C’est
à la fois peu et beaucoup ce qu’a retenu St Marc dans son récit du paralytique
de Capharnaüm. La scène est courte, et les détails
tout en mouvements, évocateurs, nous font suivre le regard étonné
de Pierre qui suit l’audace et le sans-gêne des quatre porteurs qui
arrivent à placer le paralysé devant Jésus, alors que la porte de la
maison est bloquée par la foule
Jésus admire la foi des porteurs et sans attendre que le malade
le lui demande, il le guérit en lui
donnant, ou en sollicitant pour lui la remise de ses péchés. On juge
trop vite les raisonnements des scribes qui s’étonnent de la confusion
de la maladie à guérir et du péché à remettre. L’infirmité corporelle
est-elle un péché ? Suffit-il que le péché soit absous pour que
le malade soit guéri ? Qui n’est pas frappé par ce que Jésus
dit au paralytique, par ce décalage de ton ?
Le péché est la réalité humaine dont la Bible parle presque
à chaque page. Pour le désigner, les termes utilisés sont multiples,
empruntés souvent aux relations humaines. Le péché, selon les Ecritures,
est une notion religieuse. Il est lié à la notion de l’alliance.
On découvre la vraie nature du péché à travers l’histoire biblique
de la rencontre de l’homme et de ses relations avec Dieu. Dans cette
histoire, quand l’homme se découvre lui-même dans son comportement
incorrect, il découvre qui est Dieu, son projet, la qualité de ses
relations. Le péché est une rupture de relation. Il n’a de sens que
dans la qualité de la relation avec celui qu’on connaît . La révélation
de l’homme tel qu’il est par la Bible, est tout à la fois une révélation
sur Dieu, sur son amour.
C’est de ce refus de l’homme que découle le mal. Aussi concret
qu’est l’enseignement de la Bible sur le péché,
peut-on dire que le paralytique y est pour quelque chose ?
Est-il en état de péché, en rupture de relation avec Dieu alors que
le mal pour lui, c’est la paralysie et qu’il se laisse convaincre
par ses amis que Jésus peut faire quelque chose pour lui ?
La réponse est dans l’attention de Jésus aux liens qui relie
tout ce groupe d’hommes qui vient de débarquer devant lui. L’infirmité
dont souffre le paralysé a ceci de grand qu’elle suscite la solidarité,
l’étroite relation entre les hommes. En évoquant le péché, Jésus rappelle
le mal qui détruit les relations de l’homme. Il fait savoir en même
temps que sa mission est de rétablir les relations rompues, de les
sauvegarder. Il ne s’agit pas ici de jeux de mots, mais d’un retour
à l’enseignement biblique.
Le vocabulaire du péché dans la Bible est riche et original.
Les images évoquées par les racines hébraïques sont concrètes. Le
péché, « hata, hét, hattat » veut dire : manquer le
but, la cible, s’écarter, ou encore être tordu, de travers. C’est
sans doute dans ce sens que Jésus voit l’infirmité du malade. Il veut
l’aider à se débarrasser de ce qui est tordu dans son corps, de ce
qui détruit les relations qu’il a dans sa vie. La conviction des quatre
porteurs n’est-elle pas l’origine de sa future guérison ? Ce
faisant, Jésus dit qu’il n‘est pas le simple guérisseur ambulant. Il est le Fils de l’homme, l’envoyé
de Dieu pour consolider, entretenir la relation des hommes.
C’est la première fois que Jésus se dit le Fils de l’homme.
Ce titre n’est employé que par Jésus. Il se trouve 14 fois dans St
Marc et 70 fois dans les évangiles. C’est une expression sémitique
qui désigne poétiquement l’homme sous son aspect fragile, mortel.
C’est une façon emphatique et solennelle de dire « l’homme »
tout court. Il peut être utilisé comme un pronom personnel :
le Fils de l’homme, c’est à dire moi.
Dans la littérature prophétique,
la désignation du Fils de l’homme évoque l’homme comme la silhouette
de Dieu et le type de l’humanité entière. C’est l’Homme Primordial,
manifestation de la gloire de Dieu. Il est à la fois membre de la
race humaine et l’homme transcendant, juge souverain et triomphateur
du mal. C’est l’homme selon le projet de Dieu.
La nouveauté dans l’utilisation de ce titre revient à Jésus.
Il associe le rôle du « Fils de l’homme » à
celui du « Serviteur souffrant ». C’est à dessein qu’il
se désigne comme le Fils de l’homme plus que comme « le Messie »
qui fait rêver à la mainmise temporelle. Il initie les gens au sens
profond de sa personnalité qui vient à la fois d’en haut et d’en bas.
Il est l’Homme qui vient de Dieu et qui révèle à ses frères les mystères
de Dieu. Il les prépare au mystère qu’il va vivre, la passion, la
mort et la résurrection. Nous comprenons maintenant le sens de la
guérison du paralytique. Il se lève et marche sur l’ordre de Jésus,
le Fils de l’homme qui le guérit et qui peut aussi le libérer de tous
ses péchés.
Il y a eu un temps où le
christianisme croyait qu’évangéliser c’était conduire les gens à des
pratiques, les faire entrer dans un système. Jésus ne cesse d’enseigner
qu’évangéliser c’est d’abord apaiser le corps et le cœur des hommes,
dénouer, débloquer, défaire la tension, neutraliser la violence, guérir.
« Lève-toi et marche ». Les quatre porteurs ont trouvé par
où il faut commencer : « Faire une ouverture et descendre. »
La guérison est là, au dedans de chacun. C’est là où se trouve le
projet de Dieu qui nous attend.
D.L.