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Conférences 1998

 
 
Qu'est-ce qui nous fait tenir ferme dans la foi ?
 
 
Conférence du Père DOMERGUE
 
 
aux Communautés Evangéliques le 25 Avril 1998 
 
     
 

Introduction

J'ai eu envie de prendre la question de beaucoup plus loin : la foi, qu'est-ce que cela veut dire ? De quoi parle-t-on quand on parle de foi ?

Pour cerner un peu cela, je vais commencer à vous parler de la foi comme relation à quelqu'un et ensuite nous verrons comment les disciples dans l'Evangile ont vécu cet itinéraire de la foi parce qu'elle est aussi itinéraire.

Qu'est-ce qui nous fait tenir ferme dans la foi ? J'ai envie de répondre, le mouvement même de la foi. La foi n'est pas quelque chose que nous posséderions tout fait et qu'il suffirait de préserver contre vents et marées. La foi est relation à quelqu'un. L'ennui, c'est que ce quelqu'un, nous ne pouvons pas le cerner, ni le discerner. Ce quelqu'un qui est Dieu et que St Jean de la Croix appelait ce "je ne sais quoi". Ne nous pressons pas de faire trop vite des images de Dieu, même mentales. Dieu n'est jamais comme nous l'imaginions. Donc c'est quelqu'un que nous n'atteignons pas sauf dans le Christ. Mais le Christ lui-même, nous ne l'atteignons que par et dans les autres hommes. Pas de relation au Christ et à Dieu qui ne soit d'abord relation à quelqu'un dans notre vie.

Qu'est-ce que croire ,

Une des choses qu'il faut distinguer d'entrée de jeu, c'est "croire en" et "croire que". "Croire que" porte sur des affirmations à propos de Dieu et du Christ, par exemple, on croit que le Christ est homme et Dieu. C'est ainsi pour tout le Credo et tous les dogmes que l'Eglise a formulés depuis qu'elle existe.

"Croire en" Dieu, en Christ, en l'Esprit signifie faire confiance, s'appuyer sur, bâtir sa vie sur Dieu, le Christ, l'Esprit. Attitude qui nous fait radicalement sortir de nous-mêmes puisque c'est l'autre, à ce moment-là, qui nous fait exister, cet autre en lequel je crois. Nous faisons l'expérience de "croire en" dans notre vie humaine quotidienne. Cela nous conduit toujours à entretenir des relations avec ces personnes, et c'est la même chose avec Dieu. La Bible n'utilise guère le mot relation. Elle dit plutôt connaissance. "La vie éternelle, dit Jésus, c'est qu'ils te connaissent, toi et celui que tu as envoyé". Connaître ne signifie pas ici "savoir des choses sur" mais "entretenir des relations avec". Un peu comme dans le langage courant, nous disons "je connais très bien Mr UnTel"

Le mystère de l'autre

Or, il se trouve que connaître très bien est une entreprise dont on ne vient pas à bout. Ce n'est pas seulement pour Dieu, pour les autres également. C'est vrai même quand il s'agit de nos familiers, de ceux qui vivent avec nous, les autres restent un mystère. On ne peut pas faire le tour d'un être humain parce qu'il est une liberté qui nous échappe, parce qu'il est sur un chemin qu'il parcourt. Même les gens les plus prévisibles ont leur secret, leur mystère. "Je te comprends" dit-on souvent à quelqu'un. Mais cela ne signifie qu'une chose "je suis capable d'admettre, de comprendre, les raisons qui te font agir de telle ou telle façon". Mais qu'est-ce qui a pu te rendre sensible à ces raisons qui te font agir plutôt qu'à d'autres que tu as mises entre parenthèses. Alors, là, mystère.

La relation à l'autre, à tout autre, implique donc une certaine forme de foi. Je dois croire en lui, en elle, pour que la relation soit vraie. Et cette foi en l'autre doit sans cesse se redire car l'autre est pour une bonne part, imprévisible. Je ne peux pas à priori, à l'avance, lui assigner tel ou tel comportement. Je dois faire confiance à la nouveauté qu'il ou elle manifestera. Il y a un moyen bien simple de bloquer quelqu'un c'est d'imaginer qu'on pourra toujours prévoir ce qu'il va être, ce qu'il va dire, ce qu'il va faire. Là, on l'enferme et dans les couples en particulier, je pense que s'il n'y a pas une certaine ouverture à ce que l'autre peut devenir, l'amour ne tarde pas à mourir.. Cette instance de la nouveauté possible est difficile à prendre en considération parce qu'elle nous met toujours dans une attitude d'attente, de curiosité, mais elle nous met en porte-à-faux.

Quand il s'agit de Dieu, le mystère de l'autre s'épaissit. Personne n'a jamais vu Dieu, dit l'Ecriture. Nous le connaissons par le Christ, d'accord. Mais le Christ rejoint notre connaissance par quatre récits différents qui laissent toute place à l'interprétation. Bref, la confiance que nous mettons en Dieu qui s'exprime par une fréquentation que nous appelons la prière, n'a pas grand chose sur quoi s'appuyer. Simplement l'audition d'un message transmis par les générations successives de croyants.

Vous vous rappelez la phrase de Jésus à Thomas dans les évangiles que nous lisons ces jours-ci "Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru !" Qui ont cru. Dans le texte, c'est au passé. Cela vise l'adhésion initiale au message. C'est l'équivalent de la première rencontre de Jésus avec ses disciples et aussi avec nous. Après cela vient une longue marche à la suite du Christ. Cette longue marche ressemble à celle d'Israèl dans le désert et pour nous, cette longue marche dure toute la vie.

Le rôle du désir

Ce qui anime cette marche, c'est le désir, le désir de le fréquenter pour le connaître. Ce que je sais ou crois savoir aujourd'hui du Christ et de Dieu sera demain dépassé. Je ne veux pas dire dépassé dans le discours de l'Eglise, je veux dire dépassé dans ma propre appréhension. Ce qui maintient ferme dans la foi, c'est le mouvement même de la foi, le déséquilibre/équilibre de la marche. Le Christ est toujours devant, toujours à venir et notre manière de le posséder, c'est de le chercher

 

Le Christ n'habite que dans notre recherche de lui. J'ai lu récemment dans une voiture de métro un fragment de poème que j'ai recopié aussitôt et que je vous cite "Il y avait un chemin en toi qui me fit voyageur. Tu étais distance". C'est probablement écrit par un homme pour une femme ou inversement. Mais cela vaut pour tout amour, tout désir. Cela vaut dans notre relation à Dieu. Toute relation vraie en est là et la foi qui nous relie à Dieu plus que toute autre. L'arrêt de la marche de la foi est arrêt de mort. Le projet de conserver la foi est frappé de nullité d'entrée de jeu. La foi, ça ne se conserve pas. Pas plus que la manne au désert. La figure de la manne est extrêmement significative à cet égard. La foi n'existe que d'avancer et de recommencer.

Cela dit, l'expression tenir ferme que vous avez employée dans le titre de cette récollection, a d'excellentes références bibliques. Le tout est de savoir ce qu'elle veut dire. Non pas rester sur place mais tenir fermement un cap, une direction. Ecoutez Paul "Je poursuis ma course pour tâcher de saisir le but, ayant été moi-même saisi par le Christ Jésus. Frères, je ne me flatte pas encore de l'avoir saisi. Je n'ai qu'une pensée : oubliant le chemin parcouru, tendu de tout mon être vers l'avant, je cours droit vers le but pour remporter le prix attaché à l'appel de Dieu dans le Christ Jésus" Phil 3,12-14. Conserver la foi, c'est conserver ce mouvement, se mettre en route pour répondre à l'appel. La foi est réponse vivante et toujours renouvelée à cet appel sans cesse réitéré qui nous vient d'ailleurs.

Ouvrir les Evangiles

Pour concrétiser tout cela, je vous invite à ouvrir les Evangiles pour prendre conscience de l'itinéraire des apôtres à la suite du Christ et pour en découvrir les enjeux. Je ne m'arrêterai qu'aux moments-clefs, à ce qu'on pourrait appeler les passages obligés de la foi.

L'itinéraire des disciples n'est pas à considérer comme un document archéologique, mais comme typique de tout itinéraire de foi. C'est pour cela que cela nous

atteint maintenant. C'est que ce qui nous est raconté là c'est notre propre histoire.

L'itinéraire des disciples

Tout itinéraire a un point de départ. Où en étaient les disciples quand ils ont recontré Jésus ? Le fait qu'ils étaient venus trouver Jean-Baptiste au désert montre qu'ils étaient perplexes et désorientés. Quiconque ne se pose pas de questions ne risque pas d'accéder à la foi. Jean, ce personnage haut en couleurs, annonçait un événement imminent, l'intervention fulgurante de Dieu.

Ils étaient désorientés, cela signifie qu'ils ne savaient plus où aller, à quel saint se vouer. Pourquoi ? Parce qu'ils ont en mémoire les promesses de la Bible liées aux alliances du passé et que tout, dans l'histoire qu'ils ont à vivre, semble démentir ces promesses. Cela rejoint un certain nombre de vos questions : tout dans notre environnement semble nous poser la question "où est-il, ton Dieu ?". Aussi je pense qu'un détour par les Alliances n'est pas inutile pour comprendre la mentalité des disciples. Chemin faisant, nous pourrons prendre conscience de la possibilité d'une énorme méprise à propos de la foi, une méprise qui rend la foi quasiment impossible. Vous posiez la question des obstacles à la foi ; eh bien là, on va en trouver un de taille.

Les Alliances Bibliques

Toutes les Alliances bibliques trouvent leur source et leur terrain dans une alliance primordiale à propos de laquelle le mot alliance n'est même pas prononcé. On pourrait l'appeler contrat de création. Les enjeux en sont la vie et la mort. Il s'agit de Genèse 1,2 et 3. Tout commence comme dans toutes les alliances qui suivront par un don de Dieu, en l'occurence, celui du jardin de l'Eden dont le centre est l'arbre de vie. Nous sommes là en plein dans le symbole. Mais ce don du jardin de l'Eden, c'est-à-dire de la vie ne peut être reçu et conservé que moyennant une loi, la loi qui concerne un second arbre mystérieux, le fameux arbre du bon et du mauvais. Les Alliances ultérieures ne feront que donner la substance de cette alliance initiale en d'autres termes, avec d'autres images, d'autres mythes.

La première Alliance que nous rencontrons et qui porte le nom d'Alliance est celle avec Noé, Alliance au ras du sol car elle porte sur la régularité des saisons, la fécondité de la terre, la bienfaisance de la nature pour l'homme. Alliance universelle, pour tous les hommes. Avec Noé, nous ne sommes pas encore au niveau du peuple élu. C'est pour cela que cette Alliance concerne toute chair, tout ce qui vit (Gen 9,15). L'Alliance avec Dieu commence donc dans l'universalisme, l'humanité prise dans son ensemble de même que le mot Adam désignait l'homme de la terre, un point c'est tout.

Les disciples avaient cela dans la tête, mais ils se souvenaient aussi de l'alliance avec Abraham, une Alliance concentrée, celle-ci, sur la race. Voilà un autre problème qui naît : c'est la descendance d'Abraham qui verra la réalisation des promesses faites à Noé. La fécondité de la terre devient maintenant la fécondité de la terre de Canaan que la descendance d'Abraham recevra en héritage. Le mot descendance est absolument essentiel dans la Bible. Les promesses portent toutes sur la descendance.

Là, on a vraiment l'impression d'un rétrécissement, on est passé de l'humanité entière à une race. Cependant si l'alliance se rétrécit à la descendance d'Abraham, on nous dit tout de suite que "en cette descendance seront bénies toutes les nations de la terre". Il est dit la descendance au singulier et non pas les descendants, parce que cette descendance, c'est le Christ. Avec Moïse, l'Alliance va se resserrer encore. Elle devient Alliance maintenant avec une nation et plus seulement avec une race. Ismaèl par exemple en est exclu. Le passage de la race à la nation est très important car la collectivité raciale est purement biologique, elle n'implique pas un engagement libre et conscient. Au contraire une nation est une collectivité structurée par l'Esprit, par la liberté et ce qui la structure, c'est la loi, le contrat social impliquant la liberté des membres du peuple et la protégeant. La loi mosaïque a ceci de particulier qu'elle exprime une relation d'alliance d'une part avec Dieu, d'autre part entre les membres du peuple. Yahvé fait une nation avec ce qui n'est pas une nation et cette nation devient dépositaire des promesses faites à Noé et à Abraham.

Maintenant pour entrer dans l'Alliance, il faudra se déplacer pour entrer en communion avec le peuple que Dieu s'est acquis, avec la nation, la nation qui va devenir le point de convergence de l'univers entier. Celui qui est loin est appelé à devenir proche et Yahvé commence à apparaître comme celui qui fait quelque chose là où il n'y avait rien.

Il y a encore l'Alliance avec David et cela se rétrécit encore. D'abord l'universel, puis une race, une nation et maintenant une famille, la famille de David. C'est elle qui est dépositaire de l'Alliance. C'est David et sa descendance qui héritent de toutes les promesses et le personnage royal devient le point de mire d'Israèl, de toutes les nations et aussi de Dieu. (I Chr,17)

C'est intéressant de voir que la Bible a pris en charge toutes les idéologies qui divisent les hommes. Les idéologies raciales, racistes, Puisqu'en l'homme la race s'oppose à la race, la Bible ne va pas faire comme si cela n'existait pas, elle le prend et le traite pour l'amener ailleurs. De même pour les idéologies nationalistes : puisque cela existe, puisque les hommes se divisent à propos de cela, la Bible va le prendre en charge et le mener plus loin. Et avec David c'est le culte du chef, de la personnalité, du superman, de l'homme charismatique, du gourou, et là on s'aperçoit que la foi passe par la chair et le sang mais pour une nouvelle naissance.

Finalement, les Alliances vont se concentrer sur un fils privilégié de David, celui qu'on appelle le Messie. Messie, ça veut dire roi, ça veut dire celui qui a reçu l'onction. Comment se fait-il que ça se termine comme cela. Je crois qu'il fallait mettre en évidence qu'il y a au terme des Alliances une prise de pouvoir pas sur les hommes mais sur tout ce qui nous est contraire, les fameuses puissances, dominations etc, dont Paul parle souvent en parlant de tout ce qui opprime la liberté des hommes. Et le dernier ennemi de la liberté des hommes qui est vaincu, dit Paul, c'est la mort.

Ainsi Paul voit la résurrection comme une prise de pouvoir, un pouvoir qui est communiqué aux hommes. A partir de ce moment-là, tous les degrés antérieurs de l'Alliance sont comme périmés parce que dépassés et englobés. Finie l'Alliance au niveau de la race, finie l'Alliance au niveau de la nation et au niveau du roi. Le Fils de l'Homme (appellation tout à fait universelle) est porteur de toute l'humanité et de toute la nature. Une humanité qui est appelée à être race, race des croyants, rassemblée comme une nation à partir de ses diversités, faite d'hommes tous appelés à l'héritage du royaume. Cette humanité prend le pouvoir sur tout ce qui lui est contraire et donc accède à la liberté.

Voilà ce qu'il y avait dans le coeur des disciples de Jean-Baptiste. Enfin, pas tout à fait. Ils ne voyaient pas la nouveauté de ce qui se préparait dans le Christ, ils en étaient à l'Alliance avec la race, avec la nation. Cela se voit. Jusqu'à la fin ils demanderont au Christ "est-ce que c'est maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël.

Dans la vie de ces hommes va se produire un événement déterminant, la rencontre de celui que Jean-Baptiste désigne comme celui qu'on attend, celui qui doit venir, celui que l'Esprit va désigner comme le Fils bien-aimé de Dieu. Pour les disciples, le mot Fils de Dieu n'avait pas la densité qu'il a acquis dans la théologie chrétienne. Tout Israël était Fils de Dieu et Jésus lui-même dit dans l'Evangile "L'Ecriture appelle fils de Dieu ceux qui écoutent la parole". Cette appellation était beaucoup plus floue que le sens que nous lui donnons maintenant.

Ne pas instrumentaliser la foi

La Bible assume toutes les grandes idéologies pour les dépasser, mais ce dépassement ne sera achevé que dans le Christ, et même dans et par la Pâque du Christ. D'ici-là les disciples ne seront qu'en chemin de foi et leur foi sera ambiguè et c'est là qu'elle rejoint la nôtre. Cette ambiguïté réside dans le fait qu'elle est instrumentalisée. La foi est instrumentalisée et par conséquent c'est Dieu lui-même qui est instrumentalisé.

Je veux dire par là que les disciples croient en Dieu pour obtenir autre chose que Dieu, en l'occurrence la souveraineté d'Israël, cette souveraineté d'Israël qui récapitule d'ailleurs toutes les alliances antérieures ou du moins tout ce qu'ils croient trouver dans les alliances. Cette illusion ne les quittera jamais tout à fait. Il faudra la venue de l'Esprit pour que s'ouvrent d'autres perspectives. L'utilisation de Dieu et de la foi pour obtenir autre chose que Dieu est le plus souvent notre point de départ. Quand vous demandez à la foi de vous sortir de vos déprimes, quand vous en faites un moyen pour être à l'aise dans votre peau, quand vous lui demandez de vous donner une clef pour interpréter le monde et les événements de votre vie, quand vous faites tout cela vous instrumentalisez Dieu, vous instrumentalisez la foi, vous en faites autrement dit un instrument pour obtenir autre chose. Et vous vous trouvez dans la situation des apôtres à l'heure où ils rencontrent le Christ. Cependant Dieu n'a pas méprisé cette instrumentalisation, ni au cours de l'histoire d'Israël, ni dans l'itinéraire des disciples. Le Christ ne méprise pas l'état d'esprit dans lequel se trouvent les disciples. Il les prend comme ils sont et il va marcher avec eux.

De temps en temps entre nous, nous parlons de notre vocation "Qu'est-ce qui t'a fait entrer chez les Jésuites ? pourquoi tu es entré ?" Si on est honnête, on doit avouer qu'on est rentré pour une ou deux bonnes raisons et pour beaucoup de mauvaises. La vocation, cela se fait au cours d'un itinéraire et la vie de foi, c'est la même chose. Lisons Jean 1,35 : "le lendemain Jean se tenait encore là avec deux de ses disciples. Fixant son regard sur Jésus qui passait, il dit "voici l'agneau de Dieu". Les deux disciples, l'entendant parler ainsi, suivirent Jésus. Jésus se retourna les vit qui le suivaient et leur dit : que cherchez-vous ? Ils répondirent : Maître, où demeures-tu ? - Venez voir, leur dit-il. Et ils allèrent voir où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C'était environ la dixième heure."

Pourquoi l'évangéliste n'a-t-il pas fait dire au Christ "qui cherchez-vous ?" mais "que cherchez-vous ?". C'est qu'ils cherchent quelque chose, ils ne cherchent pas quelqu'un. S'ils suivent le Christ c'est pour qu'il leur donne quelque chose d'autre que le Christ lui-même. "Où demeures-tu ?" Là on entre dans tout un thème biblique, le thème de la demeure. En quel lieu, où et comment peut-on rencontrer Dieu ? La question dans l'Evangile de Jean se pose dans l'entretien avec la Samaritaine, un peu plus loin. "Nos pères nous ont dit que c'était ici qu'il fallait adorer et vous, vous dites que c'est à Jérusalem." Où trouver Dieu, le lieu fixe où l'on peut rencontrer Dieu et recevoir ses bienfaits.

Le thème de la demeure, va cheminer tout au long de l'Evangile de St Jean. Il va y avoir le thème du Temple, qui deviendra le corps du Christ. Et dans le discours après la Cène, la demeure deviendra les disciples eux-mêmes. "Nous viendrons en lui et en lui, nous ferons notre demeure." Notre demeure, le même mot.

"Venez voir". Jésus les invite donc. Il les invite déjà à un mouvement. Ils allèrent donc voir où il demeurait et ils restèrent. Les voilà qui s'installent. Ils restèrent auprès de lui, ce jour-là. Ce jour-là seulement. L'Evangile continue "le lendemain, Jésus décida de partir pour la Galilée". Et voilà les déplacements qui commencent. Déplacement symbolique. "Et Jésus dit : suis-moi, à Philippe et aux autres".

Nous voilà donc en route. Ce qui demeure intangible, c'est le mouvement. Ce qui commande ce mouvement, pour les disciples, c'est la restauration du royaume d'Israèl, ce qui représente pour nous tous que la vie ait un sens.

Premier passage obligé de la foi

Un peu plus tard, à la vue de tout ce que fait Jésus, va se poser la première question de la foi : qui est-il ? Vous la voyez posée en St Marc 1,27 : "Tous étaient remplis de frayeur si bien qu'ils se demandaient : qu'est ce que c'est que cela ? Voilà un enseignement nouveau plein d'autorité. Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent. Alors qui est-il ? Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ? Premier passage obligé de la foi. D'où sort-il ? Dans l'Evangile de Jean, la question se posera très souvent. Le "d'où vient Jésus", c'est la question première de la foi. Il est reconnu en tout pour un homme, mais être homme à ce point-là dépasse les pouvoirs de l'homme, dépasse toute humanité. Il dépasse même le vieux rêve humain de dominer la nature. Même la mer, même le vent lui obéissent. De même la victoire sur le mal. Les expulsions des démons n'ont pas d'autre sens. De même, le pouvoir sur la maladie, sur la faim.

Césarée de Philippe : qui est Jésus ?

Alors, au début, les Evangiles ne notent qu'un étonnement et une question jusqu'au jour où Jésus lui-même leur posera la question : qui dit-on que je suis ? "Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus questionnait ses disciples : qui est le Fils de l'Homme au dire des gens ? Ils répondirent : pour les uns, Jean-Baptiste, pour d'autres, Elie, pour d'autres Jérémie ou l'un des prophètes". Les gens réfèrent Jésus au passé, à un personnage du passé. Ils ne voient pas la nouveauté qui est en train de se manifester. Cela rejoint ce que je vous disais plus tôt à propos de la relation : ne pas donner à l'autre la permission d'être nouveau, d'être autre, d'être différent, de vous surprendre. On est à Césarée de Philippe, c'est une notation qui peut sembler insignifiante mais pas du tout. Dans ce voyage du Christ, le seul dans les synoptiques on est monté vers le Nord et c'est dans cette région, véritable plaque tournante que Jésus va leur poser cette question, la question de l'identité.

Plaque tournante pourquoi ? Parce que tout de suite, on va faire un virage de 180° et redescendre vers le Sud, c'est-à-dire vers Jérusalem, pour la Pâque et c'est là que le Christ sera crucifié. Le temps est un peu comme suspendu et l'histoire évangélique aussi. "Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? Prenant la parole Simon-Pierre répondit : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant". Il y aurait beaucoup à dire sur ce "pour vous". C'est qu'on n'arrive jamais à cerner le Christ en lui-même. Qu'est-ce qu'il est pour moi ? Il n'est pas forcément la même chose que ce qu'il est pour vous. Il est pour chacun quelqu'un de différent. "Prenant la parole, Pierre répondit". Jacques Guillet fait remarquer que la parole de foi vient toujours des disciples. Jamais, sauf dans St Jean, Jésus ne dit "vous savez, je suis le Christ, le Fils du Dieu vivant". Cela, c'est au disciple de le formuler après sa fréquentation de Jésus.

De toutes façons "le Christ, le Fils du Dieu vivant" est un franc anachronisme. C'est la profession de foi pascale. Quand l'évangéliste écrit, c'est après Pâques, et à ce moment-là, il a acquis une conviction sur Jésus et il l'affiche. Vous me direz "mais alors, c'est une falsification historique ?" Mais oui. Oui et non, une falsification, pas tout à fait. Chez les évangélistes comme chez tous les auteurs bibliques, il y a cette idée de départ, c'est que si quelque chose apparaît maintenant à propos du Christ, (en l'occurrence après la résurrection, qu'il est le Fils de Dieu), c'était déjà là avant mais on ne le voyait pas. C'était dans la foi de Pierre et des autres disciples par le seul fait qu'ils avaient été séduits et avaient suivi ce Jésus qui les avait arrachés à leur vie. Il y avait sans qu'ils le sachent, sans que ce soit arrivé à leur conscience claire, une conviction que c'était celui-là qui était Dieu parmi eux. Alors puisque c'était en eux pourquoi ne pas le leur faire dire. Ils ont une manière d'écrire l'histoire qui nous déconcertera toujours.

On vient de dire "prenant la parole" Simon-Pierre répondit. Et on poursuit "Prenant la parole Jésus lui dit". Vous voyez la symétrie. "Heureux es-tu, Simon, fils de Jean". Pourquoi cette précision, fils de Jean, peut-être pour faire la symétrie avec le Fils du Dieu vivant. Mais surtout pour dire, c'est vrai, tu es bien le fils de Jean, mais ce n'est pas en tant que fils de Jean, à cause d'une hérédité humaine que tu as répondu "fils du Dieu vivant". Ce qui a parlé en toi, quand tu as dit cela, c'est mon père qui est dans les cieux. En d'autres termes, Jésus est en train d'assigner à Simon, une autre paternité que sa paternité humaine. Et en plus, il nous est dit que la parole de foi ne vient pas de nous, qu'elle est parole de Dieu en nous et pour nous.

La question posée était comment persévérer dans la foi. Ce n'est pas à vous de persévérer dans la foi. Ce qui articule la foi en vous, ce n'est pas vous, c'est l'Esprit avec ses gémissements ineffables. La foi consiste avant tout à faire confiance à Dieu pour notre foi. Je n'ai pas à me fabriquer ma foi.

Je continue ce texte "eh bien, moi je te dis que tu es Pierre. Pierre ce n'est pas n'importe quoi, c'est un des noms de Dieu dans l'Ancien Testament. Yahvé c'est le rocher. C'était ausssi une des définitions du Messie, la pierre qur laquelle on construit. C'est cela qui va être dit à Simon maintenant. C'est comme si Jésus bradait ses propres fonctions à cet homme, Simon. Comme s'il passait en lui en quelque sorte. "Tu es Pierre, sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise". La pierre ce n'est pas seulement Dieu dans la Bible, c'est aussi le contraire de Dieu, c'est-à-dire l'obstacle, cela a été traduit ailleurs pierre d'achoppement, c'est-à-dire la pierre sur laquelle on bute. "Et les puissances de l'enfer ne pourront rien contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, tout ce que tu lieras sur la terre demeurera lié dans les cieux, tout ce que tu délieras sur la terre demeurera délié dans les cieux. Alors il prescrivit sévèrement aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ."

Surtout n'allez pas construire une théorie du pouvoir de l'évêque de Rome à partir de là parce que vous seriez en plein anachronisme d'autant plus qu'au chapitre 18 vous avez les mêmes mots qui sont appliqués non plus à Pierre, mais à tous les disciples. Ce qui est dit là c'est que ce que nous faisons sur la terre fait bouger quelque chose dans les cieux, c'est-à-dire en Dieu. Dieu est remis aux mains des hommes en quelque sorte et cela peut servir de clef pour penser à ce qu'on appelle la toute-puissance de Dieu. Voilà le premier passage obligé de la foi : reconnaître que le Chrsit est vraiment la présence de Dieu parmi les hommes. Présence de Dieu dans le Christ qui nous arrive par la présence de l'autre. Le Christ je ne peux l'atteindre que par ceux que je rencontre et pas ailleurs.

Second passage obligé de la foi

A peine les disciples ont-ils franchi ce premier passage obligé de la foi que Jésus les entraîne vers le second. "A partir de ce moment-là continue le texte, Jésus Christ commença de montrer à ses disciples qu'il devait se rendre à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, grands prêtres et scribes, être mis à mort et ressusciter le troisième jour".

Alors que Pierre a parfaitement accueilli le premier passage obligé de la foi "le Christ est le Fils du Dieu vivant", il va caler lamentablement devant le second passage obligé, qui consiste à suivre le Christ jusqu'au fond de la détresse humaine. La descente du Christ, elle est jusqu'à nos enfers, notre plus grande détresse. Et c'est là que notre foi achoppe. Nous voudrions tant que le Christ nous ait sauvés en nous économisant et en s'économisant la mort. L'idée que celui que nous appelons Dieu soit représenté crucifié, écartelé et qu'il l'ait voulu, c'est dur, dur à passer. Or s'il ne nous aime pas jusque-là, il ne nous aime pas du tout. Qu'aurait signifié l'incarnation du Christ si Jésus s'était contenté de venir parmi nous et puis d'avoir un peu trop chaud une fois ou un peu trop froid un autre jour, et puis un peu faim par-ci et un peu soif par-là, autrement dit s'il avait survolé, effleuré notre condition humaine.

Il ne fallait pas que quelqu'un un jour, quelque part puisse dire "là où je suis, Dieu n'est pas venu !" Il fallait qu'il nous aime jusqu'au bout de la condition humaine. Ce que nous savons c'est que dans notre détresse Dieu est venu pour être avec nous jusqu'au bout de notre condition. Nous ne sommes jamais seuls, où que nous soyons, même dans le péché. C'est cela que Pierre refuse maintenant.

"Non, cela ne t'arrivera pas à toi ! mais lui regardant Pierre : passe derrrière moi, Satan !" Qu'est-ce que c'était que le Satan ? La traduction classique, c'est l'adversaire c'est-à-dire, l'adversus, celui qui est tourné vers vous, celui qui vient vers vous et vous barre la route. Jésus continue "tu m'es un obstacle" selon cette traduction. Autrefois on disait tu m'es un scandale. Ce n'était pas mal parce que le scandalum, c'est la pierre qui dépasse du chemin. Et il y là un jeu de mots : la pierre sur laquelle on construit est devenue la pierre sur laquelle on bute. Et de fait Simon va ici dans le sens de la tentation de Jésus qui est de ne pas aller à Jérusalem. Le récit des trois tentations au début des synoptiques qui est une parabole, vous présente bien aussi le contraste entre un messianisme de gloire, de puissance et puis un messianisme de service.

"Tes vues ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes". C'est l'envers de ce qui a été dit tout à l'heure à Simon "ce n'est pas en tant qu'homme que tu as dit cela, c'est mon père qui a parlé" Maintenant ce n'est plus le Père qui parle, Simon est redevenu fils de Jean. Il n'est plus fils de Dieu et la suite du texte insiste sur le "suivre". "Ne te tiens pas devant moi mais suis-moi". "Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il se renie lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive !"

Suivre le Christ

S'il y a obstacle à la foi, finalement c'est bien la perspective et de la mort et de la souffrance, non seulement la perspective mais aussi le spectacle. Dans ce texte vous avez la description de l'itinéraire de la foi, c'est un "suivre le Christ d'où il vient et où il va". Et il va à la Pâque. Il va passer vers le Père, vers l'origine, mais ce passage au Père sera identiquement un passage dans les hommes, dans la mort des hommes et c'est chez nous qu'il fera sa demeure. Nous sommes en route vers la demeure par le chemin de la foi et le début de l'Evangile de Jean que je vous citais tout à l'heure est maintenant réalisé "ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là". Ce jour-là rejoint maintenant le thème du jour de Dieu tel qu'on le trouve dans les prophètes. Ce jour de Dieu qui devient à la fin de l'Evangile et dans l'Apocalypse, le Jour Eternel.

Pour les disciples ce "suivre le Christ" s'est mal terminé. Ils ne l'ont pas suivi jusqu'au bout et finalement il y a là une parabole de tout ce que nous vivons. Nous non plus, nous ne suivons pas le Christ jusqu'au bout. Et ça n'a pas finalement de conséquences désastreuses parce que justement l'affirmation de l'amour de Dieu n'est pas exigence, elle est bonne nouvelle que malgré tout, nous sommes assumés par Dieu.

Suivre le Christ dans son itinéraire vers la Pâque et vers le Père est une activité qu'on peut appeler spirituelle. Cela se déploie dans l'invisible, c'est une attitude mentale. Votre collègue ne va pas s'apercevoir que vous êtes en train de suivre le Christ. Cela ne se voit pas. Et pourtant cela traverse tout ce que la vie nous impose et nous propose, tâches professionnelles, relations sociales, etc. Rien ne reste en dehors de ce "suivre le Christ". La foi ne sert à rien dans ces différentes activités. Mais cela ne signifie pas que la foi ne modifie pas notre manière d'aborder toutes ces activités. C'est comme une coloration, un prisme à travers lequel nous voyons et recevons toutes choses. Mais que le médecin ne compte pas sur l'illumination divine pour établir son diagnostic ! Certes Dieu est là mais comme source de son intelligence et de son attention, non comme assistant médical ou comme suppléant de ses manques.

Dieu inutile ?

C'est pour cela qu'on peut parler d'une inutilité de Dieu. Dans un monde voué à l'utilité, à la productivité, à l'efficacité, il est évident que vous dire : croire, cela ne sert à rien dans notre monde, cela peut vous décoiffer et faire un obstacle à votre foi. Vous vous rappelez que les philosophes des lumières ont répété "l'hypothèse Dieu est inutile". Elle n'est pas indispensable pour faire de la physique ou de la chimie. Dieu n'a servi à rien au plan des événements, aux déportés d'Auschwitz et d'ailleurs. Il n'a servi à rien au Christ à l'heure de sa passion. De même que l'amour de Dieu est gratuit, ne repose pas sur nos mérites ou sur quoi que ce soit en nous puisqu'il est originel, de même notre foi doit être gratuite, sans calcul.

C'est dans le discours sur la montagne que Jésus s'en prend à ceux qui utilisent les démarches religieuses, la prière, le jeûne, l'aumône, pour obtenir autre chose que Dieu lui-même, en l'occurrence, la considération des témoins. Ces trois mots ne sont pas choisis par hasard : la prière, c'est la relation à Dieu, le jeûne, c'est la relation au cosmos, l'aumône représente la relation aux autres. Ainsi tout le champ est couvert. Si je me sers de la prière pour me sentir en sécurité, ma prière a raté Dieu. La flèche qui est partie de moi n'est pas dirigée vers Dieu mais finalement vers moi-même et ma sécurité. Le cercle se referme sur lui-même au lieu de me fournir une échappée.

Vous vous rappelez le texte "quand tu pries, ne prie pas debout dans les carrefours pour être vu des hommes mais retire-toi dans ta chambre pour prier dans le secret". Celui qui prie pour être vu, sa démarche est pernicieuse à plusieurs titres. Elle vous renvoie à vous-même, elle mobilise le regard de l'autre à travers lequel vous vous voyez vous-même et elle cherche à mobiliser l'autre à votre gloire. Or à Dieu seul la gloire. Vous vous mettez à la place de Dieu. C'est un exemple d'utilisation de Dieu.

J'ai dit que les disciples, au début, cherchent un sens à leur vie et que plus ou moins ils en étaient à vouloir utiliser Dieu pour autre chose. C'est ce que nous chantions ce matin "toi qui aimes la vie, ô toi qui veux le bonheur", cela m'a fait sourire. Je me suis dit "tiens, on cherche Dieu pour Dieu ou on cherche Dieu pour le bonheur ? Et dans un deuxième temps je me suis dit "c'est vrai que nous commençons par là". C'est l'itinéraire de la foi qui, peu à peu, nous fait nous tourner vers l'autre parce que mon salut est dans l'autre.

Vouloir sortir du non-sens n'est pas suffisant pour s'ouvrir à Dieu. Alors c'est Jésus lui-même qui, peu à peu, ouvrira ses disciples à la foi pascale qui est foi en un Amour qui nous enveloppe et se déploie, efficace pour la vie même quand la mort occupe tout le terrain. Cet Amour utilise la mort elle-même pour faire surgir un surcroît de vie. Il faut aller jusqu'au bout de la parabole du grain qui meurt en terre. La vie de l'épi n'est pas malgré la mort du grain, elle vient de la mort du grain.

Dieu serviteur

Il y a autre chose à mettre en évidence Dans la mesure où nous ne cherchons pas à l'instrumentaliser, Dieu lui-même s'instrumentalise, se met à notre service. Il se fait serviteur de la vie de l'homme. Il y a là comme une compétition de gratuité entre Dieu et nous. Il y a deux passages de l'Evangile qui ont l'air de se contredire mais qui expliquent cela très bien. Le serviteur de Luc 17,7 qui revient des champs. Après toute une journée de travail, est-ce que le maître va lui dire "ah tu as bien travaillé, assieds-toi !" Mais non, le maître lui dira : mets ton tablier et sers-moi à table, puis après tu mangeras si tu veux ! Cela semble quelque chose de terrible. Et de fait, nous n'avons pas à attendre de récompense. Nous avons fait ce qui était juste, ce qui correspondait à notre vérité, à notre relation avec notre origine, Dieu. Mais voici que Dieu comme le maître de Luc 12,37 se met au service du serviteur. La situation est presque la même : le maître qui revient de voyage et qui trouve ses serviteurs veillant. "Je vous le dis, il mettra son tablier, les fera passer à table et les servira". Y a-t-il contradiction entre les deux paraboles ? Non. Mais l'une, la première, est vue du côté de l'homme "toi ne demande rien !" Et l'autre est vue du côté de Dieu et Dieu, lui, se met à notre service.

Nous devons à Dieu ce que nous faisons pour Dieu et pourtant lui ne le prend pas comme un dû et il se met à notre service jusqu'à nous donner sa vie. Et Dieu finalement se laisse prendre et réduire à l'état d'objet, objet de dérision, objet rejeté. Et quand l'homme est-il davantage réduit à l'état d'objet que lorsqu'il est devenu cadavre ? Mais ce Dieu-objet s'avère nourriture de l'homme, Dieu pain et vin., Dieu objet pour notre vie. Et accueillir ce don sera le salut. Au fond si nous avons à chercher Dieu sans viser à en retirer avantage, c'est parce que exister revient pour nous à être image de Dieu. Si Dieu ne cherche pas avantage, comment serions-nous son image en cherchant avantage dans la relation ? Dieu se révèle comme celui qui cherche l'homme sans viser quelque avantage que ce soit.

Le projet du péché est de s'emparer par violence de la condition divine. (Gen 3) Or la condition et la nature de Dieu c'est de se déposséder pour se donner. Si Dieu n'est que don, je ne peux recevoir Dieu que comme un don qu'il me fait de lui-même, je ne peux pas m'emparer de lui. Beauchamp montre que par le péché l'homme veut se faire image de Dieu "vous serez comme des dieux", mais d'un dieu qui n'existe pas. Un Dieu qui vient d'être défini comme mensonge (il a dit que vous mourrez, mais vous ne mourrez pas) un dieu qui vient d'être défini comme avarice (il sait que si vous mangez ce fruit vous deviendrez comme lui), un Dieu qui veut conserver sa condition divine pour lui avaricieusement.

La condition de Dieu étant gratuité, nous ne pouvons devenir comme lui qu'en recevant cette nature divine comme un don. On ne peut pas s'en emparer comme d'une proie parce que le geste de s'emparer contredit ce que nous voulons atteindre.

La démarche perverse et promise à l'échec est de vouloir s'emparer du fruit parce qu'on doute que Dieu veuille vraiment le donner. Or Dieu n'a qu'une réponse : se donner quand même. Il n'a qu'une réponse parce que Dieu étant lui-même don, il ne peut pas être autrement. Si bien que, chose curieuse notée dans la Genèse, la tentaive du péché et le projet de Dieu sont les mêmes. Le projet de Dieu ? "que vous soyez image et ressemblance", la tentative du péché ? "être image et ressemblance, vous serez comme des dieux". Alors on dira : mais c'est pareil. C'est pareil quant au résultat, mais tout est dans la démarche. L'image et ressemblance de Dieu est quelque chose qu'on peut recevoir dans l'amour mais pas quelque chose dont on puisse s'emparer dans la violence sous peine de contradiction.

L'ennemi de la foi : la défiance

Voir Dieu ainsi comme don, c'est cela la foi. La foi est foi en l'amour qui nous fonde, amour inépuisable et c'est pour cela que nous ne pouvons jamais venir à bout de la connaissance de Dieu. Sans cesse, nous nous montrons défiants envers cet amour. L'ennemi de la foi, ce n'est pas l'épreuve, ce n'est pas l'échec, ce n'est pas la maladie, la cruauté, l'ennemi de la foi, c'est la défiance. Et c'est vrai que cette défiance peut se nourrir de l'expérience du mal. La foi est toujours une tentation d'athéisme surmontée. La vie de foi est toujours en forme sinusoïdale, alternance de désolation et de consolation. Le consolateur, c'est le Paraclet, c'est-à-dire l'Esprit. Il faut garder la mémoire de la consolation, des moments où ça allait bien. Tenir ferme, c'est attendre, c'est-à-dire espérer.

"Tiens bon, Israël, c'est ton Dieu qui combattra pour toi !" Cette phrase jalonne la Bible et en particulier le livre de Josué. Ce n'est pas un hasard. C'est que ce livre raconte l'entrée en Terre Promise, c'est-à-dire le passage à un état nouveau, à une vie nouvelle. Le but de toute la longue marche d'Israël, le but de toute notre vie va être atteint et c'est le moment de l'épreuve. "Tiens bon, Israël !" Bien sûr le livre de Josué tout entier est par là une parabole, celle de notre entrée dans la vie de Dieu, qu'il s'agisse de nous personnellement ou de l'humanité dans son ensemble. C'est l'accès enfin, à l'autre face de notre vie, cette face encore invisible, sa face de gloire et qui pourtant est déjà là. Pour l'instant nous ne voyons qu'une face, qu'un côté de la médaille.

"Tiens bon, Israël, c'est ton Dieu qui combattra pour toi !" Tiens bon, c'est au présent. Ton Dieu combattra, c'est au futur. Et vous retrouvez là, la dimension de l'espérance qui porte sur un futur. La consigne de tenir bon jusqu'à la fin se retrouve dans les paraboles du Christ et dans ses paroles. "Mais le Fils de l'Homme trouvera-t-il encore la foi quand il viendra dans le monde ?"

De la peur à la foi

Les discours sur la fin des temps répètent la consigne de tenir bon ainsi que les paraboles de vigilance. "Veillez, tenez ferme, tenez bon, le maître viendra au moment où vous n'y pensez pas !" Si l'Ecriture insiste tant sur cet enjeu et cette consigne c'est que ça ne va pas de soi. Notre foi est toujours menacée. Nous sommes un peu dans la situation de Pierre marchant sur les eaux. Cela ne devrait pas tenir et pourtant ça tient. Pierre se noie parce qu'il passe de la foi à la peur, la peur qui est le contraire de la foi. Le passage de la peur à la foi, vous le trouvez explicité tout au long de la Bible. Cela commence déjà à l'Annonciation. On vous montre Marie prise de peur devant les paroles de l'Ange. Il y a des commentateurs qui ont dit "mais Marie, voyons, elle est l'Immaculée Conception ! Oui, mais l'évangéliste ne le savait pas, lui. L'Ange lui dit "n'aie pas peur" et tout l'évangile de l'Annonciation est une sorte de parabole de ce que nous vivons dans toute notre existence qui consiste à passer de la peur à la foi. L'obstacle à franchir se renouvelle au fur et à mesure que la vie passe." A la fin de la péricope Marie se retrouve croyante "Bienheureuse celle qui a cru !" Lc 1,45

Le moment du doute fait partie de l'itinéraire de la foi. La foi est toujours tentation d'incroyance surmontée. Au début vous pouvez avoir la foi naïve, primitive, immédiate. Puis vient son contraire, le temps de la non-foi et finalement si tout se passe bien, le passage à une foi nouvelle qui sera lourde de la négation surmontée, qui ne sera plus la foi naïve, immédiate, mais au contraire une foi qui aura subi la médiation de ce passage par la non-foi, par le temps du doute. Il ne faut pas avoir peur des moments où l'on perd la foi. Si vous en avez peur, vous redoublez la non-foi tandis que si vous faites confiance à Dieu, aussitôt vous basculez de nouveau dans la foi..

Quand je vais vraiment au fond du doute, c'est en même temps le désespoir. C'est une situation assez intenable. Quand vous vous dites que vous avez joué toute votre vie et que vous avez perdu sur un truc qui ne tient pas la route, cela fait froid. Mais "tiens bon, Israël, c'est ton Dieu qui combattra pour toi. C'est le temps de "mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"

J'ai entendu un jour un dominicain dire dans une homélie "on dit toujours : garder la foi, garder la foi ! Moi, j'ai l'impression que c'est ma foi qui me garde." Il a parfaitement raison. Renoncez à fabriquer votre foi, à vous donner un mentalité de croyant. Cela c'est un travail psychologique et non pas spirituel. C'est de l'auto-suggestion. C'est en plus, un travail assez épuisant et vous n'obtenez qu'un fruit artificiel. Etre croyant, c'est être ouvert, ce n'est pas se refermer sur une certitude fabriquée. Laissez Dieu lui-même vous rendre croyant.

La foi se reçoit et à chaque instant. Cette confiance faite à Dieu pour la foi elle-même, c'est le sommet de la foi. La foi reçue ne peut pas être possédée. La foi reçue hier n'est pas garantie de la foi d'aujourd'hui. Je dois encore l'attendre. On retrouve là l'image de la manne qui ne passe pas la nuit. La foi de maintenant fait son office de maintenant. Demain il y aura une autre foi.

Et entre la manne d'hier et celle d'aujourdhui, il peut y avoir un temps de doute, une éclipse de foi et c'est là la face nocturne de la foi. Et il faut attendre que la foi revienne comme le soleil ou comme la pluie en temps de sécheresse. C'est le temps de la maturation et nous resterons de toute façon des hommes de peu de foi comme Jésus le dit à Pierre au chapitre 14 de Matthieu. Il faut faire confiance à la prise du Christ sur nous et non pas à notre prise sur le Christ. Ne pas faire confiance à ce qui se passe en nous pour le Christ mais faire confiance à ce qui se passe dans le Christ pour nous. Nous voilà dépossédés mais nous voilà aussi libérés. Libérés du fardeau de nous faire croyants.

Il faut bien se garder de considérer la foi comme une attitude uniquement individuelle. Notre foi est la foi d'un peuple. C'est en peuple que nous croyons. On reçoit sa foi de tous les autres en même temps qu'on la leur donne. Croire c'est croire que le Christ fait de nous tous un seul corps. Croire c'est lui faire confiance pour cela. Ne comptons pas tenir ferme dans la foi sans le secours des autres, sans vivre cette foi avec d'autres, en communauté, en communion. Cela nous oriente vers des groupes de croyants, vers des partages mais aussi vers des gestes de foi communautaires, vers les célébrations de l'Eglise. C'est le peuple qui est le sujet de la foi. Dans le je crois en Dieu, le "je" est engagement personnel mais c'est aussi le "je" de l'Eglise.

Débats

Peut-on dire que posséder beaucoup s'oppose à l'approfondissement de la foi ?

Dans l'Evangile, ce qui est stigmatisé comme contraire à la foi est le souci. Où va mon désir ? Et le passage-clef pour répondre à cela, c'est le fameux épisode du jeune homme riche qui au départ pose une question au Christ "Que dois-je faire de bon pour obtenir la Vie Eternelle ?" Cette question recouvre deux illusions et même trois.

La première c'est l'illusion de pouvoir faire quelque chose de bon pour avoir en héritage la Vie Eternelle. La Vie Eternelle, ce n'est pas autre chose que la vie de Dieu. Or on ne peut pas mériter la vie de Dieu, ni l'acheter. C'est un don gratuit. C'est Dieu qui donne la vie qui est une amorce de sa vie et donc ce jeune homme se trompe en croyant qu'il peut faire quelque chose pour l'obtenir.

La seconde illusion porte sur son désir. Il croit qu'il désire la Vie Eternelle. Son entretien avec le Christ va l'amener à prendre conscience de son vrai désir. Son vrai désir n'était pas la vie de Dieu. Son vrai désir était de conserver sa richesse. Il s'en va triste parce qu'il est éclairé sur lui-même. On ne dit pas ce que devient le jeune homme riche, après. On a tendance à dire "eh bien, ça y est, il s'est coupé du Christ". Ce n'est pas sûr. Il a fait simplement une démarche de lucidité.

Ensuite, je vous ai parlé d'une troisième erreur. Ce n'est pas tout à fait une illusion. Dans St Matthieu ce récit se déroule en deux parties qui commencent chacune par "si tu veux", autrement dit, personne n'est obligé. Si tu veux entrer dans la vie. Il s'agit d'abord d'un porche, d'une entrée, d'un commencement donc. Et ça commence par la Loi. La Loi qui est la première forme de la Parole de Dieu. Jésus lui récite grosso modo les commandements du décalogue, la Loi. Et le jeune homme dit : je suis à jour, cela je le fais depuis ma tendre enfance. Il n'y a pas de raison de suspecter son affirmation.

Alors Jésus lui dit un second "si tu veux", si tu veux arriver à la perfection de la vie. Et là on passe de la Loi à la personne, de la Loi à la relation. "Viens et suis-moi !" Seulement pour suivre le Christ, il faut le préférer à tout le reste. "Va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le royaume !" Et c'est là que le jeune homme se rend compte que, au Christ,, il préfère sa richesse. Alors là, à la question peut-on dire que posséder beaucoup s'oppose à l'approfondissement de la foi, je pense que dans la mesure où c'est un souci, où c'est le désir profond, forcément cela s'oppose à la relation au Christ. On peut rester sous la Loi, mais la Loi nous laisse avec les autres et avec Dieu dans le domaine du respect. La Loi c'est d'une certaine manière, l'organisation du respect c'est-à-dire laisser à l'autre son droit, respecter son domaine, ne pas entrer dans son territoire. C'est à dépasser par l'amour, un amour qui doit d'ailleurs inclure ce respect. Un amour qui n'inclurait pas le respect de l'être aimé serait un amour meurtrier. L'inclure mais en le dépassant. Et cela, le jeune homme de la parabole ne le fait pas.

Et Jésus dit aussitôt en regardant ses disciples "qu'il est difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux. Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux" Alors les disciples disent à juste titre "mais alors qui peut entrer ?" parce que tous, nous sommes riches d'une certaine façon, dans un certain domaine. Cela invite à la réflexion. On est en train de nous dire que s'appuyer sur quelque chose même tout petit, sur quoi que ce soit qui n'est pas Dieu nous bloque le chemin. S'appuyer sur quelque chose que l'on trouve en soi, que l'on peut posséder, que l'on détient nous coupe de Dieu. Pour aller à Dieu, il ne faut s'appuyer que sur Dieu. C'est la pauvreté intégrale.

Les disciples disent : mais alors qui va pouvoir entrer dans le royaume et Jésus a une phrase qui nous rassure : du côté de l'homme, personne. Mais si vous regardez du côté de Dieu qui est l'amour gratuit, qui n'attend pas notre mérite, du côté de Dieu il est possible de nous faire entrer dans le royaume, riche de quelque façon. Ce passage est très important parce qu'il nous permet d'interpréter beaucoup de phrases radicales de l'Evangile qui nous désespéreraient. En effet elles se placent toujours du côté de l'homme, mais du côté de l'homme vous bloquez le passage. Et là, Jésus va ouvrir une issue et c'est l'issue pascale.

La richesse, ça se loge n'importe où. Quelle est la richesse n°1 pour une femme surtout si elle est jeune ? C'est sa beauté. Quelle est la richesse pour un prédicateur de Notre Dame ? C'est les foules qui viennent remplir la nef et qui restent bouche bée devant sa parole. Quelle est la richesse pour un professeur ? C'est le succès aux examens de ses élèves. Quelle est la richesse pour un contemplatif ? C'est sa vie spirituelle. Quelle est la richesse pour un pauvre ? Cela peut être sa pauvreté. Quel dépouillement nous est demandé ! Mais aussi quelle libération ! Nous n'avons pas à faire quelque chose de bon pour obtenir le royaume.

Autre question :

On nous dit maintenant que Dieu n'est pas tout-puissant. Finalement ne reste-t-il pas indifférent à nos malheurs ?
Dieu reste silencieux dans ce monde où les catastrophes prennent parfois tant de place. Satan a une action incontestable dans le monde, mais les uns croient que c'est une personne, d'autres disent que non. Réflexion d'un collègue de bureau : actuellement il faudrait être aveugle pour croire en Dieu.

Quelle phrase énorme ! "Bienheureux ceux qui n'ont pas vu" ! La toute-puissance de Dieu c'est un terme qui revient souvent dans la liturgie. Beaucoup de mes collègues quand ils voient une phrase comme cela changent un peu le texte parce que cette expression de toute-puissance renvoie presque fatalement à l'idée d'un Dieu qui télécommande tout ce qui se passe dans l'existence, le Dieu interventionniste qui est un Dieu primitif profondément ancré dans la conscience humaine, mais un Dieu que toute la Bible nous fait dépasser. La Bible nous montre un Dieu tout faible justement. Bien qu'elle affirme en même temps la toute-puissance. Dans les récits elle nous montre un Dieu faible. N'est-ce pas un Dieu faible qui répond au marchandage d'Abraham ? Le récit est incomplet. Il faudra attendre une autre récit où pour un seul juste Dieu épargnera la cité des hommes. Ce récit, c'est celui de la passion. La Bible laisse ses figures ouvertes en vue de leur accomplissement.

Dans la Bible, nous voyons un Dieu malléable aux désirs de l'homme, un Dieu qui change d'idée, qui ne s'obstine pas. Un des exemples typiques, c'est l'installation de la royauté en Israèl. Dieu est contre, mais le peuple veut son roi avec deux très mauvaises raisons "pour être comme les autres peuples", et "un roi qui mène nos guerres". Il y a un relent de violence. Yahvé se déclare contre. Puis devant l'insistance du peuple, il dit à Samuel : cède aux désirs de ce peuple. En réclamant un roi, ce n'est pas toi, le prophète, qu'ils récusent. C'est moi qu'ils rejettent. Eh bien Dieu va entrer dans ce désir pervers du peuple, va cheminer avec ce désir pervers et finalement fera sortir le Messie de ce chemin mauvais de la royauté. De la même manière dans les disciples d'Emmaüs, les disciples s'éloignent de Jérusalem où tout se passe. Ils font fausse route. Ils s'éloignent du lieu de la révélation de la gloire et c'est sur ce chemin aberrant que le Christ vient marcher avec eux. Jamais nous ne pouvons dire que Dieu n'est pas avec nous. Seulement on le détecte après coup.

C'est la toute-puissance de l'amour qui fait que Dieu se dépouille de Dieu. Dans le film "le visiteur", il y a cette phrase à un moment donné "quand j'ai créé l'homme, j'ai perdu ma toute-puissance". Dieu crée des créateurs et tout est remis entre nos mains. C'est à nous à faire notre monde selon la Loi, cette Loi qui va finalement se révéler être l'amour. C'est un des sens de l'Ascension, le Christ nous laisse le terrain libre. Seulement il passe en nous. C'est le don de l'Esprit. Ce faisant, il cesse d'être hors de nous, quelqu'un que nous pouvons toujours considérer comme l'adversaire, quelqu'un qui brime notre liberté. Ce qu'il y avait en Jésus étant passé en nous par l'Esprit, nous voici libérés.

La Parole nous devient maintenant intérieure, gravée dans le coeur. "Ne contristez pas l'Esprit" nous dit Paul.

Autre question

Dans quelles circonstances et vis-à-vis de quels comportements de ses proches, Jésus a-t-il ressenti de la lassitude ?

On le voit très souvent. "Là il ne put faire aucun miracle car ils ne croyaient pas en lui." Nous retrouvons le thème précédent, la toute-puissance de Dieu bloquée. Dieu a besoin d'une tête de pont dans l'humanité. Dans Dt 9,14 Dieu dit à Moïse "Laisse-moi faire, et je vais les détruire !". Laisse-moi faire ! Dieu a besoin de la permission de l'homme et finalement qui est-ce qui ne veut pas détruire le peuple ? C'est Dieu. Mais pour ne pas détruire le peuple, il a besoin de trouver dans le peuple, dans l'humanité quelqu'un qui soit d'accor avec lui pour ne pas détruire. Il a besoin de cet ancrage dans l'humanité qui est la liberté de l'homme qui dit oui à la miséricorde. C'est Dieu qui ne voulait pas détruire mais il fallait que Moïse le lui dise.

Jésus a souvent ressenti de la lassitude et cela se traduit très souvent par des invectives. Avec les pharisiens par exemple, mais ce n'est pas une colère méchante, c'est une colère pédagogique. "Combien de fois, j'ai voulu vous rassembler comme la poule rassemble les poussins sous ses ailes et vous n'avez pas voulu !" Et ils ne voudront pas encore cette fois-ci et ce ne sera pas la catastrophe.

C'est cela qu'il faut voir. Il faut voir que ce qui s'affiche à la croix, c'est une démonstration, une publication du refus de l'homme. Et Dicu va utiliser ce refus pour faire le salut. C'est là qu'il y a des renversements dans l'Evangile qui sont extrêmement spectaculaires. La mort qui périt dans sa propre victoire. C'est l'heure où la mort remporte sa principale victoire puisqu'elle tue celui qui est la vie et, en fait, la mort ne trouve à tuer que la mort : mort de la mort. La vie a intégré la mort. La mort a asservi la mort à devenir source de vie. Le Christ a enchaîné à son cortège triomphal tous les ennemis de l'humanité, ce que Paul appelle principautés, puissances, dominations, c'est-à-dire volonté de puissance, volonté de dominer, haine, etc...

La lassitude vis-à-vis de l'Eglise institutionnelle est donnée comme un obstacle à la foi :le non-pardon à des divorcés remariés civilement, la contraception, le refus des femmes-prêtres...

Vous m'embarquez dans un autre domaine. Mais il est évident que les lenteurs, les piétinements, les fermetures de l'Eglise peuvent être un obstacle à la foi. Je crois que c'est un faux obstacle parce que ce sont des alibis que l'on se donne. C'est vrai que le peuple de Dieu ne s'est pas encore évangélisé lui-même. Nous sommes au début de la construction d'une humanité selon l'amour. Mais n'empêche que cela risque fort de n'être qu'un alibi parce que cela n'a jamais empêché personne de croire. Regardez : de Lubac qui s'était fait interdire d'enseignement ! Il réagit en écrivant un livre qui est un hymne au peuple de Dieu et à la foi. Là aussi, il y a utilisation du négatif pour faire de la vie.

Si vous me parlez de la dernière instruction romaine sur le rôle des laïcs dans l'Eglise, il faut bien reconnaître qu'il s'agit là d'un retour en arrière de 180°, une vision de l'Eglise qui date du Concile de Trente. Quand un pape vieillit, c'est toujours la même chose ; ce sont le bureaux romains avec leurs fonctionnaires solidifiés et minéralisés qui prennent le pouvoir. Alors il faut attendre. Cela fait partie de l'Incarnation aussi c'est-à-dire, Dieu qui passe par les chemins des hommes.

Dieu ne peut être responsable de nos malheurs. Pourquoi est-il cependant utile de prier ? Il n'est pas non plus responsable de nos bonheurs.

Il y a là des symétries. on peut dire que tout ce qui réussit, qui marche, c'est le fruit de ce que nous appelons la vie qui est un autre nom de Dieu. Dieu, on en fait un personnage, c'est cela notre piège. D'en faire un personnage omnipotent, ventripotent, un mélange de Jules César, de Louis XIV et de n'importe quel potentat oriental ou autre, c'est cette figure du Dieu tout-puissant qui revient là et qui est bloquante. Moi je préfère me le représenter comme mon dynamisme intérieur qui fait que j'existe plutôt que de ne pas exister.

A ce moment-là, tout ce qui est beau, tout ce qui est bon, tout ce qui est positif vient de cette source. Dieu est source avant d'être tout autre chose. Dynamisme intérieur qui fait être ce qui n'est pas et grandir ce qui grandit moyennant notre acquiescement. C'est nous qui ouvrons les vannes de la vie, qui laissons la vie vivre en nous et autour de nous ou qui l'empêchons de vivre. Sinon, nous n'aurions pas le pouvoir du "non", ni celui du "oui". Que signifierait notre route si nous n'étions pas capables de dire non.

La question de la prière est extrêmement pertinente. Relisez Luc 11 "Apprends-nous à prier !" comme si les disciples qui posent cette question ne savaient pas prier. Ils ont derrière eux toute la prière des Psaumes, l'antique prière d'Israèl et ils disent même "Jean a appris à prier à ses disciples." Or presque tous viennent de l'entourage de Jean-Baptiste. Ils ont donc appris à prier. Seulement au contact du Christ, il leur est venu un doute. Leur prière portait justement sur Dieu instrumentalisé, rendu instrument du rétablissement de la puissance d'Israèl. Ils se rendent compte au contact du Christ que ça ne colle plus tout à fait, que c'est autre chose qui est en train de se passer et c'est à ce moment-là que le Christ leur communique le Notre Père.

Il est très bien situé. On est en marche vers Jérusalem où va avoir lieu la Pâque. Et toutes les phrases du Notre Père, vous les retrouverez reprises dans les récits de la Passion. C'est un texte pascal. Le thème de la glorification du nom qui apparaît chez St Jean : "c'est maintenant que le Fils va être glorifié".

Ce maintenant c'est le temps de la Passion où le Christ va manifester qu'il est amour en donnant sa vie. La venue du règne, c'est le thème pascal par excellence, l'accomplissement de la volonté, c'est Gethsémani, "non pas ma volonté d'homme, mais ta volonté". Le don du pain, thème pascal : "le pain que je donnerai, c'est ma vie pour la vie du monde". Il faut relire Jean 6. Vous avez dans l'Ecriture l'affirmation que vous avez à présenter à Dieu tous vos soucis. Et ça revient dans St Paul, "présentez à Dieu vos désirs". Pourquoi ? Parce que c'est votre vie.

Le neveu qui va passer le bac, le proche qui est malade, c'est vos soucis. Alors vous allez dire "Mon Dieu, faites que mon neveu réussisse !". Dieu n'ira pas lui donner la solution de l'équation s'il n'a pas travaillé son cours. Il ne va pas faire de miracle. La santé d'un proche qui souffre ! Dieu ne va pas se substituer à la médecine. Alors, pourquoi lui demander ? "Votre père sait ce dont vous avez besoin. Va-t-il donner une pierre à celui qui lui demande du pain ? Va-t-il donner un serpent à qui lui réclame un poisson ? Va-t-il donner un scorpion à qui lui réclame un oeuf ? Si vous, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants à combien plus forte raison, donnera-t-il l'Esprit à ceux qui le prient ?"

Cela ouvre des perspectives, c'est que quoi que vous demandiez à Dieu, Dieu va répondre en vous donnant l'Esprit. Mais pas l'Esprit n'importe comment, l'Esprit pour que vous soyez capable de gérer aussi bien l'échec au bac du neveu que sa réussite, l'Esprit pour que vous soyez capable de gérer la maladie aussi bien que la santé, la pauvreté aussi bien que la richesse. Qu'est-ce que ça veut dire gérer dans ces cas-là ? Cela veut dire à partir de la situation que la vie vous fait, vous faire davantage image et ressemblance de Dieu qui est l'amour. Comment à partir de là puis-je aimer davantage ou mieux. L'Esprit m'est donné pour que je sois capable, moi aussi, comme le Christ, de digérer le mal, de digérer la mort aussi bien que la vie et faire avec cela de la vie.

Regardez Ste Thérèse de Lisieux. Vie courte et non pas vie longue, maladie et non pas santé, elle n'a eu que des mauvaises cartes. La vie l'a mal servie. Elle avait tout pour rater, pour se révolter, pour s'aigrir. Que des mauvaises cartes ! Et avec cela, elle a joué son jeu et elle a fait Ste Thérèse. Elle a eu l'Esprit pour cela et nous aussi. Les choses positives aussi sont à gérer. La richesse, ce n'est pas plus facile à gérer pour se faire image de Dieu que la pauvreté. Présentez à Dieu ce qui est le matériau de votre vie, ce qui fait votre vie, les événements, tout qui vous inquiète, tout ce qui vous fait mal, qui vous fait peur, présentez-le à Dieu. Dieu ne va pas faire un miracle pour modifier la situation mais il va vous donner l'Esprit pour que vous puissiez avec cela faire de l'amour quand même.

Qui est Satan ?

Pour ce qui est de Satan, vous pouvez croire ce que vous voulez. Cela ne fait pas partie du Credo, ni des dogmes chrétiens. Ce n'est pas une question de foi.

La présence de Satan dans l'Ecriture provient du séjour d'Israèl à Babylone. Là ils se sont trouvés devant une culture religieuse qui avait l'idée d'anges qui étaient une sorte d'intermédiaires entre Dieu et l'homme. Cela venait à point chez les Juifs pour résoudre une question qu'ils se posent depuis toujours. La voici ; il y a Dieu qui est l'unique. Puis il n'est plus l'unique puisqu'il nous fait, puisque nous existons. Il y a quelque chose qui part de cet Unique pour aller faire un autre être, une sorte de puissance, pour nous faire exister. Et puis, une fois que nous existons, il y a cet influx qui continue à nous faire exister et à nous orienter vers notre achèvement.

Pour la Bible, le mot création a deux aspects : il y a d'abord ce que l'on appelle la création lointaine qui est celle du commencement et puis il y a la création permanente. Dieu est mon origine mais il est toujours là. Ce n'est pas comme s'il avait fait un objet et puis qu'il s'en soit désintéressé. En ce moment j'existe parce que Dieu me fait exister. Il est en train de me créer.

Qu'est-ce que c'est que cette chose qui sort de Dieu et qui va ailleurs ? D'abord l'idée qu'il y ait quelque chose en dehors de Dieu est extrêmement difficile à concevoir puisqu'il est l'unique. Est-ce que c'est Dieu encore ou est-ce que c'est une créature ? La Bible a plusieurs figures pour dire cette chose qui sort de Dieu et qui va faire autre chose ailleurs. La Bible a par exemple, la notion de Parole (Gen 1). Il y a aussi la notion d'esprit, le souffle. La parole et le souffle. Le souffle, cela sort de l'être humain. Le souffle de Dieu sort de Dieu et revient à Dieu. Finalement, l'ange. L'ange est bien commode parce qu'il dit quelque chose qui sort de Dieu, qui n'est pas Dieu mais qui est Dieu quand même. C'est pour cela que dans l'épisode du buisson ardent entre autres, au verset 1 c'est l'ange qui se tient dans le buisson, au verset 2 c'est Dieu, au verset 3 c'est de nouveau l'ange. Alors est-ce que c'est Dieu ou est-ce que c'est l'ange. Eh bien c'est pareil. L'ange finalement c'est une figure pour dire Dieu se communiquant hors de Dieu. Et la figure qui va toutes les récapituler, cela va être la Sagesse, très tard c'est-à-dire quelques siècles avant Jésus, la Sagesse qui est Dieu transportant sa propre substance hors de lui-même. La Sagesse est créatrice. Voilà donc cette réalité : Dieu hors de Dieu.

Je vous ai expliqué tout cela parce qu'on dit que Satan est un ange. L'idée d'un ange déchu est extrêmement récente dans l'Ecriture. Vous ne la trouvez guère que dans l'Apocalypse. Durant les premiers siècles chrétiens, l'idée a fait des progrès. Beaucoup de théologiens pensent que Satan est une figure, un symbole de toute la possibilité de mal qu'il y a dans l'humanité. D'autres pensent que c'est un personnage, un esprit. Avec le mot d'esprit on a peut-être une piste parce que l'esprit c'est quelque chose de réel.

Hegel parle de l'esprit objectif. C'est une mentalité collective. Un exemple : nous sommes dans une société dite de consommation et il y a un esprit de consommation qui est dans l'air du temps. Ce n'est pas un être fictif puisque ça vous amène à consommer. C'est un être réel mais qui n'est pas tangible. Dans toutes les civilisations, il y a un air du temps. Ceux qui avaient 20 ans en 1940 en Allemagne étaient plongés dans un esprit objectif qui était celui du nazisme. Cela existe mais c'est impalpable et pourtant cela peut déterminer des actions. Ce n'est pas une personne, mais un esprit objectif parce qu'il imprègne une population, une civilisation. On peut concevoir Satan sur ce modèle. Pour Karl Barth, Satan n'est autre qu'une image du néant.

En tout cas, il faut se méfier de tout manichéisme qui nous conduirait à concevoir un esprit du bien et un esprit du mal en antagonisme. Cela nous vient de Perse et est reparu chez les Albigeois et les Catarrhes. Finalement l'esprit objectif, c'est un produit des hommes, de leur vie ensemble et de leur mentalité. Est-ce que la volonté de puissance est un esprit objectif ? Mais oui. Cela existe, mais cela n'existe pas comme vous et moi, nous existons. St Jacques dit que "personne ne peut dire que Dieu nous tente; Dieu ne tente personne n'étant pas lui-même sujet à la tentation. Chacun de vous est tenté par sa convoitise." Jc 1,14. Jacques parle de tentation sans parler de Satan. Paul, lui, parle du mystère d'iniquité. Jean parle du monde, au sens négatif du mot. Cela dit, vous pouvez penser de Satan ce que vous voulez.

 
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