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Conférences 1999

 
 
Fraternité
 
 
"Premier né, d’une multitude de frère. " Romains. 8, 29
 
 
Diné débat, Conférence du Père Moingt.
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Je dois parler de la fraternité. Je vais commencer par chercher un peu ce que veut dire cette notion et dans quel contexte nous en parlons aujourd'hui. Ce sera l'introduction. Ensuite, il y aura deux parties : la fraternité, ce qu'il en est dans le Christianisme. Nous verrons ses bases. Nous verrons aussi ses limites et les conflits qui l'entravaient. Alors nous ferons un retour à l'Evangile, comment la fraternité est comprise par Jésus, comment elle est mise en œuvre par Paul. Et en conclusion, un retour à l'actualité.

LA NOTION DE FRATERNITE

Donc d'abord la notion. Il faut réfléchir à la fraternité, à partir de notre expérience d'abord, de notre expérience courante. La fraternité est liée à l'éveil de l'affectivité dans les familles, dans les liens fraternels.

Dans l'adolescence s'opère un déplacement : l'amitié qui naît entre les adolescents et les adolescentes fait un dépassement du lien familial. L'amitié vient coiffer en quelque sorte la fraternité, se met au-dessus mais aussi en dehors. L'amitié est élective et elle est sélective. L'un des premiers évangélisateurs en Chine qui était un père Jésuite, le Père Ricci, avait fait une espèce de paraphrase du traité de l'amitié de Cicéron et c'est devenu, paraît-il, un classique qui a beaucoup contribué à créditer le Christianisme en terre de Chine au 16e siècle.

Il y a donc ambiguïté pour savoir où situer exactement la fraternité. Nous disons couramment d'un ami "je l'aime plus qu'un frère", mais nous disons aussi de lui "c'est plus qu'un ami, c'est un frère".

Un deuxième sondage dans le registre politique. Le mot fraternité figure dans la devise de la république française depuis la révolution de 1848. Le mot fraternité n'a pas figuré dans la première devise de la république de 1789. Il n'y avait encore que la liberté et l'égalité. La fraternité est venue un peu comme l'aboutissement et le couronnement de la liberté et de l'égalité. Elle est donc entrée dans la devise de la République Française à la suite de ce fameux " printemps des peuples " que fut l'ensemble des révolutions de 1848 contre beaucoup de monarchies de droit divin, celle de Vienne mais aussi la monarchie romaine et la monarchie papale. A cette époque-là, on prône la fraternité entre les peuples. Il est donc intéressant de voir qu'elle vient dans une aspiration à l'appel universel entre les peuples. On renverse les trônes, les puissants qui se font la guerre pour essayer de faire la paix entre les peuples.

Je dirais que la fraternité n'est pas entrée dans la Révolution de 1789. Cependant il n'est pas inintéressant de savoir que cette notion avait été mise très en avant par le clergé constitutionnel et notamment contre les Chouans à qui on reprochait d'entretenir la haine. Elle était prônée par ce clergé constitutionnel au nom de l'Evangile parce que disait ce clergé, l'Evangile ne prêche pas la haine, il prêche la guerre (la paix ? Plutôt me semble-t-il). C'est sous l'influence de l'Evangile que ce mot est entré dans la devise républicaine.

Dans le registre religieux, les chrétiens sont habitués à entendre dire et à dire eux-mêmes que tous les hommes sont frères parce qu'ils sont tous les créatures du même Dieu, enfants du même Père, tous appelés au même salut dans le Christ. Depuis Vatican II, l'Eglise catholique a mis l'accent sur la notion de fraternité, fraternité entre toutes les églises chrétiennes, fraternité entre les trois religions monothéistes, fraternité avec toutes les religions et enfin fraternité entre tous les peuples, la lutte pour la paix contre la guerre.

Je ne détaille pas ces différentes impulsions données de notre temps à la notion de fraternité ; je conclus seulement que c'est une notion universaliste qui vise à mettre des liens de bonne entente et de coopération là où auparavant il y avait des frontières opaques. La fraternité éveille dans les coeurs des hommes, de l'intérêt, un intérêt bienveillant envers tous ceux qu'on pouvait auparavant traiter comme des étrangers sinon des ennemis. Voilà ce qui permet de préciser peut-être, la notion de fraternité par rapport à la notion de l'amitié.

Où en est la fraternité aujourd'hui ? Qu'en est-il de la pratique de la fraternité ? A quoi nous engage-t-elle ? Un gros progrès a été réalisé tout d'abord à l'intérieur du christianisme où je me situe d'abord. Ensuite je traiterai de la société française puis du plan mondial. Dans le christianisme, un gros effort a été fait à l'intérieur des communautés chrétiennes, un effort de l'ordre de la communication et de la convivialité. Ceux qui fréquentaient les églises voici 30 ans ou 50 ans se rappellent peut-être qu'on allait à l'église sans se regarder, sans se parler, peut-être même sans se saluer. Maintenant il règne un joyeux, un fraternel brouhaha dans la plupart des églises avant l'Eucharistie et après. C'est un grand progrès.

Un grand nombre de chrétiens sont maintenant acquis à l'oecuménisme et beaucoup de chrétiens ont pris conscience du danger des rivalités religieuses. Cependant, il ne faudrait pas sous-estimer qu'une partie notable des chrétiens qui est restée rebelle à ces évolutions. L'action des chrétiens en faveur de la fraternité est surtout sollicitée au dehors peut-être plus qu'à l'intérieur où il y a encore beaucoup de progrès à faire.

Dans la société française de nos jours, le combat pour la fraternité prend la forme de la lutte contre l'exclusion et contre la fracture sociale. Ce combat très important dans lequel nous devons reconnaître en effet, une requête de fraternité, est tout juste commencé. Car nous vivons dans des conditions économiques nouvelles qui fabriquent de l'exclusion et de la fracture. Donc il y a pour les chrétiens un vaste champ de travail dans la société politique et là le combat débouche directement dans l'action politique.

Enfin je n'insisterai pas sur le plan mondial puisqu'on vient d'évoquer la mondialisation, ce phénomène qui de nos jours mobilise l'attention. Depuis quelques mois vous avez dû voir d'innombrables articles dans les revues, sur ce sujet. Les livres se multiplient sur la mondialisation. On a un peu l'impression que l'humanité est entrée dans une nouvelle phase de son évolution et que, au mouvement d'explosion, de diversification, qui a donné naissance à la race humaine semble succéder de nos jours une phrase de contraction, d'unification, d'uniformisation. C'est un mouvement complexe. D'un côté, les frontières tombent. On entretient le sentiment d'appartenance au même monde par-delà toutes les attaches et les appartenances nationales. L'appartenance à la même aventure humaine. Les hommes se sentent devenir frères d'un continent à un autre. On acquiert une culture commune via internet par exemple. On se sent solidaires.

Malheureusement c'est le profit qui conduit ce mouvement sans s'inquiéter des masses que ce phénomène commence déjà à écraser ou à rejeter. Ce mouvement aussi efface les différences qui font l'identité des peuples et des individus ce qui risque de provoquer dans un proche avenir des réactions contraires et brutales. Donc c'est un phénomène qui d'un côté suscite de l'espoir mais en même temps peut-être tout autant d'inquiétude. C'est donc sur cet horizon de mondialisation que nous allons interroger la révélation chrétienne.

Elle va nous indiquer les bases de la fraternité humaine

LA FRATERNITE DANS LE CHRISTIANISME

Nous chercherons les bases, puis les limites que la loi religieuse impose à cette fraternité. C'est pourquoi nous devons dans une seconde partie faire un nouvel appel au message évangélique proclamé par Jésus et mis en œuvre par Paul pour apprendre à dépasser ces limites qui semblent inhérentes au système religieux comme tel.

LES BASES

"Jésus premier né d'une multitude de frères" et beaucoup de textes qui ont été cités. Pour me centrer sur le titre donné à cet exposé, c'est la prédestination de tous les hommes à devenir Fils de Dieu à l'image du Fils unique. C'est cette prédestination qui fait de tous les hommes des frères du Christianisme et donc qui les rend frères les uns des autres (Rom. 8,28-30) :

"Et nous savons qu'avec ceux qui l'aiment, ceux qu'il a appelés selon son dessein. Car ceux que d'avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères ; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés."

Paul montre comment nous pouvons passer du titre d'enfants de Dieu au titre de cohéritiers du Christ et ainsi être tous frères. Tous frères puisque tous enveloppés du même amour du même Père commun (Rom. 8,16-17) :

"L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de dieu. Enfants et donc héritiers ; héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui."

Ce chapitre de l'Epître aux Romains est extrêmement riche si nous voulons méditer ce thème de la fraternité. On y verrait même la fraternité avec le monde, avec la nature qui "gémit dans l'attente de son adoption nous dit Saint Paul.

Cette fraternité vise donc avant tout l'héritage de la vie éternelle. C'est sûr. Est-ce qu'elle reste uniquement dans les hauteurs ? Non. Nous devons en conclure qu'elle établit entre tous les humains des liens de parenté et de solidarité déjà dans le temps de la vie terrestre, des liens à mettre en oeuvre par conséquent dans le monde, dans l'histoire dès le temps présent de notre vie.

Nous pouvons tirer les mêmes conclusions en remontant à l'Ancien Testament. Je donne donc d'autres bases de cette fraternité (Gen 1, 26-27). C'est la création de l'homme et de la femme à l'image de Dieu. Nous portons tous la même image comme si nous étions tous engendrés par le même Père

Les Pères de l'Eglise disaient qu'il dit que nous sommes créés à l'image de Dieu de même qu'il est dit un plus loin que Adam engendra Seth à sa ressemblance. Donc c'est bien l'idée d'une fraternité fondée sur des liens de famille. Nous pouvons prendre encore Genèse 15,18, l'Alliance conclue entre Dieu et Abraham et celle Alliance est étendue à toute la race humaine "Je te donnerai une descendance nombreuse comme le sables de la mers...etc...". Cette Alliance fait de tous les hommes un même peuple de Dieu.

Autre base, le commandement "tu ne tueras pas" (Dt 5,17). Un rabbin commente ce texte dans la ligne talmudique en disant que si on dispose les 10 commandements de la Loi sur les deux tables de la Loi, le 6ème commandement "Tu ne tueras pas" se trouve à la hauteur du 1er "Je suis l'Unique, ton Dieu. Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi" et cela signifie qu'autrui existe, comme Dieu existe. C'est le "Je suis" et en face le "Tu". "Tu ne tueras pas" parce que je suis. Autrui existe comme Dieu existe. Il jouit comme Dieu d'une singularité absolue. Autrui est unique, comme Dieu. Il est sujet. Le visage d'autrui est le visage de Dieu. Il requiert un respect inconditionné. C'est le précepte qui révèle à l'homme sa transcendance dans le monde animal. Il trace la frontière entre l'humanité et l'animalité. L'homme ne tue pas son semblable.

Je vous renverrai encore à Lévitique 19,18 "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Ce précepte qui au début n'est pas encore accolé à celui de l'amour de Dieu (Dt 6,5). Ce précepte est lié au temps de Jésus et par Jésus lui-même, au précepte d'aimer Dieu. Et Jésus dans Marc 12,31 met ces deux commandements à égalité. Il les identifie l'un à l'autre. Il voit dans ces deux commandements le résumé et le fondement de toute la Loi (Matthieu 22,40) au point de faire de l'amour du prochain son précepte spécifique, unique, nouveau, Jean 13,34-35. Commandement nouveau en tant qu'unique, spécifique de tous ceux qui suivent Jésus. Donc nous pouvons conclure que la fraternité est le message central des deux testaments et qu'elle en fait même l'unité. Fraternité universelle, sans exclusion. Elle est faite de respect de l'autre, de justice envers l'autre. Plus que cela, de bienveillance, d'amour et c'est un amour actif, secourable. Voyez tous les préceptes que l'on trouve dans Lévitique, ch. 19. Voilà donc les bases de la fraternité chrétienne.

LES LIMITES

Voyons maintenant les limites et les conflits. La mise en pratique de la fraternité dans le christianisme est en butte à bien des restrictions et des contradictions au point que le Christianisme dans le cours de son histoire s'est rendu responsable, et même peut-être se rend encore de nos jours responsable de violences tragiques. Je ne m'y attarderai pas. Ce n'est pas agréable de s'y attarder. Il faut quand même les voir en face. Les persécutions du peuple juif au long de 2000 ans d'histoire, les divisions sanglantes entre les confessions chrétiennes. Elles commencent dès le 4e siècle à peu près. Les violences envers les peuples colonisés et envers les peuples évangélisés.

D'où viennent ces contradictions ? Je pense qu'elles viennent du système religieux comme tel, en tant qu'organisation cultuelle et rituelle, en tant qu'organisation légaliste et hiérarchique parce que le système religieux dans toutes les religions, instaure des différences discrimine "le même" et "l'autre" identifie le message religieux à une organisation statutaire et ainsi enferme le croyant individuel ou collectif, dans le particulier, l'exclusif de telle sorte que le croyant va identifier la cause de Dieu à la cause du système religieux auquel il appartient. Et ce système, du même coup, désigne l'autre comme étranger et même comme ennemi. Ainsi déjà, la religion de l'Ancien Testament, mais avant même cela, bien avant cela, il faudrait se rappeler que la toute première ciolence de l'humanité est liée à un conflit cultuel entre Abel dont Dieu agréait les offrandes et Caïn dont Dieu n'acceptait pas les siennes. Nous voyons la Loi Mosaïque restreindre l'Alliance à un peuple unique entre tous, un peuple élu. Et de ce fait, la fraternité reçoit des déterminations ethniques : la descendance charnelle d'Abraham. Je vous rappelle que Paul remonte à l'Abraham d'avant la circoncision justement pour dépasser tous ces clivages rituels. L'étranger résidant en Israël est protégé (Lév. 19,34) cependant le peuple élu ne doit pas se mélanger au peuple païen (Lév. 19,22-26). Interdiction des mariages mixtes de même que interdiction d'un oecuménisme cultuel. Par exemple, l'étranger ne sera pas invité au repas pascal. Dans la religion chrétienne, il en va rigoureusement de même et les discussions au sujet des rites alors que le christianisme était à peine né. Relisez le début de la 1ère lettre de Paul aux Corinthiens où les Corinthiens se disputent parce que l'un a été baptisé par Cephas, un autre par Paul, un troisième par Apollos et cela créait des divisions. Sue quoi Paul excédé de dire "moi, je n'ai baptisé personne".

Donc le baptême et les pratiques sacramentelles n'ont pas tardé à jouer le même rôle enfermant que la circoncision et les autres pratiques cultuelles dans l'ancienne religion juive.

Le principe hiérarchique a opéré des divisions au sein de l'Eglise. Il n'y a pas très longtemps, au temps de Pie XII, il était écrit dans l'Encyclique "Mysticis Corporis" que les protestants et les membres des autres confessions chrétiennes n'étaient pas compris dans le Corps du Christ puisqu'ils n'obéissaient pas au Pontife Romain. Dans le système religieux ne s'impose pas avec assez de force la tâche de travailler à la construction d'un monde plus humain et plus ouvert. D'où on voit qu'il nous faut dépasser le système religieux et revenir à l'Evangile.

LE MESSAGE EVANGELIQUE DE FRATERNITE

Nous chercherons à comprendre que l'esprit de l'Evangile est le principe d'universalité du Christianisme. Je dis bien, l'Evangile. Je ne dis pas la religion chrétienne comme religion. Et nous devons chercher à comprendre que l'Evangile nous appelle à toujours dépasser les limites inhérentes à la religion comme telle, comme système. L'Evangile nous appelle à briser l'enfermement de la fraternité dans la clôture du religieux. Je parlerai d'abord de l'enseignement de Jésus et ensuite de Paul.

 

L'enseignement de Jésus

Je relèverai deux traits. Le premier, Jésus désenclave le prochain (Luc 10,29...) En second, Jésus désenclave le Royaume de Dieu (Luc, 13,23... et Luc 17,21...).

Jésus désenclave le prochain

Cela s'enchaîne au débat sur le plus grand commandement de la Loi et Jésus nomme les deux premiers commandements. Là-dessus, le scribe qui l'interrogeait de poursuivre "mais qui est mon prochain ?" Et Jésus de raconter la parabole du Bon Samaritain.

Pourquoi était-il utile de dire qui est le prochain. C'est que la religion différencie des prochains plus ou moins proches ou lointains en leur mettant des signes d'ordre ethnique, par exemple "tu aimeras d'abord les tiens, tes proches, ou ceux de ton village, ou tes compatriotes". Et puis on va distinguer le compatriote de l'étranger qui réside dans le pays. Ou encore on met des signes cultuels : les purs, les impurs, les pécheurs de toute provenance. Or Jésus, lui, n'impose ni loi, ni rituel. Il montre que la charité transcende toutes les limites imposées par le Loi ou le rituel. On ne doit pas se préoccuper de savoir qui est mon prochain. Mais on doit se rendre proche de quiconque est dans le besoin. Voilà en gros la leçon de cette parabole du Bon Samaritain. Une parabole qui est doublement débordante puisque le prochain à secourir est un inconnu malchanceux qu'on trouve là sur le bord de la route et, d'autre part, le prochain qui nous est proposé comme modèle c'est le Samaritain. Celui justement que le Juif de cette époque ne tenait pas pour son prochain parce qu'il y avait des différences de Temple, de culte, de rituel entre les deux peuples.

Jésus désenclave le Royaume de Dieu

Luc 13,23... - Luc 17,21... Jésus ne fonde pas une religion. Il annonce le Royaume de Dieu et il montre que ce royaume ne tient pas compte des frontières religieuses. Il est ouvert aux pécheurs comme aux justes, aux gens du Nord et aux gens du Sud, de l'Ouest et de l'Est, aux païens comme aux Juifs, comme à la descendance d'Abraham. Non seulement, il dit cela mais il ajoute que les pécheurs et les païens ont le plus de chance d'entrer dans le Royaume de Dieu et d'y occuper les premières places. Vous savez comment Jésus mettait son action en accord avec son enseignement puisqu'il passait une bonne partie de son temps à fréquenter des pécheurs, des exclus et cela de manière quasi préférentielle.

Jésus désenclave le Royaume de Dieu d'une autre façon. Il ne le rejette pas dans un autre temps, dans un autre monde. Au contraire, il déconseille de supputer les signes et les moments où ce Royaume va venir. Il dit : "le Royaume est déjà là ! Il est agissant, il est au milieu de vous." Et donc il faut ici et maintenant l'accueillir et le suivre. Donc, la fraternité du Royaume de Dieu n'est par purement spirituelle et céleste. Elle n'est pas simplement à venir, dans le futur. Elle doit être vécue dans une fraternité humaine et actuelle. A nous de rendre ce monde plus fraternel, d'y faire régner la justice, la paix et l'amitié et Dieu alors intègre nos efforts dans la venue gracieuse de son règne.

L'enseignement de Paul

Comment Paul met en oeuvre l'enseignement de Jésus. Paul qui n'avait pas entendu les paroles de Jésus, qui n'avait pas été de ses disciples. Ce que Paul appelle son Evangile, ce qu'il appelle encore le "mystère caché dans les profondeurs des temps et qui lui a été révélé à lui, spécialement, c'est l'extension aux nations païenne des promesses faites par Dieu au peuple d'Israël, ces promesses qui font désormais partie de l'héritage du Christ (Rom. 16,25-27 - Col.1,27 ;2,2). Paul a compris que l'Evangile du Christ abolit les frontières religieuses. C'est un appel de la grâce qui ne connaît pas de frontières, qui n'est pas liée à la Loi religieuse, ni au culte religieux. C'est pourquoi il fait remonter l'Alliance de Dieu, les promesses du salut bien au-delà de la loi mosaïque jusqu'à Abraham. Gal,3 ; Rom.4. Il comprend donc l'Evangile comme un message de fraternité universelle, d'une fraternité libérée des signifiants religieux. Et de là découle se théologie de la justification: nous sommes sauvés par la foi du Christ et non par les rites. Nous sommes sauvés par la mort du Christ et non par la Tradition Religieuse.

Un second trait de la mission de Saint Paul, c'est ce qu'il appelle le ministère de la Réconciliation (2 Cor.5,16-21 ; Rom. 5,10-11). Vous n'ignorez pas que la propagation de l'Evangile aux païens a été l'une des premières graves questions que la communauté des disciples, tous Juifs d'origine, a dû affronter. Vous vous rappelez sans doute cet épisode de Pierre qui dans une vision voyait toutes sortes d'animaux impurs tandis qu'une voix céleste lui disait "allons, Pierre, mange !" Pierre dit "non, jamais je n'ai mangé d'animaux impurs". La voix de lui dire "n'appelle pas impur ce que Dieu appelle pur". On voit comment l'auteur des actes par cette mise en scène impressionnante a voulu faire cautionner l'ouverture de l'Evangile aux peuples païens. Les chrétiens, les notables de Jérusalem rassemblés autour de Jacques n'étaient pas du tout favorables à une telle ouverture. Ou alors ils voulaient y mettre des conditions, soit la circoncision, soit à tout le moins, quelques rites alimentaires. Paul, lui, conçoit sa mission comme une mission de réconciliation entre Juifs et Grecs. Il ne rejette pas le Judaïsme loin de là, mais il ne veut pas imposer aux païens la Loi juive qui les écarterait de l'Evangile. A l'intérieur même de la communauté chrétienne, il ne veut pas d'inégalités entre les chrétiens d'origine juive et les chrétiens d'origine païenne. Les chrétien d'origine juive se considéraient comme saints, saints parce que séparés, saints parce que purs, saints parce qu'ils pratiquaient des observances spéciales. Et Paul de dire aux païens "Vous êtes les concitoyens des Saints (Eph.2,11-22). Je vous rappelle encore la grave discussion qui a éclaté entre Pierre et Paul racontée dans (Gal.2 11-16). Lorsqu'étaient arrivés à Antioche des chrétiens d'origine juive qui espionnaient Paul, Pierre ne voulait plus manger avec les chrétiens d'origine païenne pour ne pas être dénoncé à Jérusalem. Et Paul l'a priss à partie très vivement, Paul ne veut pas de différence entre ceux qui mangent "cachère" et les autres. Il ne veut pas de discrimination. Il veut une seule et même table. Il est très riche de signification pour nous chrétiens de nous rappeler que les premières Eucharisties se sont faites sous le signe d'une table ouverte. Ouverte aux Juifs et aux païens. Paul est le premier grand leader religieux à prôner une société ouverte basée sur la tolérance des différences dans une même communauté fraternelle.

Nous voyons donc que dans le christianisme un retour critique au message évangélique permet de franchir les obstacles que le système religieux oppose dans la religion chrétienne comme dans les autres à l'universalité de la fraternité. Ce qui spécifie le message chrétien aux origine du christianisme c'est la fraternité entre tous les hommes. Et cette fraternité est un impératif absolu qui dépasse tous les clivages religieux. Toute religion est enfermante, cloisonnante. C'est pourquoi il faut toujours revenir à l'esprit évangélique pour évangéliser la religion.

Conclusion

Dans sa situation présente, le christianisme n'est plus une religion universelle. Dans les pays récemment christianisés, la religion chrétienne ne se répand plus, voire même elle régresse. Dans les pays récemment chrétiens, elle est en nette récession depuis longtemps. Elle l'était dans les pays d'Europe de l'Ouest et le Pape récemment déplorait publiquement que la situation comment à devenir la même dans les pays de l'Est eux aussi pourtant de vieille tradition chrétienne.

Cette situation peut-elle changer ? Dans les pays à domination de population non chrétienne un changement n'est guère envisageable à moins qu'on ne se lance dans un prosélytisme de type fondamentaliste et impérialiste qu'il ne faut pas souhaiter. Dans les pays d'ancienne chrétienté, on ne voit pas non plus comment la situation pourrait changer sans rejet de la modernité, et sans un retour archaïque à un ancien état de chose.

Le christianisme n'est plus une religion universelle. Doit-il renoncer pour autant à sa mission universelle ? Absolument pas. Il a toujours à annoncer l'Evangile comme message de fraternité universelle. Un message qui découle de sa foi au Christ, premier né d'une multitude de frères, et, dans le contexte actuel de mondialisation le chrétien doit encourager et répandre un esprit de fraternité universelle qui transcende toutes les frontières mais tout en enseignant à respecter la différence des cultures.

Comment comprendre cette mission universelle comme un message de fraternité universelle. S'agit-il d'un message purement humaniste ou philosophique. Non. De la part du christianisme, il s'agit bien de lancer au monde un message de conversion. Convertissez vous, c'est le premier mot de l'Evangile. Renoncement à l'égoïsme, renoncement à toute forme d'impérialisme. Un message qui dévoile la transcendance de l'homme, c'est-à-dire qui est en fait sa destination à Dieu. Un message qui est fondé sur la relation universelle de Dieu aux hommes en Jésus-Christ. Le mystère de la Croix et de la Résurrection de Jésus est inhérent au message de fraternité universelle. L'Evangile nous permet de découpler la réconciliation avec Dieu dans l'observance religieuse et la réconciliation entre les hommes. Dans la reconnaissance mutuelle d'une commune transcendance. L'Evangile nous invite à mettre en avant la réconciliation fraternelle entre les individus et les peuples et nous promet que cette réconciliation fraternelle nous obtiendra la réconciliation avec Dieu : "Il vous sera pardonné comme vous vous serez pardonné les uns aux autres".

Rappelons nous aussi Matthieu 25, la scène du jugement dernier où Jésus venant en Roi de Gloire s'identifie à tous les pauvres, aux prisonniers, aux malades, aux persécutés. Nous avons donc la ferme espérance à cause de cette promesse de Dieu en Jésus que plus nous mettrons de gratuité dans les relations entre les hommes, la gratuité qui risque de tant manquer à ce phénomène nouveau de la mondialisation. Donc plus nous mettrons de gratuité dans les relations entre les hommes et plus nous ouvrirons le coeur des hommes à la gratitude envers Dieu. C'est cela, la gratitude envers Dieu qui est la vraie religion en esprit et en vérité. Il ne s'agit pas seulement de tenir au monde un discours de fraternité universelle. Il s'agit beaucoup plus de le mettre en oeuvre dans nos Communautés. C'est-à-dire de constituer nos Communautés Chrétiennes en sociétés ouvertes. Le monde risque de se cloisonner d'autant plus que croîtra le phénomène de mondialisation. Là est la vocation spécifique du christianisme : empêcher le monde de se refermer sur des petites sociétés closes. Et donc nous devons constituer nos Communautés Chrétiennes en sociétés ouvertes sur le monde, ses problèmes, ses misères, ouvertes à tous les hommes en recherche de sens, des communautés qui soient des foyers de fraternité rayonnante.

 

QUESTIONS-REPONSES

1) J'ai entendu des choses faites pour me plaire. "Ce ne sont pas les rites mais la foi au Christ qui font la foi chrétienne. Il faut dépasser les rites religieux pour arriver à l'universalité de la fraternité"... Mais j'ai envie de dire "oui, mais à condition que l'autre accepte de jouer le jeu, pour vivre la fraternité, il faut 2 frères et pas un seul. Si vous proposez votre fraternité et qu'elle ne soit pas acceptée, que pouvez-vous faire".

2) Message de fraternité universelle, de tolérance, de respect, de partage, cela peut être accepté facilement aujourd'hui. Mais comment s'articule alors et comment peut être accepté un message de transcendance proposant une destinée humaine au-delà même de l'homme ? On rencontre des gens qui disent "nous, on est tout à fait d'accord pour la fraternité, la tolérance, le respect, mais on n'a pas besoin de Dieu pour cela".

Réponse :

Je vais commencer par la 2ème question parce que je pense qu'elle pourrait me fournir les bases pour répondre à la première. Pour parvenir vraiment à considérer l'autre comme un frère, c'est-à-dire comme moi-même, je suis obligé de dépasser constamment le clivage de ma propre singularité et de traiter l'autre comme un sujet absolu, comme Dieu, le respecter dans ses profondeurs. Ce n'est pas toujours facile de respecter tous les hommes. Pour certains, on est plein d'un sentiment spontané de respect et pour d'autres, comment traiter humainement des êtres qu'on tendrait à mépriser. Je pense qu'il y a d'abord un sentiment de transcendance humaine c'est-à-dire de sentir que tous les hommes sont appelés à une haute dignité, que cette dignité est en eux déjà et qu'ils doivent la respecter mutuellement. Je ne crois pas, en effet, qu'on a besoin de Dieu pour être frères. Je crois que le sentiment de l'humanité devrait suffire. Mais pour avoir cette haute idée de l'homme, cette haute idée de l'autre, de sa foi, il faut que je sois moi-même mu par un sentiment de transcendance et c'est là où la foi en Dieu m'aidera, moi croyant, à aller fraternellement à l'autre et m'aidera aussi à éveiller dans l'autre non pas formellement le sentiment de la transcendance de Dieu mais celui de la transcendance humaine. Que l'homme apprenne à respecter l'homme comme un sujet absolu, un sujet qui a des droits sur moi. Cela peut aller extrêmement loin et cela suppose un sentiment de transcendance que la foi en Dieu favorise.

J'essaie maintenant de répondre à la 1ère question. Il y a une phrase qui a été dite "pour me réconcilier avec l'autre, il faudrait d'abord que l'autre me demande pardon". C'est une très grave question que celle du pardon. Elle a été discutée dans le contexte des crimes contre l'humanité puisqu'elle avait été évoquée en France, notamment publiquement au moment de l'affaire Touvier. Je crois que Paul Ricoeur disait que le pardon n'est dû qu'à celui qui le demande. Par contre à tous est dû au moins un sentiment de respect, de justice. Comment amener l'autre à accepter mon offre de fraternité. La gratuité appelle la gratuité. On n'a pas à se soucier si l'autre répondra à mes appels de fraternité. C'est en se comportant gratuitement même sans attendre le geste en retour que se répandra ce sentiment de fraternité. C'est peut-être ce sentiment de gratuité qui manque le plus à l'heure actuelle. Récemment je terminais un article où on me demandait est-ce que Dieu sert à quelque chose ? Je répondais "non, Dieu ne sert à rien si ce n'est peut-être à donner le sentiment de la gratuité de l'existence humaine, de la nôtre et de celle des autres". C'est là que je pense très fortement que la foi en Dieu est très nécessaire non pas pour chacun peut-être, mais pour entretenir dans l'humanité ce sentiment de gratuité qui me permet de respecter autrui et de l'aimer comme un frère même s'il ne le mérite pas. Nous ne devons pas pour autant tomber dans l'angélisme mais je pense qu'on peut faire beaucoup de pas en direction du prochain avant de courir ce risque.

 
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