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Conférences 1998 |
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L'ESPRIT ET LES
CULTURES
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Conférence
du Père Jean-Marie GLE
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Dîner-débat
du 15 Mai 1998
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Je vais d'abord dire un mot sur : que faut-il entendre par Esprit Saint ?. Puis je vais vous parler de la culture et vous proposer une lecture de nos cultures et enfin je vais dire un mot de l'Église. 1. Que faut-il entendre par l'Esprit Saint ? C'est une question qu'on s'est posé depuis très longtemps et il ne faut pas se représenter l'Esprit Saint comme un intermédiaire entre Dieu et l'humanité. Le seul intermédiaire entre Dieu et l'humanité, c'est Jésus Christ qui, d'ailleurs, libère l'Esprit sur la croix. Tout ce qu'on va dire ce soir sur l'Esprit Saint, dans la perspective chrétienne, il faut toujours le renvoyer au mystère pascal, c'est-à-dire à ce mystère de la mort qui est vaincue par la vie. Il y a quelque chose d'unique qui s'est passé avec Jésus, quant au rapport de Dieu au monde et en même temps il faut arriver à dire cela dans une diversité non seulement de cultures mais aussi de religions. Il faut arriver à dire ce qu'est l'Esprit-Saint dans cette prodigieuse diversité de cultures et de religions sans oublier quelle est la spécificité de notre point de vue. La spécificité du point de vue, c'est toujours la mort et la résurrection du Christ. On essaie de méditer sur l'Esprit Saint pour comprendre un peu mieux comment dans notre vie la mort est vaincue. Sinon cela n'a pas de sens. Si l'Esprit ne nous renvoie pas à découvrir mieux qui est Jésus, ce n'est pas la bonne perspective au point de vue chrétien. Jésus est mort au terme d'un procès truqué, mais il est mort certainement parce qu'il avait porté atteinte à une certaine conception de la religion. Si l'Esprit Saint nous conduisait à flatter uniquement l'esprit religieux en nous, cela n'irait pas bien. Il faut toujours réfléchir cette réalité-là sur l'horizon du mystère pascal de Jésus. L'Esprit Saint que Jésus a libéré sur la croix nous renvoie à toujours mieux découvrir qui est Jésus. C'est lui qui, dans nos coeurs nous permet de nous poser la question "et toi, qui dis-tu que je suis ?" Ce serait une méprise si on disait : on va réfléchir à l'Esprit Saint alors on va se promener dans les religions, les cultures. On doit à la fois être ouvert à toutes les réalités, à la pluralité dans laquelle nous sommes et dont nous prenons tellement conscience dans la modernité et en même temps se dire :c'est en Jésus, c'est par Jésus que cette ouverture peut nous être donnée. Donc, ne faites pas de l'Esprit Saint une personne humaine, ne faites pas de l'Esprit Saint un intermédiaire entre Dieu et l'humanité. L'Esprit Saint, c'est une manière de dire la puissance vivante issue de Dieu. Le Saint Esprit est l'Esprit de Dieu, il n'est pas un tiers, il n'est pas un intermédiaire, mais il désigne la proximité même de Dieu à l'égard de toute humanité. On peut facilement se souvenir que l'Esprit Saint n'est pas une personne parce que quand vous voyez les mots pour le désigner dans les diverses langues, vous notez que toutes les langues ont un mot pour désigner l'Esprit mais le mot n'est pas toujours du même genre. Esprit en latin, c'est "spiritus" et c'est masculin comme l'Esprit en français, mais en hébreu c'est "ruah" et c'est féminin ; en grec, c'est "pneuma" et c'est neutre. Donc, on ne peut pas dire, c'est une personne. On ne peut pas fixer l'Esprit Saint ici ou là. Une des questions qui se posent, c'est comment se manifeste l'Esprit Saint ? Dans le numéro 9 d'Imagine, il y a un très bel article du Père Amaladoss qui nous dit : "le manque d'ouverture aux autres religions est aussi un manque d'ouverture à l'Esprit." Personne ne dira j'ai péché contre l'Esprit ou personne ne dira, l'Esprit Saint, ça ne m'intéresse pas. Par contre on dira si le fils rentre avec une musulmane ou une africaine "attends, les musulmans ou les Africains, c'est bien pour les autres, mais pas trop chez moi." Il faut arriver à penser ce rapport à des cultures et à des religions différentes aussi positivement qu'on pense le rapport à Dieu aux mille visages. S'il y a quelque chose de spécifique dans la foi chrétienne, c'est que, à la suite de Jésus, on porte un regard positif sur le monde. Si on regarde cela sur l'horizon de la foi pascale, on voit qu'au mal Jésus n'a pas répondu par le mal et son père non plus. C'est la logique du Dieu de l'Alliance. Quoi que fasse l'homme, Dieu n'abandonne pas l'humanité. Dieu reste fidèle à sa bonté et c'est sur cet horizon-là qu'il faut envisager la manifestation de l'Esprit. Nous, on ne sonde pas les reins et les coeurs. Ce qui nous est demandé au titre de notre foi chrétienne, au titre de notre humanité aussi, c'est de pouvoir vivre avec les autres, avec ceux qu'il vous est donné de rencontrer, le plus positivement possible, même si on est surpris par leur culture et par leur religion. L'Esprit Saint travaille le monde, travaille toute l'humanité. Ce qui me semble la manifestation de l'Esprit Saint, c'est que la mort, le mal, le péché n'ont pas le dernier mot quoi qu'il en soit. Cela je veux le dire très fortement. C'est pourquoi je renvoie d'entrée, au mystère de Jésus mort et ressuscité. Je vous dis cela après avoir médité sur la théologie de la croix et le mystère de Dieu qui se révèle en Jésus Christ. Ce qui est original dans la foi chrétienne, dans ce concert des religions et des cultures, c'est que on peut porter atteinte au Fils jusqu'à le détruire, on ne conduira pas Dieu à détruire l'humanité. Si on dit que Dieu peut détruire l'humanité, ce n'est pas le Dieu chrétien dont il s'agit. Vous pouvez commettre le pire mal, vous avez toujours la possibilité de vous convertir et de vous rapprocher de Dieu et c'est l'Esprit qui souffle cela dans votre coeur. Cela veut dire que je ne porterai pas non plus un jugement sur l'autre dans la mesure où même s'il a fait la pire sottise, il a toujours comme moi, la possibilité de se convertir. Comment se manifeste l'Esprit Saint ? Il se manifeste dans les cultures, dans la vie des gens, individuellement, collectivement. L'Esprit Saint, finalement, il nous parle à travers tout ce qu'il nous est donné de vivre. On n'aura jamais le droit de dire que quelqu'un vit hors Esprit Saint. Même si on n'arrive pas à comprendre ceci ou cela, on n'aura jamais le droit de dire que l'Esprit Saint n'est pas présent à telle ou telle humanité. Parfois, c'est assez difficile, quand il y a le rapport à la mort. Pour donner un exemple : j'ai été assez impressionné en regardant la télévision il y a deux ou trois jours, par la prise de parole de parents africains dont un garçon avait été assassiné à Aulnay-sous-Bois. Ce qui m'a frappé c'est comment ils arrivaient à surmonter leur chagrin sans demander condamnation et réparation. Mais ils implorent les gens, les jeunes notamment pour qu'une justice se fasse mais dans la perspective de liens d'une société renouvelée. Dans les prises de parole tant du père que de la mère, il y a quelque chose de l'ordre de la réconciliation qui est en route et je trouve que cela dépasse nos forces humaines. Vous dites "aimez vos ennemis" mais ce n'est pas vrai. S'il y a quelqu'un qui me donne une gifle, si je suis en situation où je peux le faire, je la lui rends. Je réfléchis éventuellement après. Mais humainement ce n'est pas vrai de dire "aimez vos ennemis," c'est parce qu'il y a quelque chose qui nous arrive, qui est plus fort que nous, qui est plus profond que nous. J'insisterai là-dessus : l'Esprit Saint se manifeste partout. Dès qu'on ne reste pas à quelque chose de naturel, il y a là-dedans sur la ligne de la mort et de la résurrection de Jésus, l'Esprit-Saint qui souffle. Il va nous permettre de porter un regard positif y compris sur les réalités humaines qui sont difficiles, complexes et qui parfois, peuvent conduire à la mort. Cela c'était le premier point. 2. La culture Maintenant, je voudrais dire un mot sur la culture. Quelle est la difficulté aujourd'hui ? Supposons quelqu'un qui est né en 1910, les transformations qu'il a connues. Il a connu la guerre de 14-18, il a connu le grand crack économique de 1929, il a connu le Front Populaire, il a connu la guerre de 40, il a connu l'épuration, la libération en 45. Il a connu la guerre d'Algérie, il a connu les mouvements de décolonisation, il était déjà suffisamment âgé en Mai 68 pour, vraisemblablement, être complètement perdu quand c'est arrivé. Vous vous rendez compte ? Alors la difficulté est la suivante : chacun tient à sa culture, à ses habitudes, à ce qui marche pour lui, à ce qui le rend heureux. Or la culture est constamment en transformation. Elle est comme travaillée de l'intérieur. Vous pouvez prendre aussi des exemples dans l'Église :le passage du latin au français, la transformation des moeurs. Or on ne change pas pour le plaisir de changer, on change à cause du contexte extérieur, on change parce qu'on trouve plus de plaisir, de contentement ou de goût au point où on en est. Je voudrais attirer l'attention là-dessus pour dire la difficulté qu'il y a pour être à la fois heureux, content dans sa culture et en même temps accepter les transformations qui se produisent. Le problème, me semble-t-il est le suivant : on ne peut pas identifier une culture et une figure culturelle. On ne peut pas dire par exemple : la messe, c'est la messe en latin.. Prenez la fameuse phrase de St Augustin qui a été merveilleusement reprise par le Père de Lubac : "l'Église fait l'Eucharistie et l'Eucharistie fait l'Église". Mais quand il y aura dans certains diocèses de France sept ou huit prêtres valides, vous ne pourrez pas dire cette phrase quand les gens auront trois messes par an. Il faudra bien inventer une autre manière de prier ou alors il faudra voir si on peut faire des Eucharisties que préside quelqu'un d'autre qu'un prêtre. Il faut être attaché à l'Eucharistie et en même temps il faut être ouvert au fait qu'il peut y avoir autre chose qui va se produire et ce n'est pas contradictoire. Donc je soulignerai la complexité de la culture dans laquelle on est et l'importance de ne pas s'identifier à une figure de la culture. Il faut aussi réfléchir aux rapports multiformes de la culture et de la religion. Monsieur Girard a posé la question : l'homme peut-il exister seul ? Moi je crois que l'homme ne peut jamais exister seul. Je prendrai une phrase du grand théologien Karl Barth : "l'homme est trop grand pour être seul". Après il faut s'entendre sur ce qu'il y a comme altérités par rapport à l'homme. Aujourd'hui peut-être pour la première fois dans l'histoire de la culture occidentale, on a une espèce d'effacement de Dieu. Avant il y avait déjà des athées mais c'était un phénomène très marginal et très élitiste. Aujourd'hui l'incroyance, l'indifférence n'est plus un phénomène élitiste. Ce n'est pas l'analyse de quelques intellectuels, c'est quelque chose de relativement généralisé et ce n'est pas lié à une classe sociale. Le point principal me semble être que le fil de la transmission est interrompu. Ce n'est pas parce que les parents sont chrétiens ou laïques que les enfants seront chrétiens, laïques ou communistes. Aujourd'hui, cela ne va plus de soi. C'est le côté positif de l'individualisme : j'endosse ma propre croyance, je peux expliquer ce que je crois, ce que je veux vivre...etc. Par rapport à cela, ma ligne de conduite serait de viser à ce qu'il y ait toujours une ouverture la plus grande possible. Il faudrait réfléchir ici au concept d'universalité. Je ne voudrais pas m'enfermer dans une particularité, même pas dans une singularité qui serait la mienne. Je dirai que au moins au niveau de l'intention et du projet, j'essaye d'aimer toutes les personnes qu'il m'est donné de rencontrer. Je ne commence pas par faire un tri. Je sais bien que je n'y arrive pas, mais je ne peux pas au point de départ dire : je laisserai tomber celui-ci ou ceux-ci.. Dieu aime tout le monde ; moi, j'essaye de me comporter à la manière de Jésus et donc j'ai quelque chose à vivre sur l'horizon de l'universalité. La difficulté est de pouvoir vivre ce rapport à l'universalité en étant soi-même? Vous avez parlé tout à l'heure à propos du Père Dupuy de révolution copernicienne. Tout à fait. Je pense qu'aujourd'hui ce n'est pas simplement le passage du Christocentrique au Théocentrique, ce n'est pas simplement une révolution copernicienne, mais c'est un changement de paradigme. C'est passer d'une représentation de l'univers où il y a un centre et une périphérie à une représentation de l'univers en termes de réseaux. La révolution copernicienne d'aujourd'hui, ce n'est pas simplement mettre l'homme à la place de Dieu, c'est complètement changer de logique et de manière de réfléchir. Si vous voulez vivre la rencontre des religions en termes de vérité, vous foncez dans le mur ou dans le meilleur des cas, dans une impasse. En effet alors vous allez dire "est-ce que l'Islam a une part de vérité, nous on a les juifs comme frères aînés, eux c'est le préambule à la vérité". Vous voyez bien que la rencontre des religions, vous ne pouvez pas en rendre compte en termes de vérité. Vous ne pouvez pas dire : le christianisme a une solution qui est vraie, les juifs s'en approchent mais c'est déjà un peu moins vrai, les musulmans et les bouddhistes encore moins. Vous êtes dans une problématique qui ne permet pas de construire une rencontre concrète parce que vous êtes dans une logique qui est une logique de l'exclusion. L'effort qui nous est demandé aujourd'hui c'est d'essayer de repenser à frais nouveaux, cette rencontre des religions. Changer complètement de paradigme c'est-à-dire changer de manière de réfléchir. Quand on dit dans son bureau dans le fin fond du 7ème arrondissement "l'Islam, il faut tous, les bouter dehors", c'est autre chose que lorsque vous les avez dans le même immeuble que vous et qu'ils font le ramadan. Vous n'allez pas faire la guerre des tranchées pendant un siècle, vous êtes bien obligé de trouver quelque chose qui permette de construire un avenir commun. Aujourd'hui au niveau de la théologie, on reste très, très démuni parce qu'on reste avec des modes de pensée en termes de vérité, en termes de centre et périphérie qui ne sont pas adéquats. Vous ne pouvez pas penser la mondialisation en termes de centre et de périphérie. Cela n'a aucun sens par rapport à l'économie ou au monde des médias. Si on pose la problématique "est-ce que toutes les religions se valent ?" on est déjà dans une espèce d'évaluation. Il faut arriver à la fois, à être respectueux des personnes concrètes, et à ne pas brader ses propres convictions et ses propres croyances. Il faut arriver à sortir d'une logique où on dirait "ce que l'on donne à l'autre, on l'enlève de chez moi" parce qu'alors on parle de la religion et de la culture comme on parle d'objets. Si je donne 100frs j'ai 100frs de moins dans mon portefeuille. Mais je ne vais pas parler de Dieu, de l'amour, de l'Esprit Saint avec cette logique-là. Mais alors on ne sait pas bien comment dire les choses. La situation de modernité et de transformations dans laquelle nous sommes est tellement neuve, on s'est tellement trompé les trente dernières années et on a eu à faire à tellement de défis nouveaux ! Vous avez d'une part un monde dans une prodigieuse transformation, si prodigieuse que parfois on n'a même pas les mots pour en parler et d'autre part on a des rencontres concrètes qu'on n'avait jamais avant. Quand il fallait chasser les musulmans en dessous de Poitiers, c'était une chose. Quand vous les avez partout ou quand vous avez les Juifs partout, dans toutes les administrations, dans les médias, c'est autre chose. La rencontre des religions, on la vit au concret aujourd'hui. On ne parle pas du judaïsme dans l'abstrait, on rencontre des Juifs, on rencontre des musulmans, des bouddhistes partout. Cela change singulièrement la nature des choses. On est attaché aux valeurs auxquelles on croit mais en même temps on est dans une période de prodigieuse renégociations culturelles où on est obligé à la fois de tenir compte des transformations et à l'intérieur de celles-ci de pouvoir dire quand même "je" avec les valeurs qui nous constituent. 3. Au niveau de l'Église. Si on considère le phénomène des J.M.J. j'aurais mauvaise grâce de faire des critiques là-dessus. Il y a eu un événement symbolique prodigieux. et pourtant, on en a entendu des choses avant : l'Église ne devait pas aller chez un grand couturier quand il y a tant de pauvres en France. Je crois qu'on peut regarder avec plus de sérénité les questions qui nous sont posées, mais ces questions ne sont pas gommées. Je ne crois pas que les J.M.J. feront qu'il y aura de nouveau des novices dans les ordres religieux apostoliques. Il y a un certain nombre de questions de fond qui restent mais qu'on peut regarder avec sérénité. Il faut être attentif dans l'Église aux fonctions fondamentales : l'annonce de l'Évangile, que l'Église ne s'annonce pas elle-même. On annonce le mystère de Dieu, l'Église est ordonnée à Dieu. Là aussi, l'effort qu'on demande à chacun de ne pas être attaché à une figure culturelle est très important aussi pour l'Église. Que les gens n'assimilent pas l'Église à la hiérarchie ! Même entre nous on reste attaché à certaines figures culturelles. Il me semble qu'il faut privilégier les fonctions fondamentales de l'Église, et parmi celles-ci tout d'abord, l'annonce de l'Évangile, ensuite les sacrements, et ensuite le service quotidien de nos frères et soeurs en humanité et de la société. Au coeur de ces fonctions fondamentales, ce qui me semble tout à fait essentiel, c'est la liberté dans la vie des chrétiens : que l'on puisse toujours vivre ce rapport aux cultures et aux religions avec liberté. Dès St Paul c'est cela le principal fruit de l'Esprit. Aujourd'hui personne ne me pousse à croire ou à dire ce que je ne veux pas dire. J'ai toujours à devenir chrétien, j'ai toujours à me convertir, j'ai toujours à pouvoir dire "je" dans ma façon de croire. Personne ne peut dire "je crois" à ma place. Aujourd'hui, même à travers des fonctions différentes dans l'Église, nous avons tous à approfondir notre vocation. C'est ce qui me semblerait l'essentiel du travail de l'Esprit. C'est d'essayer de voir chacun à quoi nous sommes invités, à quoi nous sommes appelés, mais pas au niveau de répéter la figure culturelle qui nous a le plus marqués. Si on pose la question "est-ce que l'Église a un avenir, est-ce qu'elle peut trouver une nouvelle jeunesse ?" je pense que si l'Église doit trouver une nouvelle jeunesse ce ne peut être qu'à travers la liberté de ses membres. Or la liberté des membres de l'Église, c'est d'abord de se sentir appelés. Cela me semble être quelque chose de tout à fait fondamental. J'existe pour Dieu, j'existe pour quelqu'un, je suis sujet devant Dieu et cela transforme ma manière de vivre, cela me rend libre et heureux. A mon avis, c'est là une des marques les plus fondamentales du travail de l'Église. Questions Comment les autres religions évoquent-elles l'Esprit Saint
? Est-ce que l'on tend vers l'Esprit ou est-ce que c'est l'Esprit qui nous habite ? Vers quelle Église pensez-vous que nous allons aller ? Comment parler de l'Esprit Saint aux enfants ? Est-ce que la notion de personne est aussi importante en Orient qu'en Occident ? Au catéchisme on nous a dit que Dieu est un seul Dieu en trois personnes et vous nous avez dit que l'Esprit Saint n'est pas une personne, alors cela nous trouble. Peut-on éviter le conflit, par exemple dans nos rapports avec l'Islam ? On sait que l'Esprit de Dieu est présent partout. Mais on s'attend à ce que les chrétiens issus de cultures différentes manifestent sa présence de manières différentes ; on voudrait quelques exemples. Vous avez exprimé l'idée que l'univers ne devait plus être conçu comme un centre avec une périphérie mais comme un réseau. Or un réseau n'a pas de centre. Quel peut être son sens, sa finalité. Si toutes les religions reconnues comme d'égale valeur sont dans le réseau, de quel Dieu s'agit-il finalement ? Pourquoi faudrait-il un Dieu pour que l'homme se sente libre ? Quel est le rapport entre l'Esprit Saint et la faculté de penser de l'homme ? Réponses Je ne sais pas comment les autres religions, le bouddhisme, l'Islam, conçoivent l'Esprit de Dieu. Je ne peux donc pas en parler. Pour parler aux enfants de l'Esprit Saint, je respecterais toujours la dimension pédagogique. Je n'irais pas bombarder un enfant en lui demandant s'il a déjà réfléchi à l'Esprit Saint. J'attendrais qu'il pose la question. Ensuite est-ce qu'il faut donner une explication par le langage ou par le dessin. Je pense que les images sont toujours très importantes, par exemple l'image du feu. Le symbole parle plus que l'idée. Est-ce qu'on tend vers l'Esprit ou est-ce que l'Esprit nous habite ? Les deux. L'Esprit est à la fois ce qu'il y a de plus intérieur à nous-mêmes et en même temps c'est quelqu'un qui nous pousse à aller toujours plus loin. On ne reste jamais là où on croit être. On est toujours entraîné à aller de l'avant. Si nous faisons la relecture de notre vie, nous nous rendons compte que quelque chose que nous ne croyions pas possible subitement est devenu possible. L'Esprit à la fois est en nous et en même temps il nous entraîne vers des choses que l'on ne croyait pas possibles. Quand je dis que l'Esprit Saint n'est pas un intermédiaire ou une personne, je veux dire au sens moderne du mot. Dans la culture occidentale, quand on dit le mot personne, on entend quelqu'un qui est centre de décision, centre d'autonomie, quelqu'un qui peut dire "je". Or l'Esprit Saint n'est pas une personne ne ce sens-là. Il est une personne au sens où il est une figure ou une représentation de Dieu. Il n'est pas autonome. Il procède du Père et du Fils. Il n'est pas une personne comme nous, nous sommes des personnes. Pour prendre une comparaison, il tient un peu la place du choeur dans certaines tragédies grecques. Il est une certaine figure de Dieu mais qui n'est pas indépendante du Père ou du Fils. Les trois personnes de la Trinité ne sont pas du même type. Le Père et le Fils, ce n'est pas la même chose. Le Fils, il s'est incarné, on peut se le représenter. On ne peut pas se faire une représentation du Père indépendamment du Fils. Il faut penser le monothéisme en termes de communication et non comme une unité qui raplatirait la communication. Ce qu'on peut savoir de Dieu, c'est dans la relation entre le Père, le Fils et l'Esprit. "Je ne fais pas ma volonté, mais la volonté du Père". Il faut penser le monothéisme pas sur le modèle de l'unité qui réduirait les trois à un, mais sur le modèle de la communication entre trois personnes qui ne sont pas les mêmes. Quand nous pensons unité, nous pensons spontanément uniformité. Or il peut y avoir unité entre des gens différents. Ce qui unit les trois personnes, c'est la logique de l'amour, une logique de la surabondance où l'un a plaisir à être avec l'autre et à le faire exister dans ce qu'il a de meilleur. Une des choses dont on peut-être sûr au niveau de Dieu c'est qu'il veut toujours l'humanité comme partenaire. Le plaisir de Dieu, c'est l'homme debout. On pourrait dire qu'une des définitions de Dieu, c'est d'être toujours en sortie de soi et être toujours à la recherche de l'humanité. Comme il n'y a pas de Fils ou il n'y a pas d'Esprit sans Père, il n'y a pas de Père si personne ne le reconnaît comme tel. La relation entre les trois personnes de la Trinité, c'est l'être même de Dieu. Il n'y a pas à chercher qu'est-ce qui peut être Dieu hors de cela. Or cet être de Dieu, il nous est communiqué à nous d'abord dans la manière dont nous vivons les relations. Dans le Nouveau Testament, il est écrit que le critère de fond, c'est la charité, que la foi n'a pas sa finalité en elle-même, mais c'est ce qu'elle permet de vivre dans les relations avec d'autres. C'est cela qui est visé jusque dans la façon dont Dieu est Dieu. Dieu ne peut pas être pensé comme Dieu dans la logique de la foi chrétienne hors de la communication. D'où l'importance du réseau. Le conflit est inévitable. Le conflit des cultures est toujours quelque chose de violent. Mais il n'est pas nécessairement mortel. Il peut être traversé mais il est inévitable. Nous chez les Jésuites on a une chance : c'est que très vite après le noviciat, on est dans des communautés internationales et on peut très fort se blesser sans même s'en rendre compte. Le conflit, il faut pouvoir le traverser. Il ne faut certainement pas dénier la réalité pour fuir le conflit. Le problème le plus difficile n'est pas au niveau du discours mais au niveau du sentir intérieur, ou le sentir spirituel. Vous, vous tenez à telle ou telle chose, et l'autre pas du tout. Il vaut mieux qu'on se le dise que de dénier le conflit parce que la peur est mauvaise conseillère. Il ne faut pas être gouverné par la peur. Il vaut mieux dire "moi je tiens à mes idées, je le dis le plus sereinement possible, mais j'accepte que d'autres pensent autrement." Ce qui est difficile, c'est d'arriver à la fois à dire "moi, je tiens à ma culture, à mes valeurs, à ma religion" et "l'autre tient aux siennes". Ce n'est pas nécessairement les mêmes et on est obligé de trouver une solution au conflit que cela pose. On passe des compromis, on compose avec le réel et éventuellement on va vers un tiers qui va servir d'arbitre. Ce qui est important dans le conflit c'est de continuer à pouvoir se parler. Il faut aussi essayer d'identifier le niveau du conflit. Exemples de manifestations de l'Esprit chez des chrétiens de cultures différentes Il y a un christianisme latin, un christianisme oriental à diverses figures. Les différences culturelles se jouent sur la géographie et sur l'histoire. Sur la géographie, je penserai aux chrétiens de divers rites. Si vous allez dans une ville comme Beyrouth, vous avez un clergé marié. La difficulté, c'est qu'a l'heure actuelle, Rome possède l'étalon de toutes les cultures. C'est une très grosses difficulté non seulement dans le dialogue oecuménique mais par rapport aux patriarches. Souvent quand on parle de la Tradition, on pense que la tradition c'est que cela a toujours été comme cela. La soutane, le signe distinctif des prêtres c'est quelque chose de récent, deux siècles à peine. Ce n'était pas de toute éternité. Quand Jésus est apparu aux disciples d'Emmaüs, il n'a pas dit la messe selon le rite de Paul VI. Il faut faire attention à la manière dont on projette les choses dans le passé. Par rapport à la géographie, comparez le temps que les catholiques français ont mis pour accueillir la démocratie par rapport à leurs frères d'Allemagne ou d'ailleurs. A propos du réseau L'horizon sur lequel je réfléchis, c'est la qualité de la communication entre les gens quels qu'ils soient. Si je viens en disant "j'ai un message à transmettre à l'autre" je suis perdu parce que je me concentre sur mon message. La perspective qui serait la mienne, c'est de me demander ce que j'ai à apprendre de l'autre. Toute rencontre humaine est toujours une rencontre qui transforme quelle qu'elle soit. Vous ne pouvez pas faire comme si vous n'aviez pas eu cette rencontre. C'est cela que j'appelle le réseau. Ce qui est à réfléchir c'est qu'on trouve ce qui nous est nécessaire pour que nous puissions vivre une relation de qualité avec les autres. La question n'est pas "qu'est-ce qui est vrai ou qu'est-ce qui est faux ?" La question est "qu'est-ce que la rencontre va permettre ?" Je donne un exemple : Un jour, un bon chrétien vient chez moi et me dit "depuis la guerre d'Algérie, je ne peux plus prier". Je lui réponds "assieds-toi et merci de la confidence". Je ne commence pas à dire "ah bon tu ne pries plus et tu te dis chrétien en même temps. Qu'est-ce que ça veut dire ?" Je n'ai pas à défendre la vérité, elle est assez grande pour se défendre toute seule. Soigner la qualité de la relation, c'est cela le réseau. Dans mon exemple si l'autre me dit cela pour m'agresser parce qu'il pense qu'étant prêtre je suis un homme de Dieu et pour qui donc la prière est importante, et que je lui dis merci pour la confiance que tu me fais, je désamorce le conflit. Ce qui me semble le plus important c'est de faire un travail sur soi pour devenir libre petit à petit par rapport à sa propre parole. Je crois que la transformation dans l'Église passera par la qualité des relations qu'on aura entre nous. On est toujours dans une logique de l'amour. J.M.Glé |
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