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Conférences 1999

 
 
L'Homme qui venait de Dieu
 
 
Exposés du Père Joseph Moingt
 
 
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Introduction

Il m'a été demandé de répondre à la question : qui est Jésus de Nazareth ? C'est la première fois que j'ai l'occasion de prendre la parole au cours d'un dîner-débat. Il m'a paru difficile de faire une conférence classique. Je vais répondre à sept questions qui m'ont été posées.

1° - Pourquoi s'intéresser à Jésus-Christ ?

Pourquoi s'intéresser à Jésus-Christ ? Serait-ce qu'il y aurait du nouveau sur l'histoire de Jésus ? Certains livres ont fait quelque bruit, ces dernières années, et ont pu donner l'illusion qu'on découvrait des choses nouvelles. En réalité, ce qu'on sait de Jésus aujourd'hui ne dépasse guère ce qu'on en savait au début du siècle, c'est-à-dire peu de chose. Peu de chose en dehors de son Evangile. Nous ne connaissons finalement Jésus qu'à travers ses témoins et ce sont des témoins croyants.

Pourquoi s'intéresser à Jésus ? Serait-ce qu'il est plus difficile de croire en lui, en sa divinité, que par le passé ? Je pense que cela a toujours été difficile, ne serait-ce que parce que croire en Jésus, Fils de Dieu, introduisait le nombre en Dieu. Ce fut la première difficulté. Il n'est pas sûr qu'elle soit résolue aujourd'hui. Les difficultés de croire au Christ ne sont pas plus grandes aujourd'hui que voici 2000 ans.

Je crois que la vraie raison de s'intéresser à Jésus aujourd'hui pour nous c'est que l'homme des société occidentales à notre époque ne sait plus où trouver Dieu et peut-être même ne sait-il plus où le chercher. Le silence s'est appesanti sur Dieu. On ne trouve plus son nom dans beaucoup de discours où il n'y a pas si longtemps, il était inscrit. Que ce soit dans la philosophie, dans les sciences, même dans le discours moral, on ne semble plus avoir besoin de Dieu et le nom de Dieu n'est plus visible dans nos sociétés sécularisées.

Alors l'homme occidental se retourne vers Jésus car c'est de lui que nous avons appris à connaître Dieu. Si nous croyons en Dieu, nous, les hommes de l'Occident, c'est à Jésus que nous le devons. Nous croyons en un Dieu, qui nous a été enseigné comme le Père de Jésus-Christ. Voilà pourquoi nous nous retournons vers Jésus. Notre intérêt est en ce sens éminemment théologique. Peut-être d'ailleurs est-ce la vraie manière de s'intéresser à Jésus que de chercher Dieu. C'est donc cette obscurité qui s'est répandue sur le nom de Dieu qui nous renvoie à Jésus.

2° - Qui est l'homme Jésus de Nazareth ?

Je dis "l'homme" parce que d'emblée nous allons à l'Evangile non pas exactement comme à ce que nous entendons aujourd'hui comme livre d'histoire. Nous serions déçus. En fait, nous allons à l'Evangile comme au récit qui nous raconte le passage de Jésus dans notre histoire.

Bien entendu, c'est un homme qui est mis en scène, un homme qui s'appelle Jésus de Nazareth dont on connaissait, du moins de son temps, le père, la mère, les frères et les soeurs. Un homme qui professait la religion de son peuple mais avec des écarts significatifs et qui devaient le conduire à un destin tragique.

Jésus est un homme inclassable. C'est le témoignage que donnait un historien des origines chrétiennes de notre temps, qui cherchait à classer Jésus dans l'une ou l'autre des figures religieuses de la société de son temps : prophète, rabbi, homme de religion. Il concluait en disant qu'on ne peut le classer dans aucune de ces catégories et que Jésus demeure pour nous une énigme. "Mais, ajoutait-il, cette énigme c'est lui-même qui nous l'impose". Si notre première approche de Jésus commence par un parcours historique à travers les Evangiles, ce que nous rencontrons c'est cette énigme et c'est elle qui nous attire à y déchiffrer un mystère.

C'est un homme inclassable. Un prophète ? mais il ne recevait pas la Parole de Dieu du dehors, elle sortait de lui-même et il n'avait pas besoin de dire "Parole de Dieu". Un docteur ? oui, mais il ne commentait pas la Loi, ni les Ecritures, sauf dans quelques circonstances et il ne suivait pas, il ne "répétait" pas la Tradition des Pères comme le faisaient tous les bons rabbis. Un thaumaturge ? oui, mais qui ne cherchait pas à soulever les foules. Il cherchait plutôt à consoler les gens, à libérer les esprits. Un homme de religion qui pratiquait donc la religion de son peuple mais qui en déplaçait les repères, qui brouillait les pistes.

Les religions sont des chemins vers Dieu. Jésus brouillait ces chemins-là et les gens étaient inquiets. Il se présentait comme le vrai révélateur de Dieu et comme s'il fallait, de lui, apprendre à connaître Dieu, comme si auparavant on ne le connaissait pas, comme si les Ecritures ne suffisaient pas à faire connaître Dieu. Il se présentait comme chargé de faire advenir le règne de Dieu. Et le monde attendait le règne de Dieu, autour de lui, à cette époque.

Mais les règnes qu'il annonçait étaient étranges puisqu'il y invitait les pécheurs, les pécheresses et les païens. Il paraissait conduit par l'Esprit de Dieu mais d'autres se demandaient si ce n'était pas plutôt par l'Esprit du mal. Et finalement, il a été condamné comme blasphémateur. Pourquoi comme blasphémateur ? On a senti que peu à peu il effaçait toutes les autres médiations pour être, seul, intermédiaire entre les hommes et Dieu.

Qui voulait faire la volonté de Dieu devait la chercher comme si elle n'était pas écrite. Et c'était par lui que devait passer la foi en Dieu. Il ne s'interposait pas entre Dieu et les hommes mais il faisait passer les hommes par lui pour accéder à Dieu aussi a-t-on compris qu'il voulait se mettre à la place du Temple, le détruire peut-être et il a été condamné comme blasphémateur pour ce motif.

3° - Quel est le fondement de la foi au Christ ?

C'est essentiellement sa résurrection. Mais comment pouvons-nous croire à sa résurrection ? Nous avons le témoignage des apôtres qui nous ont dit qu'ils avaient senti sa présence auprès d'eux. Ils sont d'ailleurs très embarrassés pour nous décrire le genre d'expérience qu'ils ont faite. Ils cherchent à nous convaincre qu'ils ont eu une expérience de type événementiel. Quelque chose leur arrivait, c'était la présence de Jésus qui arrivait soudain et disparaissait de la même façon.

Nous avons ce témoignage ; nous avons surtout la prédication des apôtres qui, eux non plus, n'ont pas compris tout de suite ce que cela signifiait. Et donc ne comprenant pas la résurrection, ils ne pouvaient pas non plus y croire. "Ils n'avaient pas encore compris les Ecritures" nous dit St Jean. Ils ont cherché à interprêter sa résurrection selon les Ecritures. Nous nous rappelons la règle de foi transmise par Paul "crucifié selon les Ecritures, ressuscité le troisième jour selon les Ecritures". ils ont donc interprèté selon les Ecritures. Ils ont compris que Jésus était redevenu vivant à la droite du Père car ils ont fait l'expérience de revenir à la vie par le souffle même de Jésus, par l'Esprit de Jésus qui les remettait debout, qui leur rendait la parole qu'ils avaient perdue.

Ils ont compris son sens pour nous, pour le peuple d'abord puisque la première interprétation qu'ils en donnent à la foule des Juifs le jour de la Pentecôte est une explication de type historique à savoir "ce qui s'accomplit là, c'est la promesse que Dieu a faite à vos pères, la promesse de faire advenir son règne, la promesse de la libération et du salut". Ils ont donc compris la résurrection de Jésus comme les prémices de la résurrection universelle, comme les prémices de l'avenir d'immortalité ouvert à toute l'humanité.

Donc, quand nous croyons à la résurrection de Jésus, notre acte de foi nous implique dans sa résurrection et c'est peut-être cela qui est le plus difficile. Le plus difficile ce n'est pas tellement de croire que cet homme est revenu à la vie, mais de croire que nous sommes appelés au même destin et de désirer ce destin. Il faut un grand désir de vie et de liberté, une grande foi dans l'humanité aussi. Croire que l'homme est appelé à ce destin-là de vivre dans l'intimité de Dieu. Il faut se sentir impliqué dans la résurrection de Jésus pour y croire d'un acte de foi vraiment salutaire.

C'est ici que nous recevons la révélation de Dieu. C'est ici que l'homme occidental qui ne sait plus où chercher Dieu, peut le trouver. Ici seulement. Les Juifs trouvent Dieu dans la révélation de Dieu faite à Moïse sur le Mont Sinaï. Pour nous, la révélation de Dieu est liée à la "surrection" de Jésus. Dieu se révèle comme celui qui fait sortir la vie de la mort, celui qui est le maître de la vie et de la mort. Dieu se révèle dans une grande effusion d'Esprit car mort, résurrection et avènement du Saint Esprit sont un seul et même événement de révélation. C'est l'Esprit Créateur. Dieu se révèle comme le souffle de la vie immortelle.

4° - Quelle est la signification de la mort de Jésus ?

Si Dieu se révèle dans la Résurrection de Jésus, pourquoi a-t-il fallu qu'il attende que Jésus descende au tombeau pour se manifester ? Ne pouvait-il pas l'arracher plus tôt à la mort et manifester ainsi sa puissance ? C'est la question que les Juifs posaient à Dieu , des gens sans doute de bonne volonté et de bonne foi, même s'ils y mettaient un accent un peu perturbé. Ils disaient "eh bien, si Dieu l'aime qu'Il vienne pour le descendre de la Croix. C'est toujours notre question. Cela a été la question des disciples qui, après avoir annoncé la résurrection de Jésus ont aussi annoncé sa mort.

Et pourquoi ? sinon parce qu'ils y pressentaient un mystère. Il y a quelque chose de très mystérieux dans la mort de Jésus pour qui croit à la résurrection de Jésus. C'est que Dieu se tait sur le Golgotha. Et quand nous méditons ce grand silence dans lequel Dieu est tombé dans notre temps, dans la société où nous vivons, nous sommes renvoyés à ce silence de Dieu sur la Croix et nous essayons de comprendre ces silences l'un par l'autre.

La mort de Jésus montre qu'il est à la ressemblance de Dieu Seigneur et Sauveur en cela que sur la Croix il a remporté la victoire sur la mort mais en descendant de la mort. Dieu ne lui a pas épargné la mort. Il a communiqué à Jésus la force de vaincre la mort, la mort subie. Aussi est-il devenu victorieux de la mort pour nous tous. La résurrection n'est pas une récompense que Dieu aurait accordée à Jésus, une revanche pour montrer à ses ennemis que Dieu lui donnait raison.

Jésus n'est pas ressuscité au Golgotha dans un grand éclat de gloire. C'est un peu cela que les disciples de Jésus qui se cachaient dans la foule attendaient et cela ne s'est pas produit. Cela ne s'est pas produit et la Croix nous révèle par là que Dieu est essentiellement amour, qu'Il est pour nous. La puissance de Dieu s'est résorbée dans son amour dans un amour désarmé, dans un amour tout gratuit.

La puissance de Dieu se manifeste en se cachant et c'est là où Dieu révèle l'inconditionnel de son amour pour nous. Il ne réclame rien même pas que nous le reconnaissions. Comment pourrions-nous le reconnaître sur le visage du crucifié ? Il n'exige rien en retour. Il n'est que pardon "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font".

Dieu a désarmé sa puissance sur la Croix pour ne laisser voir que son amour, cet amour qui est respectueux de notre liberté et qui nous appelle au don tout gratuit de l'amour. C'est ainsi que la Croix est la source de l'Esprit comme le manifeste l'Evangile de Jean avec le symbolisme du côté ouvert. C'est de ce côté ouvert que jaillit l'Esprit, cet Esprit que Paul appelle l'Esprit d'Amour ou encore l'Esprit de liberté.

C'est de la Croix que jaillit la liberté de la foi et c'est sans doute là que pour la première fois a été donnée à l'humanité la liberté de croire ou de ne pas croire. De croire puisque Dieu avait perdu toute évidence, et qu'on ne peut aller à Lui que par la foi et aussi la liberté de ne pas croire car Dieu ne peut pas châtier celui qui n'arrive pas à le reconnaître sur le visage du Crucifié. La Croix est donc vraiment source de l'Esprit d'Amour et de liberté.

5° - Qu'est-ce que signifie le concept d'Incarnation ?

Il va nous aider à préciser le statut de Jésus par rapport à Dieu. Ce concept signifie que Dieu s'est identifié à Jésus comme à un autre lui-même. Qu'Il a exprimé en lui sa parole qui est vie, qui est amour, qui est liberté. L'Incarnation nous apprend que nous sommes, nous aussi, prédestinés de toute éternité à devenir en Jésus, Fils de Dieu, comme Jésus l'est devenu par l'impression de la Parole de Dieu en lui.

Le concept de l'Incarnation nous aide à comprendre le sens de la création, à savoir que nous sommes créés pour l'immortalité, par un appel à la liberté, par l'appel à être libres devant Dieu même. Etre fils cela veut dire être libres. Celui qui est à la droite de Dieu, c'est celui qui est libre, qui n'est plus sous le pouvoir d'un autre. Donc Dieu de toute éternité se projetait en Jésus pour venir habiter avec nous en lui.

L'Incarnation nous révèle ce projet de Dieu d'être avec nous, dans l'un de nous, pour habiter finalement en nous par son Esprit. Le concept d'Incarnation se déploie dans l'Histoire, en forme de Trinité. Dieu par son Verbe dirige l'histoire vers Jésus, vers celui en qui Dieu veut mettre son Fils au monde pour répandre à travers lui dans toute l'humanité, son Esprit.

C'est en cela que nous disons que Jésus qui, comme le dit St Paul "est devenu Fils de Dieu par suite de son abaissement dans la mort et de son exaltation, de sa résurrection", est le Fils éternel de Dieu, c'est-à-dire celui que Dieu veut de toute éternité, celui en qui Dieu voulait faire alliance avec nous.

Ce concept d'Incarnation nous révèle l'humanité de Dieu en cela même qu'il est pour nous.

6) Que signifie cette affirmation du dogme "Jésus est vrai Dieu et vrai homme".

Sur la base du concept d'Incarnation, la prédication de l'Eglise s'est employée à enseigner la divinité de Jésus et ainsi à le projeter dans l'éternité. L'éternité appréhendée comme une durée à la façon du temps. Ce fut le dogme de Nicée où Jésus a été proclamé de même nature que Dieu. Mais du coup on ne comprenait plus comment il avait pu être engendré une seconde fois, engendré d'une femme. Et c'était son humanité qui se trouvait, du coup, compromise.

Le dogme d'Ephèse a défini que le Fils de Dieu avait vraiment été engendré de Marie. Mais on ne comprenait pas bien quelle sorte d'homme il était. Pouvait-il être un homme semblable à nous sans que ce soit au détriment de sa divinité ? C'est pour cela que l'Eglise a répondu à Chalcédoine au 5e siècle, qu'il est vrai Dieu et vrai homme. Que Jésus soit vrai homme, je ne sais pas si c'est vraiment un objet de foi. Quand on dit qu'il est vrai homme, il y a toujours un soupçon.

Les linguistes disent qu'il faut manipuler l'adjectif "vrai" avec beaucoup de précaution. En général, quand on éprouve le besoin de dire "c'est vrai", c'est parce qu'il y a quelque chose qui n'est pas tout à fait vrai. Si on dit qu'il est vrai homme, c'est qu'en réalité on disait "oui, oui, sans doute, mais il est Dieu donc il ne peut pas être quand même un homme comme nous."Vrai Dieu ? Ah vrai Dieu, oui, oui, mais enfin il était quand même un homme.

Vrai homme ce n'est pas à croire puisque, pour qui lit les Evangiles cela doit paraître évident si ce n'est qu'on peut et qu'on doit y croire en ce sens qu'il a assumé toute l'histoire humaine et qu'il est vraiment devenu le frère universel des hommes. Faut-il dire qu'il est vrai Dieu ? C'est un peu gênant.

Jésus ne s'est jamais dit vrai Dieu ("La Vie Eternelle c'est de te connaître, Toi, le seul vrai Dieu et Celui que tu as envoyé"), si ce n'est en ce sens que Jésus est un seul avec Dieu. Sa personne est la présence de Dieu parmi nous ; son histoire est la venue de Dieu à nous.

7° - Qu'est-ce que "annoncer Jésus Christ" ?

Annoncer Jésus Christ, ce n'est pas répéter le dogme. Ce n'est pas répéter les énoncés du magistère. C'est dire comment il donne sens à l'existence de chacun et à l'Histoire globale de l'humanité. C'est donner sens au nom de Jésus. Ce fut la première préoccupation des apôtres. Ils l'ont appelé "Christ" c'est-à-dire Messie, Envoyé de Dieu, ce qui avait un sens pour les Juifs. Ensuite, on l'a appelé Verbe, c'est-à-dire logos parce que cela donnait du sens aux grecs quand on leur annonçait Jésus.

A nous, de même, de donner sens à ce nom de Jésus. Jésus prend sens dans son histoire, c'est-à-dire dans son Evangile. Il annonçait le Royaume, il ne s'annonçait pas lui-même. Annoncer le Christ, c'est annoncer ce qu'il annonçait. A nous de dire ce que signifie pour nous le règne de Dieu, si nous l'attendons. Rendre raison de cette espérance du Règne de Dieu qui nous fait vivre. Cela pas seulement en paroles. Mais donner dans nos comportements et dans nos actes, de la vitalité à cette expérience du Règne de Dieu.

QUESTIONS

* La signification de la mort de Jésus est la question qui nous pose le plus de problèmes. Comment peut-on comprendre Jésus à son entrée dans le monde pour qu'il soit le sauveur en passant par le mystère de la Croix où il devient l'agneau immolé ? Pourquoi cette croix qui est un signe de scandale. Pourquoi cette mort même si elle est suivie de la résurrection, pourquoi pas autre chose ?

* Je voudrais revenir sur la question de la relation entre Jésus et le Père. Pour moi, c'est une question très importante parce qu'elle touche à notre destin en tant qu'hommes. On a dit autrefois "Il est consubstantiel au Père". La substance de Dieu pour moi cela ne dit rien du tout. Je pense que c'est quelque chose qui est issu de la physique aristotélicienne.

De même, on a dit "nature". Y-a-t-il une nature de Dieu ? Comme vous l'avez dit vous-même ce n'est jamais écrit dans l'Evangile que Jésus est Dieu. Il se situe toujours comme distinct du Père et même distinct de Dieu dans St Jean. Par contre, Jésus dit "le Père et moi nous sommes un". Qu'est-ce qui fait cette unité? Jésus dit aussi dans la prière en St jean "Tu m'as aimé avant la fondation du monde". Autrement dit, s'il y a unité entre Jésus et le Père, elle ne vient pas du fait que c'est la même substance, mais à cause de l'intensité de l'amour qui les unit.

Après, Jésus dit à ses disciples : "qu'ils soient un comme toi et moi nous sommes un. Tu les as aimés comme tu m'as aimé" Le comme me paraît très important parce qu'en maintenant la distance entre Jésus et le Père et en expliquant que leur unité vient de l'amour, cela ouvre la voie à tout homme d'entrer dans le concret de cette union du Fils avec le Père. C'est la même chose. Si on nous dit Jésus est uni au Père parce que consubstantiel, nous, on est exclus. Si leur union vient de l'amour, la Trinité devient le centre d'un tourbillon dans lequel tout est entraîné. Etes-vous d'accord ou pas ?

* Comment la Croix qui nous montre l'Amour et la liberté peut-elle avoir un sens pour le monde d'aujourd'hui, pour les non-croyants et quel lien entre le silence de Dieu devant la mort de son Fils et le silence que connaît l'homme occidental. Jésus se fait connaître par son message. Quel est le lien entre le silence et la Parole ?

* Peut-on penser que Jésus-Christ a pris le pas sur Dieu actuellement ? Si Gamaliel revenait, il aurait lu Jacques Monod et il dirait peut-être : Jésus-Christ est un grand génie spirituel mais comme tous les hommes, il est le fruit du hasard et de la nécessité et tout cela disparaîtra et, tôt ou tard, on retrouvera le grand silence des galaxies. Autrement dit, l'Histoire n'a pas de sens. C'est une hypothèse qui s'oppose à l'hypothèse chrétienne et toutes deux sont également indémontrables.

* St Paul est présenté comme témoin de la résurrection du Christ or il n'était pas là. Or ne sommes nous pas amenés nous aussi à être témoins de la Résurrection du Christ ?

* Vrai homme et vrai Dieu, il y a là une contradiction si profonde qu'on ne peut pas être vrai homme en étant vrai Dieu à la fois de l'intérieur d'une psychologie. Ou bien Jésus a conscience de sa divinité et alors il n'est plus un vrai homme parce qu'il a conscience de tout ce qui l'attend et est tenu à l'abri de la douleur humaine. Ou c'est l'inverse.

REPONSES

Je regroupe les trois questions sur la mort de Jésus et sur l'Incarnation auxquelles je vais répondre par priorité. Dans notre imaginaire, Jésus descend du ciel. Dans notre imaginaire, il est préexistant au Fils de Dieu, ce qui a été dit très tôt d'ailleurs dans la prédication de l'Eglise. C'est dès le second siècle qu'apparaît le terme préexistant qui est en quelque sorte le premier concept dogmatique que l'on voit arriver après les Ecritures.

Quand on voit Jésus descendre du ciel, de l'éternité dans le temps, on a évidemment beaucoup de mal à le recevoir comme un homme vrai. Depuis les origines à peu près, l'Incarnation du Fils de Dieu a été située au moment de la conception et de la naissance humaine de Jésus. C'est pourquoi si nous gardons en tête qu'Il est le Fils Eternel de Dieu, nous avons effectivement beaucoup de mal à comprendre sa nature humaine, à comprendre qu'Il est vraiment homme.

Les Christologies d'aujourd'hui ne partent pas du ciel ni de l'éternité. Elles partent du récit évangélique. Donc nous recevons l'humanité de Jésus sans problème et c'est à travers elle que nous remontons jusqu'à ce qu'on appelle sa divinité qui évidemment doit être bien comprise. Comment peut-on être à la fois vrai homme et vrai Dieu ?

Il est sûr que psychologiquement cela est impossible à comprendre quoique beaucoup de théologiens s'y soient essayés avec beaucoup d'intelligence sinon de réussite. Mais on reste toujours là dans des conceptions, des visions substantielles et je pense moi aussi que pour notre anthropologie contemporaine, la cohabitation des deux matières dans une personne n'est pas pensable. C'est pourquoi je vous ai donné de l'expression "vrai Dieu et vrai homme" une explication qui ne prétend pas être orthodoxe mais que je crois pensable.

Dans les Christologies d'aujourd'hui, on ne conçoit pas que le Fils existe avant l'Incarnation. Si vous lisez attentivement le prologue de Jean, vous verrez que Jésus n'est appelé Fils de Dieu qu'à la fin du prologue. Il est dit "le Verbe s'est fait chair" mais c'est seulement après qu'est nommé le Fils de Dieu. Alors quand on pose l'Incarnation tout au début de la vie de Jésus, il semble que Jésus ne soit né que pour aller à la mort, et donc pour devenir comme on l'a dit "l'agneau immolé" et on cherche à comprendre quelle était la nécessité de cette mort. Bien sûr on lui a trouvé des explications ; le péché originel. Ce sont des explications qui ne sont pas totalement "satisfaisantes". Peut-être même devrions-nous dire pour parler en vérité qu'elles ne le sont pas du tout.

Il est difficile de croire à la fois que Dieu est amour et de croire qu'il a fallu un sacrifice sanglant pour apaiser sa colère et obtenir le salut de tous les hommes. Le Dieu qui exige un sacrifice, je crois que ce n'est pas le Dieu annoncé par Jésus. Je pense pour ma part que c'est une figure antérieure de la divinité, figure que l'on trouve dans l'Ancien Testament mais que l'on trouve dans toutes les religions, la figure du Père de famille tout puissant. Le Dieu tout puissant c'est le Père de famille castrateur, qui a droit de vie et de mort sur ses enfants. C'est cette image-là qui habite dans notre imaginaire religieux le plus ancien.

C'est cette image qui s'est projetée à nouveau sur le Dieu de Jésus, sur son Père. Elle s'y est projetée simplement par ce qu'elle habite en nous et que l'Evangile a été annoncé dans des peuples qui étaient encore dans une mentalité religieuse. Et la notion de sacrifice est inhérente à la notion de religion, du moins ancienne. Mais nous, Jésus ne nous a pas enseigné une religion. Il nous a enseigné un Evangile c'est pourquoi il devrait nous être possible de penser Dieu autrement.

St Paul nous dit "si Dieu est pour nous, qui sera contre nous". La Croix nous révèle que Dieu est pour nous au sens où nous disons que la personne humaine est relation à autrui, que l'homme est pour un autre, que j'existe en relation à l'autre Dieu de toute éternité existe en relation avec l'homme. Il existe en vouloir de l'homme, en désir de l'homme, en amour de l'homme. Et Dieu veut donc se donner un Fils en qui il réaliserait toutes les possibilités d'être qui constituent précisément sa divinité car Dieu est riche de possible autant que d'être. Il existe en possibilités autant qu'en actes.

Dieu veut donc se donner un Fils, un Fils en qui il s'unirait à des créatures toutes dissemblables de lui. Aimer c'est toujours vouloir un autre. Un autre qui soit "autre" c'est-à-dire différent. Donc dans le Fils qu'Il veut mettre au monde, Dieu veut toute l'humanité que nous sommes. Il veut nous unir à Lui aussi fortement qu'Il s'unit à cet homme. Toute l'histoire humaine depuis son origine est conduite par ce désir de Dieu. Dire que Dieu désire un autre et qu'il désire de l'autre, c'est aussi bien dire qu'Il est en manque, en manque de nous, en passion de nous, en passion d'amour. C'est la révélation que Dieu est créateur éternel, que Dieu veut donner sa vie. La vie qu'Il veut donner c'est la vraie vie, c'est la vie qui ne va pas à la mort, c'est la vie immortelle.

L'immortalité, la liberté, le devenir Fils de Dieu, c'est la même chose. Dieu crée l'homme en lançant dans le monde un appel à la liberté. C'est cet appel qui fait naître l'homme au sein de la matière et plus tard au sein de l'animalité. Parce que Dieu veut des Fils il veut des êtres libres. Autrement dit, il ne peut pas "faire" d'autres fils. Il peut seulement les aider à le "devenir". Il les aide par la puissance de son appel.

Je croirais volontiers que ce projet de Dieu faisait place au hasard. A ce point que nous ne pouvons d'ailleurs pas savoir aujourd'hui s'il réussira. "Le Fils de l'homme quand il reviendra trouvera-t-il encore de la foi sur terre ?" La foi n'est pas un savoir de certitude. La certitude de la foi n'est pas de l'ordre du savoir. D'ailleurs, je crois que le savoir, quand il atteint un certain niveau, est plein d'incertitudes. Ces incertitudes auxquelles le dogme répond trop facilement en les appelant mystères. Je crois donc que Dieu dès lors qu'il a voulu qu'advienne un être de liberté, s'interdit dans l'histoire des interventions de puissance. Donc, il livre son plan au hasard. Mais ce plan est conduit par la puissance de l'Amour. Et nous qui croyons à l'amour de Dieu, nous ne pouvons pas douter dans notre foi que ce projet ne réussisse.

Depuis le commencement du temps, Dieu est à la recherche de l'homme, il est à la rencontre de l'homme. C'est cela même qui fait et qui est l'Histoire. L'Histoire de l'homme c'est l'éveil d'une liberté, d'une liberté qui va lutter contre la nécessité de toutes les causes du monde et qui va essayer de faire du sens.

Avec raison, je crois, les Pères grecs ont adopté ce nom de logos qui résumait la sagesse grecque et qui exprime cette marche de Dieu dans l'Histoire qui essaye de faire du sens, de faire advenir le sens. Et le sens ne peut advenir que par la liberté et l'amour. En ce sens là donc Dieu s'était déjà lié dès le matin du monde et interdit d'intervenir par des actes de puissance dans le cours du destin de l'homme. Et il se l'interdit toujours.

Je crois que c'est cela qui est la signification du silence de Dieu sur la Croix. Nous y sommes renvoyés et ce silence de Dieu n'est compréhensible que si nous sommes capables de concevoir Dieu autrement que nous l'avons conçu, c'est-à-dire autrement que sur le modèle du Père tout puissant qui est d'ailleurs un modèle païen.

Dieu se montre capable d'accepter la mort, d'accepter le néant en Lui. Il se montre capable de vivre dans le temps avec nous. En ce sens on a tout à fait raison de dire "il n'y a pas de nature de Dieu". Les anciens le savaient bien. Ils disaient que Dieu est à la fois essentiel, supra-essentiel, non essentiel.

La nature, c'est la loi. C'est ce qui limite. C'est ce qui force quelqu'un à être toujours le même. En ce sens-là, Dieu n'a pas de nature, Lui qui n'est soumis à aucune loi. Il invente chaque jour son être, son existence et c'est pourquoi Dieu se fait aussi en cela même qui est autre. C'est pourquoi il peut se poser dans le temps et dans le néant. Il peut introduire en lui le temps et le néant.

C'est ce qu'il fait quand il s'unit à l'homme Jésus. Pourquoi cet homme ? Les Pères se demandaient pourquoi l'Incarnation s'était produite à ce moment-là de l'Histoire plutôt qu'à telle autre. Question absolument sans réponse et je pense que le moment de la venue de Jésus a été laissé au hasard de l'histoire et sans doute aussi aux prières et à l'espérance des hommes. En s'unissant à cet homme qu'il laisse aller à la mort, il assume donc aussi notre mort. Il assume notre mortalité pour nous donner à nous-même la force de la détruire et ainsi d'exister dans l'illimitation de la vie qu'il veut nous communiquer.

Il y a place pour nous dans l'unité du Père et du Fils pour ce même motif que c'est l'unité de Dieu et de l'autre, en qui Dieu veut s'unit à ce qui est autre que lui, à sa créature. Nous sommes dans cet amour singulier que Dieu porte à Jésus comme à son Fils unique, dans cet amour singulier nous sommes nous-mêmes pris, nous sommes enveloppés dans cet amour et appelés à entrer dans cette intimité. Pour nous aujourd'hui, effectivement, la Croix est révélatrice d'une autre idée de Dieu que celle à laquelle nous nous sommes habitués. Peut être que si nous voulons continuer à croire en Dieu, nous devons changer d'idée de Dieu.

Un théologien juif a fait un petit livre intitulé "le concept de Dieu après Auchwitz". Après Auchwitz Dieu est inconcevable pour un juif, du moins le Dieu traditionnel, le Dieu tout puissant. Alors si nous voulons continuer à croire en Dieu il n'y a plus qu'un moyen c'est de sacrifier la puissance de Dieu, car nous ne pouvons croire à Dieu que s'Il est amour. C'est bien cela que la Croix de Jésus nous révèle. Ce n'est pas un Dieu en soi et pour soi. Ce n'est pas la révélation du tétragramme divin "Je suis celui qui suis"'. C'est le Dieu pour nous. C'est là que Dieu nous révèle son humanité et on ne peut parler de son humanité qui est son "pour nous", avant l'Incarnation du Verbe.

Son humanité qui est son désir de nous, le désir qui nous appelle à Lui, en toute liberté, sans jamais forcer notre assentiment. C'est pourquoi la Croix est vide d'interventions de Dieu de même que la résurrection est vide de signes de puissance extérieure de Dieu. "Dieu s'est révélé à des témoins choisis d'avance" dit l'Apôtre Pierre, c'est-à-dire des témoins qui ne peuvent pas imposer une certitude historique. Dieu ne veut être aimé que dans la gratuité de notre amour. Dieu met sa puissance dans son amour et la puissance de l'amour c'est sa gratuité. l'amour qui appelle l'amour en retour, cet amour-là est un amour faible et un amour en réalité, impuissant. La vraie puissance de l'amour qui est conforme à la nature de l'amour c'est de ne rien exiger de celui qu'on aime.

Je pense que c'est cela qui est la révélation de la Croix, c'est cela qui nous affranchit du péché. Le péché c'est ce qui nous écarte de Dieu, c'est ce qui nous empêche de l'aimer. Ce qui nous écarte de Dieu, ce qui nous empêche de l'aimer, c'est la peur, la peur du Père Tout-Puissant, la peur du Père castrateur. Sur la Croix, Dieu détruit puissamment cette peur-là. C'est en cela qu'il nous sauve, car l'appel de son amour répandu par l'Esprit Saint dans les coeurs, cet appel parvient jusqu'au fond de nos coeurs. Nous n'avons rien à craindre de ce Dieu qui se manifeste dans le cri d'abandon, de déréliction de son Fils. Nous n'avons rien à craindre de Lui. C'est pourquoi il nous est possible de l'aimer, nous aussi gratuitement. Cette gratuité de l'amour inclut même le doute que nous pouvons avoir.

Qu'en sera-t-il quand nous serons renvoyés au silence des galaxies. Il n'y a pas de réponse de certitude à cette question. Il n'y a que la confiance de l'amour. Je crois qu'il faut penser l'absence de Dieu aussi dans cette dimension cosmique où il nous est si difficile de loger notre relation à Dieu. Notre relation à Dieu est l'héritage du temps où nous croyions que les dieux venaient sur la terre s'occuper des humains pour réclamer leur tribut, pour réclamer leurs hommages.

Notre foi en Dieu est née du temps où nous croyions que tout l'univers tourne autour de la terre. Ce n'était qu'un petit univers alors dont nous avions connaissance. Et maintenant nous nous sentons perdus et le silence des galaxies s'appesantit sur le silence du Calvaire. c'est là où notre foi se fait "foi".

On dit qu'aujourd'hui, on parle davantage de Jésus-Christ que de Dieu. Mais je crois que vous avez compris dans ma réponse que la raison de nous intéresser à Jésus-Christ c'est bien Dieu. C'est le lien singulier que nous, nous mettons entre Jésus et Dieu, c'est cela qui est en cause parce que, à travers cela, c'est un certain lien de Dieu aux hommes qui est révélé et qu'on ne trouve dans aucune autre religion.

On m'a posé la question de Paul. Les Apôtres sont témoins de la Résurrection mais Paul ? Là aussi nous retrouvons le jeu du hasard et de la nécessité. La nécessité, ç'aurait été que les témoins, ce soit ceux qui avaient vécu avec Jésus depuis le baptême jusqu'à l'Ascension. Et puis surgit un autre apôtre qui n'a pas vécu avec Jésus, à aucun moment et qui va si puissamment contribuer à répandre l'Evangile hors des milieux juifs. Et c'est sans doute à Lui que l'on doit que l'Eglise soit l'Eglise c'est-à-dire pas seulement l'Eglise de la circoncision mais aussi de l'incirconcision.

Là, il y a quelque chose de très beau. On pourrait trouver des analogies dans l'Evangile : ceux qui ensevelissent Jésus, ce ne sont pas ses disciples du jour mais ses disciples de la nuit. Les premiers annonciateurs et témoins de Jésus Ressuscité, ce ne sont pas les disciples, ce sont les femmes. On voit beaucoup de choses de ce genre qui nous montrent la grande liberté avec laquelle Dieu conduit son projet car je ne crois pas qu'il le conduise par des interventions dans le cours de l'histoire.

Je crois que ce qui conduit aujourd'hui le projet de Dieu c'est l'appel d'amour et de liberté qu'il a lancé dans le cosmos tout au début de la Création. Ionas dit que Dieu nous a tout donné à ce moment-là et qu'il n'a plus rien à nous donner, sur ce point-là je le suis.

Seulement sur ce point là car Ionas ne prête pas de projet à Dieu et je ne vois pas comment on peut dire que Dieu est amour s'il n'a pas un projet qui nous concerne. Mais pour en parler nous sommes aidés par le concept d'Incarnation. Ce concept d'Incarnation que je n'entends pas de façon dogmatique mais qui signifie "Dieu avec nous".

QUESTION.

* Quand on regarde l'histoire de la science, on a cru jusqu'à une époque reculée qu'on pouvait toucher la vérité, qu'on pouvait dire : la nature, c'est cela. Pour la théologie il me semble que c'est un peu pareil. Dans l'histoire des sciences on a pris conscience que la réalité nous échappe. Nous avançons vers la réalité en reculant. C'est un peu comme une statue transparente. Pour la voir, il faut l'habiller, mais comme on ne connaît pas la forme on ne sait pas comment mettre les habits. Alors on essaye. Et peu à peu on met des habits et on finit par voir la silhouette de la vérité. Mais ce qu'on voit ce n'est pas la vérité, c'est les habits qu'on a mis dessus. Autrement dit, on dit des choses. Ce n'est pas forcément idiot mais ce qu'on voit, c'est ce qu'on a dit, nous. Et il arrive un moment où on se dit "ça ne va pas du tout" et où il faut abandonner cela.

Dans la vie spirituelle, c'est pareil. Nous avons besoin pour prier d'une certaine représentation à la fois rationnelle et affective de Dieu. Et comme nous grandissons, il arrive un moment où cette représentation ne marche plus. Et on est dans le désert, dans la solitude que connaissent beaucoup de mystiques. Je crois que là il y a une démarche fondamentalement pascale, qu'il faut quitter quelque chose pour aller vers autre chose dont on n'est pas tout à fait sûrs. Je pense que pour les définitions du dogme, c'est pareil. Ils ont été dits dans certaines circonstances. C'est ce qu'on disait de mieux à ce moment-là. Et puis il arrive un moment où il faut abandonner que la terre est plate, ce qui n'était pas idiot à l'échelle de Chatenay-Malabry.

REPONSE

Ce n'est pas seulement une question de trouver ou d'élaborer d'autres définitions. C'est une autre notion de la vérité et de la connaissance de la vérité, de la conscience que nous avons des voies d'accès à la connaissance qui est en cause. C'est cela qui change les choses. Dans le dogme on s'est toujours préoccupé de donner des définitions objectives mais on ne s'est pas beaucoup préoccupé de la connaissance elle-même de la vérité qui maintenant est devenue préoccupante. C'est elle qui oblige à un autre langage. Ce n'est pas qu'on découvre autre chose ou qu'on contredit les dogmes. Simplement on pense différemment. L'idée que la pensée est constituée par la temporalité est une acquisition récente, les anciens ne l'avaient pas.

QUESTION

* Comment Dieu-Amour vit-il avec le mal ? Il y a des gens qui veulent personnifier le mal. Mais je suis loin de cela.

REPONSE

Cela appartient à l'imaginaire religieux. Le dualisme est profondément ancré. Le Christianisme comme le Judaïsme a refusé une dualité de Dieu mais on a trouvé un succédané au dieu mauvais avec le diable. Si Dieu est comme nous, il doit vivre très mal avec l'existence de ce mal. La seule réponse chrétienne qu'il y a au problème du mal c'est que Dieu souffre avec nous. Cela aussi oblige à modifier très radicalement nos conceptions de Dieu. Dieu souffre avec nous pas simplement parce qu'il a quelque part là-haut pitié de nous dans son ciel, mais il souffre de nous, il souffre du temps. L'amour est toujours une souffrance. Dire que Dieu aime c'est dire qu'il est vulnérable à la souffrance. S'il ne l'est pas, il n'aime pas.



QUESTION

* Comment concilier l'immuabilité de l'être de Dieu avec votre théorie sur l'Incarnation. Comment comprendre l'origine du Verbe qui, devenant Fils, paraît dépendre de la Création du monde et de l'histoire humaine ?

REPONSE

Si la théologie consent à se faire dans l'Evangile et non dans la métaphysique, elle se construit nécessairement dans le temps puisque l'Evangile est un récit, donc de l'Histoire. L'une des nouveautés de la théologie contemporaine c'est de renoncer à l'idée de l'immuabilité et de l'impassibilité divines, idée qui s'accorde très mal avec toute l'économie de l'Incarnation. J'ai eu moi-même de la difficulté à rendre compte de la relation de Jésus à Dieu en partant de l'Histoire. La réponse c'est que c'est Dieu lui-même qui vient à l'Histoire et Jésus ainsi trouve Dieu dans l'Histoire même, mais une Histoire qui était en marche vers Lui.

Saint Paul fait cette remontée du premier-né de la résurrection au premier-né de la Création. Premier-né de la Création pour la même raison qu'il est premier-né d'entre les morts. Il ne le fait pas en préjugeant une existence éternelle de Jésus mais simplement sur la base de sa victoire sur la mort. Jésus entre dans l'unité avec Dieu parce que Dieu lui-même entre dans la mort, entre dans le temps en se livrant à l'Histoire.

C'est l'idée d'un Dieu vraiment proche de nous et au fond, est-ce que ce n'est pas cela que toute la révélation tend à nous apprendre. "Je suis un Dieu qui s'approche" dit Dieu dans Jérémie. C'est un Dieu qui parle à l'homme et les analyses du langage montrent que le langage qui est la supériorité de l'homme sur l'animal est aussi sa faiblesse car, par le langage, vous livrez votre existence à autrui et vous dépendez de lui. Si autrui ne vous répond pas, vous n'existez pas.

Un théologien juif disait pendant la première guerre que Dieu en s'adressant à Abraham a couru un grand risque. C'est peut-être cela qu'il faut penser. Ne pas partir avec notre idée d'un Dieu qui sait tout d'avance, qui a tout prévu, tout boulonné, tout vissé mais un Dieu qui, lui-même, se livre au hasard, un Dieu qui accepte de se défaire même dans le temps, un Dieu tout proche de sa créature. Un point trés caractéristique de la théologie contemporaine c'est de penser Dieu dans le temps et le temps en Dieu, de même que de penser la mort en Dieu. Cela toujours à partir d'une méditation sur la Croix. Je crois que cela nous conduira à une théologie nouvelle qui ne fait encore que balbutier.

 
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