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Jeudi
Saint} | ||
Exode 12,1-8,11,1-14
- Corinthiens 11,23-26 - Jean 13,1-15 | ||
La Mémoire | ||
24
mars 2005 | ||
LA MEMOIRE. Nous sommes à la veille de la pleine lune du mois de Nisan. L'étreinte de l'hiver est brisée, la nature se réveille. C'est le moment de la Pâque, le passage du sommeil à la vie. En contemplant l'éveil de la nature, les enfants d'Israël se rappellent la libération de leur condition d'esclaves, le passage de l'ange de la mort, le passage du néant à la vie. Combien de fois dans son histoire, Israël avait connu ces moments où il était réduit l'état de néant! En célébrant la Pâque, Israël veut raconter à ses enfants, à toutes les générations qui viennent, leur vocation d'observateurs privilégiés des premiers instants de la création du monde. Puisqu'il était réduit au néant, il pouvait être présent à ce point zéro de l'existence de l'univers. Il pouvait observer ainsi Dieu qui crée le monde et qui le tient en vie. Et Israël éclate en admiration dans cette contemplation de Dieu qui agit qui tire du néant ce monde qui l'entoure. C'est le sens profond de la Pâque juive. Etre présent au point zéro pour contempler Dieu qui agit et qui crée. Etre en perpétuel état de naître, quitter le néant partir vers l'inattendu, l'imprévu et la rencontre. Naître ici, dans le sens de la fête de Pâques c'est n'avoir plus d'autre maison que le Passage. En vrai juif, Jésus célèbre avec ses disciples cette Pâques prescrite à tous les enfants d'Israël. "C'est une loi perpétuelle, dit le livre de l'Exode, d'âge en âge, vous le ferez." Mais ce soir, c'est pour la dernière fois qu'il fête la mémoire de son peuple. Puisqu'Il sait qu'il va mourir demain, et que sa mort sera pour la première fois le grand passage de cette vie mortelle la vie en Dieu. Ce sera désormais la vraie Pâques, la nouvelle. L'Agneau pascal immolé pour la fête ce sera lui. Le pain azime, le pain que l'on mange à la hâte, sans préparation, sans artifice, ce sera lui-même, sa chair, son corps. Ce corps transfiguré par la vie en Dieu, habité par l'Esprit permet désormais à la Pâques nouvelle de dépasser les limites de l'histoire d'un peuple. Grâce à ce corps transfiguré, désormais je peux célébrer la Pâques sans être juif. La Pâques nouvelle n'est plus seulement la renaissance d'Israël, c'est la renaissance de l'univers entier où chacun de nous peut retrouver son propre cheminement du néant à la vie, son propre passage de la mort à la vie. Désormais célébrer la Pâques nouvelle, c'est vivre la présence du Christ Mort et Ressuscité au milieu des hommes de tous les temps. Pour ce faire Il nous a laissé une consigne : faites cela en mémoire de moi. Les disciples de générations en générations vont transmettre cette parole du Seigneur : Ceci est mon Corps. Ceci est la coupe de mon sang. Et Ils vont découvrir très vite qu'ils ne pourraient prononcer ces paroles sans ressentir la mort qui vient en eux. Pratiquement, chaque fois c'est la mort qui est en train de se frayer un passage dans leur intérieur pour laisser la place à la présence du Maître. L'homme qui accepte de transmettre la consigne du Seigneur devient le prêtre. C'est une délégation, une vocation. Le prêtre est choisi parmi les enfants de la femme pour rester au service d'une Présence. Comme il doit rester à la fois toujours présent et effacé, au risque d'être un imposteur. C'est pourquoi le Jeudi Saint est aussi dans la tradition de l'Eglise, une journée de prière pour les prêtres. Comme ils ont besoin du soutien de prières de leurs communautés. L'Evangile de St Jean nous explique pourquoi. Il a laissé aux trois premiers évangélistes le soin de nous raconter comment Jésus a rompu le pain et partager la coupe de vin. Et de peur que tout cela ne soit transformés en des célébrations rituelles. Il nous raconte comment Jésus se met à laver les pieds de ses disciples, et pour St Jean c'est cela l'Eucharistie. Ce n'est pas seulement tel ou tel rite à observer et qui, à force de la parole prononcée, change ceci en cela. C'est plutôt tout un ensemble de comportements vécus. Pour St Jean, passer à Dieu c'est aussi passer aux hommes. Faire la mémoire du Don reçu, c'est à notre tour, se mettre en état de service. Pour nous tous qui célébrons ce soir le mémorial du Seigneur, nous pouvons nous demander si nous arrivons à montrer au monde le visage de ce Dieu qui s'est si bien penché vers sa créature qu'il s'est mis en position de devoir lever les yeux pour la regarder. Serviteur agenouillé devant ses disciples, littéralement à leurs pieds, tellement penché que c'est lui qui doit lever la tête pour les regarder. Au lieu de dire aux gens de regarder le ciel, c'est peut-être plus vrai de leur montrer qu'il suffit de se courber, de se pencher à l'intérieur de nous-mêmes pour s'apercevoir qu'il y a toujours une Présence qui nous habite. Denis LUONG | ||