacristain appelait chaque fois qu'il y avait trop de monde. Quand j'ai quitté dix ans plus tard St Jacques du Haut Pas, il n'y avait plus qu'un seul prêtre à confesser et on n'avait pas besoin d'en mettre un en réserve dans son bureau.
Donc quand on a travaillé ce rituel, on n'avait pas sous les yeux le problème d'une crise sur la confession. Le temps que le rituel soit fait en latin et qu'on le traduise en français, cela prend six ou sept ans et quand on a sorti le texte français, j'ai dit aux évêques : " il faudrait que vous fassiez un texte pour dire aux hommes ce qu'est le péché ". Nos évêques ont calé parce qu'aucun ne se sentait le courage de faire un texte de ce genre. Je me trouve devant le même problème aujourd'hui et pour éduquer les chrétiens de chez nous, entre autres les catéchumènes, je voudrais qu'on puisse en parler. Je vous ai résumé le chemin que nous prenons.
Donc il ne s'agit pas de tout dire sur le péché ; il s'agit de trouver un parcours. C'est un chemin, c'est une pédagogie. Pour les gens " péché " renvoie tout de suite à une sphère religieuse. Or vous ne savez pas ce que veut dire une sphère religieuse pour les personnes que vous avez en face de vous.
Quand on reçoit quelqu'un pour le baptême, il faut essayer de cerner cela. Qu'est-ce que cela veut dire pour lui ? Quand est-ce qu'il a recours à Dieu ? Un jour, je rencontre un ingénieur qui me dit "La prière c'est difficile ; quand tout va bien, je ne sais pas prier. Mais quand ça va mal, alors je prie !" Je reçois une vieille dame après qui me dit "La prière c'est difficile, moi quand tout va mal, je ne sais pas prier. mais quand tout va bien, alors là, je prie !" Deux mondes diffférents.
Là, c'est pareil. Le mot péché n'est pas toujours très bon parce que beaucoup de gens croient par exemple que la contraception, c'est un péché mais ce n'est pas une faute. Les gens pensent que le péché c'est l'annulation d'un tabou religieux : du moment que le pape a dit "ce n'est pas permis", c'est un péché.
Nous allons dire : il y a péché quand la faute morale touche à ma relation à Dieu. Mais en christianisme, nous pensons que la relation à Dieu est liée à la relation aux hommes. Thévenot, un des meilleurs moralistes actuels, dit "le théologal n'est pas à côté du moral !" Cela veut dire que je ne rencontre pas Dieu en dehors de ma façon de me comporter.
Autre remarque que je veux faire : l'idée que les gens auront du péché contruit leur idée de Dieu. Si Dieu c'est une autorité qui a pouvoir, il faut être en règle avec cette autorité. Le péché c'est quand je ne suis pas en règle avec cette autorité. C'est un climat de peur et de crainte. Delumeau dit :"attention, notre Eglise Catholique a fait plus une pastorale du péché qu'une pastorale du salut."
Nietzche disait que, dans l'Eglise Catholique, les clercs maintenaient leur pouvoir par la notion de péché. Mon grand'père le pensait et c'est pour cela qu'il avait horreur des curés.
Si Dieu est une autorité, il faut être en lien avec l'autorité. Est-ce cela que nous voulons faire passer ? Si Dieu est l'auteur d'une loi, législateur, la faute est une infraction à la loi. Il faut que je connaisse la loi. Si je pense que Dieu est celui qui va faire de moi un homme remarquable, quand je me sens fautif, je suis déçu, dépité par moi. Cela ne va pas. Si je pense que Dieu est celui qui aime les hommes pour qu'ils aient la vie, je vais m'interroger sur ce que je fais pour que la vie règne sur terre. Voyez, c'est important, ce n'est pas une vision collatérale, c'est une notion qui va commander notre vision de Dieu.

1 - La souffrance, le malheur sont toujours devant nous.

A - L'homme affronté au mal : le mal subi et le mal commis
En effet avant de parler de péché, d'acte moral, la première chose qu'il faut faire, c'est ouvrir les yeux devant le mal. L'homme est affronté au mal. Nous le savons, nous le regardons, nous le vivons. Il y a deux sortes de mal : il y a le mal que je subis et le mal commis.
Valadier a fait un très beau livre sur la conscience. La conscience, en tant que regard sur soi. En effet, quand un type est dans les pommes, on dit : "il est inconscient", la conscience dont on parle, n'est pas tout à fait cela. Quand quelqu'un fait un boulot bien, on dit : "il le fait avec conscience" C'est pas tout à fait cela non plus. Quand on dit à quelqu'un :"ta conscience ne te reproche rien !" C'est cela, voilà. Donc c'est un jugement de nous-mêmes sur nous-mêmes. C'est très important que naisse la conscience. Souvent dans les histoires avec certains jeunes, on dit "on dirait qu'ils n'ont pas de conscience."
La conscience naît de l'horreur. Vous regardez la télévision, vous voyez un truc épouvantable, des gosses en train de crever de faim ou un charnier et vous dites : "non, ce n'est pas possible ! Plus jamais cela !" C'est un refus d'abord et quand l'homme a ce refus de certaines situations, il peut être amené à s'interroger "et moi, est-ce que je vais dans ce sens ?". C'est comme cela que naît la conscience. Alors, devant le mal vu dans le monde se pose la question : "quelle est ma participation ?" Et vous savez très bien que souvent cette question va envisager l'omission. Devant des jeunes qui ne tournent pas très bien les parents disent "mais qu'est-ce que je n'ai pas fait ?" Il n'est pas question seulement de ce qu'on a fait, mais de l'omission..

B - Jésus déplace la question : " qu'as-tu fait de ton frère ? "
Face à cela, premier regard : le Bon Samaritain. Jésus déplace la question. Regardez le bon samaritain. Il arrive, il a un cheval. C'est fantastique à l'époque. Il y a un gars qui s'est fait attaquer par des voyous. Qu'est-ce qu'il faut qu'il fasse avec son cheval. Il monte dessus et il part rattraper les voyous pour leur foutre une correction ? Pas du tout. Ce qui l'intéresse en premier ce n'est pas d'aller punir ceux qui ont fait le mal, c'est de sauver celui qui est dans le malheur.
C'est peut-être cela un premier réflexe chrétien. Avant d'aller taper sur l'autre, dire : "mais moi, qu'est-ce que j'ai fait ?" Pourquoi est-ce qu'on parle d'un prêtre et d'un lévite ? C'est parce qu'ils vont au temple et qu'ils pensent qu'ils sont faits pour le service de Dieu. Si on est fait pour le service de Dieu, on ne peut pas avoir du sang sur les mains parce qu'on devient impur. Donc le service de Dieu est plus important que le service du prochain.
Jésus va renverser cela et dire : "il n'y a pas de service de Dieu s'il n'y a pas de service du prochain". Et donc quand le bonhomme se demande : "qui est mon prochain ?" Jésus lui dit : "de qui tu te fais le prochain ?" C'est clair. On a exactement le même message que lorsque Jésus dit "j'ai eu faim et tu ne m'as pas donné à manger." Même si on n'avait fait passer dans notre catéchèse sur le péché que cet aspect là, on sait déjà que celui avec qui nous travaillons commence à avoir une conscience chrétienne. Dans le monde où je suis, mon action est nécessaire.
Je lutte contre le mal et la souffrance. J'avais un bon copain qui n'était pas du tout chrétien, qui était même plutôt critique. Avec sa femme, ils avaient eu un premier enfant mort à la naissance. Le médecin leur avait dit : "vous avez trop souffert tous les deux étant jeunes, ce n'est pas la peine de chercher à avoir un autre enfant, ce sera toujours un monstre. " Il s'est trouvé que dix ans plus tard, on a appris qu'ils attendaient un bébé. Est née une petite fille, Valérie qui était merveilleuse.
Un jour il me téléphone en disant "est-ce que tu es libre dimanche ?" Je lui réponds :"Pourquoi ?" - "C'est le baptême de Valérie et tu es le parrain" - "Quoi, tu passes à l'église ?" - "Tu es cinglé. Qu'est-ce que je vais aller faire dans une église ?" - "Mais pourquoi tu dis que je suis le parrain ?" - "Mais est-ce que le parrain, ça ne veut pas dire que les parents sont pas assez sûrs et qu'il faut que les copains s'en mêlent ?" Je dis : "Si, si, c'est ça" - "Ben alors pourquoi tu poses des questions bêtes ? Tu es le parrain et c'est tout."
Quand Valérie a eu six ans, elle a eu la leucémie. Lui il m'a téléphoné cela un vendredi saint. Et elle est morte au mois d'octobre. Un jour, il était campé dans sa 2CV devant l'hôpital pour aller voir sa fille et j'ai été le rejoindre. Et devant ce petit corps qui ne nous reconnaissait pas, qui n'avait plus de cheveux.., il m'a dit : "tu sais pourquoi j'ai horreur des chrétiens ?" - "Je ne sais pas, non." - " Parce que vous allez dire que la souffrance de ma fille sert à quelque chose." Je lui dis : "Non, le chrétien c'est le contraire, on lutte contre cette souffrance. Si quelqu'un te dit cela, ce n'est pas un chrétien, comme on dit chez moi : c'est un c… Ce n'est pas pareil. Dieu est avec nous contre la souffrance de l'homme ". Si on n'a pas compris cela, on est des chrétiens tordus.
Le combat contre la souffrance est révélateur de Dieu, c'est cela le bon samaritain. Sortir de son égoïsme pour lutter contre le mal, ne pas séparer amour de Dieu et amour du frère.

2 - La souffrance, le malheur ne sont pas une punition de Dieu.
A - Il faut que l'oeuvre de Dieu s'accomplisse
Vous vous rappelez l'aveugle de naissance. "Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ? "C'est quand même curieux la réponse. Jésus répondit : "Ni lui, ni ses parents, mais c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui".
Tout le monde comprend ce que cela veut dire pour une maman quand, à l'acte même de la naissance, elle découvre que son premier-né est un petit mongolien
Quand Marc est né, ses parents ont cherché quel texte ils allaient choisir pour son baptême. Ils ont fait un long chemin. Ils sont partis du texte de Jean : " Qui a péché, lui ou ses parents ?… " Ils ont trouvé que ce n'était pas le bon choix. Et à travers un long chemin, ils sont allés vers la Samaritaine : "si tu savais le don de Dieu !"
Quand je prends ce texte de l'aveugle-né, je me dis : "c'est une vraie question." Qui a péché ? C'est la question qu'Ezéchiel soulevait dans la première lecture ces jours-ci. Sur qui on va faire porter la responsabilité quand on a quelque chose de tordu. Mais ce qui m'a posé une question, c'est la réponse de Jésus : "C'est pour que l'oeuvre de Dieu se manifeste en lui."
Je me dis : c'est difficile, ça veut dire quoi. Ce type qui est aveugle, c'est pour que l'oeuvre de Dieu se manifeste ? Je ne vois pas. Cela ne me plaisait pas alors j'ai cherché le mot "oeuvre" dans St Jean. "Œuvre" dans St Jean veut dire "création". C'est un mot qui revient souvent parce que l'Evangile de St Jean se divise en deux parties : le livre des oeuvres et le livre des signes. Il y a neuf fois le mot oeuvre dans l'Evangile de St Jean et c'est toujours lié à la Création.
Alors j'ai pensé à Marc. Qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit mongolien ? Jésus dit "question idiote ! Il faut que la création s'accomplisse en lui". Je rends hommage à ses parents qui essaient de créer ce petit bonhomme avec plus de difficulté que pour créer ses frères et soeurs.

B - Création et salut : la création dans une histoire
Création et salut, un problème qui se pose à nous. On nous a un peu tordu le crâne. On a en nous cette image : la création, c'est Dieu qui a fait quelque chose au début du monde. Et puis dans ce monde que Dieu a créé, l'homme a été un peu idiot, il a cassé l'affaire et maintenant, il va falloir réparer ce que l'homme a cassé.
Ce scénario ne tient pas la route. On a l'impression que si Dieu a envoyé son Fils s'incarner dans le monde, c'est parce qu'on était bêtes. Ce n'est vraiment pas très digne, c'est la bêtise de l'homme qui commande ce que fait Dieu ? J'aime mieux la cathédrale de Chartres. Sur le portail de gauche, on voit que Dieu quand il créait l'homme avait déjà dans sa tête l'image du Christ. Jésus ne vient pas réparer ce que nous avons cassé. Déjà dans l'aventure du cosmos, tout marche vers un sommet qui est l'apparition du Fils de Dieu.
Donc, le salut ce n'est pas réparer ce que nous avons cassé. Le salut, c'est porter à son achèvement librement, une création que Dieu a commencée. L'un de nous posait tout à l'heure la question : " pourquoi est-ce que Dieu nous appelle ?" Il nous appelle parce que l'ordre de la création est un ordre de liberté.
Tout être humain qui vient au monde possède une capacité de dire non. Ce n'est pas tout à fait un automate. Et comment pouvons-nous agir ? La relation de deux libertés, cela s'appelle la foi. La foi n'est pas un problème religieux. Quand deux êtres libres se rencontrent, ils ne peuvent communiquer que moyennant ce que nous appelons la foi. La maman dit quelque chose, l'enfant se dit "maman a dit". Il prend en compte, il donne sa foi. "Cause toujours, tu m'intéresses", cela veut dire "je ne donne pas ma foi."Il n'y a d'être humain que s'il y a une relation de foi. Parce que nous sommes des êtres de liberté et pour que nous agissions, il faut qu'il y ait en nous une certaine connivence avec l'acte à accomplir. Plus cette connivence est grande, plus nous devenons humains.
" Création ", ce n'est pas quelque chose qui s'est passé au début. Notre théologie ne dit pas que Dieu a créé le monde, notre théologie dit que Dieu crée aujourd'hui, en ce moment, nous sommes des êtres créés. Notre être n'existe que par une relation à l'être même de Dieu. Il n'a pas fait un moteur dont il vaudrait mieux qu'il marche sans se casser. Dieu est source.
Dieu est source, c'est très important pour notre prière parce que souvent nous demandons à Dieu de faire à notre place. Nous allons prier Dieu pour qu'il empêche qu'il y ait la guerre et il ne va pas l'empêcher et nous disons : "qu'est-ce que c'est que ce Dieu tout-puissant qui n'est pas tout-puissant ?" Alors, ne demandons pas à Dieu de faire, mais accueillons en nous la source pour que nous soyons capables de faire. Ce n'est pas tout à fait la même chose.
Prier, c'est se greffer sur Dieu pour que mon être soit un être qui accueille en moi ce qui est source de vérité. Si c'est cela, mon petit bonhomme de Marc, ce n'est pas un garçon tordu. Il est ce qu'il est mais il est aussi un être qui doit en lui accueillir une source et c'est ça que dit Jésus quand il dit : "ni lui, ni ses parents, mais il faut que l'oeuvre de Dieu s'accomplisse en lui". Et cette oeuvre de Dieu va s'accomplir en lui à la dimension de ce qu'il est.
Nous sommes tous dans une histoire d'une liberté qui se crée et ma grande question est de savoir quelle est ma participation à cette histoire pour que ce qui se crée soit de l'ordre de la vie. A cause de cela, je dirai : il y a deux types de péché : soit agir à l'encontre de la vie, c'est-à-dire se refuser à vivre, ou nier le droit qu'a l'autre de vivre, soit le péché par omission, ne rien faire qui aide l'autre à vivre.
Prendre le parti de la vie, poursuivre la création. Tout homme est une histoire sacrée, n'importe où il est.

3 - Il faut "enlever" le péché du monde
A - Le péché et les péchés
"Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde". Les plus anciens se souviennent qu'on a souvent traduit autrefois : qui porte le péché du monde, car "tollis" peut aussi bien se traduire par "porter" ou "enlever". Quand nous disions "celui qui porte le péché du monde", nous faisions de Jésus un bouc émissaire et on disait : "ça lui est retombé sur le dos". Et à Vatican II on nous a dit : "ce n'est plus comme cela qu'il faut traduire. Cela veut dire : "qui enlève le péché du monde".
Thévenot dit : "chaque personne trouve à sa naissance un 'déjà là' du mal dont il est la victime". La liberté de l'homme n'est jamais une route simple, elle ne trouve son chemin que dans un climat où il faut se battre contre. Aucun d'entre nous, j'imagine, n'a l'expérience d'une vie plane dans le bien. Paul dit : "il y a en moi une loi. Je fais ce que je n'ai pas envie de faire et souvent je ne fais pas ce que je voudrais faire."

B - Péché originel : la racine du péché : la défiance
On ne trace son chemin de liberté que dans un combat qui est choix. Peut-être est-ce cela que veut dire le vieux récit de la Genèse qui nous montre que dès qu'il y a eu l'homme et la femme, ils se sont trouvés devant un choix (Gen 2,4-25). Ce sont des récits de sagesse, et pas des récits historiques. Un récit historique, cela veut dire qu'il y a un fait, quelqu'un qui a vu ce fait le raconte à quelqu'un qui le raconte à quelqu'un… et ça vient jusqu'à vous.
Donc une suite de témoins. La sagesse, cela veut dire : vous regardez ce que vous voyez cherchant à l'expliquer vous remontez dans le passé pour dire "voilà". Donc nous avons un récit de sagesse. Le vieux sage regarde et dit : " je me rends compte que chaque fois que je vois des hommes et des femmes, ils sont devant le choix et je remonte pour dire : dès le premier homme, il y a eu un problème de choix. "
On ne trace son chemin de liberté que dans un combat qui est un choix. Partons du péché originel, je regarde d'abord le mot " péché ". J'ai ouvert St Jean et j'ai cherché tous les endroits où il y a le mot péché. J'ai découvert que St Jean parle généralement du péché au singulier mais pas des péchés au pluriel. Tout le temps que j'étais au collège on me parlait toujours des péchés au pluriel et jamais du péché au singulier. Quand on m'a appris à me confesser, on m'a appris à chercher mes péchés. C'est curieux.
Alors je suis allé voir St Paul. J'ai vu que nous traduisons par " péché " dans St Paul, trois mots différents. Il y a un mot qui veut peut-être dire à peu près "péché", il y a un mot qui veut dire "faute" et, il y a un mot qui veut dire "transgression" ou "désobéissance". Nous, d'une façon réductrice, nous traduisons toujours par péché. En cherchant de plus près, je découvre que le péché au singulier, c'est une espèce d'être mythique qui plane sur notre monde et Paul va nous dire qu'il est la cause de la mort et que la vie consiste à se battre contre le péché. J'ai l'impression que l'enjeu est beaucoup plus important que de savoir combien j'ai fait de péchés.
Vous pouvez peut-être dire autremant, par exemple : il y a une pesanteur. Vous ne pouvez pas soulever un poids sans lutter contre une pesanteur. Et plus vous allez être à un endroit où la pesanteur est forte, plus il va falloir de force pour soulever le même poids. Mais dans une fusée, ils sont en apesanteur. Alors il n'y a plus besoin de force. Cela nous donne une certaine image. Nous sommes des êtres qui vivons dans une pesanteur.
Face à cela, nous avons un vocabulaire de rédemption. Ce n'est pas génial. Rédemption, ça touche un peu revanche, ça touche un peu acheter, alors on nous parle de rachat. En hébreu, en grec, le mot veut dire délivrer, arracher, arracher à un danger. Il y a un discours que je n'aime pas et que voilà : Dieu c'est un vieux bonhomme qui est offensé par nos péchés. Il est courroucé. Il est tellement courroucé que c'est comme un vieux propriétaire qui avait un cerisier dans son jardin.
Et voilà que les gamins des alentours sont venus lui faucher des cerises. Donc il est en colère et il veut taper dessus. Mais comme il n'arrive pas à les retrouver, il tape sur son fils parce qu'il est à côté et c'est plus facile. Alors comme Dieu n'arrivait pas à taper sur les hommes il a envoyé son fils et il l'a fait mourir sur une croix. Comme cela, il n'est plus en colère et ça va très bien pour nous. Comme a écrit un très bon théologien : "grand bien pour Dieu, mais nous, qu'est-ce qu'on y gagne !" Alors la Rédemption ne nous touche pas, elle touche Dieu. On a alors l'image d'un Dieu vengeur qui retourne contre nous le défaut de sa création..
Y a-t-il un autre discours ? Oui. Dès les origines l'homme est pris dans une aventure de libération et là je rejoins tout ce que la science me dit aujourd'hui. A l'intérieur de toute cette fermentation du cosmos, il y a eu l'apparition de la vie, celle du mouvement. Un arbre, c'est beau, mais s'il a soif, il ne peut se déplacer pour aller chercher l'eau et il est condamné à crever de soif. Le moindre petit chien s'il a soif, il peut se déplacer pour aller chercher de l'eau. Il y a une liberté qui se construit
Nous, les hommes maintenant nous luttons contre la distance avec notre vitesse, nous luttons contre la pesanteur avec nos fusées. et ainsi de suite. Donc nous pouvons comprendre qu'il semble que l'aventure de tout notre cosmos c'est comme une liberté en création. Et en même temps à chaque pas de liberté que nous accomplissons, nous voyons qu'il y a l'envers de la médaille et que ça peut ne pas aller vers la liberté, que ça peut nous rendre esclaves au lieu de nous rendre libres.
Alors, la grandeur de l'homme, c'est d'être co-créateur de lui-même. Le lion, il est sûrement pris dans l'évolution, mais il ne peut pas la maîtriser, il ne peut pas la conduire, il ne peut pas la choisir. Nous, nous appartenons à une espèce qui a une réflexion sur elle-même et qui peut s'aider à devenir créatrice d'elle-même. Chrétien ou non, l'homme est toujours devant un choix. M. Domergue nous dit : "Au fond devant le choix, tout est problème de confiance et de défiance, ce qui s'est passé au jardin du paradis, c'est "à qui faire confiance ?"
Dieu avait dit tu ne mangeras pas de ce fruit, le serpent dit : tu peux en manger ! à qui je fais confiance ? Domergue dit : "il faut reconnaître que nous n'utilisons pas toujours la part de liberté dont nous disposons pour aller dans le sens de la vie, ni même dans le sens d'une collectivité plus humaine". Il y a en nous une résistance. Nous avons du mal à admettre notre totale solidarité. Pour la Bible, le péché prend racine dans la défiance qui nous porte à accumuler les sécurités, les défenses contre les autres. Devant la Parole de Dieu, nous nous défions ou nous nous confions.
Dieu est digne de confiance, c'est cela la foi. C'est cela, la relation des enfants avec leurs parents. Les péchés, c'est pactiser avec les forces du mal.

4 - Dieu est pardon : il nous donne son Esprit

A - Le pardon existe avant que nous le demandions
Il y a encore un point qu'il faut à tout prix aborder : c'est le problème du pardon. Quand Jésus rencontre quelqu'un même quand c'est un paralysé, il dit "tes péchés sont pardonnés". Cela veut dire quoi ? Jésus ne dit pas : je te pardonne, il dit : tes péchés sont pardonnés. C'est bizarre. Le pardon existe avant que nous ne demandions.
Jésus n'est pas venu pour nous pardonner, il est venu pour nous révéler que le pardon existe et nous pouvons dire: Dieu est pardon. Chaque fois que nous avons l'air de dire : Dieu est courroucé, Dieu est en colère, bêtise grave ! Dieu n'est pas celui qui change. Le problème du pardon n'est pas que Dieu nous pardonne ou pas. Si nous disons à des jeunes : si tu ne vas pas te confesser, Dieu ne te pardonnera pas, bêtise ! Qu'est-ce que c'est que cette caricature de Dieu ?
Le problème est de savoir si nous sommes capables de vivre le pardon. Si nous avons un rite du sacrement c'est pour que dans nos vies nous soyons capables de vivre le pardon, de nous savoir pardonnés.
Le pardon existe avant que nous le demandions. Regardez la femme pécheresse chez Simon (Luc 7,36-49). Vous vous rappelez l'histoire : Jésus était allé manger chez un pharisien et une femme est venue, elle a mouillé ses pieds avec ses larmes, elle les a essuyés avec ses cheveux, elle les a embrassés... et Jésus dit : "tu vois cette femme, je suis entré dans ta maison, tu ne m'as pas versé d'eau sur mes pieds, elle, elle a baigné mes pieds de larmes, elle les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baisers ; elle, depuis qu'elle est entrée, elle n'a cessé de me couvrir les pieds de ses baisers. Tu n'as pas mis d'huile odorante sur ma tête ; elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds".
La Tob traduit : "si je te déclare que ses péchés si nombreux sont pardonnés, c'est parce qu'elle a montré beaucoup d'amour". Souvent nous traduisons "c'est parce qu'elle a beaucoup aimé qu'elle est beaucoup pardonnée". Erreur. C'est parce qu'elle a beaucoup aimé que je comprends qu'elle sait qu'elle est pardonnée. Voyez la différence entre les deux traductions. C'est important. A la fin Jésus dit "si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés c'est parce qu'elle a montré beaucoup d'amour, celui-là à qui on pardonne peu montre peu d'amour. Elle a montré beaucoup d'amour, c'est donc qu'elle est beaucoup pardonnée. Et il dit à la femme : "tes péchés ont été pardonnés", il ne dit pas "je te pardonne".

B - Se reconnaître pécheur, c'est se reconnaître libre.
Nous sommes tous des pardonnés. C'est cela le message que Dieu nous délivre. Le problème c'est qu'il faut que nous l'acceptions. Et l'accepter, c'est se reconnaître pécheur. Ricoeur dit : "affirmer sa liberté, c'est prendre sur soi l'origine du mal". L'homme qui croit qu'il n'est à l'origine d'aucun mal n'a pas encore compris ce qu'il est lui-même. Ricoeur dit : "Etre libre, c'est avouer qu'on a fait ce qu'on ne voulait pas faire et que l'on n'a pas fait ce que l'on voulait".
Se reconnaître pécheur, c'est se reconnaître libre.
Se reconnaître pécheur c'est se situer face à un autre qui nous regarde, avec un grand A. L'Autre c'est Dieu créateur. Se reconnaître pécheur c'est accepter que l'Autre attende de nous autre chose que ce qu'on a fait, c'est à dire qu'il y a un appel. Et donc la foi chrétienne, ce n'est pas de croire aux péchés des hommes, elle est de croire à la rémission des péchés.
Alors, il faut redécouvrir ce qu'est le pardon. Comme on l'a dit tout à l'heure,

pardonner ce n'est pas oublier, pardonner, c'est mettre dans l'autre une foi suffisante pour penser qu'on peut lui rendre sa liberté pour demain. C'est dire "il y a un avenir pour toi".
Une des grandes difficultés à laquelle nous nous heurtons, c'est le remords. Quelqu'un qui a du remords, il faut l'en guérir. Le remords veut dire se mordre soi-même. Le remords est mortifère. Le remords est narcissique. C'est se contempler soi-même pour se trouver moins beau qu'on ne voulait être. Le remords enferme dans le passé, le pardon ouvre l'avenir. Le remords est contemplation de soi-même, narcissisme, masochisme, le pardon est découverte du regard de l'autre, acceptation de l'autre comme un regard qui donne vie.

Donc le pardon de révélateur du péché devient révélateur de qui est Dieu. Ce n'est pas le péché qui nous révèle le pardon, c'est le pardon qui nous révèle le péché. C'est pour cela qu'on a commencé par le pardon pour parler du péché alors que en bonne logique chrétienne, on aurait dû commencer par parler du péché avant de parler du pardon.

Conclusion
Quel est le chemin qu'on a parcouru ? Jésus vient dans l'effort de l'homme qui poursuit la création en l'aidant à se libérer. Se libérer, c'est poursuivre l'oeuvre de Dieu. Jésus se fait proche, compagnon comme, nous aussi, nous devenons prochain de l'autre. L'Esprit qu'il nous donne dirige et féconde notre agir et nous mobilise au service de nos frères. Et en nous révélant que Dieu est pardon, il nous apprend à ne pas craindre de nous accuser nous-mêmes, à ne pas craindre de nous découvrir pécheurs.
Notre communauté chrétienne parce qu'elle a devant les yeux l'image d'un crucifié, sait qu'elle ne peut pas se laver les mains de la souffrance des hommes et surtout de la souffrance de l'innocent parce que sur la croix, c'est un innocent. D'où elle appelle à lutter contre le mal et nous révèle que la racine du mal est en chacun de nous. Mais c'est en la découvrant et en accueillant l'Esprit que nous créerons un monde nouveau.

 
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