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Conférences 1999

 
 
Traverser le deuil et vivre
 
 
Conférence du Père MONBOURQUETTE
 
 
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Introduction par Jean-François RICHARD

En retenant ce thème pour notre réflexion de ce soir, nous avons un peu pris un risque parce que cela peut paraître intellectuel alors que le deuil c'est, en grande partie, du domaine de l'émotion. Cela nous a paru important parce qu'on est rapidement dans une situation de désarroi, facilement dérouté, aussi bien lorsqu'on est soi-même en deuil que lorsqu'on approche des personnes qui sont en deuil. Voilà un peu pourquoi on a osé faire cette soirée.

Je crois qu'on va rester dans un domaine de grand respect mutuel d'une part et puis accepter de ne pas avoir toutes les réponses à nos questions. Je crois que chaque deuil est vraiment une histoire très, très personnelle. Il n'y a pas deux histoires qui se ressemblent. On va essayer d'avancer ensemble. C'est pour cela qu'on a retenu comme thème "traverser un deuil et vivre". Merci à vous d'être venus ce soir.

Exposé du Père MONBOURQUETTE

1 - Comment le Père a découvert sa mission auprès des endeuillés.

Voici mon histoire dans cette question de deuil. En 1974, j'étais à San Francisco. Je faisais des études de psychologie et quelqu'un me dit : "cette semaine, il y a un psychodrame". Je m'intéressais beaucoup à cette technique et, en curieux, je vais donc au psychodrame.

Qu'est-ce qu'un psychodrame ? C'est une sorte de théâtre où on peut jouer une partie de la vie qu'on a l'impression d'avoir mal vécue. On peut donc la reprendre et la jouer à nouveau.

Dès le matin, il y a un homme qui joue le départ de son père de la maison. Son père était malade. Des infirmiers sont arrivés. On a mis à son père une camisole de force et on l'a enlevé sous les yeux du garçon. Le metteur en scène cherche quelqu'un pour jouer le père, et d'autres personnes pour jouer les infirmiers. J'en faisais partie. Le metteur en scène fait courir le père dans la salle et nous, les infirmiers, nous cherchons à l'accrocher et à un moment le metteur en scène dit à l'homme "Va défendre ton père !".

A l'époque où la scène s'est vraiment passée, le garçon avait 12 ans. Maintenant c'est un homme, un colosse et quand il arrive pour défendre son père, moi j'ai lâché le père tout de suite pour ne pas me faire bousculer. Et le fils a pris son père dans ses bras et il s'est mis à pleurer. Et moi, j'étais dans un coin et je me suis mis aussi à pleurer et ça montait, ça montait et, devant ces larmes, je me disais "qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que je suis en train de devenir fou ?"

Et j'ai eu le souvenir que lorsque mon papa était au salon funéraire, j'ai eu envie de pleurer mais j'ai tout de suite stoppé mes pleurs parce que à ce moment-là, il fallait que je sois brave, j'étais le héros de la famille, j'étais celui qui s'occupait des funérailles.

Mon père était sur le lit, mes soeurs pleuraient, ma mère avait une crise de larmes, alors je me dis : "c'est à moi qu'il appartient de gérer l'affaire". J'avais 17 ans à ce moment-là et 22 ans après, j'étais rattrapé par mon deuil. Et je me disais "mais qu'est-ce qui se passe ?". J'avais très peur de toucher à cette peine intérieure.

L'après-midi, quand j'ai vu l'habileté, la compétence du metteur en scène, j'ai demandé de jouer aussi la mort de mon père de faire son deuil et là, c'était un peu compliqué parce qu'il m'a fait faire un dialogue avec ma mère d'abord et ensuite celui qui jouait mon père était couché par terre et le metteur en scène me dit : "ton père est en train de mourir. Qu'est-ce que tu veux lui dire ?" Alors moi, pensant que c'est un jeu, que ce n'est donc pas compliqué, je me suis mis à genoux près de lui et là j'ai dit : "papa, je t'aime", quelque chose que je n'avais jamais dit à mon père. Je l'aimais beaucoup parce que j'étais un peu son fils préféré et il m'avait demandé si j'allais devenir prêtre mais à ce moment-là je ne savais pas et je n'ai rien dit. Et là, le metteur en scène me dit "ton père va mourir, embrasse-le". Je me suis dit c'est un jeu, et je l'ai fait.

Mais là, les grandes écluses se sont ouvertes et je me suis mis à pleurer. Cela montait de l'intérieur et je pleurais, je pleurais au point que le metteur en scène s'inquiétait. Il regardait sa femme et se disait "qu'est-ce qui se passe ?" Cela a duré quatre ou cinq minutes et après cela j'étais épuisé. J'ai été épuisé pendant deux ou trois jours et ensuite, j'ai senti en moi une espèce de légèreté. Il s'est passé en moi quelque chose qui m'a libéré.

Pendant tant d'années j'avais retenu mes larmes. Et à ce moment-là, j'ai été très surpris moi-même des larmes que je portais en moi. Et voici que je me sentais libéré de cette tension, de cette détresse. Ce fut un tournant de ma vie. Et ce fut cette expérience qui me décida à travailler sur cette question du deuil.

2 - Le travail de Jean Monbourquette

Quand je travaille avec ma clientèle, je pose toujours la question "est-ce que vous avez eu un deuil dans les années dernières ?". Et je reprends avec eux les moments de deuil. La plupart des névroses que j'ai rencontrées jusqu'ici sont dues à des deuils mal faits, mal accompagnés. Cela ne fait pas tellement longtemps qu'on s'occupe des questions du deuil. Autrefois, c'était la communauté qui prenait le deuil en charge. Et c'est cela maintenant qui manque dans nos sociétés. On n'a plus de communautés qui prenne le deuil en charge.

3 - Rôle de la Communauté

L'événement d'un deuil n'appartient pas à une personne, ni à la famille mais à la communauté qui, par son comportement, favorise le deuil chez des personnes. C'est un art qu'on a perdu dans nos sociétés. Il y a un déni de la mort, de la souffrance et on devient gêné lorsqu'on rencontre une personne en deuil. On ne sait pas ce qu'on va lui dire, comment on va l'accompagner. Et les personnes ne peuvent pas nous aider non plus parce qu'elles ont tellement de peine, tellement de tristesse qu'elles ne parviennent pas à échanger sur ce qui se passe.

C'est pourquoi je dis que le deuil appartient à la communauté et c'est la communauté qui devrait aider les familles à traverser le deuil. Depuis ce temps-là, à l'Université d'Ottawa, j'ai formé des groupes de deuil et des animateurs. Ce sont soit des groupes de soutien du deuil, c'est-à-dire des endroits où on peut parler, soit des groupes de thérapie pour les deuils plus compliqués. Il y a 25 ans que je fais cela.

4 - Définition du deuil

Qu'est-ce que c'est qu'un deuil ? Il est difficile de parler de deuil sans parler d'attachement. Il y a deux sortes d'attachements. Il y a l'attachement de l'ordre de l'amitié et l'attachement de l'ordre de la fusion. Dans l'attachement fusionnel, il y a l'affection (enfants-parents) et la passion dans l'amour.

A) L'attachement d'amitié

Si vous avez un grand ami, il y a des similitudes entre vous et l'ami : vous avez les mêmes intérêts, les mêmes valeurs, les mêmes points de vue ou les mêmes perspectives sur la vie et vous vous sentez "confortable" avec l'ami. Chacun cependant reste autonome. Il y a une faible dépendance entre les personnes. Je cherche dans l'autre ce qui n'est pas en moi ou je cherche en l'autre ce qui est en potentiel dans ma personnalité. A ce moment-là, l'autre personne devient mon projet, c'est-à-dire une partie de moi. Elle devient une expansion de moi-même.

B) L'attachement passionnel

Il y a amour passionnel lorsque deux personnes ont l'impression de devenir un. On va idéaliser l'autre. Je vais entourer l'autre de mes rêves. L'amour passionnel est tellement fort qu'on dit qu'on ne se marie pas avec les personnes mais avec l'image qu'on se fait de la personne. Il y a beaucoup de déclaration de nullité de mariage au Canada parce que les hommes se sont mariés avec l'image qu'ils se faisaient de la jeune fille. Et lorsqu'ils découvrent la réalité cela ne va plus.

L'homme recherche souvent dans la femme les qualités féminines qu'il n'a pas. On dit que dans tout homme dort une femme. Grandir pour un homme c'est entrer en contact avec les qualités féminines. L'homme va chercher une femme affectueuse, économe, généreuse

Dans l'amour passionnel il va y avoir une attraction de qualités qui sont dans mon potentiel de développement, mais que pour différentes raisons, je n'ai pas pu développer. On dit au Canada "au lieu de développer un certain nombre de qualités, vous feriez mieux de marier la personne qui a ces qualités, cela va beaucoup plus vite".

L'amour passionnel comporte un aspect de possession. On dit "ma femme, mon homme, mon enfant". C'est notre manière de nous investir. On s'investit dans les pères. On peut s'investir aussi dans les enfants. Il y a une personne qui s'était fait avorter et qui disait que cela ne lui faisait absolument rien. Alors je lui ai demandé si, quand elle savait qu'elle allait être mère, elle pensait à l'avenir de son enfant. Elle m'a dit "oui, je rêvais à lui". Il a fallu qu'elle fasse le deuil de ses rêves, car quelquefois on doit faire le deuil d'un rêve.

C) De qui doit-on faire le deuil

On fait aussi le deuil des petits animaux, des activités, des objets, bijoux de famille par exemple. L'être humain a une grande capacité de s'attacher aux choses, de leur donner du prix, de symboliser les choses. On peut aussi s'investir dans le travail. Quand mon père à dû abandonner son travail, il a eu l'impression que sa vie était finie.

Le deuil à faire peut aussi être celui d'un idéal de vie. Quelqu'un qui ne peut pas réaliser un idéal de vie doit en faire son deuil. Une fois, à la suite d'une conférence au Québec, un homme se lève et me dit "vous parlez mais vous ne savez pas ce que c'est que d'avoir un fils et de le perdre". Je lui réponds "non Monsieur, vous avez perdu un fils ?" Il me répond "oui, j'ai perdu un fils qui venait d'être gradué en Médecine". Pourquoi me donnait-il ce détail-là ? Je lui dis "vous l'aimiez ?" Il me répond "oui, je l'aimais" Et il a éclaté en sanglots.

Ce que je n'avais pas compris et que quelqu'un m'a expliqué plus tard, c'est qu'il avait toujours voulu devenir médecin. Son père n'avait pas assez d'argent pour lui payer des études et il avait dû travailler la terre. Et voici que son fils veut devenir médecin. Et voici que son fils devenu médecin meurt un peu plus tard. C'est sûr qu'il pleurait son fils mais ce que j'ai compris un peu plus tard, c'est qu'il pleurait aussi son idéal de vie.

Quand vous perdez quelqu'un soit par décès, soit par départ, c'est une partie de vous que vous perdez. Celui qui perd quelqu'un est en état d'hémorragie, hémorragie psychologique, hémorragie spirituelle. C'est une coupure, c'est une séparation d'une partie de vous-même. Tout dépend de l'investissement énergétique et psychique que vous mettez dans un être. C'est cela qui va faire la gravité d'un deuil.

D) Aspect subjectif du deuil

Lorsque vous voyez quelqu'un qui perd un être, fût-ce un petit animal, la question à vous poser c'est "qu'est-ce que représentait cet être pour lui ?" Il ne faut pas juger, ne pas se dire par exemple "il a perdu son chien, après tout, un chien c'est un chien !". Non, c'était son compagnon, son ami. Il faut donc faire attention lorsqu'on juge un deuil. C'est très subjectif, le deuil.

Il faut se mettre un peu dans la peau de la personne et se demander ce que représentait pour elle, l'être disparu. A une personne qui pleurait sa mère je demandais "que représentait pour vous cette femme ?" Et elle me répondit en pleurant "c'était ma mère mais c'était aussi la gardienne de mes enfants". Et on s'est aperçu que l'objet primaire du deuil c'était la mère mais que, où il faisait le plus mal, c'était sous l'aspect de "gardienne des enfants". C'était sous cet aspect que le deuil était le plus cuisant. C'est pourquoi on ne peut pas juger un deuil avant de savoir ce que la personne avait investi dans l'être disparu.

A la clinique chez nous, un jour, une dame se présente avec son fils de 11 ans. Et elle dit "il y a quelque chose qui ne va pas avec mon fils. Il a perdu sa grand-mère. Il n'a presque pas pleuré. Et maintenant il a perdu son chien et il est inconsolable. Il doit y avoir quelque chose de dévié chez cet enfant-là". Non ! La grand-mère, il l'aimait plus ou moins. Elle le chicanait souvent. Il n'avait pas de relation très profonde avec la grand-mère.

Mais son chien était son confident. Il allait à la chasse avec son chien. Son chien était son protecteur. Il couchait avec son chien. C'est sûr qu'une grand-maman vaut plus qu'un chien. Mais cet enfant de 11 ans avait investi plus de lui-même dans son chien que dans la grand-mère. Donc lorsqu'on aborde quelqu'un, il ne faut pas juger de son deuil en fonction de l'être disparu.

E) Le deuil, une petite mort

En poussant mes recherches un peu plus loin, je me suis aperçu que le deuil est aussi une petite mort. Il y a une partie de moi-même qui meurt avec l'autre personne. Souvent les gens veulent faire leur deuil de la manière dont la personne est décédée. Comment se fait-il qu'on dise souvent "dans cette famille-là on meurt de crise cardiaque, dans cette autre on meurt d'un cancer, dans une autre on a des idées suicidaires". On voit aussi des gens qui ont peur de mourir quand ils arrivent à l'âge où leurs proches sont décédés. Il y a un deuil qui est une programmation à mourir. On voit des gens qui, arrivés à l'âge de la personne décédée, ont les mêmes symptômes. Une personne qui fait son deuil meurt d'une manière symbolique.

Il m'arrive assez souvent, quand je rencontre des personnes qui vivent un deuil et qui ont confiance en moi, de leur dire "Comment penses-tu que cette personne est décédée ? Qu'est-ce qu'elle disait ? Qu'est-ce qui s'est passé en elle ?" Assez souvent mes interlocuteurs m'ont donné dans le détail ce qu'à vécu cette personne au moment de mourir, même s'ils n'étaient pas là. C'est donc qu'il y avait une expansion de soi dans une autre personne

Un jour, j'ai reçu une personne dont le fils s'était tué en voiture en heurtant un pylône. Je lui ai dit "Madame, qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce que votre fils a pensé en heurtant le pylône ?" Elle m'a dit "je le sais mais je ne peux pas vous le dire". A une autre séance, je suis revenu là-dessus. Je lui ai dit "voulez-vous me parler de la mort de votre fils ?" Alors elle m'a décrit en détail ce que son fils avait vécu, ce qu'il avait pensé.

Une autre personne vint me voir. Son fils était mort en avion alors que, pris par une tempête de neige, il avait été obligé d'atterrir sur un lac. L'avion s'était enfoncé dans le lac et tous avaient été noyés. Or la maman m'a décrit ce qui s'est passé dans la cabine. Or elle n'y était pas. C'est un mystère pour moi que les mères puissent décrire en détail ce que leurs enfants ont vécu alors qu'elles n'étaient pas là. C'est comme si quelque part, elles étaient présentes avec celui qu'elles aiment.

5 - Qu'est-ce que faire le deuil ?

Faire son deuil c'est se dégager, se dégager de la mort de nos proches. On n'a pas à porter sur soi les symptômes de mort de nos parents. Le deuil n'est pas une maladie. Le deuil est un événement de la vie. Deuil veut dire douleur. Faire son deuil veut dire faire sa douleur. Mais le deuil doit être quelque chose de transitoire dans la vie des gens. J'aimerais libérer les personnes de leur deuil. Il ne faut pas rester dans le deuil. Si on n'a pas les conditions pour faire son deuil, on ne peut pas.

A) Condition pour faire son deuil

Une des principales conditions c'est d'avoir la connaissance du deuil. Une autre condition c'est d'avoir une communauté qui nous accueille, qui nous reçoit, qui nous entoure, qui nous accompagne. Pour aider quelqu'un dans le deuil, il faut être présents. Une présence accueillante, une présence non envahissante mais sur laquelle l'endeuillé peut compter, avec qui il peut parler, se raconter.

La grande technique pour aider quelqu'un à faire son deuil, c'est de l'aider à se raconter. Ce n'est pas normal que le deuil se fasse dans les cabinets de psychologues. Ce ne serait pas nécessaire si la personne avait une oreille amie pour l'écouter, quelqu'un qui l'entoure.

 B) Rôle de l'entourage

Quand il n'y a plus de communauté, d'amis pour écouter et aider celui qui est dans le deuil, il faut faire appel à des professionnels. Si vous protégez les gens et ne les aidez pas à entrer dans la souffrance, le deuil va être beaucoup plus long. En ce qui concerne les enfants, aidez-les à affronter la mort, mettez-les en contact avec la mort. Bien sûr il ne faut pas les forcer. Il ne faut jamais forcer un enfant à voir un corps exposé. L'essentiel c'est de faire comprendre que la mort fait partie de la vie. Aujourd'hui, on cache la mort, la personne disparaît et le jeune se demande où elle est passée. Plus on cache la mort et plus on développe l'anxiété.

Un jour, un jeune a fait une tentative de suicide et sa mère lui a dit "As-tu réalisé la peine que tu nous faisais ?" Et le jeune a répondu "Mais vous m'auriez oublié comme tout le monde. Quand grand-père est mort, en quelques jours tout a été fini. On a vidé tout. On n'en parle plus".

Alors voyez-vous, la mort devrait faire partie de la vie. Même les enfants ont un contact avec la mort. Et, à ce moment-là, la mort devient une réalité et pas une fantaisie. A la Télévision, les jeunes voient mourir des personnages qu'ils retrouvent quelques jours plus tard dans un autre rôle. Alors la mort devient une grande fantaisie. Elle n'a plus de sérieux.

Raconter ses rêves peut aider à faire son deuil ? Une jeune femme qui venait de perdre son père a raconté le rêve qu'elle a fait. Elle se voyait près de la tombe de son père et lui disait : "je vais prendre sur moi ta maladie". Et son père lui a parlé et lui a dit "ne prends pas sur toi ma maladie. Tu as un mari et deux jeunes enfants. Tu dois t'en occuper et vivre pour eux." Raconter ses rêves c'est une autre manière de se raconter.

Terminer son deuil ne veut pas dire oublier la personne défunte. Quand on est capable de penser à elle avec joie, ça veut dire que le deuil est résolu et qu'on a des nouveaux liens avec elle. Le problème du deuil c'est de sortir de sa douleur.

Le fait d'aller voir la personne qui a perdu quelqu'un, de lui faire raconter sa vie, c'est déjà un grand pas de fait.

C) Défenses naturelles

Au moment de la mort d'un proche, il y a des drogues naturelles, des hormones qui envahissent l'organisme pour nous empêcher de trop souffrir. C'est là qu'on voit la sagesse de l'organisme. En outre, pendant un certain temps on fait des hallucinations tactiles, visuelles ou auditives. J'ai connu une femme qui entendait la voiture de son mari entrer dans la cour à 5 h tous les jours. Elle allait voir et il n'y avait personne. Les psychologues appellent cela des hallucinations. Est-ce qu'il n'y avait pas une réalité métaphysique là dedans ? Je pense que là, les Africains ont quelque chose à nous enseigner sur la présence de l'âme des personnes après la mort. Il semble que dans certains cas, il y a présence de la personne.

D) Dangers à éviter

Quelquefois au départ on cherche à nier la mort, à supprimer tout ce qui la rappelle. On fait tapisser la maison de photos de la personne, au Canada on fait des posters grandeur nature. Dans certaines maisons il peut y avoir un phénomène de momification. On ne dérange pas les objets. C'est quelquefois très pénible dans certaines maisons de constater que le mort est plus vivant que les autres membres de la famille. Quelquefois il y a des enfants qui se sauvent de la maison et on se demande pourquoi. C'est qu'on donne plus d'importance à la personne qui est morte qu'aux vivants qui sont là.

Un autre danger après un décès c'est le phénomène de substitution, lorsque après un décès un autre membre de la famille se propose pour prendre la place de la personne qui est décédée. C'est très dommageable surtout si cela se passe chez des enfants ou des adolescents. Je pense à cette jeune fille de 14 ans qui a dit à ses parents pleurant la mort de leur fils de 16 ans : "Papa et Maman, arrêtez de pleurer ! Je vais prendre la place de Michel !" Les parents n'ont pas bien compris.

Le lendemain, la jeune fille s'habillait avec les vêtements de Michel, elle commençait à prendre les manières de Michel, elle jouait aux jeux de Michel et en deux ans elle était devenue schizophrène, complètement dépersonnalisée parce qu'elle essayait d'entrer dans la personnalité d'un autre. Or elle venait d'une famille très bien. Il y a une phrase que les parents auraient dû dire lorsqu'elle a annoncé qu'elle allait prendre la place de Michel, c'est "viens pleurer avec nous ! On va tous pleurer ensemble et personne ne va prendre la place de Michel." Il y a des années de cela et la jeune fille a encore des troubles de comportement.

E) Etapes du deuil

Lorsque les résistances commencent à céder, il y a une sorte de dégel émotionnel et on peut s'attendre à un plus grand flot d'émotions. Cela arrive trois ou quatre semaines après le décès alors que famille et amis, croyant la personne assez sereine, la quittent en douceur. Mais c'est là qu'elle aurait le plus besoin d'eux. Trois semaines ou un mois après la mort de son proche. Et tout le monde est parti à ce moment-là. Et les personnes s'étonnent, se culpabilisent. "Trois semaines après la mort de mon mari, comment ça se fait que je sois si peu courageuse ?" C'est que les drogues naturelles commencent à s'évacuer et les émotions émergent et aussi l'anxiété, la peur de mourir.

Souvent il y a un sentiment d'abandon "j'ai été abandonnée". Et alors la tristesse s'exprime par des pleurs. Il y a aussi parfois de la colère. On est fâché d'avoir été abandonné. La colère se déplace parfois contre le médecin, contre les soignants, contre Dieu. A toutes les fois qu'on est frappé par un deuil, il y a une image de Dieu qui est appelée à changer. Les personnes sont invitées à prendre conscience que ce n'est pas Dieu qui a envoyé la mort. Et souvent les gens arrivent à prendre conscience que Dieu lui-même a souffert dans la personne de Jésus-Christ.

Quelquefois, il y a un sentiment de libération devant la mort d'une personne qui demande des soins lourds. Quand va arriver une acceptation de la mort, il y a un moment très difficile que j'appelle la grande lamentation. Quand les mécanismes de défense cèdent, quand le dernier espoir cède, les personnes tout à coup prennent conscience de tout l'amour qu'elles avaient pour ce proche et que c'est fini. Et vous avez les gens qui se lamentent et parfois suite à cette expérience-là, ils font des expériences mystiques.

Une autre étape c'est de prendre acte du deuil et de commencer à agir, commencer à classer des photos, ranger les objets, vider les garde-robes. Ce n'est pas des choses qu'on peut brusquer. C'est aux intéressés de le faire quand ils se sentent prêts. C'est important de tenir les promesses qu'on a faites ou de les modifier si on ne peut pas les tenir.

Il faut aussi trouver un sens à la perte. Une fois qu'on a pris une certaine distance avec le deuil, se dire "qu'est-ce que cette perte vient faire dans ma vie ?. Est-ce que je peux lui donner un sens ?" Le plus grand besoin d'une personne c'est de savoir quel est le sens de sa vie. Assez souvent à la suite du décès d'un être cher, c'est "qui suis-je ? que vais-je faire de ma vie ? Comment je vais employer mon temps ?"

Une maman avait perdu son fils de 19 ans dans un accident bête. Je l'ai suivie et je lui ai dit un jour "Madeleine, crois-tu que la mort de ton fils va prendre un sens dans ta vie?" Elle m'a répondu "je ne peux pas encore te le dire". Il faut laisser monter le sens, on ne peut pas le provoquer. Ce n'est pas un exercice intellectuel. Il faut laisser monter le sens des profondeurs de l'être de la personne. Deux semaines plus tard, Madeleine me revient et me dit "Je pense que j'ai compris une mission dans ma vie". Son fils lui avait laissé une cassette où il lui disait "maman, tu es merveilleuse".

Et elle a compris qu'elle devait devenir une "mère veilleuse". C'était une enseignante et elle a dit "maintenant je veux me dévouer davantage à ces jeunes qui quittent le foyer et qui manquent de mère". Elle est devenue une sorte de mère spirituelle pour eux. Elle s'était découvert une mission à la suite de la mort de son fils. Elle continuait d'être mère mais mère d'une autre manière.

F) Importance du pardon

Habituellement je demande à la personne endeuillée de pardonner à celle qui est décédée d'être partie et de l'avoir abandonnée en quelque sorte. Je lui demande aussi de demander pardon à celle qui est morte. Je trouve que pour la fin d'un deuil, cela aide beaucoup. Demander pardon, accorder le pardon, cela enlève ce qui reste de colère dans le deuil. Cela aussi enlève la culpabilité qu'il peut y avoir.

G) Transmission de l'héritage

Enfin l'héritage psychologique et spirituel, c'est une démarche un peu originale de ma part. Voici comment je fonctionne : je vous ai dit au début comment on projette chez l'autre personne des choses que l'on a en soi, l'autre personne partant, nous avons le droit de récupérer pour nous ce que nous avons aimé dans l'autre personne.

Lorsque le moment est venu de terminer le deuil, je demande à la personne endeuillée ce qu'elle a aimé chez son défunt. Puis je lui dis que toutes ces qualités elle peut désormais se les approprier et je lui demande de revenir quinze jours plus tard avec des amis pour une cérémonie d'héritage en apportant avec elle des objets qui symbolisent les qualités qu'elle a aimées chez son défunt.

Lorsqu'elle revient, on a préparé la salle pour tout un rituel avec de la musique, des fleurs. Et je lui dis par exemple, le sens de l'humour que tu as aimé chez ton mari, que tu lui as prêté pendant 15 ans et qu'il a enrichi de son propre sens de l'humour, maintenant qu'il est parti, tu le reprends pour toi.

Et effectivement, elle prend son objet symbolique et elle reprend le sens de l'humour pour elle. Je lui donne la permission d'actualiser cette qualité qu'elle a tellement admirée chez son mari. On fait de même avec les autres qualités et les autres objets et quand tout est récupéré, on fait une petite célébration pour célébrer le nouveau "moi".

On ouvre une bouteille de Champagne et, publiquement, je déclare le deuil terminé. C'est important parce que maintenant on ne sait plus quand un deuil se termine. Avant, on le savait par les couleurs des vêtements. Pour terminer un deuil on a besoin d'une sanction sociale. Ce rituel touche énormément les gens. Généralement les gens font cela d'une manière religieuse.

Nous trouvons un parallèle dans l'Evangile où Jésus dit à ses apôtres en St Jean "Si je ne m'en vais pas, l'Esprit Saint ne viendra pas en vous". Jésus, par sa mort, leur lègue son Esprit.

 
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