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3ème dimanche de Carême A
 
 
Exode : 17,3-7 ; Romains : 5,1-2,5-8 ; Jean : 4,5-42
 
   
 
Un homme, une femme au puits de Jacob
 
   
 
27 février 2005
 
   
 

Un Homme, une femme au puits de Jacob.


La Parole de Dieu est plus qu'une nourriture : Elle est la vie qui apprend à servir Dieu et non à se servir de Dieu, à l'adorer et à se laisser imprégner de sa présence pour être présents les uns aux autres. En le contemplant, on l'écoute. Sa personne est l'enseignement qu'il donne.
Jésus qui monte vers Jérusalem sait que c'est la dernière fois. En le suivant dans son pays du Nord au Sud, nous trouvons le cadre vivant de tout ce qu'il a dit au long de ses déplacements. Jésus chemine à travers le pays, vivant au milieu des hommes. Il les découvre dans leur intérieur, avec leurs fantasmes, leurs ambitions, leur complicité avec le mal, mais aussi leurs aspirations profondes. Quoi de plus ordinaire que la soif et la faim, la rencontre avec l'inconnu, avec la personne d'un autre sexe, la femme et enfin l'amitié ? Tout le récit rappelle des thèmes chers à l'évangéliste Jean comme l'eau, l'esprit, la rencontre, la vie éternelle.

Il est aujourd'hui à mi-chemin, en Samarie, du côté de Naplouse, la ville dont on parle souvent dans les actualités. A l'heure actuelle, vingt siècles après, la situation n'a pas changé. Quel juif aujourd'hui s'adresserait à une palestinienne de cette région pour lui demander à boire? L'exclusion fait partie de leur identité, même si personne ne se souvient plus de l'origine de leur différend qui remonte au retour de l'exil, au premier siècle avant notre ère.

Le récit de la rencontre d'une femme et d'un homme à la margelle d'un puits est d'une profondeur impressionnante due à la sensibilité pleine de fraîcheur de St Jean. Il reste la grande nouveauté où la relation humaine est gracieusement centrée sur la découverte de l'autre. On y voit Jésus, très humain s'adressant à une femme samaritaine et abordant un thème spirituel. " Jésus, fatigué par la marche, se tient assis… " "Donne-moi à boire ". La femme aux cinq maris, dont le dernier n'en est pas un, n'est pas d'un abord facile. Elle veut savoir pourquoi l'étranger l'a abordé. Avec un brin de malice, elle lui réplique : " Comment toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? "

A cette époque un homme qui s'adresse à une femme qui n'est ni son épouse ni une de ses servantes, a de quoi choquer. En plus, Jésus s'adresse à elle sur un thème religieux ! Le domaine de la culture était alors réservé essentiellement aux hommes.

Le monde a appris et apprendra encore de cette conversation plus qu'aucune théologie ne pourra jamais le faire : Demander humblement un service à quelqu'un souvent reconnu comme un ennemi. Bouleverser complètement la relation entre l'homme et la femme par une nouvelle vision faite de respect et d'estime. Découvrir la vraie soif de l'homme et la source d'eau vive dans le sous-sol de sa personnalité. Apprendre que Dieu cherche de vrais adorateurs en vérité et en esprit et que personne ne peut considérer Dieu comme sa propriété. Des propos de courtisane, Jésus a ramené son interlocutrice à des confidences qui lui rappellent ses aspirations profondes.

La femme qui vient puiser l'eau au puits pense étonnement à autre chose. " Où faut-il prier ? Sur cette montagne ou à Jérusalem ? ", Jésus lui répond : " Ni sur cette montagne ni à Jérusalem ; les vrais adorateurs, c'est en Esprit et vérité qu'ils doivent adorer. " Dieu ne s'est pas lié à un lieu, même si ce lieu est le temple de Jérusalem. Dieu est Esprit.
Toute exclusion est une infirmité de l'esprit qui enferme l'homme dans ses propres limites. Adorer Dieu en esprit et en vérité c'est s'ouvrir à la dimension de Dieu. La traduction littérale du grec devrait préciser davantage : " c'est dans le souffle (en pneumati, de pneuma, le souffle, rough en hébreu) et la vigilance (a-letlheia, sorti de la lethè - du sommeil -, léthargie) qu'ils doivent prier ". On pourrait encore traduire : " C'est avec un souffle vigilant, conscient, ou encore "éveillé", qu'il faut prier. " Jésus n'a jamais dit "j'ai" la vérité, mais "je suis" la vérité ; littéralement : je suis éveillé (ego eiYni aletheia).

La conversation de la femme va petit à petit de plus en plus loin. " Je sais que l'autre va venir " et Jésus de lui dire : " je le suis, moi qui te parle ". Le temps de l'Autre est arrivé. Dans cette nouvelle annonciation, Dieu n'épouse plus la fidèle, mais l'infidèle. L'épouse n'est plus l'héritière, mais l'étrangère. Les noces de Dieu ne sont plus un privilège du "peuple élu ", mais une tendresse pour celle qui est perdue. Le puits de Jacob est devenu dans l'évangile de saint Jean le puits de la Samaritaine.

Il reste à se demander comment un récit aussi subversif a réussi à franchir les siècles sans être censuré ? Comment a-t-il pu parvenir jusqu'à nous malgré les bûchers des inquisiteurs et nos propres instincts de conservateurs qui ont tendance à exclure pour sauvegarder nos certitudes ? Ce que nous savons, c'est que cette subversion de l'Evangile donne à l'Eglise la possibilité de se renouveler, en faisant le deuil des certitudes fictivement façonnées.


La subversion est irrésistible. " Beaucoup de Samaritains de cette ville arrivèrent auprès de Jésus et l'invitèrent à demeurer chez eux. Il y resta deux jours. Ce n'est plus à cause de ce que la femme raconte que les gens savent que c'est vraiment lui le Sauveur du monde. C'est sur la parole de Jésus qu'ils ont écoutés. Jean respecte la relation et l'intimité de Jésus avec les gens de la ville. La parole entre dans le non-dit. Ici le silence parle plus que la parole.

Pour être plus proche de Jésus qui monte vers Jérusalem, l'Eglise a choisi l'évangile de St Jean pour les trois derniers dimanches de carême. Son évangile est fait des récits de rencontre. Après les rencontres émouvantes avec les premiers disciples, André, Simon, Philippe, Nathanaël., vient la rencontre en tête à tête qui s'est faite nuitamment avec Nicodème, et enfin, nous voilà au puits de Jacob avec la Samaritaine.

En fin de ce célèbre épisode de la rencontre avec la Samaritaine, celui qui lui a demandé à boire est " recherché ", incriminé. On lui en veut à mort ! La Parole Vie exprimée à ce niveau de grandeur ne saurait être étouffée. Elle passe dans les gestes du vécu des hommes. La mort sera le grand passage vers la Vie qu'elle a voulu enraciner dans le cœur de l'homme.

Denis LUONG