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Conférences 1999

 
 
Vers des Sociétés plus justes : les défis de l'Afrique
  Qu'as-tu fait de ton frère ?
 
 
 Conférence de Jean-Marc ELA
 
 
Journée C.C.F.D. : 23 Février 1997 
 
     
 

Présentation par Thérèse LOCOH

Jean-Marc ELA est né au Cameroun ; il est à la fois sociologue et théologien, il a fait ses études de théologie à Paris et de sociologie à Strasbourg et sa thèse portait sur les structures sociales traditionnelles et les changements économiques chez les montagnards au Nord du Cameroun.

Jean-Marc a été très longtemps dans une paroisse des montagnes du Nord du Cameroun. Il dit lui-même qu'il y a puisé une bonne part de l'inspiration de ses recherches. Il a également enseigné à l'Université de Yaoundé. Ses livres sont très connus en Afrique et apportent en Europe la parole d'un homme de foi et d'un homme de vérité.

Homme de vérité, il le paye cher puisque en 1994, Jean Marc, menacé de mort, a été obligé de prendre le chemin de l'exil comme malheureusement trop d'hommes de sa trempe sont obligés de le faire actuellement en Afrique.

Néanmoins, Jean-Marc travaille pour l'Afrique. Il écrivait dans un de ses livres il y a quelques années "Comment relire l'Evangile à partir du contexte de domination en Afrique sans recevoir l'appel à prendre la route ?"

Ce matin on nous a parlé de marcher dans la lumière et je crois que Jean Marc va nous inciter à être sur cette route.



Exposé de Jean-Marc ELA

C'est un peu dans l'esprit d'un témoignage personnel que je voudrais vous livrer quelques réflexions sur le sujet de ce Carême "Vers des sociétés plus justes". L'Afrique est un défi pour nous. Je vais parler à la fois comme théologien, comme prêtre appartenant à l'Eglise universelle.

Il me semble que les grandes priorités qui doivent mobiliser les chrétiens et les chrétiennes aujourd'hui ne sont pas des questions de sacrements, baptême, mariage, eucharistie, même si je reste très attaché à l'Eucharistie. Il me semble que les priorités fondamentales aujourd'hui c'est de travailler à construire le Royaume de Dieu. Nous avons besoin de faire une halte pour nous mettre à l'écoute de Dieu. Peut-être qu'aujourd'hui on comprend davantage que, pour écouter Dieu, il faut écouter l'homme et la femme, écouter le monde, écouter l'Afrique.

J'ai le sentiment très net que l'Afrique est devenue un des grands pôles de la révélation vivante, un lieu où Dieu parle non seulement à son Eglise mais à l'humanité de notre temps. Le sujet que je dois traiter est très délicat parce qu'il touche à des points sensibles. Nous vivons une époque de frilosité ici en Europe. Dans les manifestations qui ont lieu, tout ce qu'on peut lire sur les pancartes, les affiches est très révélateur.

J'ai eu moi-même l'occasion de me trouver là-dedans et je me suis posé une question : mais moi chrétien, moi théologien, qu'est-ce que cela peut vouloir dire pour moi ? La préoccupation de la justice, la quête vers des sociétés plus justes m'apparaît comme l'une des grandes questions qui se posent à notre temps ; et peut-être qu'aujourd'hui on va se rendre compte que la nouvelle question sociale, aussi bien ici dans les pays du Nord que dans nos pays à nous, est essentielle et prioritaire. Il faut faire en sorte que la "terre tourne un peu plus juste" comme disent nos amis belges.

Pour situer mon intervention, je voudrais partir d'une question qui me semble vraiment fondamentale : face à l'ampleur des mécanismes de paupérisation et d'exclusion, comment confesser Dieu dans la foi à partir de la situation des Africains ? Il me semble qu'il y a là une question d'avenir.

Comment confesser Dieu, vivre la foi en Jésus-Christ face aux mécanismes qui produisent la pauvreté, pas seulement à l'échelle d'un pays mais à l'échelle mondiale parce qu'on assiste de plus en plus à une mondialisation de la pauvreté face à ces mécanismes d'exclusion ? Il va falloir renouveler notre façon de voir la justice, de nous représenter Dieu afin de percevoir ce que j'appelle l'enjeu de Dieu.

Je voudrais m'arrêter sur trois points essentiels :

1. D'abord vous livrer quelques éléments de réflexion sur la situation que nous vivons aujourd'hui en Afrique.

2. Ensuite essayer de porter un regard de foi sur cette situation en nous demandant si le moment n'est pas venu pour nous aujourd'hui d'essayer de rencontrer Dieu à la marge de l'histoire, en rencontrant tout un espace de foi et d'action en solidarité avec les innombrables victimes des mécanismes de rejet.

3. Enfin, je donnerai quelques pistes qui peuvent nous permettre d'inventer l'avenir.


1) La situation en Afrique

Dans les villes et villages africains on rencontre des gens qui nous disent : "j'ai été frappé par la crise". Le langage est très révélateur de leur vécu. Il m'arrivait en Afrique de me mettre à l'écoute de ces gens pour essayer de capter leurs mots et leurs images et de les rejoindre dans la manière dont eux-mêmes essayent de penser leur propre situation. Ce qui est frappant c'est que le mot "crise" a fait irruption dans le langage de beaucoup d'Africains depuis au moins une dizaine d'années ou plus.

Comment vivre lorsque par exemple vous passez huit à douze mois sans salaire, lorsque vous êtes employé dans un service public et parfois même dans le privé. Quels efforts d'imagination il faut déployer pour composer un menu dans une famille qui doit nourrir une douzaine de personnes, que les salaires ont baissé et que parfois le mari n'a plus d'emploi ! Imaginez combien cela pèse sur les femmes surtout en ville où on voit apparaître parfois une forte pauvreté. Cela devient un problème de se nourrir surtout dans les villes.

En Afrique où le vêtement a beaucoup d'importance non seulement pour se vêtir mais aussi comme facteur d'intégration au monde moderne, les jeunes, mais aussi les adultes, en sont réduits à aller s'habiller dans des friperies, alors qu'avant les gens allaient dans des prêts à porter.

Comment se chausser quand on sait qu'on doit marcher à pied durant longtemps parce qu'on n'a pas le moyen de se payer un taxi et qu'on préfère faire des économies pour pouvoir nourrir la famille. beaucoup de gens ont redécouvert la marche à pied parce qu'on ne peut pas faire autrement. Les femmes africaines qui dans les villes, portaient des hauts talons ont été obligées de revenir aux chaussures basses car quand on a de longues distances à parcourir à pied les hauts talons ça fait mal aux pieds.

Il y a donc toute une série de problèmes qui obligent les gens à trouver des solutions pour essayer de gérer leur mobilité dans la vie quotidienne. Si on veut avoir un emploi, il faut avoir des parents stratégiques c'est-à-dire des gens assez bien placés qui peuvent faire accéder à un travail. Il faut donc se trouver dans un réseau de solidarité pour essayer de se faire une place quelque part dans la vie.

Voilà donc quelques éléments qui montrent comment souvent, principalement dans les villes, la vie quotidienne est marquée par des situations de précarité et d'insécurité. Depuis environ une quinzaine d'années, la situation s'est aggravée et c'est cela que peut-être les gens appellent la "crise". C'est une expression un peu passe-partout pour désigner cette espèce de bouleversement d'une situation particulière.

On sent qu'on est en transition et on ne sait pas très bien vers quoi. On est soumis à des contraintes qui nous sont imposées soit par des facteurs extérieurs, soit par des facteurs internes.

Dans les années 60, on attendait le développement et, en fait, 35 ans après, c'est la crise qui se manifeste par une pauvreté qui ne cesse de s'étendre aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Les jeunes ne peuvent plus avoir accès dans les meilleures conditions aux études auxquelles ils ont droit. Beaucoup ne savent même plus si dans leur propre pays, ils peuvent avoir accès à l'école. Beaucoup de Camerounais sont obligés de parcourir le monde pour avoir accès à la connaissance. D'autres doivent vivre en exil parce qu'ils ont eu le malheur de dire que les choses n'allaient pas bien dans leur propre pays.

Etre en bonne santé en état de crise apparaît comme une gageure. On dirait même que la mort s'est banalisée au point que vous trouvez des cadavres dans les rues. Quand on sait l'importance que l'Africain accorde à la vie et qu'on voit des hommes et des femmes qui traînent comme cela dans une rue, on se rend compte à quel point le malheur est entré dans nos vies. Les voitures passent, les véhicules de l'administration passent et nul ne fait attention aux cadavres qui sont là. Pour nous le slogan de l'O.M.S., "la santé pour tous en l'an 2000" est de l'ordre du rêve. On voit de plus en plus de mortalité. On dirait que c'est programmé.

La situation politique n'est pas meilleure. Depuis les années 90, des jeunes sont descendus dans la rue (pour réclamer la démocratie), ils se sont exposés à la violence des armées, au risque d'être massacrés, pour réclamer une nouvelle situation politique, une situation qui pourrait leur permettre de s'épanouir. Au lieu d'une transition politique comme dans certains pays, ce qu'on connaît c'est une farce démocratique dans un grand nombre de pays africains faute de faire l'expérience d'une véritable alternance, d'une véritable circulation des élites au pouvoir.

On le voit avec le trompe-l'oeil des élections dans un grand nombre de pays africains. Ce ne sont pas des élections libres et transparentes. Les périodes électorales sont souvent suivies de graves tensions, de graves violences. Vous savez ce qui s'est passé au Sénégal, au Kenya, au Cameroun. En Angola le refus du résultat des élections a replongé le pays dans une guerre meurtrière génératrice de famines. Un peu partout on assiste à une espèce de blocage d'un renouvellement de l'équipe politique. Rares sont les exemples où le passage à une nouvelle ère de démocratie avec les attributs d'un véritable état de droit peut être clairement identifié.

La crise que nous connaissons est d'abord une crise politique qui aggrave la crise économique. Cette crise s'accompagne de conflits violents dans un contexte où, le plus souvent, l'ethnie sert d'alibi aux élites pour se lancer dans la conquête du pouvoir. Evidemment si vous interrogez des experts de la banque mondiale, ils vous diront autre chose : en particulier que la croissance démographique très rapide de nos pays figure parmi les premiers éléments de la crise que nous connaissons, ainsi que l'intervention excessive de l'Etat. On insiste dans ces approches-là sur l'Etat et sur la démographie. On ne peut pas nier que ces éléments ont joué un rôle important quand on voit l'écart qu'il y a entre la croissance démographique et la rareté des ressources. Dans un grand nombre de pays l'accès à la terre subit une évolution compte tenu de la croissance démographique. Mais on peut regarder les choses autrement.

Je voudrais approfondir quelques facteurs qui ont contribué à l'appauvrissement de l'Afrique. D'abord les facteurs extérieurs. En particulier je signalerai ce qui arrive dans les échanges commerciaux entre nos pays et ceux du Nord. L'Afrique n'a aucun contrôle sur les prix des matières premières agricoles et minérales qu'elle exporte. Or au cours des dernières décennies, on a assisté à une baisse considérable des prix d'exportation sur le marché mondial. Cela veut dire que plus les gens travaillent, plus ils deviennent pauvres. De plus, la plupart des pays africains ne pratiquent pas d'échanges entre eux. Quelqu'un qui est au Cameroun ne va pas facilement commercer avec quelqu'un qui est au Tchad. Nous sommes dirigés vers l'extérieur et nos échanges commerciaux se font essentiellement avec les pays du Nord et il arrive d'ailleurs que certains pays soient plus privilégiés que d'autres. Donc un grand nombre de richesses de l'Afrique sont contrôlées par ceux qui maîtrisent les règles du marché mondial.

Un deuxième facteur d'appauvrissement est la dette extérieure. Elle perpétue la crise. Depuis plusieurs années ce sont les pays du Sud dont l'Afrique fait partie qui financent les pays riches. C'est un des paradoxes que nous connaissons aujourd'hui. il faut s'endetter et pas forcément pour améliorer les conditions de vie dans les villages, là où les gens ont besoin d'eau potable, de dispensaires, d'écoles. Il faut s'endetter pour un développement hypothétique à partir des projets qui ont été conçus et établis par les gens du Nord avec leurs experts au service des intérêts des dictatures africaines. Cette dette-là n'a pas servi aux gens et les enfants qui naissent maintenant seront amenés à rembourser des dettes qui n'ont servi qu'à quelques individus qui se sont appropriés le pouvoir.

Cependant il ne faut pas croire que, dans le jeu international, les Africains sont des marionnettes qui se laissent manipuler. En réalité, nous avons nos responsabilités. Quelqu'un parlant de la crise économique a titré "l'Afrique malade d'elle-même". Je crois que c'est exact car il suffit de voir le mode de gestion du pays depuis une trentaine d'années. C'est une politique que dans les quartiers on a appelé la politique du ventre. L'accès au pouvoir est devenu un moyen d'accumulation. Le pouvoir permet d'être riche. Donc il faut écarter toute autre ambition, faire la chasse à tout ce qui pourrait vous empêcher de "manger" tranquillement, en toute sécurité. On a inventé des idéologies pour essayer de justifier cette manière de faire. Dans certains pays cela a été l'unité nationale. Au nom de l'unité nationale on a infantilisé toute une population afin qu'elle vive dans la soumission à celui qui avait, seul, le pouvoir de la parole. Ailleurs comme au Zaïre, on a inventé l'authenticité. Or en parcourant ce pays, je me suis aperçu que l'authenticité, c'était une idéologie de la culture de la personnalité. Le 16 Avril 1991, les Zaïrois sont descendus dans la rue pour réclamer non pas plus d'authenticité, mais plus de démocratie. En dépit des apparences, malgré le multipartisme obtenu grâce à la pression de la rue, dans beaucoup de pays on retourne à la dictature, à une restauration du pouvoir autoritaire.

Il y a un autre facteur, c'est celui de l'épuisement des modèles de développement et de croissance qui ont été adoptés en Afrique vers les années 60. Les modèles de développement ont surtout servi à une élite qui a confisqué les ressources produites par l'agriculture, par les mines, par le pétrole. Au Cameroun, il y a du pétrole mais l'argent du pétrole n'apparaît pas dans le budget national. On dirait que c'est une affaire privée, la caisse noire, l'argent de poche du chef de l'Etat et de sa clientèle. Un pays qui produit du pétrole et qui se retrouve dans la pénurie, ce n'est pas très normal.

Cela provient enfin de ce qu'il y a une absence remarquable de participation populaire à la gouvernance collective dans la plupart des Etats africains. Dans ce contexte de gestion douteuse où la corruption est généralisée, ceux qui ont en mains le pouvoir échappent à tout contrôle qui pourrait venir d'une société qui a un mot à dire sur la façon dont il faut envisager l'avenir. Je voudrais terminer en insistant sur le rôle considérable des interventions étrangères dans les affaires politiques du continent. Ces interventions prennent des formes multiples. Depuis les interventions directes, (on téléphone, on tape sur la table en disant qui doit être élu), jusqu'à des pressions indirectes par lesquelles on vous fait comprendre qui doit être élu. Dans un grand nombre de pays africains vous avez des interventions par les forces armées qui stationnent sur le Continent. les pays sont littéralement occupés par les armées étrangères qui sont prêtes à intervenir si on leur donne la consigne de remettre de l'ordre. Des armées viennent remettre en place des Chefs d'Etat corrompus qui sont hués par leur peuple et qui, par la force des armées étrangères, reprennent le pouvoir. Malgré le peu de crédibilité et de légitimité dont jouissent certains chefs d'état, ils sont là. Et on comprend que leur longévité n'est pas quelque chose de miraculeux, mais résulte du type de rapports que nous entretenons avec les puissances étrangères, avec les grandes métropoles coloniales. Cela maintient en place un grand nombre de dictatures dont certaines ont contribué à l'effondrement de l'Afrique. Depuis une trentaine d'années les pays aux riches potentialités se retrouvent parmi les pays les plus pauvres du continent africain. Le Cameroun n'aurait jamais dû connaître la crise avec son agriculture très diversifiée, avec une agro-industrie très diversifiée, avec du pétrole en plus. Or l'état des routes même dans la capitale est lamentable. Ce sont des pistes de brousse. Les bâtiments publics sont inachevés et servent maintenant de waters publics. Donc au Cameroun un pays riche dont l'économie s'est effondrée on est plus pauvre que dans certains pays de l'Ouest comme le Sahel. Au Cameroun, le chef de l'Etat gouverne son pays à partir de son village, ce qui est inimaginable. Et ces chefs d'Etat incapables, corrompus, ces chefs d'Etat qui parfois tuent sont reçus comme des partenaires privilégiés dans les puissances occidentales.

Ce ne sont pas ces puissances qui ont créé la pauvreté de l'Afrique mais elles l'ont aggravée. Elles se sont servi de l'arme de la dette afin de forcer l'Etat en Afrique à privilégier une logique libérale. Ainsi on assiste à une sorte de désengagement de l'Etat. Pour la Banque Mondiale il s'agit de reconceptualiser l'Etat pour l'obliger à s'ajuster à l'économie de marché. Il faut prendre en compte ces facteurs qui permettent de reproduire des situations de crise et de pauvreté dans le contexte d'une Afrique où règne une marginalisation accrue Nous ne sommes même plus dans le Tiers Monde. Nous sommes rentrés dans le hors monde.

2) Un regard de foi sur cette situation

Il me semble que la situation que je viens de développer constitue un défi pour notre foi de chrétiens. C'est dans cette situation-là qu'il nous faut essayer aujourd'hui de rencontrer Dieu en Jésus-Christ. Nous comprendrons de plus en plus que Dieu ne se laisse rencontrer qu'à la marge de l'histoire contemporaine. Il faut donc repenser Dieu à partir des péripéties que nous connaissons aussi bien au niveau international qu'au niveau national. Il me semble que nous entrons dans le temps des exclusions et des rejets. Un grand nombre d'hommes et de femmes sont rejetés. Dans cette situation l'exigence d'authenticité évangélique nous pousse à faire l'analyse de nos choix de société de manière que ces choix soient compatibles avec le bonheur le plus profond pour le plus grand nombre d'hommes et de femmes vivant aujourd'hui. C'est pour cela que l'option pour la justice représente une clef de lecture qui nous ouvre à l'intelligence chrétienne en cette fin de siècle où l'argent est devenu la seule chose qui compte dans un monde qui se globalise.

Les situations de pauvreté ne sont pas naturelles. En Afrique les gens ne sont pas pauvres parce qu'ils ne travaillent pas. Voyez la journée des femmes soit dans un village, soit dans la vie urbaine. Les situations de crise et de pauvreté pèsent plus lourdement sur elles. Ces situations sont des effets de la violence de l'argent. Elles résultent du totalitarisme du marché. La véritable violence aujourd'hui ce n'est pas celle des gens qui viennent casser les vitres d'une banque. La violence, c'est de mettre des hommes et des femmes à l'écart des espaces de vie, les exclure des centres d'initiative et de créativité. C'est ce qui arrive lorsqu'on renonce à mettre l'humain au coeur des préoccupations et à replacer le social au centre de l'économie. On voit se mettre en place une véritable culture de mort qui se déploie à l'échelle de la planète. Quand on est devant une économie qui tue on découvre les grandes questions que Dieu pose à l'humanité dès les premiers matins du monde. Aujourd'hui plus que jamais apparaît l'actualité de la figure d'Abel tué par Caïn. Et Dieu demande "Qu'as-tu fait de ton frère ?" C'est la grande question que Dieu pose aujourd'hui à l'humanité. Depuis les années 80 les pays du Nord ne cessent de tirer la corde qui étrangle l'Afrique. Le cri d'Abel c'est la voix des peuples en souffrance qui réclament une part de justice, une part des richesses produites par les ressources de leurs terres, de leur travail. L'Afrique est l'un des continents les plus riches. On peut dire peut-être que l'avenir appartient à l'Afrique. les autres continents ont commencé à épuiser leurs ressources. Les nôtres, nous avons commencé à les exploiter il y a quelques années, mais il en reste encore et nous n'avons pas fini de faire l'exploration de nos ressources naturelles. C'est dire que d'une certaine manière l'avenir du monde passera par l'Afrique. On dirait que cela fait peur mais la voix des peuples en souffrance réactualise le cri d'appel qui monte vers Dieu. Le Corps du Christ est fait des douleurs de l'homme écrasé par les injustices. On s'habitue à des écarts qui ne choquent personne. On assiste à une banalisation des écarts, des injustices, des exclusions. Il me semble que dans ce contexte, les chrétiens sont directement interpellés parce que, comme le dit St Jean "Nul n'a jamais vu Dieu". Par contre Dieu est accessible au croyant à travers le signe que lui fait l'homme qui est sur sa route, particulièrement celui qui est sans importance, si Dieu se dit dans la Croix où le Christ est vidé de lui-même, il me semble que les plus démunis nous aident à grandir dans l'intelligence de qui est Jésus-Christ. Il nous faut à travers ces situations de globalisation aux effets pervers entendre ce que nous dit Paul dans l'Epître aux Philippiens "Comment Dieu a pris figure de serviteur allant jusqu'à mourir". Lire ce texte-là en rapport avec Matthieu 25 où il dit "l'affamé, l'étranger, le malade, le prisonnier, c'est moi" et nous comprendrons que Dieu aujourd'hui c'est peut-être l'Africain réduit à rien, mis en dehors du champ de préoccupation. Il nous faut essayer de rejoindre Dieu à travers les crucifiés de l'histoire. L'enjeu de Dieu désormais est "hors des temples". Nous oublions que ce qui est hors du temple concerne Dieu. Il nous faut rejoindre Jésus-Christ hors du temple, là où il est crucifié à travers la vie des paysans, des femmes, des jeunes dont l'avenir est brisé par des mécanismes d'oppression et de domination. L'Afrique apparaît comme un des lieux où la terre gémit "en travail d'enfantement" nous dit Paul dans l'épître aux Romains. On ne peut trouver Jésus-Christ en dehors de la Croix. La Croix de Jésus-Christ exige une pratique évangélique envers les déshérités de la terre. Si rien n'est fait pour renverser la situation actuelle, pour rendre aux pays du Sud les richesses que ceux du Nord leur ont confisquées, les pauvres vont venir ici attirés par la richesse. Les processus migratoires proviennent du fait que les richesses ne sont pas revenues à l'Afrique. Il faudrait se mettre un peu dans la peau des sans-papiers. Il faut se rendre compte qu'à travers une tasse de café, une tablette de chocolat, on est en rapport avec les pays du Sud qui sont producteurs de ces produits.

Au lieu de considérer l'immigré comme la nouvelle menace qu'il faut contrer, au lieu de faire de l'Europe une sorte de forteresse, de refuser une société aux identités plurielles, au lieu que l'urgence soit perçue comme d'assurer la sécurité des frontières, bref de créer un système qui n'est pas sans rappeler le mur de Berlin, le vrai problème c'est, je crois, de revenir aux situations où l'avenir de nombreux jeunes, au lieu d'apparaître sombre, compte tenu des contraintes imposées aux états en faillite, s'éclaire et est plein de promesses. Les chrétiennes et les chrétiens ont à réfléchir sur la manière dont ils exercent leur citoyenneté parce que les graves problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui exigent un réveil des citoyennetés, une réhabilitation du politique pour ne pas laisser les forces du marché imposer à ceux qui gouvernent d'exécuter des projets qui sont des projets iniques comme de mettre en place une dictature de mort, une économie qui tue dans les pays qui sont ravagés par 30 ans de gabegie. Il faut s'interroger sur la manière dont ici la politique sur nos rapports avec l'Afrique s'établit et s'élabore. Cela n'est pas étranger, ni au chrétien, ni

chrétien, ni au citoyen. Il faut observer attentivement le type de relations qu'un pays comme la France entretient avec ses anciennes colonies, la façon dont on gère les rapports avec ceux qui gouvernent, la façon dont on finance la répression en équipant l'armée, la police qui n'a pour rôle que de massacrer les jeunes qui réclament dans les Universités de meilleures conditions d'étude. Les campus africains, le plus souvent, restent des territoires occupés par l'armée. Cette armée est financée parce que les militaires, eux, sont payés. Un aspect de la coopération consiste à équiper la police et l'armée pour intervenir et rétablir ce qu'on appelle l'ordre.

L'option pour la justice pose donc une question à la manière dont on exerce sa citoyenneté. Ce qui nous arrive résulte en grande partie de ce qu'il y a des réseaux mafieux installés là-bas parrainés par des grands d'ici. Si les élections sont truquées on proteste mais finalement on laisse faire. La foi en Jésus-Christ se vit donc désormais dans le risque que l'on prend pour s'investir dans les tâches de justice.

3) Quelques pistes qui peuvent nous permettre d'inventer l'avenir

Je voudrais terminer en soulignant quelques pistes qui peuvent tracer des chemins pour l'avenir.

La première, c'est de rappeler que plus que jamais l'exigence de l'humain en conformité avec l'esprit de l'Evangile, l'esprit de Jésus est une dimension fondamentale de toute vie chrétienne. "A présent, dit Nehémie, levons-nous et bâtissons". Ce que nous avons à bâtir ce n'est pas des temples, c'est une société plus juste.

La deuxième piste c'est de voir comment l'appel que nous fait l'Evangile en cette fin de millénaire est un appel à être ensemble. Qu'est ce qu'on ne ferait pas si réellement on était ensemble pour refuser la fatalité. La grande tentation des chrétiens aujourd'hui c'est la résignation à la fatalité. Ils pensent qu'il n'y a rien à faire par ce que le système est trop puissant.

Alors on subit. Mais si réellement on se mettait ensemble aussi bien ceux du Nord que ceux du Sud, je crois qu'on constituerait une force qui ferait peur. Donc il faut créer des réseaux de solidarité, des espaces où on peut se retrouver ensemble.

Troisième piste : l'exigence faite aux hommes de foi de retrouver la capacité de résister à la structuration actuelle de la société dans l'injustice. Il faut comprendre que cette résistance est constitutive de la foi, de la vie chrétienne elle-même. Il y aura besoin désormais d'articuler étroitement foi et résistance, contrairement à ce que nous vivons où on a parfois le sentiment que foi et soumission vont ensemble. C'est l'Evangile qui nous pousse à refuser des lois injustes. Refuser la fatalité en nous rappelant que l'acceptation de l'injustice et de la misère est au même titre que l'idôlatrie incompatible avec le culte à rendre à Dieu. Si le destin des pauvres, des exclus, des opprimés doit être replacé au coeur même de la foi chrétienne, au coeur du mystère chrétien, le grand défi à relever c'est de grandir dans la capacité de mobilisation en faveur de ceux qui n'ont plus d'espérance.

Je terminerai par un texte d'Isaïe qui me semble très

actuel "Isaïe 58, 6-10).

Réponses aux questions

1°) Au sujet du Synode africain

Nous avions mis quelques espoirs sur le synode africain mais sans être naïfs. L'Afrique ne souhaitait pas un synode mais un Concile africain depuis les années 60. Ce n'est pas ce qu'on a eu ; Rome en a décidé autrement. Bien sûr le synode a été un événement important. On espérait que ce serait le synode de l'espérance. Depuis que le synode est terminé en 94, on ne voit pas beaucoup de choses qui en sont sorties.

Qu'en est-il résulté, concrètement parlant ? Rien. Le synode se termine en proposant que soient créées des commissions d'études et de réflexion. Sur quoi ? Sur les ancêtres, sur le mariage et sur le monde des esprits. Autrement dit, tout ce qui a été dit par le synode africain avait été dit amplement par l'Episcopat depuis les années 75. Les grands thèmes du synode avaient été abordés largement par le symposium des évêques d'Afrique et de Madagascar depuis plus de 10 ans. Quand nos évêques se sont réunis à Rome pour reprendre les mêmes sujets, ils ont eu l'impression que c'était une redite. Pour beaucoup d'entre eux, il n'y avait rien de nouveau. En fait, le synode n'a pas soulevé les problèmes que nous posions. Cela a été une répétition des textes connus

Cela ne m'étonne pas du tout que ça piétine et que ça ne soulève aucun enthousiasme. La messe du synode a été très belle ; les Africains ont dansé sur la tombe de St Pierre, mais il n'y a pas eu grand chose de concret. Donc, les lendemains du synode ne chantent pas. Ce que nous souhaitons, c'est que le synode soit un pas vers un Concile africain.

2°) Question sur l'avantage qu'il y aurait à avoir un Pape noir.

S'il y avait un Pape noir, je craindrais qu'il n'y eût pas de changements spectaculaires parce que les évêques et les cardinaux d'Afrique, en dehors de quelques exceptions, sont plus romains que les romains. S'ils transportent dans l'Eglise universelle leur mentalité habituelle de chefs , je ne sais pas comment les Français vont réagir avec leur esprit de la Révolution Française. Et même les Italiens, je ne sais pas comment ils vont réagir s'ils ont à leur tête un cardinal africain conduisant son Eglise comme un chef ; quand je dis chef, il faut savoir ce que c'est qu'un chef en Afrique. Je ne sais pas comment les chrétiens vont réagir en Europe.

Les cardinaux africains occupent des hautes charges dans l'Eglise. Quand il s'agit de nommer un évêque c'est un Africain qui est le patron de ce ministère, Mgr Gantin, un béninois. Voyez ce qui s'est passé avec votre évêque Mgr Gaillot. On ne peut pas dire que les gens qui sont en charge à Rome favorisent une Eglise qui, non seulement en Afrique, pourrait s'enraciner dans le monde de notre temps et qui pourrait s'ouvrir aux nouvelles attentes de la post-modernité dans laquelle nous sommes entrés. Les mutations profondes du monde exigent que l'Eglise se renouvelle dans sa manière de vivre et d'être et que l'Evangile soit réellement repensé pour répondre aux nouvelles demandes d'un monde qui est passé d'une culture reposant sur des fondements plutôt chrétiens à une culture tout à fait laïque et moderne. Je ne pense pas du tout qu'un évêque africain sera en mesure d'opérer ce renouvellement compte-tenu de ce que nous vivons déjà. Les églises d'Afrique sont gérées par des évêques qui gardent la mentalité du parti unique. Vous en avez qui se sont compromis en se vendant à des régimes pourris. En outre, avec la xénophobie qui se développe actuellement dans les pays occidentaux, je ne sais pas comment un Pape noir pourrait être accepté.

3°) Question sur la manière d'exercer sa citoyenneté

Comment en citoyen, on peut jouer son rôle là-dedans ? C'est des choses très concrètes. Mais compte-tenu de la diversité des situations ce qui importe c'est la ligne d'action dans laquelle on va se situer. Il faut être ensemble et essayer de retrouver une capacité de mobilisation pour jouer un rôle de pression, car dans un pays où, heureusement, on est en démocratie comme chez vous, cela compte.

4)° Question sur l'école et le mode de vie africain

J'ai insisté sur l'aspect politique parce que cela me paraît actuellement inévitable. La crise est en grande partie une crise politique parce que beaucoup de dirigeants n'acceptent pas une réelle démocratisation de la vie politique car ils s'accrochent au pouvoir sachant que, s'ils le perdent, ils vont retomber dans une espèce de pauvreté. ils s'agrippent au pouvoir parce que cela leur donne les moyens pour vivre.

Je suis d'accord avec vous concernant la déficience de l'école qui n'a pas préparé les gens à une dynamique. C'est une école qui est restée très étrangère, qui ne s'est pas repensée pour permettre aux jeunes d'exercer un rôle dans la collectivité. Je reconnais que l'école ne doit pas obligatoirement ramener tous les jeunes au village parce que l'Afrique s'urbanise et que l'urbanisation est un phénomène irréversible. Donc il faut aussi préparer les jeunes à s'insérer dans la vie urbaine.

Les enfants abandonnés c'est un phénomène qui s'est beaucoup aggravé et développé. c'est un des signes de la crise de la société africaine, crise à la fois de la famille et de la société. Le fait qu'un enfant soit dans la rue paraît totalement incompréhensible dans une société où on tient tant à l'enfant. Donc si cela arrive de plus en plus souvent, cela veut dire que le lien social est vraiment en question dans la vie africaine. C'est surtout dans les villes que s'étend ce phénomène comme l'a constaté Y. Marguerat.

Concernant l'émergence des pratiques de sorcellerie dans les collectivités de base, c'est une réalité qui effectivement peut être un obstacle au développement. Une des raisons pour lesquelles les jeunes n'arrivent pas à vivre au village, c'est parce qu'ils ont peur de la sorcellerie. Ces croyances là qui reviennent dans un contexte d'aggravation de la société empêchent effectivement les jeunes de rester au village. Cela traduit une crise de la société en même temps que de la culture.

5°) Question : Que pensez-vous de l'application de la laïcité ? Dans nos pays, on insiste beaucoup dans ce sens pour l'Eglise.Qu'en est-il pour ce que vous présentez?

Il faut vivre avec la société telle qu'elle est aujourd'hui et donc assumer les réalités de cette société. je suis d'accord que la culture qui fait partie de ces sociétés s'est laïcisée. Mais à mon avis, cela ne veut pas dire qu'il n'y ait plus rien là-dedans qui nous rappelle un peu l'héritage judéo-chrétien. Je me souviens des réflexions de Paul Ricoeur qui insistait sur le fait que le judéo-christianisme fait partie de la mémoire occidentale. Peut-être que nos valeurs fondamentales aujourd'hui nous viennent de l'Evangile. Dès lors que ce fondement judéo-chrétien est remis en question dans une société, on va vers une crise très grave, une crise d'identité.

Cheminer avec la société moderne, avec sa culture laïque mais, en même temps, réexaminer les fondements de cette société et se demander ce qui est resté du christianisme, ce qui est enfoui là-dedans et qui est occulté parfois par une culture de l'instant très marquée par le modèle américain. Il faut se demander comment, dans quelle mesure, réhabiliter ce fondement judéo-chrétien et le faire apparaître comme faisant partie aussi de la modernité occidentale. Il n'y a pas de raison que ce qui fait partie de la mémoire d'une société disparaisse comme cela. L'Eglise d'une certaine manière, a formé la pensée occidentale et il faudrait retrouver les éléments de cette culture qui vient de l'Evangile et les vivre dans un contexte où on revient de plus en plus, je crois, à des idéologies tout à fait rétrogrades.

6°) Question sur la culture africaine

Peut-être pour s'y mettre faut-il commencer par connaître ce que les Africains écrivent sur leur culture. On peut déjà trouver une réponse là. La plupart des ouvrages écrits par des Africains sont publiés en Europe. Il faut donc accéder aux livres de fond qui peuvent introduire à la culture africaine. Mais une culture, quelle qu'elle soit, ne s'apprend pas seulement par les livres mais aussi par les rencontres avec d'autres. Si vous recevez un Africain, il va s'exprimer d'une manière très naturelle. Pour connaître la culture africaine au-delà de ce qu'apportent la musique et les livres, il faut rencontrer les Africains dans leur vécu. C'est là qu'on peut percevoir les différences mais aussi les complémentarités. Que sera une Afrique démocratique ? Ce sera une Afrique où la dignité de l'être humain sera restaurée, où les droits de l'homme seront respectés, où les richesses pourront être partagées entre tous ceux qui travaillent.

Ce sera un continent où les gens pourront circuler en toute liberté. Cela fait partie de nos rêves. La résurrection ne sera pas instantanée. Elle se fera progressivement. Ce qu'on peut souhaiter, c'est amorcer ce départ, ouvrir des chemins de résurrection.

7)° Question sur l'Asie où beaucoup de pays sont sortis du sous-développement. L'Afrique ne pourrait-elle pas faire de même ?

La Banque Mondiale nous présente le miracle asiatique comme modèle à suivre. Je reconnais qu'il y a eu une évolution étonnante dans ces pays. Mais à quel coût humain ? On commence à s'apercevoir que le miracle asiatique cache beaucoup de choses peu avouables qu'on ne peut pas souhaiter pour l'Afrique.

L'Afrique a formé depuis les années 60 un grand nombre d'étudiants. Elle ne manque pas de scientifiques et d'intellectuels. Mais dans un grand nombre de pays africains, il y a un mépris de l'intelligence. Je le vois au Cameroun. L'Etat au Cameroun affiche un mépris de l'intelligence, vous pouvez avoir accumulé tout ce que vous pouvez imaginer comme potentiel intellectuel et scientifique, on s'en moque. Si vous ne faites pas partie du parti au pouvoir. Vous êtes mis de côté. Il y a des politiques qui sont mises en place qui empêchent volontairement que ce potentiel soit géré comme un atout stratégique pour le développement des pays africains. Voyez l'état dans lequel on laisse pourrir les Universités. On n'a même plus besoin normalement aujourd'hui de venir en Europe (sauf pour quelques stages de perfectionnement) pour étudier. Nous avons des Universités depuis près de 30 ans. Mais dans quel état sont-elles ? Les Etats préfèrent financer les armées qui les protègent plutôt que d'investir dans l'enseignement et dans la recherche scientifique. Il y a des situations politiques qui empêchent réellement que les gens mettent en valeur tout ce qu'ils ont appris à l'école.

C'est une des raisons pour lesquelles on assiste aujourd'hui à un exode des cerveaux. Il y a des exilés du savoir parmi les Africains aujourd'hui à travers le monde. Beaucoup de nos grands médecins travaillent ailleurs que dans leur propre pays. Donc, ces conditions-là, à moins d'être un héros ou un saint ne permettent pas à certains d'étudier pour laisser mourir tout ce qu'ils ont appris à l'école. Pour nous qui sommes rentrés, c'était de la folie. Nous étions fous de rentrer parce qu'on croyait à quelque chose. Sur place on voit massacrer les génies du continent africain.

8°) Question sur les rapports avec le clergé

C'est vrai qu'il y a un fossé entre le clergé et la population aussi bien dans les villages que dans les villes. Par ailleurs le clergé fait partie d'une classe sociale privilégiée. Dans l'ensemble il ne vit pas dans la pénurie. Je crois qu'il faut repenser la formation du prêtre. Malheureusement, Rome a des modèles de clergé, des modèles de prêtres. Or ces modèles ne sont pas forcément ceux qui nous conviennent et le programme de formation dans les séminaires ne semble pas avoir intégré parfaitement les questions posées par ce monde avec lequel nous devons vivre lorsque nous nous retrouvons soit dans un village, soit dans un quartier de ville avec ses problèmes. La formation qui est donnée n'a pour rôle que de reproduire une race qui, ici en Europe, est en voie de disparition. La solution ce serait que le clergé africain fasse un choix de solidarité avec les pauvres, avec les démunis et qu'il chemine avec eux dans le but de leur reconstruction, de leur renaissance. C'est un problème de choix à faire.

Par ailleurs le fait du succès des mouvements religieux, le fait que se répande un marché religieux vient de ce que l'Eglise n'a pas vraiment su répondre aux attentes du peuple africain. Il y a un vide que viennent combler ces nouvelles religions qui manipulent les jeunes en apportant toutes sortes de choses qui n'ont rien à voir avec la religion. Il peut y avoir là-dedans une forme d'impérialisme mystique qui se cache derrière les sectes financées le plus souvent par les Etats-Unis.

9°) Question sur le travail des O.N.G.

Elles sont proches des populations, elles mettent en route des projets qui sont parfois très concrets, questions relatives à la santé, à la nutrition etc... Elles ont aussi le souci d'associer la population à la réalisation de ces projets. Le problème, c'est que très souvent la durée est courte et que la relève n'est pas suffisamment assurée et préparée avec les Africains eux-mêmes.

10°) Question relative à l'Islam

Les pays musulmans appartiennent surtout à l'Afrique de l'Ouest. En Afrique, surtout dans les quartiers populaires, il y a une sorte de dialogue avec la vie et il y a entre chrétiens et musulmans des relations assez étroites et très simples pas du tout tendues, pas du tout conflictuelles. Quand il y a des conflits, c'est dans certaines régions où parfois les musulmans sont majoritaires comme c'est le cas du Nord-Nigéria et où l'Islam tend à gérer le malaise social, donc à créer des tensions qui peuvent être parfois conflictuelles. Dans l'ensemble, l'Islam africain est plutôt tolérant même si ici ou là on voit percer une certaine montée de l'intégrisme, comme au Soudan et au Tchad. Autrement l'Islam fait bon ménage avec les croyances pré-islamiques. Par exemple il supporte une certaine médecine traditionnelle assurée par les marabouts. Il y a un Islam officiel qui, bien sûr, bannit tout cela. Mais la frontière entre l'un et l'autre n'est pas facile à tracer.

11°) Question sur l'échec de l'évangélisation au Rwanda et au Burundi

Il y a des pays africains où le "vivre ensemble" est assez facile parce qu'il n'y a pas de polarisation autour des deux ou trois ethnies. Par contre, lorsqu'il y a 2 ethnies principales comme au Rwanda et au Burundi, cette polarisation est beaucoup plus forte. Mais je ne serais pas étonné que les conflits partent surtout de problèmes de conquête du pouvoir. L'ethnie peut servir d'alibi. Il y a des projections de conflits antérieurs qui peuvent venir de pays autrefois colonisés. Voyez en Belgique les tensions entre francophones et neerlandophones. Il s'est passé il n'y a pas longtemps un débat à l'Assemblée Nationale où on s'est traité de Hutus et de Tutsis. Quel a été le rôle du passé colonial et missionnaire dans tout cela, c'est une question qui reste posée. S'il y a des tensions, si on n'arrive pas à vivre ensemble on peut trouver des facteurs aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Ces conflits sont financés. Cela rentre dans une économie de guerre où peut-être beaucoup de pays du Nord ont leur responsabilité car les armées avec lesquelles ces gens s'entretuent ne sont pas formées sur place. Il y a là un grand marché des fabricants d'armes dans les pays européens.

Intervention d'une personne qui a travaillé de longues années en Afrique pour doter d'eau potable villes et villages et qui dit qu'à ce sujet l'Afrique est beaucoup mieux pourvue que la Russie et qu'à son avis la notion d'appauvrissement appliquée à l'Afrique est inexacte.

Il y a une grande disparité entre les divers pays africains si bien que les problèmes ne sont pas résolus partout. Par contre, je considère comme un des grands signes d'espoir pour l'Afrique, le réveil du mouvement associatif auquel nous assistons dans un grand nombre de pays principalement au niveau villageois à travers des organisations paysannes. L'autre signe d'espoir pour moi, c'est que malgré l'ouverture à une certaine modernité venue du dehors, les Africains réactualisent un esprit de famille qui se traduit à travers des réseaux de sociabilité.

 
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