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Conférences 1998 |
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L'ESPRIT-SAINT
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Exposé
du Père MOINGT
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15
Mars 98
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Introduction : Problématique corps et esprit Je vais commencer par situer la réflexion que je vais faire face au problème beaucoup plus large de l'esprit en général et du corps. Bien entendu, c'est de l'Esprit Saint que j'entends parler aujourd'hui. Par contre le corps, c'est aussi le nôtre. Histoire du corps dans l'Eglise Catholique On commence à parler du corps dans l'Église Catholique, on en parle même peut-être pas mal depuis un certain nombre d'années en grande partie d'ailleurs sous l'impulsion d'un sentiment de culpabilité parce qu'on se reproche de n'en avoir pas parlé suffisamment autrefois ou d'en avoir parlé très mal. Et de fait, nous nous trouvons face à ce contentieux. Et il faut peut-être l'envisager pour commencer. C'est Nietzsche qui reprochait au christianisme d'avoir bafoué le corps. Et on n'est pas très éloigné aujourd'hui, même chez les chrétiens, de lui donner raison. Cependant, il faudrait situer ce traitement du corps dans l'Église depuis des siècles, le situer à l'intérieur de l'histoire de la culture européenne qui est sans doute assez largement une culture chrétienne ou judéo-chrétienne pour ceux qui acceptent ce concept. Mais qui est aussi beaucoup plus largement, une culture d'origine gréco-latine. L'un des meilleurs historiens actuels de la pensée ancienne grecque et latine en analysant la culture dans le monde méditerranéen, entre le premier et le 4ème siècle de notre ère, remarquait que finalement, chrétiens ou païens, philosophes ou ascètes, Grecs, Romains, gnostiques avaient à peu près le même sentiment et qu'ils rivalisaient entre eux de mépris pour le corps et qu'ils rivalisaient même de mauvais traitements envers le corps. L'ascèse n'est pas, comme on le croit souvent, une simple invention des moines qui allaient au désert. L'ascèse avec les mauvais traitements du corps, on la trouvait également dans des écoles philosophiques et dans des courants de pensée orientale aux 1er, au 2ème et au 3ème siècle de notre ère. Un historien anglais voit également dans cette culture du corps un héritage du rationalisme grec, mais aussi quelque chose de plus profond qu'il a du mal d'ailleurs à désigner, mais quelque chose qui relève des profondeurs de la conscience humaine et d'une culpabilité inscrite dans le corps. Il fait cette réflexion : "J'ai essayé de montrer dans ce chapitre que le mépris de la condition humaine et la haine du corps ont été des maladies endémiques, dans toute la culture de cette période. Si ses manifestations aiguès sont principalement chrétiennes et gnostiques, ses symptômes apparaissent sous une forme plus bénigne chez les païens d'origine purement grecque. Cette maladie s'est exprimée dans une large variété de mythes et de fantasmes, les uns tirés de modèles grecs, les autres de modèles orientaux, d'autres encore apparaissent entièrement neufs. J'incline à interpréter tout ce développement moins comme la contamination d'une source extérieure, que comme une névrose endogène, l'indice de multiples sentiments de culpabilité intenses et très répandus." (païens et chrétiens dans un âge d'angoisse, 1965). Donc le mauvais sentiment à l'égard de notre corps qui a pu se répandre dans la tradition chrétienne au cours des siècles n'est pas un simple produit du christianisme, de la culpabilité du péché. Le problème entre l'esprit et le corps se pose également au plan philosophique et théologique. On a reproché à la théologie chrétienne d'être purement ou trop purement intellectualiste, abstraite, métaphysique, de se tenir très éloignée des questions concrètes de l'existence. Et c'est un reproche que vous entendez encore formuler de nos jours à l'égard de la théologie. Dépendance de la culture grecque Mais là encore, on oublie que la théologie est largement tributaire d'une tradition philosophique bien antérieure au christianisme. Pour Platon, le sensible fait obstacle à l'intelligible. Aristote met un certain lien entre l'âme et le corps, un lien plus étroit que chez Platon, mais en donnant la primauté à l'âme. Les auteurs scolastiques du Moyen Age iront dans la même voie. Ils savent bien que nos connaissances viennent des sens et cependant ils pensent qu'il faut les abstraire le plus possible des données sensibles de l'expérience. En dehors de la tradition scolastique qui est chrétienne bien que très largement grecque, l'intellectualisme est aussi fort. Ainsi, René Descartes à l'aube de la pensée moderne, dans la première moitié du 17ème siècle, écrivait dans sa 3ème méditation métaphysique comme introduction à l'acte de penser :"Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens, j'effacerai même de ma pensée toutes les images des choses corporelles, ou du moins, parce qu'à peine cela peut-il se faire, je les réfuterai toutes, tout ce qui vient du corps ; je réfuterai toutes ces images comme vaines et comme fausses. Je suis une chose qui pense" La pensée moderne Voilà l'aube de la pensée moderne et par la suite avec Marx, avec Nietzsche, avec Freud et toute la phénoménologie contemporaine on a remis le corps en valeur comme source même de la pensée. Ainsi Nietszche disait "Le phénomène du corps est un phénomène plus riche, plus explicite, plus saisissable que celui de l'esprit. Il faut le placer au premier rang." Et un philosophe contemporain, Maurice Merleau-Ponty écrivait "il faut retrouver le corps opérant et actuel, celui qui n'est pas simplement un morceau d'espace, un faisceau de fonctions, mais qui est un entrelacs de visions et de mouvements." La théologie contemporaine a retrouvé le chemin du corps sous l'influence de la modernité et aussi pour cette autre raison que le Dieu de la métaphysique a disparu avec la modernité, de l'horizon de notre pensée. Et donc la théologie a été renvoyée aux récits évangéliques, des récits où il s'agit d'écouter, de voir, de toucher. C'est ainsi que la théologie de nos jours, redevient narrative et c'est ainsi qu'elle a retrouvé le corps. Encore une fois, il n'est pas question ici d'embrasser du point de vue théologique le problème des rapports entre l'esprit et le corps dans sa totalité. Ce n'est pas possible. Notre sujet, c'est bien l'Esprit Saint et le corps. Perspectives de la conférence C'est pourquoi je voudrais mettre en lumière le message chrétien au monde, au sujet du corps. Ce message dit la dignité de notre corps qui a reçu la vie de Dieu, qui est appelé à vivre de la vie de l'Esprit Saint. Et le message chrétien dit également la vocation des chrétiens à construire l'humanité en corps social, à la construire comme un corps uni par des liens d'amitié fraternelle. Ce sera donc là notre perspective et c'est sous cet angle-là que nous chercherons à comprendre le rôle de l'Esprit. Qu'est-ce qu'Il nous dit de notre corps ? Comment l'Esprit Saint retrouve-t-il la trace de notre corps ? Comment notre corps porte-t-il en lui la trace de l'Esprit Saint ? Nous chercherons à comprendre son rôle dans cette oeuvre de salut, d'édification de notre corps en temple de l'Esprit, mais sans oublier que cette oeuvre accomplie par l'Esprit-Saint est aussi bien une oeuvre d'humanisation qui prolonge celle de l'Incarnation. Ainsi nous chercherons quel est son lien personnel au Christ, et comment sa mission propre s'articule à celle du Christ. Nous pourrons avoir comme horizon de notre pensée, cette déclaration de St Irénée de Lyon : "le Fils de Dieu est venu dans un homme afin d'accoutumer l'Esprit-Saint à habiter dans les hommes". Je voudrais traiter trois parties qui se rapportent à trois significations du mot corps : "(1) L'Esprit sort du corps du Christ (2) pour lui rassembler un corps dans l'Eglise et dans toute l'humanité, (3) un corps qui est constitué de nos corps à nous." 1 - L'Esprit sort du corps de Jésus a) La naissance de l'Esprit Cette expression peut choquer mais nous partirons d'une déclaration très nette de Jean l'évangéliste. Rapportant la scène du temple où Jésus saisi par l'Esprit-Saint s'écriait "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi". Jean dit qu'il disait cela de l'Esprit Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui et il ajoute "car il n'y avait pas encore d'Esprit" parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. Et nous pouvons appuyer cette parole de Jean sur une déclaration de Jésus disant à ses disciples dans son discours d'adieu (Jn16,7) "il vous est bon que je m'en aille, car si je ne m'en vais pas, le Paraclet ne viendra pas avec vous mais si je pars, je vous l'enverrai" Donc Jésus met une relation très nette entre son départ c'est-à-dire son élévation sur la croix et le don de l'Esprit-Saint. Nous essayons de prendre ces deux déclarations au sérieux. Il y a une objection qui nous vient à l'esprit "mais pourtant, me direz-vous, l'Ancien Testament parle bien de l'Esprit". C'est vrai, il parle souvent de l'esprit de Yahvé, très rarement de l'Esprit-Saint. L'Esprit-Saint est un nom propre au Nouveau Testament. Peut-être pas absolument. On le trouve six fois dans la bible grecque mais ce n'est jamais comme un nom personnel. Il y a donc une spécificité chrétienne de l'Esprit Saint propre au Nouveau Testament En effet, si la Bible parle de l'Esprit de Dieu, par la force des choses, l'Ancien Testament ne parle pas de l'Esprit du Christ. Et nous l'Esprit que nous recevons, si c'est bien l'Esprit de Dieu, c'est identiquement l'Esprit du Christ. L'Esprit Saint, c'est l'Esprit de Dieu qui habitait en Jésus et qui sort de lui comme Esprit du Christ, ce qu'il n'était pas avant d'être dans le Christ et de sortir de lui sur la croix. Donc comprenons cette "naissance" de l'esprit du Christ. Je dis "naissance", le mot semble métaphorique, mais enfin nous le voyons sortir du corps du Christ et même plus précisément, il sort du ventre du Christ..Jean (7,37-39) annonce que l'Esprit sortira de son sein, de son côté, de son ventre. Jean (19,34) montre le percement du côté de Jésus par la lance et donc au-dessous des côtes d'où jaillissent de l'eau et du sang. Et lorsque Jésus donne l'Esprit à ses disciples au moment de les quitter, dans Jean 20,21-23, il leur montre la blessure de son côté pour leur dire d'où vient l'Esprit qu'il exhale en eux. Donc l'Esprit sort d'un corps mort et il en sort comme une source de vie qui a vaincu la mort et plus exactement même qui s'est nourrie de la mort et qui a retourné la mort en vie. Une naissance : il sort de la mort comme du néant, comme une semence de vie. Il jaillit dans le néant comme une semence de vie capable d'animer d'autres corps, capable de former d'autres Christs qui continueront la mission de Jésus. Et nous voyons l'Esprit écarter les disciples du tombeau vide. Il les pousse en avant. C'est lui qui les empêche de rester à rôder autour du tombeau vide et qui sépare ainsi le passé du présent, qui permet au présent d'être, qui permet aux disciples d'exister dans le présent et pas simplement dans le passé de Jésus. Il leur ouvre un avenir et une histoire nouvelle commence. 2. Esprit de Dieu et Esprit du Christ Revenons à l'Esprit de Dieu dans l'Ancien Testament pour voir ce qui le distingue de l'Esprit du Christ et comment il est devenu Esprit du Christ. a) Esprit de Dieu : souffle de vie. Dans l'Ancien Testament, l'Esprit de Dieu est montré comme souffle de vie qui anime le corps de l'homme. Ce souffle de vie est conçu comme une exhalaison de l'Esprit de Dieu. C'est lui qui donne la vie, mais il la donne cependant de façon précaire, parce que les hommes comme les bêtes sont toujours en danger de perdre l'esprit. Gen 2,7 nous montre Dieu qui anime le corps d'Adam qu'il vient de modeler en soufflant dessus. C'est le geste que nous voyons refaire par Jésus quand il envoie ses disciples en mission. Il exhale son souffle à leur visage. En Job 33,4 Job dit "c'est le souffle de Dieu qui m'a fait, c'est l'haleine de Shaddaï qui m'anima" - Psaume 104,29-30 "tu retires leur souffle aux animaux ils expirent ; tu envoies ton souffle, ils sont créés". Et dans la célèbre vision des ossements desséchés, dans Ezéchiel 37,1-14, on lit bien "des quatre vents, Esprit, souffle sur ces morts et qu'ils vivent". Cette vision est donnée comme la promesse du retour du peuple sur sa terre. Ce que nous voyons dans ces emplois, c'est la conscience qu'ont les hommes de la Bible de devoir leur souffle à Yahvé. Ils ont un esprit, un esprit qui vient de l'Esprit de Dieu, qui est une émanation de l'Esprit de Dieu, qui n'est pas l'Esprit de Dieu mais qui en vient, qui en émane. Il n'est pas l'Esprit de Dieu car l'esprit des hommes est mortel, il est précaire, il ne reste pas dans le corps, il s'en échappe. Que devient-il ? C'est une question que se posaient les anciens. Les hommes de la Bible ne savaient pas trop ce que devenait ce souffle après la mort. Est-ce qu'il était détruit ? Est-ce qu'il retournait au néant, au shéol ? La différence n'était pas très claire dans leur esprit. De toutes façons, ils recevaient l'existence comme un don de Dieu, un don sans cesse renouvelé par Dieu. Mais ils savaient qu'ils perdraient un jour cet esprit qui les faisait vivre. b) Esprit du Christ : vie éternelle Passons au Nouveau Testament. Nous voyons Jésus reprendre la terminologie biblique pour parler de l'esprit. Il en parle comme d'un souffle, comme d'un vent, notamment dans Jean 3,5-8. "Il faut renaître de l'Esprit, le vent souffle où il veut" dit-il. Jésus manifeste la conscience que sa mission est de donner la vie qui est en lui et qui est vie éternelle et c'est ce qu'il fera par le don de l'Esprit jailli de son corps. "Il faut renaître de l'Esprit pour accéder à la vie éternelle" (Jn 3,5-8 ; 34-36). Cette vie éternelle, c'est l'Esprit du Christ. Nous le voyons dans Jean 4 ; c'est la Samaritaine "Si tu savais qui je suis, c'est toi qui me demanderais l'eau vive, l'eau qui demeure perpétuellement". C'est l'Esprit qui jaillit de son corps. (Jn 5,24-29). C'est la mission de Jésus de donner cette vie, c'est-à-dire son esprit, son propre souffle de vie, le souffle de vie de son corps, l'Esprit de Dieu mêlé à son souffle de vie et ainsi capable d'animer nos corps. L'annonce de la résurrection des corps est le grand message de l'Evangile, c'est la promesse de la victoire de la vie sur la mort dont la signification cosmique est universelle. C'est tout le sens de l'Evangile, en tant qu'il pointe vers l'événement pascal et le don du Saint Esprit, de nous montrer que l'oeuvre du Christ est de libérer la vie des entraves de la mort. c) Esprit de résurrection déjà donné Mais ce qui nous est aussi montré fréquemment dans les évangiles et surtout après dans les lettres de St Paul, c'est que la vie éternelle ne nous est pas seulement promise. Elle nous est déjà donnée. Elle nous est donnée justement par l'Esprit Saint, par l'Esprit qui habite dans nos corps. La vie éternelle nous est donnée comme elle était déjà en Jésus, non pas pour que nous échappions à la mort, mais pour que nous puissions vaincre la mort en participant à la victoire du Christ par la puissance de l'Esprit qui habite en nos corps. Autrement dit, la venue en nous de l'Esprit Saint, de l'Esprit du Christ, refait dans nos corps ce que l'Esprit du Christ a fait dans le sien. 3 - Elucidation Essayons d'approfondir un peu tout cela. Depuis les origines, l'Esprit de Dieu donne la vie aux hommes, comment comprendre cela ? Il est là dans le monde conjointement au Verbe de Dieu pour y réaliser le projet de Dieu. Et le projet de Dieu, c'est de tirer de ce monde matériel issu du néant, des créatures semblables à Lui et capables de vivre de sa vie éternelle. Donc l'Esprit Saint est là au travail dans le monde appelant la vie animale à s'élever à la vie spirituelle c'est-à-dire à s'élever à la liberté et à la puissance de l'amour. L'Esprit de Dieu est là dans le monde matériel pour tirer de la créature matérielle un être spirituel, un être capable de vie spirituelle et capable ainsi d'entrer en communion avec la vie éternelle de Dieu qui est lui-même esprit, amour et liberté. Voilà le projet de Dieu. Mais l'homme ne parvient pas par ses forces, même aidé par l'appel de l'Esprit Saint, à s'élever à la hauteur de ce dessein de Dieu. L'homme s'accroche à la vie terrestre, il s'accroche à la ressemblance de ce monde d'où il est tiré, il s'enferme dans sa singularité et plus il sent que la vie est précaire en lui, plus il s'enferme en lui-même et se ferme au don de Dieu. L'Esprit est bien là éveillant l'homme, l'appelant à une liberté toujours plus grande, mais sans parvenir à ce que l'homme puisse recevoir dans sa perfection le don de la vie éternelle. Mais Jésus qui est la Parole incarnée de Dieu est à la hauteur du projet de Dieu. Il est entièrement ouvert au projet de Dieu. Sa mission, c'est de nous révéler un Dieu pour nous c'est-à-dire pour tous. C'est sans doute la nouveauté du message de Jésus de nous dire que Dieu est pour tous les hommes sans exception, sans préjugé pour un peuple ou un autre, y compris pour les pécheurs et que son amour est inconditionnel. Le Dieu de Jésus est un Dieu absolument pour nous, un Dieu qui ne met pas en avant son pouvoir, sa puissance, sa justice, un Dieu qui veut être reconnu seulement pour son amour. Et Jésus accepte de mourir pour soutenir ce témoignage, un témoignage qui dérange parce qu'il perturbe un peu les idées fondamentales de toute religion. Toute religion, en effet, est plus ou moins bâtie sur la peur de Dieu. Toute religion veut plus ou moins accaparer son Dieu pour elle et l'homme n'est pas de lui-même prêt à comprendre que Dieu est un amour inconditionnel et pour tous. Jésus donc accepte de mourir pour soutenir ce témoignage que Dieu est amour et c'est ainsi qu'il meurt pour tous, que sa mort devient un acte d'amour universel. C'est pourquoi l'Esprit de Dieu qui est en lui se mêle à son souffle de vie. Et l'Esprit de Dieu devient l'Esprit de Jésus, l'esprit de cet homme qui s'élève à l'amour inconditionné de Dieu, à l'amour universel de Dieu et de tous ses frères. Et donc l'Esprit de Dieu devient l'Esprit de Jésus, l'esprit de cet homme, l'esprit de ce corps, mêlé encore une fois, au souffle de vie de Jésus; et quand Jésus rend son souffle à Dieu, Jésus renaît en Dieu de l'acte même de s'offrir à la mort pour tous. Il devient homme universel, capable de s'identifier à chacun de nous. Et l'Esprit de son côté, l'Esprit qui est devenu en Jésus, l'Esprit de cet homme universel, l'Esprit acquiert en Jésus la capacité de se mêler à nos souffles de vie, de se mêler au souffle de vie mortelle de chaque homme. En Jésus, pour reprendre le mot d'Irénée, il s'est accoutumé à vivre de notre existence humaine pour élever notre existence humaine à la communion avec Dieu. La résurrection de Jésus est donc aussi bien l'acte par lequel Jésus élevé au Père, livre à l'humanité l'esprit de son corps devenu immortel en passant par la mort. En échange de sa vie livrée à Dieu, Jésus nous livre l'Esprit de son corps. Il nous le livre en source de vie éternelle. C'est cela la rédemption qui est libération du péché et de la mort. Du péché c'est-à-dire de toute la préférence que nous donnons au monde sur Dieu. Le péché c'est-à-dire notre enfermement dans notre singularité en laissant les autres vivre et mourir. Et libération de la mort parce que le pouvoir nous est donné de vaincre la mort par une mort semblable à celle de Jésus, c'est-à-dire à la condition de mourir nous-mêmes dans la confiance totale à Dieu et dans l'amour de nos frères. Cette rédemption a lieu d'un seul coup en ce sens que l'Esprit nous est donné pour tous. Mais la rédemption est un processus historique. Pour acquérir la vie éternelle, il faut que chaque homme laisse entrer en lui, l'esprit de Jésus et se laisse conduire par l'Esprit sur les mêmes chemins que Jésus a suivis, c'est-à-dire sur le chemin du don de soi aux autres. De cette première réflexion, nous garderons cette idée que la rédemption ne s'achève pas à la mort et à la résurrection de Jésus comme si l'Esprit n'avait rien à y faire. La rédemption se termine au don de l'Esprit c'est-à-dire au don de la vie. Elle se termine donc dans la mission donnée à l'Esprit Saint. Et donc, l'oeuvre de Jésus n'est pas de livrer son sang pour expier le péché. Elle est de livrer sa vie à Dieu pour témoigner que Dieu est amour de tous les hommes, sans exclusion. Et ce témoignage, il nous le donne en nous livrant son Esprit qui va développer en nous cette foi et cet amour. 2 - Rassembler un corps pour le Christ a) La mission de l'Esprit du Christ Donc à la mort de Jésus, tout continue mais tout recommence. Tout continue de façon toute nouvelle ; ça continue puisque nous voyons Jésus confier à ses disciples la mission que son Père lui avait confiée. Ce qui continue donc, c'est la mission créatrice de l'Esprit. Ne mettons pas un barrage entre la création et la rédemption. Ce que nous appelons rédemption, c'est en réalité ce don de l'Esprit qui va permettre au Père créateur d'achever son dessein en nous,c'est-à-dire supprimer la contradiction que la mortalité inscrite dans notre état de créature oppose à son dessein de nous faire vivre dans son éternité. La mission créatrice de l'Esprit continue. Elle continue sous le mode de tout recréer dans le Christ, de créer un monde libéré de la mort et de la violence. L'Esprit que l'Ancien Testament nous montre circulant dans le cosmos, entre dans l'histoire des hommes. Sur la base de l'histoire du Christ, il fait histoire avec nous. Donc l'histoire de Jésus avec nous continue par son Esprit. Sa toute première mission, c'est sa mission de Paraclet. Ce mot a toutes sortes de significations mais dans le contexte très précis d'un discours d'adieu il prend le sens très précis de consolateur. Jésus promet son Esprit à ses disciples au moment de partir pour qu'Il les console de son départ. Quand ces textes ont été écrits, plusieurs dizaines d'années s'étaient passées depuis la mort de Jésus et ce n'était pas tellement de la mort de Jésus que les chrétiens étaient inconsolables, c'était surtout qu'il n'était pas revenu. Car on l'attendait, on attendait son retour. Et l'Esprit est là précisément pour les consoler de ce non-retour, pas seulement de la mort de Jésus. Il avait promis qu'il reviendrait. Comment allait-il revenir.? L'Esprit vient faire le travail du deuil. Il vient consoler les disciples c'est-à-dire leur faire admettre que ce départ de Jésus est définitif, que c'est à eux maintenant de prendre la suite, à eux de se remettre debout et de prendre la parole, parole publique, dangereuse quand on est disciple de Jésus. Il leur donne donc le courage de prendre leur liberté c'est-à-dire de devenir maîtres à leur tour et comme Jésus l'avait dit "de faire les mêmes choses que moi et même de plus grandes". L'Esprit leur donne le courage de devenir adultes, de devenir responsables de la mission que Jésus mourant, leur avait confiée. Dans un ouvrage sur l'antiquité grecque, le même auteur que je vous citais tout à l'heure, parlait avec enthousiasme du rationalisme qui s'était établi au 5ème siècle, le siècle de Périclès, Aristote...etc et il pensait que l'humanité, l'humanité grecque du moins, paraissait définitivement libérée de la religion, des mythes et de tout cela. Et là il dit "comment expliquer que la religion est revenue en force ?", ce qu'il déplorait étant agnostique. Nous, on se réjouit du retour du religieux et lui non et il cherchait à comprendre pourquoi. "Comment se fait-il, dit-il que le religieux est revenu ?" Le religieux dont le christianisme allait bénéficier ? Et il trouve cette explication "Je pense que c'est que les hommes avaient la peur de prendre leur liberté. Ils ont préféré rester sous la tutelle de la tradition, la tutelle des dieux, la tutelle salutaire d'un monde enchanté, plein de divin. Ils ont préféré cela et ils sont retombés sous le joug du religieux". Eh bien, les premiers chrétiens, eux, sauront parler de la liberté et se présenteront au monde païen comme une école de liberté. Et c'est bien cela que fait l'Esprit. Chez St Paul, chaque fois que nous trouvons "esprit filial", nous pouvons aussi traduire par "esprit de liberté", car qu'est-ce qu'un fils, c'est un homme qui est devenu adulte et qui se tient debout devant son père sans crainte, libre. Et c'est bien le problème pour nous de devenir libres. Et donc l'Esprit apprend cette liberté. Donc l'Esprit rassemble les disciples en leur donnant leur liberté. Ce que nous apprend maintenant l'Esprit de Jésus, c'est à prendre notre liberté face à Dieu, devant Dieu. Nous le voyons agir en rassemblant un corps pour le Christ. Il lui refait un corps, un corps dans lequel Jésus pourra reprendre vie en même temps qu'il vivra en Dieu. Jésus disparaît en tant qu'il était cet homme-ci, cet individu, mais en tant qu'il est devenu homme universel, Fils de Dieu, il continue à vivre avec nous dans l'histoire. La mission de l'Esprit c'est d'articuler cette éternité dans laquelle vit le Christ avec l'histoire de nos corps. Cette éternité ne se déroule pas dans un ciel au-dessus de nous. Cette éternité est là, au coeur de notre histoire et le travail de l'Esprit Saint, c'est de faire passer notre histoire temporelle en histoire d'éternité. Ainsi Jésus reste présent à notre histoire et celle-ci devient le lieu où nous pouvons entrer dès maintenant en communauté de vie éternelle avec Dieu. (Jn17,20-21) "Qu'ils soient un comme toi et moi, Père, nous sommes Un" L'Esprit rassemble les disciples de Jésus en entretenant en eux la mémoire de Jésus, mais une mémoire arrachée au passé et tournée vers l'avenir, une mémoire de Jésus qui s'identifie à l'espérance de lui être réunis et de trouver en Lui un accès sûr auprès du Père. b) L'ouverture à l'Esprit Pour avoir part à l'Esprit du Christ, l'homme doit avoir la même ouverture à l'universel qui était en Jésus, à savoir, d'un côté une ouverture à l'amour absolu de Dieu, à son amour inconditionnel et d'autre part, une ouverture à l'amour que Dieu porte indistinctement à tous les hommes. Double ouverture sur l'universel. Avoir foi au Christ, c'est identiquement avoir foi au Dieu qui se révèle en Jésus et qui se révèle en Lui comme l'Amour inconditionnel. C'est croire que Dieu nous accueille dans le même amour qu'il manifeste à Jésus, que Dieu nous aime du même amour qu'il porte à Jésus. Dans le langage de St Paul, c'est croire qu'on est justifié par la seule foi au Christ sans les oeuvres de la loi (Rom 5,1-10). On ne se présente pas devant Dieu avec la sécurité que pourrait nous donner l'obéissance à la Loi. On se confie uniquement à son amour. C'est là que se manifeste la liberté de la foi et c'est pourquoi je dis que croire en Jésus, ce n'est pas un acte de foi qui s'ajouterait à la foi en Dieu. C'est croire en Dieu d'une certaine manière. C'est croire à un amour qui n'est lié par aucune condition. Donc, l'Esprit nous apprend à nous présenter à Dieu sans la sécurité de la Loi. Et c'est cela la liberté filiale de la foi que l'Esprit-Saint nous inspire. L'Esprit nous est donné pour nous tenir lieu de Loi. Sur le Sinaï, Dieu donne à Moïse les tables de la Loi. En Jésus et de Jésus, il nous donne son Esprit. Donc l'Esprit est là en nous pour éveiller et guider notre liberté dans notre recherche de Dieu et dans notre obéissance à Dieu. Or Dieu aime tous les hommes comme ses propres enfants et donc il veut que nous aimions semblablement tous les hommes comme des frères. C'est pourquoi, dit St Paul dans Galates 5,13-14, l'Esprit nous inspire de nous faire les serviteurs les uns des autres par l'amour, car la Loi tout entière tient pleinement en une seule parole "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Paul juge inutile de rappeler le premier commandement, le commandement de l'amour de Dieu qui, pour lui, s'identifie à l'amour de ses frères parce que la mort de Jésus est passée par là. Dieu s'est identifié à Jésus qui s'est identifié à tous ceux qui souffrent et qui meurent, c'est pourquoi nous aimons Dieu quand nous aimons ceux qui souffrent. L'Esprit conduit les hommes au Christ en suscitant en eux une telle liberté de la foi et un tel amour des autres. Si nous répondons à son appel, il entre en nous sans nous faire aucune violence. Il se mêle à notre esprit, il nous greffe sur le Christ et ainsi nous formons avec le Christ un seul corps animé par le même souffle de vie lequel est le souffle de Jésus. Nous devenons ainsi membres du corps du Christ. Mais cette insertion se fait dans la communion universelle de l'amour fraternel. C'est pourquoi elle se fait en Eglise. c) L'Eglise, Corps du Christ Je veux d'abord attirer votre attention sur la dimension universelle que prend l'Eglise dans l'Esprit Saint et cela dès ses origines. Cette dimension est manifestée symboliquement le jour de la Pentecôte par l'inter-communication de tous les langages du monde dans le maintien de leur diversité (Act 2,5 et ss). Il n'est pas non plus inutile de voir que la venue de l'Esprit est liée à une prise de parole publique. D'après Kant, la prise de parole publique est le signe de l'homme parvenu à l'âge adulte, à la maturité. Cette dimension universelle va se réaliser historiquement dans un double mouvement d'arrachement d'abord aux particularismes de la Loi religieuse et ensuite d'ouverture à l'altérité des nations. Double mouvement qui crée l'Eglise, un mouvement de rupture à l'égard des traditions enfermantes et particularistes du passé et d'ouverture à l'autre, en tant qu'autre, c'est-à-dire l'étranger, l'étranger sous la face même de l'ennemi, celui à qui on ne devrait pas se mêler. Je vous renvoie à l'épisode de Pierre chez Corneille, au premier Concile de Jérusalem et à la parole de Pierre "il a paru bon à l'Esprit Saint et à nous de ne pas vous imposer d'autres fardeaux que ce qui paraît indispensable". L'Esprit Saint bouscule les fondements des religions antiques, toutes basées sur la séparation du pur et de l'impur. Donc pour la première fois apparaît dans l'histoire une société ouverte. Nous sommes là à la naissance de la société ouverte. Les sociétés anciennes fermées sur la cité, sur la religion de la cité ou du peuple étaient des sociétés closes. La société ouverte apparaît là quand le Juif et le Grec acceptent de manger à la même table. C'est une humanité nouvelle qui apparaît là. Il faut que le Juif communique avec le Grec comme l'Esprit du Christ se mêle à notre souffle de vie. Donc une humanité nouvelle est en germe et c'est la mission de l'Esprit, une mission qui n'est pas limitée à la sanctification intérieure des âmes, mais qui est une mission historique. Elle ne concerne pas seulement notre passage de la terre au ciel, mais aussi le renouvellement de l'histoire et l'ouverture de l'histoire à l'universalité du Royaume de Dieu. b) Un même corps Nous voyons maintenant comment l'Esprit réalise tout cela, comment Il rassemble tous les croyants en un même corps unis par la foi et par l'amour mutuel. L'image du corps est très forte. C'est un corps social mais aussi un corps organique du fait que chaque chrétien est identifié au même Christ par la même foi et qu'il est identifié aussi aux autres par l'amour qui est poussé jusqu'au don de soi. c) Corps du Chrit Ce corps rassemblé par la foi et l'amour est celui du Christ puisque le Christ y habite par son Esprit qu'il ne cesse de répandre dans ses membres à la façon dont le dynamisme de la personne découle de la tête dans tous les membres du corps. Conclusion Je vais conclure pour faire la passerelle avec l'exposé de la prochaine fois. Nous voyons l'Esprit rassembler un corps pour le Christ mais je ne voudrais pas que vous partiez avec cette idée que l'Esprit est enfermé dans ce corps que forme l'Eglise. L'Eglise n'est pas une frontière pour l'Esprit pas plus que les sacrements ne sont le lieu d'accès unique à l'Esprit. L'Esprit rassemble l'Eglise comme une société ouverte d'où doit être bannie toute exclusion afin qu'elle soit toujours en état de travailler à l'unité de l'humanité. C'est cela qui est le but de l'activité créatrice de l'Esprit qui se sert de l'Eglise pour rassembler l'humanité dans l'unité mais qui n'est pas lié pour cela aux oeuvres de l'Eglise. A partir de l'Eglise, l'Esprit se répand dans le monde comme esprit de libération. Il répand dans le monde le même esprit que dans l'Eglise, c'est-à-dire le message évangélique d'unité et de fraternité. Le même message que nous trouvons dans l'Eucharistie c'est-à-dire de se livrer les uns aux autres. La voie du salut c'est celle du corps livré aux autres. Jn 15,12-13. |
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