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FORUM Germinal

 
   Réflexions sur la peine de mort  
     
   4 Mars 1998  
   

 

Le Mardi 3 Février 1998, une jeune femme de 38 ans a été exécutée. Condamnée pour un double meurtre particulièrement sordide, elle attendait depuis 1984 dans les couloirs de la mort. L'espoir de sa grâce n'était qu'une goutte d'eau dans l'océan d'un monde politique sans pitié, dont les intérêts passent toujours avant l'humain.

Elle se nommait Karla Tucker. Elle était une de ces centaines de condamnés à mort qui attendent pendant des années l'application de leur peine. Aux Etats-Unis comme dans le reste du monde, nombre de pays réclament "justice" en pensant que la peine capitale guérira leurs blessures et endiguera la criminalité.

Pour prouver son évolution, notre société offre même une palette de modes d'exécution : injection mortelle - électrocution - chambre à gaz - pendaison - peloton d'exécution. N'est-ce pas merveilleux ? Dans certains Etats américains, on peut aussi choisir la façon dont on sera exécuté.

Aujourd'hui, à deux ans de l'an 2000, nous sommes en droit de nous demander si perpétrer les tueries a changé quoi que ce soit dans nos sociétés. N'y a-t-il pas d'autres solutions que d'annihiler une vie ? Est-ce là, la seule forme de justice à laquelle nous aspirons : le crime étatisé ? Avons-nous seulement regardé en face cette justice qui nous rassure sur nos postes de télévision, dans nos journaux, au cours de discussions entre amis. La justice pourrait porter son nom si elle n'était pas discriminatoire, si elle était appliquée également à tous.

Hélas ! Tel n'est pas le cas ! L'argent régit le monde depuis des milliers d'années et il y a des couleurs de peau avec lesquelles il vaut mieux ne pas naître. Dans la même ligne, il vaut mieux ne pas naître dans un milieu démuni. Il vaut mieux avoir des parents aimants, équilibrés, toujours présents, qui vous protègent et vous permettent d'avancer sans trop de crainte sur le chemin de la vie.

Seulement voilà : ce n'est pas toujours le cas et il semblerait que ce le soit de moins en moins. On ne choisit pas sa famille et on n'a pas toujours la chance de rencontrer les gens qui vont vous permettre de choisir le bon chemin.

Bien sûr, il y a aussi des criminels dont les parents ont une situation, qui se sont occupés de leurs enfants et qui les ont instruits, habillés, nourris, aimés. Alors pourquoi ?

Parce que personne n'est à l'abri d'un dérapage, d'un coup de folie, d'un mal qui s'infiltre doucement, insidieusement et qui vous fait basculer de l'autre côté. Qui peut prévoir à 100% toutes ses réactions ? Qui peut être sûr que son père, son enfant, son meilleur ami ne va pas être pris de folie comme on dit ? Qui ?

La peine, la douleur, la souffrance, sont des sentiments horribles qui nous entaillent et nous déchirent. La mort d'un être cher est intolérable à cause du vide que la personne disparue laisse brutalement derrière elle. Cette mort devient insupportable quand elle est causée, infligée par quelqu'un d'autre.

Alors on se raccroche à n'importe quoi pour ne pas devenir fou, pour accepter l'inacceptable, pour ne pas naviguer sur un océan de folie qui nous guette à chaque fois qu'on ferme les yeux, à chaque fois que notre corps se plie et se tord de souffrance, la souffrance de n'avoir pu rien faire, de n'avoir pas été là au bon moment, la souffrance infligée à l'autre et qui nous lacère..

On crie alors vengeance. Quelqu'un doit payer, mais payer dans sa chair pour que cette douleur disparaisse. On aimerait pouvoir appuyer sur la détente, renverser ce corps avec une voiture, car il ne mérite pas de vivre. Mais décemment on ne peut pas, même si l'envie de tuer est bien là car la morale nous l'interdit. Heureusement la justice est là, elle aussi qui va régler le problème dont la solution ne peut être que la peine de mort.

C'est pourquoi je ne comprends plus. Il me semblait, je croyais, j'avais appris, étant enfant et plus tard à l'école, que nul être humain ne saurait être soumis à la cruauté, à la torture ou à la mort causée par quelqu'un d'autre. N'y a-t-il pas une solidarité indéfectible des êtres humains face à la mort et à la souffrance ? Ne peut-on créer enfin une chaîne contre ce cycle de violence. Ne peut-on être solidaires dans la vie ? Est-ce qu'une exécution apporte la paix au coeur et à l'âme ?

Tout à coup, je pense aux pittbulls, ces chiens qui font la "Une" de l'actualité à cause de leur agressivité. On en fait des chiens d'attaque, dressés pour tuer, pour faire mal, pour serrer la chair jusqu'au sang, jusqu'à l'étouffement. Ce sont des chiens enragés, il faut les éliminer. Mais qui les a rendus fous ? Qui ? Qui a fait qu'ils seront piqués, euthanasiés car devenus incontrôlables ? Et qui va payer au bout du compte ? Les victimes et le chien enragé. Non, l'histoire des pittbulls n'arrive pas comme "un chien dans un jeu de quilles". L'histoire de ces chiens "enragés" est celle de ces "enragés" qui attendent dans les couloirs de la mort.

Certains parmi ceux-là ont eu une éducation qui ne pouvait que les amener là où ils sont. Et ceux-là représentent la majorité. D'autres ont eu un parcours apparemment moins douloureux mais ils sont là eux aussi car ils ont commis des crimes crapuleux, des actes innommables. N'y a-t-il pas eu un moment où on a pu sentir chez eux quelque chose qui n'allait pas : une rage, une déficience, un mal-être, une déviance ?...

J'ai connu un petit garçon , fils unique d'une famille aimante, d'humeur solitaire et qui crevait les yeux des tortues que sa mère lui achetait et jetait ensuite pour en racheter d'autres. Devenu adulte, cet enfant s'est retrouvé en prison. Qu'a pu alors ressentir sa mère ? A quoi pensait-elle en allant chercher les tortues, futures victimes du fils qu'elle aimait tant? Qu'elle le guérirait ? Et de quoi ? Ce n'est pas facile d'être parent. C'est même une des choses les plus difficiles qui soient. L'amour se partage, la souffrance pas, enfin pas vraiment.

Je voudrais ici citer un passage tiré du livre de Soeur Hélène PREJEAN, "La dernière marche". "Notre siècle a été illuminé par deux flammes d'espérance, Momandas K Gandhi et Martin Luther King. Tous deux ont montré comme l'avait enseigné Jésus, que compassion et tolérance, même à l'égard de ses ennemis, agissent sur la société. Comme l'a dit Gandhi 'Si chacun prenait un oeil pour un oeil, le monde entier serait aveugle'."

La vengeance n'est pas un plat qui se mange froid ou chaud. Nous ne sommes pas dans un fast-food. La vengeance n'est pas un sentiment noble. Et elle n'a jamais rien résolu.

Il y a tant à dire ici que j'ai peur de m'exprimer maladroitement, d'employer des euphémismes, d'utiliser des lieux communs pour parler d'une telle tragédie. Alors je ne sais comment parler de tous ces innocents exécutés, de ces personnes injustement condamnées par la justice des hommes. Aux Etats-Unis, il y aurait environ 450 personnes exécutées dont l'innocence a été établie après leur mort. Et oserais-je parler de tous ces chefs d'Etat qui condamnent des milliers de gens à mourir au cours des guerres qu'ils déclarent ? Eux ne seront jamais inquiétés et pourtant les serviteurs de l'Etat vont tuer, piller, violer, écorcher, torturer, fusiller, pendre, brûler des femmes, des enfants, des vieillards, des êtres humains, leurs semblables, leurs frères, et cela de façon légitime, impunément et sans relâche jusqu'à la fin de ce massacre légitimé.

Les présidents, rois, ministres et chefs militaires dormiront tranquilles et sans entendre les hurlements des femmes devant, les pleurs des enfants et l'agonie de tous ces êtres qui se meurent. L'Etat prouve sa capacité à tuer aussi bien que tout le monde. Violence d'autant plus grave qu'elle est prévue par la loi. La solution est donc là : pour régler ses problèmes, on peut tuer le gêneur.

Devant tant de violence, j'appelle, j'attends une explication : pourquoi alors que la peine de mort bat son plein, la criminalité augmente-t-elle parallèlement ? Pourquoi la peine de mort n'a-t-elle rien de dissuasif? N'y a-t-il pas là sujet à réflexion ? Ne peut-on trouver d'autres solutions et concevoir une nouvelle approche de la criminalité et de la justice ?

Je pense à Soeur PREJEAN, à tous les anonymes de Amnesty International et je les admire. J'admire leur foi, leur volonté, leur respect de la vie. J'admire la puissance de leur amour.

Et tout à coup, j'ai froid et j'ai envie de pleurer car tout cela me paraît insoluble. Quelqu'un vient de mourir et déjà un autre attend la mort. Dans cet intervalle, d'autres encore meurent assassinés : d'un coup de couteau, d'une overdose, d'une balle, d'un suicide, d'un manque de soins, d'une forte dose d'alcool, d'une faute médicale....

Chacun pleure sur ses morts, mais personne ne verse des larmes pour la vie... La terre est souillée du sang des hommes. Je veux croire que demain, tout ça sera fini. Et si ce n'est pas demain, laissez-moi croire que ce sera après-demain.

Viviane

 
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