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7ème
dimanche de Pâques B
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Actes des Apôtres
1,15-17.20a.20c-26 , 1 Jean 4,11-16, Jean 17,11b-19
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L'Absence
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4
Juin 2000
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Les témoignages recueillis à chaque célébration dominicale depuis Pâques ne cessent de nous initier à un autre type de présence et de relation. Jésus est mort, et le voilà vivant. Tous l’ont regardé de près. D’abord ils en ont eu peur, ils n’ont même pas cru que c’était lui. D’autres, faisant un bout de chemin avec lui, causant avec lui, n’ont pas pu le reconnaître non plus. A chaque rencontre après Pâques, c’est Jésus qui a pris l’initiative de se présenter, de leur montrer qu’il est vraiment celui qui les a appelés, celui qui a été crucifié, celui qu’on a mis au tombeau le vendredi soir. Dimanche dernier, Christian Picard nous a fait le partage de l’Évangile du jour, en relevant les gammes et les nuances dans nos relations à partir du mot « aimer ». Du désir de posséder à celui de résoudre d’abord ses problèmes, l’amour trouve son sens plénier dans le désir de donner le meilleur de soi-même, dans l’attention à l’autre parce qu’il est tel qu’il est. L’amour se vit comme une attention à l’autre, un appel à la vie, une condition de sa propre existence. « Si tu n’existais pas, comment existerais-je ? » L’amour est une présence créatrice. Elle devient une présence discrète, effacée quand la création dépasse le monde sensible avec les critères visibles. La mère, en apprenant à son enfant à vivre loin de son visage, l’initie peu à peu à une autre forme de présence aussi forte que lorsqu’il la voit. Ce 7ème dimanche après Pâques, le premier après l’Ascension est marqué par l’absence et le silence. C’est admirable que la liturgie nous propose de célébrer cette absence et ce silence qui ne nous sont pas étrangers. Dans la vie, qui ne souffre pas d’une séparation, d’une absence? Les apôtres ne voient plus leur Seigneur comme durant les quarante jours après Pâques. Résurrection ou Ascension veut dire entrer dans la vie en Dieu, vivre la vie de Dieu. Jésus ressuscité les a trouvés enfin assez forts, et les a laissés vivre normalement leur vie. Mais eux, ils ne pourront plus jamais oublier son visage de Ressuscité. Ils ont fait connaissance avec quelqu’un qui vient de très loin, de l’au-delà de la mort, de la vie en Dieu. Ils ont vu le mystère de Dieu sur son visage. Ce Visage leur rappelle que le Royaume de Dieu est en eux. « Mon Père et moi nous y viendrons établir notre demeure. Moi en eux, toi en moi. ». Monter au ciel signifie alors entrer et demeurer dans l’amour. Nous pouvons avec les apôtres faire l’expérience de la résurrection quand nous arrivons à intérioriser la prière de Jésus en nous. Avec Lui, le visible et l’invisible sont les aspects de la même vie en plénitude. Il n’y a plus de différence entre proximité et éloignement, présence et absence, parole et silence. Cette perception de la vie est déjà possible à tous ceux qui essaient de vivre le silence, à tous ceux qui sont éprouvés par la vie, par la solitude. C’est le lieu commun de la condition humaine où croyant ou non croyant, pratiquant ou non pratiquant peuvent se rencontrer au-delà de toutes différences. Nos parents étaient pour nous nos premiers grands maîtres de la vie intérieure. Et à notre tour, nous sommes aussi les maîtres de nos enfants. Ils connaissent très tôt l’épreuve de l’absence et ont besoin d’aide. La première éducation prodigue tous les signes de tendresse pour habituer l’enfant à regarder le monde qui, au départ, n’est autre que les visages de ses parents. Le père et la mère s’effacent peu à peu, laissant l’enfant grandir, découvrir son propre monde, au-delà de leur présence. Ils refusent d’être l’unique l’horizon de l’enfant. Ainsi va toute relation véritable entre les hommes. Les gammes et les nuances de nos relations se trouvent enrichies dans les contacts multiples qu’offre la vie. On commence par l’échange des regards qui ne se quittent pas. L’échange se trouve un jour, face au mystère de l’autre, et ce mystère est sacré. Il arrive que nous ne sachions plus dire quelle est la relation qui nous relie aux autres. Jésus le sait. C’est l’Esprit. Les expressions de nos relations forment le flux vital qui nous tient en vie, la vie de l’homme relationnel, l’homme religieux en qui Dieu trouve sa demeure. L’Esprit est la Relation en Dieu. La Bonne Nouvelle que vient annoncer Jésus, nous assure de la Présence de l’Esprit, son Esprit, comme le souffle de notre vie chrétienne. L’Esprit nous inspire et nous enseigne l’art de vivre en êtres de relations. L’Esprit donne la retouche nécessaire à l’image altérée de Dieu sur notre visage. Le maître du Zen, de l’art de se concentrer, n’enseigne pas autre chose à ses disciples. Si l’on a à passer des heures en position de lotus, c’est pour laisser le temps à l’esprit de chacun d’habiter tous les muscles de son corps, spécialement les muscles de son visage. Il paraît que nous avons autant de muscles sur notre visage que de nuances et d’ expressions de notre état d’âme. Seul l’esprit par sa force de coordination et de maîtrise peut donner un visage de sérénité et de paix, le visage véritable de notre personne. Qui m’a vu a vu le Père» (Jean, XIV, 9).Par sa vie au milieu de nous, celui qui n’est pas seulement le Verbe de Dieu mais son Image donne à l’art de l’icône sa véracité : «Puisque l’Invisible, s’étant revêtu de la chair, est apparu visible, tu peux figurer la ressemblance de Celui qui s’est fait Théophanie» (saint Jean Damascène). Par-là même l’icône est aussi pneumatologique, elle anticipe la Transfiguration ultime de l’humanité: dans le Corps du Christ, lieu d’une perpétuelle Pentecôte, l’homme créé à l’image de Dieu peut trouver dans l’Esprit son vrai visage. C’est ce visage que suggère l’icône en illustrant l’enseignement ascétique et mystique de l’Orthodoxie sur la «déification»: la réduction intériorisante des oreilles et de la bouche, le front dilaté et lumineux, le cou gonflé par le Souffle vivifiant, le visage devenant «tout yeux» (Corpus macarianum ), c’est-à-dire pure transparence, la représentation toujours frontale (le profil serait objectivation), tout indique un être devenu à la fois «prière pure» et pur accueil.Dans l’absence apparente du Visage qui exprime le mystère de Dieu, l’humanité tend vers la vérité dans laquelle Jésus veut la consacrer. Dans l’évangile de Jean, le mot « vérité » revient 25 fois. Consacrer les hommes dans la vérité est la manifestation du projet de Dieu, c’est à dire les maintenir dans l’espace sacré de sa Vie. Alors « l’Esprit et l’Épouse disent : Viens ! » D.L. |
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