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Conférences 1999

 
 
Le Concept de Dieu après Auschwitz
 
 
  Hanz Jonas
 
 
 
 
     
 

Qu’est-ce que Auschwitz a donc ajouté à ce qu’on a toujours pu savoir de la terrible, de l’horrible quantité de méfaits que des humains sont capables de commettre et ont depuis toujours commis envers d’autres humains ? Et qu’a-t-il ajouté, en particulier, à ce que nous connaissons, nous les juilfs, de par l’histoire d’une souffrance millénaire, et qui constitue une part essentielle de notre mémoire collective ? La question de Job lut depuis toujours la question capitale de la théodicée - de la théodicée universelle, à cause de l’existence du mal dans le monde en général, et de cette théodicée particulière qu’exacerbe l’énigme de l’élection, de l’Alliance présumée entre Israël et son Dieu.

S’agissant de cette exacerbation, qui marque aussi notre présente question, l’Alliance même pouvait encore être invoquée au début - ainsi par les prophètes bibliques - à titre d’explication : le peuple de l’Alliance était devenu infidèle à celle-ci- Mais de longues périodes de loyauté s’ensuivirent : dès lors l’explication ne réside plus dans la faute à sanctionner, mais dans l’idée de témoignage, cette création du temps des Maccabées, qui devait léguer à la postérité la notion de martyre. D’après celle-ci, ce sont précisément les innocents et les justes qui endurent le pire.

Ainsi, au Moyen Age, des communautés entières subirent-elles la mort par l’épée et par le feu avec le Chema Israël aux lèvres, donc en proclamant l’unité de Dieu. Le terme hébraïque pour cela est Kidduch-haChen, la "  sanctification du Nom " , et les victimes s’appelaient des "  Saints " . Leur sacrifice faisait briller la lumière de la Promesse, de la rédemption finale due à la venue du messie.

Rien de tout cela ne prend plus effet avec l’événement qui porte le nom d’ " Auschwitz " . Ici ne trouvèrent place ni la fidélité ni l’infidélité, ni la foi ni l’incroyance, ni la faute ni son châtiment, ni l’épreuve, ni le témoignage, ni l’espoir de rédemption, pas même la force ou la faiblesse, l’héroïsme ou la lâcheté, le défi ou la soumission. Non, de tout cela Auschwitz, qui dévora même les enfants, n’a rien su ; il n’en offrit pas même l’occasion en quoi que ce fût. Ce n’est pas pour l’amour "  de leur foi que moururent ceux de là-bas (comme encore les témoins de Jéhovah) ; ce n’est pas non plus à cause de celle-ci ou de quelque orientation volontaire de leur être personnel qu’ils furent assassinés. La déshumanisation par l’ultime abaissement ou dénuement précéda leur agonie; aux victimes destinées à la solution finale ne lut laissée aucune lueur de noblesse humaine, rien de tout cela n’était plus reconnaissable chez les survivants, chez les fantômes squelettiques des camps libérés.

Et pourtant - paradoxe des paradoxes -, c’était le vieux peuple de l’Alliance, à laquelle ne croyait plus presque aucun des intéressés, tueurs et même victimes, c’était donc très précisément ce peuple-là et pas un autre qui fut désigné, sous la fiction de la race, pour cet autre anéantissement total : le retournement horrible entre tous de l’élection en une malédiction, qui se moquait de toute interprétation. Il y a donc bien malgré tout une relation - de la nature la plus perverse qui soit - avec les chercheurs de Dieu et les prophètes d’autrefois, dont les descendants furent ainsi sélectionnés dans la dispersion et rassemblés dans l’union de la mort commune.

  Et Dieu laissa faire. Quel est ce Dieu qui a pu laisser faire ?Il y a lieu d’intercaler ici que, dans cette question, le juif connaît une situation plus difficile, théologiquement, que le chrétien. Car pour le chrétien, qui attend de l’au-delà le véritable salut, ce monde-ci, en tout état de cause, relève amplement du diable, et demeure toujours un objet de méfiance, spécialement le monde des hommes à cause du péché originel. Mais pour le juif, qui voit dans l’immanence le lieu de la création, de la justice et de la rédemption divines, Dieu est éminemment le seigneur de l’Histoire, et c’est là qu’"Auschwitz " met en question, y compris pour le croyant, tout le concept traditionnel de Dieu. A l’expérience juive de l’Histoire, Auschwitz ajoute en effet, comme déjà mentionné, un inédit, dont ne sauraient venir à bout les vieilles catégories théologiques. Et quand on ne veut pas se séparer du concept de Dieu - comme le philosophe lui-même en a le droit -, on est obligé, pour ne pas l’abandonner, de le repenser à neuf et de chercher une réponse, neuve elle aussi, à la vieille question de Job. Dès lors, on devra certainement donner congé au " seigneur de l’Histoire ". Donc : quel Dieu a pu laisser faire cela ?

HANS JONAS

 
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