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Conférences 1999 |
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Du
père intime aux manifestations de Dieu le Père
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Seconde
conférence de Blaise Ollivier
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le 29 janvier1999
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Le thème dont je vais parler ce soir, c'est faire apparaître une différence entre ce dont j'ai parlé la dernière fois, le père intime, c'est-à-dire une construction psychique qui accompagne la constitution et le développement de l'enfant puis de l'être humain et la révélation du père qui nous vient par Jésus Christ. J'avais essayé d'évoquer comment successivement, différentes acquisitions pouvaient s'appeler des "fonctions du père". De cette expérience et de cette acquisition et construction intimes d'ordre psychique qui peuvent comporter un certain nombre de mésaventures et d'accidents de parcours, résulte une certaine connaissance du père. Si le mot "père" est prononcé, il y a un certain nombre d'affects qui sont ressentis, qui peuvent aller d'un extrême à l'autre. Cela peut aller de ces mystiques qui disaient que quand ils commençaient le Notre Père, dès qu'ils avaient prononcé Notre Père, ils ne pouvaient pas aller plus loin parce qu'ils étaient déjà dans l'éblouissement d'une merveille qui les saisit alors que d'autres, essayant péniblement de dire le Notre Père, butent sur "que ta volonté soit faite" et là, ressente un tel sentiment de révolte qu'ils ne peuvent pas aller plus loin. Entre ces deux extrêmes, il y a tout un éventail. Ces affects très forts sont à comprendre en fonction de cette construction psychique. Ce soir je voudrais parler d'une révélation du père qui ne vient pas simplement de l'éducation d'un enfant qu'on met au monde et qu'on introduit dans une société mais qui nous vient par Jésus Christ. Il nous parle du Père et il nous partage une connaissance qui lui est propre et dont il sait qu'elle doit nous éclairer et qu'elle doit nous sauver. Je vais m'intéresser à la différence et je vais essayer de comprendre par quel parcours et par quelles œuvres spirituelles, Jésus crée cette différence concernant le Père. Jésus a un père. C'est Joseph. Comment parvient-il à l'intuition que le Père Dieu transcende son père Joseph ? Comment fait-il ce parcours intérieur d'un père à un autre ? Comment, plein de respect, plein d'affection, plein d'estime pour son père humain, Joseph, monte-t-il plus haut, pour atteindre son Père qui est aux cieux ? Pour évoquer ce parcours, je vais prendre dans l'Evangile, ce passage très connu de Jésus au Temple. Cela me paraît la métaphore du propos que j'ai l'intention de tenir ce soir. C'est donc Luc 2,41-52. Jésus est au Temple, y serait-il si ses parents, Joseph en particulier, ne l'avaient présenté au Temple quand il était tout bébé ? Dans cet épisode qui va tellement choquer les parents, si Jésus est monté au Temple, c'est parce que ses parents l'ont pris par la main et emmené compte-tenu que c'est une fête à laquelle il convient de se rendre. Donc c'est l'obéissance de Jésus à Joseph qui le conduit au Temple. Mais là il se passe quelque chose qui fait qu'il va rester dans le Temple et qu'il va y prendre un intérêt tout à fait particulier. D'une part cet intérêt est conforme à celui de ses parents qui se sont évertués à lui enseigner le Temple et à faire en sorte qu'il ait du goût pour s'y rendre et pour ce qui s'y passe, pour les rites qu'on y développe et pour les paroles qu'on y transmet. D'autre part, la façon dont il s'y intéresse est telle que les parents sont affolés puisqu'il ne repart pas raisonnablement au moment où ses parents s'en vont, qu'il oublie complètement sa famille. Cela lui sort complètement de l'esprit et quand, après trois jours de l'angoisse que l'on sait, les parents le retrouvent, ils ne peuvent pas, eux, les parents s'empêcher de lui faire un reproche "pourquoi nous as-tu fait cela ?" Et Jésus leur pose la question "Pourquoi me cherchiez-vous ?" C'est là où j'entends la transcendance : "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon père ?" Le "pourquoi me cherchiez-vous" fait la différence. Vous ne deviez pas me chercher, vous m'avez enseigné à venir au Temple, vous ne deviez pas vous étonner. Vous m'avez dit que c'était très intéressant ce qu'on disait au Temple. J'y ai pris intérêt. Comment ça se fait que vous me faites le reproche de faire ce que vous m'avez enseigné ? C'est-à-dire que Jésus enfant, à 12 ans, ne réalise pas qu'il vient de passer du sentiment filial au sens de la transcendance de son Père. Cet écart, ses parents le ressentent parce qu'ils viennent de traverser l'angoisse d'avoir perdu leur fils. Ce que je trouve très parlant, c'est ce calme avec lequel Jésus leur dit "je n'ai rien fait d'autre que de me conformer à ce que vous désiriez. Je trouve que c'est très intéressant à méditer sur "qu'en est-il de la transcendance ?" C'est un mot qui fait peur à beaucoup de gens car on présente souvent la transcendance sous le mode d'une rupture brutale, à savoir : Dieu est tellement autre que nous, sa transcendance est telle que, d'une certaine façon, c'est presque comme s'il n'y avait pas de rapports possibles, sauf si la grâce crée de tels rapports. La façon dont Jésus parle à ses parents dans cet épisode du Temple, montre que, dans son esprit, il n'est pas conscient d'avoir pratiqué une rupture. Il a simplement été très loin, sans doute plus avant, sans doute plus haut dans la direction du Père qu'on lui avait enseigné que ne pouvaient aller ceux qui le lui avaient enseigné. J'en retiens cette idée que la transcendance du Père se manifeste dans une position qui est déjà tout à fait connue, la position filiale, mais à un niveau qui est justement inconnu et dont nous ne découvrons la possibilité qu'en écoutant Jésus et en fréquentant ce qu'il peut nous en dire. Ceci était mon introduction et je voudrais maintenant pour avancer dans cette voie de la différence quant à la relation au père telle que Jésus nous la révèle imaginer un itinéraire en Jésus dont la première étape serait "mon Père-Dieu est plus grand que mon père-Joseph" et la deuxième étape "mon Père est plus grand que moi qui suis le révélateur du Père. Pour la première étape je voudrais commenter trois passages de l'Evangile qui, pour moi, ont la signification suivante : être père, c'est assumer une certaine violence. Il y a une violence à l'origine de la vie et il y a de quoi faire hésiter le père, il y a de quoi l'affecter profondément et je vais pouvoir enfin mettre en scène la femme, la mère. Mes exemples de l'Evangile c'est dans Luc,1, Zacharie et la naissance de Jean-Baptiste (v.5-25), ensuite ce sera l'épisode de Joseph qui pense un instant à répudier son épouse dans Matthieu 1 et ensuite Cana. 1° Mon Père-Dieu est plus grand que mon père-JosephJ'éprouve là qu'il y a un passage du père empêché au père manifesté ou du père perdu au père retrouvé, du père hésitant au père qui se pose et s'affirme comme le sujet de sa paternité. Il lui faut traverser une violence et, sans le rôle de la femme, il ne l'eût point traversée. Je voudrais camper l'aspect énigmatique de ce qui va se passer. Voilà quelques précisions du texte qui rendent surprenant le fait que Zacharie ait été troublé. On nous parle de Zacharie et d'Elisabeth : "tous deux étaient justes devant Dieu ; ils suivaient tous les commandements, les observances du Seigneur d'une manière irréprochable. Mais ils n'avaient pas d'enfant parce qu'Elisabeth était stérile et tous deux étaient avancés en âge. Vint pour Zacharie le temps d'officier devant Dieu, selon le tour de sa classe ; suivant la coutume du sacerdoce...Donc il est désigné, il accomplit son office et, à un moment, l'Ange du Seigneur lui apparaît debout à sa droite. L'Ange n'a encore rien dit et déjà Zacharie est fort troublé "et la crainte s'abattit sur lui. Mais l'Ange lui dit : <<sois sans crainte Zacharie, car ta prière a été exaucée. Ta femme Elisabeth enfantera un fils ; tu lui donneras le nom de Jean ; tu en auras joie et allégresse et beaucoup se réjouiront de sa naissance. Il sera grand devant le Seigneur.>>" Donc la promesse n'est pas de nature à troubler puisque tous les points qui sont dits, sont des points qui annoncent la réalisation d'un désir. Ce qui est annoncé se présente comme en profonde conformité avec le comportement, l'attente et le désir de Zacharie. Or, il va lui être reproché à cause de sa question "comment cela peut-il se faire ? Je suis trop vieux.", d'être coupable d'un doute et il va être frappé de mutisme jusqu'à la naissance de Jean-Baptiste. Il retrouvera la parole le jour de la présentation au Temple. Et il retrouvera la parole pour confirmer que le nom de Jean choisi par sa mère est en effet, le nom qu'il faut adopter. Comment vous expliquez-vous le choc que reçoit le père, comment vous expliquez-vous cette hésitation sous forme de doute et ce mutisme ? Je me souviens avoir commenté ce chapitre devant une petite communauté religieuse et l'une des soeurs qui est d'une famille nombreuse a dit : "à la naissance de ma dernière petite soeur, mon père, jusqu'à la naissance, a cessé de parler. Il n'était pas frappé d'un mutisme physiologique, mais on ne pouvait plus obtenir de lui, une phrase qui aille jusqu'au bout. Il n'avait plus envie de parler, il en avait perdu la parole. Il y a donc une certaine violence. Je ne sais pas quelle violence mettre là pour Zacharie sinon le fait d'être, vieux comme il était, au commencement d'une vie autre que la sienne. Et Elisabeth, que faisait-elle pendant ce temps ? Je pense qu'elle rêvait et qu'elle rêvait à cette violence faite par l'enfant qu'elle chérit déjà. Elle rêve à la difficulté pour Zacharie d'accepter cet enfant. Elle rêve sans s'inquiéter parce qu'elle rêve sans savoir ce que Zacharie a su sans rêver. C'est-à-dire ce qui va être ensuite déclaré par l'Ange "cet enfant rapprochera le coeur des pères du coeur des enfants. Lui l'a su puisqu'il l'a entendu de l'Ange. Elisabeth n'en sait rien parce qu'elle n'était pas là, mais c'est bien à cela qu'elle rêve, à cela qu'elle pense. Elle imagine par anticipation, la sortie de la crise et elle imagine toute la vie qui sortira de cette violence initiale que, dans un premier temps, Zacharie a du mal à supporter. J'imagine qu'elle fait déjà cela et ensuite, elle met au monde Jean-Baptiste. Il ne dit toujours rien, le père, jusqu'au jour de la présentation au Temple où elle annonce "il s'appellera Jean. Tout le monde conteste parce que personne dans son ascendance ne s'appelle de ce nom. A ce moment-là, Zacharie monte au créneau, prend la parole et il fait savoir que ce sera bien ainsi qu'on le nommera. Donc, il se manifeste comme père pour déclarer à travers le nom qu'il justifie l'initiative de sa femme, il la reconnaît comme celle qui a permis cette naissance et ensuite il en dit le sens. Et la suite va montrer qu'il va ajouter un hymne à tout ce travail intérieur de sa femme qui lui a permis à lui de traverser la violence pour déboucher sur la bénédiction. Il est père dans ce chant où il bénit la vie. Moi je lis ce passage comme montrant que la femme a guidé l'homme dans la traversée d'une violence d'où il se dégage avec elle pour se manifester père, heureux de l'être et, encore une fois, bénissant la vie qui vient. Il me semble qu'on peut lire de manière assez comparable bien qu'il soit plus court et plus discret. Joseph découvre que Marie est en train d'engendrer un enfant et les pensées qui s'agitent dans son esprit se traduisent par la pensée de répudier sa femme. On se demande ce que fait Marie. Elle ne lui dit rien. Mais je crois aussi qu'elle rêve, qu'elle pense à ce fils, elle pense à ce qu'il fait sans doute à son père. Elle pense à l'inévitable violence du mystère et je pense qu'elle rêve à cet éclairement intime de Joseph que Matthieu met en scène en faisant intervenir un ange. Il va lui dire "ne crains pas ! Cet enfant est un don du père et c'est par l'Esprit-Saint que Marie le met au monde." Alors Joseph va se manifester tout à fait comme père à la naissance. Lui ne va pas faire une déclaration, il ne va pas chanter un hymne. Il va être là physiquement, celui qui soutient, qui protège Marie et qui prend en charge l'enfant. Ce que j'avance, c'est que pendant ce temps Jésus qui n'est pas encore né (Lc 1ss) ou, se prépare à naître (Mt 1,19ss), est initié au fait que le père de la vie, celui qui nous a aimés le premier, Dieu, est plus grand que son père qui, lui, fait ce qu'il peut pour accueillir la vie malgré la violence ressentie et pour la bénir, le moment venu. L'épisode de Cana. Pourquoi fais-je intervenir ici Cana ? Parce que je pense qu'à Cana, c'est donc Marie qui prend l'initiative et qui ensuite, voyant les verres vides et rien comme ressource à mettre dedans, s'adresse à son fils. Jésus a une réponse qui laisse tout le monde un peu pantois "Mère, qu'y a-t-il entre toi et moi ? Je pense que Jésus s'est identifié à Joseph. Il s'entendait très bien avec lui. Je me suis même demandé si les Béatitudes n'étaient pas calquées sur la façon dont Jésus avait senti son père, Joseph, comme quelqu'un de compréhensif, de doux, de pacifique, de capable de pardonner et d'excuser les travers des gens et pour qui la vie n'était pas drôle tous les jours. Malgré l'épisode du Temple, Luc précise tout de suite après qu'il leur était soumis. Je pense que Jésus était soumis à Joseph à la façon de quelqu'un qui s'identifie aux qualités de son père. Et quand Marie, tout de go, lui a quasiment fait signe de faire une chose qui ne se fait pas, un miracle, je crois que Jésus a dit : jamais mon père ne m'aurait demandé une chose pareille. Et le comportement de Marie a signifié : si, ton Père, l'autre, te le demande. Et encore une fois, c'est une femme qui a permis à cet homme de rejoindre le père, celui qui transcende le père à tel point que ce jour-là, il l'a manifesté. Et il s'est, à partir de là, engagé dans sa voie propre qui était sa voie propre à lui, Jésus et qui était précisément la voie où il aurait dans toutes sortes de circonstances à manifester le Père, celui dont il sait de plus en plus, qu'il est plus grand que son père. J'ai pris ces quelques exemples pour montrer qu'il y a un ensemble de données qui me semblent converger pour constituer en Jésus cette expérience spécifique que son père, Joseph, par Marie, lui a enseigné un père plus grand que lui. Quand cette intuition forte se constitue en Jésus et va devenir le centre de son message, loin de délaisser son père, Joseph, il s'inscrit complètement dans son sens. Simplement, il est par la transcendance de Dieu, porté plus loin, plus avant, plus haut que Joseph ne pouvait dire et même plus avant, plus haut, plus loin que même Jésus n'en avait tout de suite conscience. 2° Mon Père est plus grand que moi.Cela commence par : "mon Père, vous voulez le connaître, vous voudriez le voir ? Vous ne pouvez pas le voir. Regardez-moi. Mon Père est exactement ce que vous me voyez être. Le Père, pour se manifester passe par moi. Celui qui m'a vu, a vu le Père" Cela c'est Jean 14,9-11. C'est l'ensemble des choses de l'Evangile qui montre que la manifestation du Père, c'est-à-dire la connaissance que Jésus a, au fond de lui-même de ce Père qui voit dans le secret, la conviction de Jésus, c'est que ce Père est exactement ce que ses proches, ses contemporains peuvent voir de ses propres manières d'être, manières de désirer, manières d'agir. D'où cette phrase de Jésus dans le discours après la Cène où les disciples, un peu déconcertés qui ne suivent pas très bien tout ce que Jésus leur dit, lui disent "Montre-nous le Père, et cela nous suffit !" Et Jésus leur dit "depuis si longtemps que nous sommes ensemble, vous ne savez toujours pas que puisque vous m'avez vu, vous avez vu le Père." Cela veut dire que Jésus ne pouvait manifestement rien dire, rien manifester de plus que ce qu'il fait, ce qu'il dit quotidiennement. Si nous voulons regarder le Père rendu visible en Jésus, où regarder particulièrement ? Là d'une certaine façon, c'est tout l'Evangile et je voudrais essayer de faire apparaître cette différence dans le désir spécifique de Jésus qui caractérise sa manière d'être, sa manière de désirer la vie, sa manière d'aimer la vie. Je propose de la décrire en trois temps. Dans un premier temps, quand il voit les gens qui s'adressent à lui, il est touché par le fait qu'on est pris comme dans un piège, par le fait que les gens comme nous qui le rencontrent sont trop bien adaptés à ce qui ne va pas, sont trop complices de ce qui les prive d'être, sont trop satisfaits de leurs souffrances. C'est un thème qui est admirablement décrit, de façon tout à fait contemporaine par le livre de Christophe DEJEUX "Souffrances en France". Il se demande jusqu'à quand on va continuer d'en subir tant, jusqu'à quand on va encaisser comme ça, sans rien dire. Il décrit la stupeur que l'on peut éprouver devant l'acceptation résignée de frustrations accumulées dont on dit "ben;, c'est la vie !".Je pense que dans un premier temps, Jésus est touché à cet endroit par le fait qu'on s'est laissé prendre dans un piège et il débanalise, il défatalise, il désacralise le malheur quotidien, ou la maladie ou le sentiment d'impuissance. Dans un deuxième temps, s'en étant étonné, s'en étant indigné, il décompose, il déconstruit, il défait cet assujettissement à des esprits mauvais, à un statut social (le lépreux), à toutes sortes d'identifications à un handicap (lui, c'est un chômeur, lui, c'est un malade, lui, c'est ceci, cela) et il appelle inlassablement à transgresser une situation, une règle, un état dans lequel on se trouve installé, un rituel. Le paralytique de la piscine, cela fait 37 ans qu'il est là. Il y a un rituel, à un moment donné l'eau de la piscine bouillonne, le premier qui se plonge dedans est guéri. Evidemment, il n'arrive jamais le premier puisqu'il est paralysé. Jésus lui dit "lève-toi et marche". Il le fait et il est guéri. L'homme à la main desséchée, Jésus lui dit "mets-toi ici et tends la main ! Je te guéris !" Françoise Dolto a eu le toupet de commenter le miracle de la résurrection du jeune homme de Naïm. Elle commente cet évangile sur le mode de s'adresser à l'enfant en lui disant "arrête de te laisser étouffer par ta mère, et accepte de vivre ta vie !" C'est comme cela que Jésus l'aurait ressuscité, dit Françoise Dolto. Cela mérite d'être réfléchi. On pourrait reprendre tout l'Evangile et montrer toutes ces interventions où Jésus somme les gens que nous sommes, de ne pas nous laisser enfermer dans des règles conçues de manière telle qu'avec cela nous ne risquons pas de vivre. Le troisième niveau, c'est d'arriver après cette déconstruction de l'assujettissement consenti, à faire émerger ce qui dans l'autre est l'endroit où il croit, c'est-à-dire où il n'est pas asservi au réel constitué. Chaque fois que Jésus guérit, sauve, il dit toujours après "c'est toi qui t'es sauvé par ta foi, c'est ta foi qui t'a sauvé, si tu ne m'avais pas apporté cette foi, je n'aurais rien pu faire". Donc ce qu'il fait émerger dans l'autre, dans chacun d'entre nous, c'est un point mystérieux, le point de la foi où Jésus rencontre son Père. C'est l'endroit où le désir de vivre qui s'exprime par "je crois" est exactement le lieu où l'action du Père est sentie par Jésus. Il a dit "quand vous m'avez vu, vous avez vu le Père" et sans doute pourrait-il dire aussi "quand je te vois croire, je vois le Père. Là, la différence, c'est précisément de vivre la vie comme étant le sujet de soi-même. Vivre, c'est croire en soi, ce lieu central où le Père manifeste son don de la vie, son amour de la vie. D'une certaine façon, le Père pour se manifester, passe par Jésus et Jésus est convaincu qu'il en est de même pour tout homme, il est convaincu que le Père se manifeste par le désir de vie de chacun, si ce désir de vie peut être libéré de toutes les entraves et de tous les asservissements dans lesquels il s'est laissé piéger. Dans cette direction, le Père, le Père transcendant, le Père de Jésus, le Père dont nous parle Jésus est plus intime que le père intime dont je vous ai parlé la dernière fois. Il est plus intime parce qu'il est plus intérieur, et Jésus qui nous en parle nous dit "en effet, je suis le Pain de Vie. Qu'est-ce que c'est que cette métaphore du pain sinon la substance que je transforme en ma propre substance si je la digère ? Si Jésus s'accommode de cette symbolique du pain, c'est que la vie qu'il donne, c'est la vie que nous nous donnons. Le propre du pain, c'est de devenir notre substance. "Je suis le pain de vie" cela veut dire "je suis d'une certaine façon, ce qui, de votre propre vie est la source, le principe de dynamisme, ce qu'on peut appeler en termes psychiques le désir. Je suis de votre vie le désir que vous viviez. Je suis le pain de vie. Si vous me mangez, vous n'aurez plus jamais faim ; si vous me buvez, vous n'aurez plus jamais soif, car je suis de votre vie, le principe du désir de vivre. Je pense, en effet, que ceci est plus intime que la constitution de notre réalité filiale. Peut-être un jour, vous aurez envie de lire le livre par lequel Denis Vasse décrit comment il conçoit le drame et en même temps la joie, et en même temps la sainteté de Thérèse de Lisieux. Il fait apparaître que, même dans des pathologies graves, à propos du cas de Thérèse, même dans des perturbations psychiques tragiques, une complète sainteté est possible dès l'instant que quelque chose fait qu'on a pu laisser passer le désir de vie transcendant tel qu'il nous est insufflé par la présence de Jésus en nous. Même si, psychiquement, nos rapports à notre propre vie sont totalement perturbés. Cette analyse du cas Thérèse de Lisieux est totalement éclairant. ("la souffrance sans jouissance" de Denis VASSE) . En quoi Dieu est-il transcendant puisqu'il nous est si intime. Il nous est transcendant et Jésus peut dire "mon Père est plus grand que moi". Il nous est transcendant parce qu'il est le premier, par son antériorité, parce qu'il est comme dit St Jean "celui qui nous a aimés le premier". D'une certaine façon, Jésus homme est obligé d'accéder à cette intuition du Père à travers un certain nombre de complications et de difficultés qui tiennent à son humanité, aux événements qu'il doit vivre. C'est pourquoi il peut dire "mon Père est plus grand que moi". Je pourrai simplement dire rapidement qu'il y a un travail, un labeur en Jésus pour nous acheminer vers la connaissance du Père. On pourrait l'appuyer sur l'épisode de la Samaritaine dans le chapitre 4 de St Jean. Jésus montre ce que c'est que cette élaboration lente qui résiste à l'illumination parce que nous sommes pénétrés par toutes sortes d'empêchements à croire vraiment à l'amour. Nous sommes pétris de rapports de forces. En nous, l'amour n'est pas possible sans son verso qui est la haine. Et donc, pour accéder à la Samaritaine, Jésus est obligé patiemment de chercher par quels détours il arrivera à tromper ses défenses, traverser ses méfiances et à toucher l'endroit où elle va être disponible à la véritable rencontre. On peut examiner de près cet épisode pour voir apparaître progressivement la révélation du Père après tout un travail. Je pense que quand Jésus dit "je vais partir et vous devriez vous réjouir parce que je vais au Père et le Père est plus grand que moi, je pense qu'il nous laisse entendre là que, effectivement le rapport du Père au désir de vie est un rapport non laborieux, totalement direct, immédiat. C'est pourquoi si nous étions vraiment nous-mêmes, nous serions comme le dit Jésus complètement dans la joie du Père parce que le coeur de nous-mêmes, c'est le Père. Et il se manifeste et nous le manifestons quand nous désirons la vie, quand nous aimons la vie de la façon de celui qui s'est défini "celui qui aime la vie le premier. Mon dernier mot, c'est que quand Jésus dit "mon Père est plus grand que moi" il exprime une jouissance. C'est très éclairant parce que dire comme ça quelqu'un est plus grand que moi, c'est difficile à dire. On peut là témoigner d'une admiration, mais c'est difficile qu'il n'y ait pas quelque part, au fond de soi, un petit regret. Il est difficile de dire sans aucun regret "Untel est plus grand que moi" ou "mon père est meilleur que moi. Et Jésus le dit dans la complète jouissance, manifestant par là qu'il sait ce qu'il en est de la vie. La vie, c'est de la reconnaître là où elle est, c'est de la donner là où on l'a. La joie est dans cette aptitude à se situer au coeur même du désir de la vie. Le Père est celui qui nous a aimés le premier, qui est le premier à aimer la vie. DEBATS1° - Sur la place de la femme en Dieu J'avais cru faire des efforts pour introduire cette donnée que Dieu ne peut pas constituer des pères sans les femmes. J'ai posé la question : que font les femmes ? Effectivement les textes ne décrivent que leur silence ou leur discrétion. Alors j'ai dit "elles rêvaient ou elles pensaient" parce que cela ne fait pas de bruit. Ma conviction c'est que l'homme agit à partir d'un certain climat et que pour l'action, il faut environner l'acteur par des ondes secrètes, c'est-à-dire de l'imaginaire, de la pensée, des choses qui ne se disent pas mais qui influent. De ce point de vue-là, Dieu ne serait père que s'il était acteur. Dès l'instant qu'il est mystère, évidemment qu'il est mère. Dieu père ou mère, c'est un problème linguistique. On ne peut pas parler en dehors de sa langue. Or je ne sais pas si vous savez comment fonctionne la constitution d'une langue. On est trompé par les dictionnaires. Quand on cherche la signification d'un mot, on va prendre le dictionnaire, on cherche le mot et on a une phrase, un commentaire qui est censé expliquer le mot. C'est contraire au fonctionnement de la linguistique. Le mot n'existe que par son antithèse, c'est-à-dire que ce qui fait le sens d'un mot, c'est l'intervalle entre lui et un mot qui lui fait contraste. Si vous voulez dire "blanc", il faut que vous ayez le mot "noir", si vous voulez dire "la droite", il faut le mot "gauche", si vous voulez dire le "haut", il faut le mot "bas". Mais si vous n'avez pas les deux, comme vous n'avez pas d'intervalle, vous n'avez pas le sens. Qu'est-ce que je vais faire contre le fait que, linguistiquement, il y ait le père et la mère qui se font vis-à-vis comme deux antagonistes, à savoir quand l'enfant en a assez de la mère, il va vers le père et quand il a reçu assez de taloches avec le père, il va se faire consoler par la mère. Qu'est-ce que vous voulez faire contre ça? Comment puis-je empêcher la langue d'avoir constitué ces deux mots ? La langue étant ce qu'elle est, c'est gênant pour Dieu, parce qu'on l'oblige à prendre parti. La langue étant ce qu'elle est ne peut pas nous donner la possibilité d'être véritablement justes à l'égard de Dieu quand nous en parlons. Vous savez que j'ai failli refuser, moi, quand on m'a demandé de parler du Père. Et je me suis dit : je vais bien trouver un truc pour échapper à l'impossible. La question "Dieu est-il père ou mère", c'est insoluble. Bien sûr qu'on est maintenant plus enclin qu'au 13ème siècle à représenter Dieu comme une mère. Mais si on se met maintenant à faire un mouvement pour que Dieu devienne une femme, je ne crois pas qu'on aura pour autant réglé la question. Jésus est-il le premier à avoir appelé Dieu, Père ? C'est tout à fait impossible. Jésus, quand il parle, il est comme nous de ce point de vue-là, il est coincé par les habitudes linguistiques de son temps. Il ne peut pas appeler Dieu père, si personne ne le fait. Ou alors s'il le fait personne n'aura entendu, n'aura compris et vous n'enaurez pas trace dans l'avenir. Dans l'Ancien Testament, on a des sentiments extrêmement filiaux à l'égard de Dieu. Chez les Esséniens, on a retrouvé à peu près le Notre Père. Et les théologiens actuels considèrent que c'était courant au temps de Jésus. Ce n'est pas du toute une innovation de sa part. Moi cela me fait penser que ce n'est pas du côté des mots qu'il a employés qu'il est intéressant de faire l'exploration, mais du côté de son comportement personnel. Comment vivait-il le rapport à la vie des autres ? Comment vivait-il le rapport à soi comme vivant ? Qu'en était-il de son désir par rapport à la vie ? Je cherche beaucoup plus dans cette direction que "est-ce que les mots qu'il a prononcés étaient des mots que personne n'avait jamais dit ? Question sur la violence. Il y a une question sur la violence. Dans ce qui a été dit, je vais faire deux rapprochements : le Père comme patron avec les ouvriers de la 11ème heure. Dans la parabole, il y a un quidam qui s'indigne en trouvant que le comportement du Père est injuste. C'est donc un personnage qui est censé avoir été violenté par le comportement de ce maître qui estime qu'il a le droit d'accorder la même rétribution à celui qui n'est arrivé qu'à la fin et qui n'a pas travaillé toute la journée. Je fais le même rapprochement avec le Fils Prodigue. Quand on lit la parabole, le frère aîné, c'est celui qui trouve, lui aussi, que c'est inadmissible qu'on ait accordé tant au Fils Prodigue alors que lui, il était resté toute la journée, tout le temps à travailler. Voilà deux personnages violentés par Dieu. La violence de Dieu c'est ce qu'il exprime en disant "vous pensez comme vous voulez, mais pourquoi je n'ai pas de droit de faire, moi, comme je l'entends. Si j'ai envie de faire du bien à ces gens-là, pourquoi vous le prenez en mal ? Dans la parabole, le père tel qu'il est mis en scène ne recule pas devant cette inéluctable violence qu'il fait à des gens qui veulent à tout prix faire fonctionner des règles que, lui, ne trouve pas nécessairement pertinentes. Ceci dit, la violence, c'est bien pire que cela. Dans cette parabole des ouvriers de la 11ème heure et celle de l'enfant prodigue, il est dit par manière de métaphore que la manière dont le peuple juif est dirigé du temps de Jésus confère à quelques-uns des privilèges dans l'ordre du salut qui ont pour effet d'exclure quantité de gens, les païens, etc... Les ouvriers de la 11ème heure, c'est ceux que Jésus convoque au festin du Père, alors que d'après l'ordre officiel, ils n'y ont pas droit. L'enfant prodigue, c'est également celui qui est perdu aux yeux de ceux qui font autorité et que Jésus estime devoir réintégrer. Pourquoi ? Parce qu'ainsi est fait le Père. Il est le désir de la vie de quiconque. Et cette chose était absolument insupportable aux dirigeants de son temps qui ont, pour cette raison, fait son procès et qui ont tenté de l'éliminer. La violence est celle-là. Si Dieu est violent quand il dit "j'appelle les païens au salut", il n'est violent que par la violence dont ces gens sont exclus. S'ils n'étaient pas exclus, cela n'aurait pas fait violence. Si le fils aîné n'avait pas exclu le prodigue la fête pour le retour de ce dernier n'eût point été violente. Si les gens qui travaillaient aux champs avaient été accueillants à celui qui vient tard, la rémunération finale n'eût fait violence à personne. Mais la violence de Dieu est une violence à laquelle il ne peut pas échapper, compte tenu de la manière dont ce monde est géré. "Votre père céleste les nourrit", Cela c'est très reposant. C'est le Père qui aime la vie et qui, comme St François d'Assise, sui lui prêchait aux oiseaux, leur donne des grains, un par un, grain par grain. C'est une bonne mère. Je n'ai pas parlé de l'Esprit Saint ! Alors cela, c'est peu fort ! On me demande de parler du Père. Je ne peux quand même pas démarrer sur l'Esprit. Eh bien j'en ai parlé plus que vous ne croyez. L'Esprit Saint, c'est l'Esprit du Père et c'est dans l'Esprit Saint que nous avons goût à vivre. A vivre quoi ? Cette vie que le Père a aimée en premier. Et si j'étais complètement étranger à l'Esprit Saint je n'eus pas pris goût à vous proposer quelques réflexions sur le Père de Jésus. L'Esprit Saint est parmi nous et c'est pour cela que nous nous entretenons des choses saintes avec plus ou moins d'esprit. Sans l'Esprit-Saint, que voulez-vous qu'on devienne ? Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? Vous savez, c'est le psaume 21. Je me suis demandé quelquefois : quand ce sera le moment de mourir, qu'est-ce que j'aimerais faire ? Est-ce qu'il y a une musique que j'aimerais entendre ? Est-ce qu'il y a quelques paroles que j'aimerais que quelqu'un raconte à côté de moi ? Je ne sais pas trop. Je ne sais pas dans quel état je serai, d'ailleurs. En tout cas, Jésus, lui, il a convoqué le psaume 21. Mon Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? L'ensemble de ce psaume devait à ce moment-là lui parler d'une certaine façon. Le Père et l'Esprit du Père n'étaient pas absents du psalmiste qui a composé ce psaume dans une situation qui devait être particulièrement tragique pour lui. Si le Père est vraiment le Père, d'une totale fidélité, entièrement présent à la source même de notre être et de notre désir de vivre, il doit pouvoir tout entendre. Si je suis traversé, de temps en temps, par la pensée qu'il m'abandonne, ou par des pensées carrément athées, celle qu'il n'existe pas, ne doit-il pas les entendre ? Et n'est-ce pas un signe de confiance de le lui dire tel qu'on le sent ? Cela me fait penser à un de nos travaux difficiles dans les entreprises, quand on commence à mettre les gens en état d'échange, de débat et de confrontation, la première règle c'est : ne commencez pas par vous censurer ! Régulez-vous progressivement en avançant. Mais au point de départ, dites le pire de façon à ce qu'à la fin, il y ait plutôt le meilleur. Ne dites pas tout de suite les choses qui sont bien, qui vont bien passer, qui sont convenables...etc pour dire en sortant "ah, bien finalement on n'a pas dit ce qu'on pensait !" Le fait de dire le négatif, c'est la condition vitale pour qu'on puisse travailler le positif et lui faire produire quelque chose. Par ce psaume 21, Jésus au moment de mourir, ayant pu dire "Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? a pu ensuite ajouter "entre tes mains, je remets mon esprit." "Vous le verrez tel qu'il est". Cela tombe bien. Je suis en train de relire "la Cité de Dieu" de St Augustin et, il y a quelques jours, j'étais sur un passage où, chapitre après chapitre, St Augustin discute de la question de savoir si nous voyions Dieu avec nos yeux. Il y a du pour et il y a du contre. La conclusion c'est qu'il ne faut pas trop s'inquiéter de la question. Quand St Jean dit : vous le verrez tel qu'il est, il ajoute "et quand nous le verrons tel qu'il est, nous lui deviendrons semblables." (1Jn 3,2) Il n'y a pas de visage de Dieu malgré ce que nos peintures, nos sculptures nous ont habitués à regarder, il n'y a pas de visage possible de Dieu, ou alors Dieu n'est plus transcendant, il n'est plus, "plus intime à nous-mêmes, plus que nous ne le sommes à nous-mêmes". Il n'a pas de visage parce que quel visage lui donner s'il est en chacun la source de son amour de la vie. Il a tous les visages et celui de chacun d'entre vous, ce soir, en est un parfaitement pertinent. En tout cas, c'est ce que pense Jésus et l'Esprit Saint en plus, qui passe son temps à essayer de façonner en nous quelque chose qui peut ressembler à Dieu pour les contemporains. Si je peux voir sur le visage de quelqu'un qu'il croit, je vois le Père. Question inaudible Jésus au temple. Il a une référence, ce sont ses parents. Leur comportement devant Dieu, devant les prêtres, devant le Temple, devant ce qui s'y fait. Il a cela comme référence. Donc, soumis, obéissant, il y va. Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui a fait que, tout d'un coup, sa référence a été submergée et que quelque chose d'autre s'est substitué à sa référence ? En gros, c'est le problème de toutes les conversions. C'est une sorte de retournement. Je parlais tout à l'heure des mots "père", "mère" et comment faire avec Dieu ? Si on veut inscrire entièrement dans la langue le mystère de Dieu pour le dire intégralement, sans faille, sans erreur, sans aucune insuffisance, nous n'y parviendrons pas. Mais il y a des gens qui croient qu'ils peuvent y parvenir. Et ils continuent de vous enseigner dur comme fer qu'ils savent tout sur Dieu. Ils ont toutes les formules qu'il faut, ils ont les mots. Et si vous ne prononcez pas le bon mot d'ailleurs, ils vous condamnent. La conversion, c'est de faire le renversement complet, c'est-à-dire, nous ne pouvons pas faire rentrer Dieu dans nos références constituées, établies, mais nous pouvons peut-être travailler à faire entrer toutes nos références en Dieu. Comment faire ? Je n'en sais rien. Il faut que l'Esprit Saint par quelque grâce nous ait donné intimement cette intuition que c'était possible. Si nous le faisons, nous sommes en état de transgression par rapport à presque toutes les règles. Mais nous le faisons parce que nous y croyons. A un moment, on y croit et au moment où on y croit, on sort de toutes les règles qui nous interdisaient d'aller jusque là. Donc on va plus loin. Il y a effectivement un dépassement de toutes les références quand on se met à croire vraiment à ce que Jésus nous dit. Et c'est Lui qui devient la référence. A ce moment-là, on est devant un mystère c'est-à-dire devant quelque chose dont on a entendu des choses. On écoute ce que les autres croyants en disent. On écoute tout ce que l'Eglise avec sa sagesse et sa méditation en dit. On écoute tout cela et on sait que tout ce qui se dit n'est pas le cadre suprême dans lequel on inscrit notre foi. Ce sont toutes les choses qu'on essaye d'inscrire dans le mystère de Dieu et à la place des références, il y a le mystère. Les références dans l'Eglise, sont faites pour conduire au mystère. Elles ne sont pas faites pour donner à quelques enseignants la maîtrise du mystère. Les références qui nous permettent de nous entretenir sur les choses de Dieu ne doivent conférer à aucun enseignant le pouvoir de prétendre maîtriser le mystère. Par contre, cela constitue une multitude de chemins par lesquels nous pouvons nous aventurer vers le mystère et, de ce point de vue-là, cela nous rend un service inéluctable. On ne pourrait pas s'en passer. Demande d'éclaircissement sur le surmoi. Le surmoi, c'est une acquisition psychique qui va devenir nécessaire au moment où, sortant de la fusion avec la mère, l'enfant va commencer à exister un peu plus autonome, un peu plus indépendant. Il aura besoin d'un point d'appui intérieur qui sera de l'ordre du moi. Les premières manifestations du moi du petit ont quelque chose qui paraît un peu délirant. Cela amuse l'adulte. Pour l'enfant il n'y a que moi. Si on laisse le moi se comporter avec si peu de structuration, l'enfant va à la catastrophe. Donc il va falloir lui structurer son moi. On ne peut pas le faire par des principes. On ne peut pas le faire par des raisonnements. On ne peut pas le faire par une sorte d'anthropologie dans laquelle il pourrait se situer parce qu'il n'a pas le développement mental pour. Donc, ça va être fait d'une façon extrêmement énergique et cela va être une des fonctions-père, en fait un adulte, que ce soit le père biologique ou quelqu'un d'autre. Ce sera un pédagogue qui va lui limiter son moi d'une manière brutale. Pourquoi d'une manière brutale ? Parce qu'il n'y en a pas d'autre que l'enfant va pouvoir intérioriser. Ce sera une brutalité qui sera évidemment entourée de compensations affectives, mais ce sera fondamentalement brutal et cela va constituer le point de départ des mouvements sadomasochistes qui sont un des grands équipements humains dans le psychisme Le masochisme, c'est ce qui me permet de subir des catastrophes, des coups durs, des avatars, des méchancetés et tout ça sans pour autant en mourir sur le coup, donc en y prenant une certaine petite satisfaction quelque part. Le sadisme, c'est le complément. Pour pouvoir être un peu masochiste, il faut pouvoir être un peu sadique. Le sadisme, c'est ce qui vous fait jouir de la soumission, de la subordination ou de l'humiliation de l'autre. En gros, une fois que vous avez un peu de masochisme, vous pouvez encaisser les coups, c'est commode dans la vie. Et avec un peu de sadisme, vous pouvez jouir d'exercer de l'emprise sur les autres. Pour structurer le moi, l'enfant a besoin de cette double fonction et c'est cela qu'on appelle le surmoi, c'est-à-dire qu'il a capté dans la grosse voix de son père qui le gronde quelque chose du sadisme de l'adulte et il se dit "tiens, ça peut servir, je pourrai refiler le coup à un autre !" Et comme on l'oblige à faire des trucs qui lui paraissent pénibles, en se disant in petto, "de toute façon, je m'en fous, ça me fait plaisir, il trouve sa revanche. Si bien que ces deux principes-là constituant un surmoi, ça le structure et cela lui donne une sorte de consistance intérieure. Le moi. Ensuite cela pourra être développé, relié aux autres "moi". Mais l'acquisition du sens de l'autre, ce ne sera pas acquis par le surmoi, ce sera acquis après. C'est une nécessité psychique de pouvoir se construire ce surmoi à un âge très tendre, vers deux ans. C'est nécessaire pour l'avenir mais quand même, cela a des inconvénients pour l'avenir. L'inconvénient le plus courant chez les adultes, c'est cette rage qu'ils ont de toujours vouloir exercer de l'emprise sur quelqu'un d'autre et c'est cette désespérante manie de penser qu'ils ont toujours raison. Je vous souhaite un bon surmoi pour commencer et je vous exhorte à le dépasser le plus vite possible en grandissant. |
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