Deux mille ans déjà nous séparent de ce rassemblement
autour du Christ. St Jean construit son évangile avec des
récits de rencontres successives d'hommes et de femmes que
Jésus trouve sur son chemin. C'est la première fois
qu'il parle de la rencontre avec la foule de milliers de gens. Pour
rassembler autour de lui autant de gens, il fallait qu'il s'y passât
quelque chose. Il guérissait les malades; les gens l'ont
vu et l'ont suivi. St Jean a noté que c'était pour
eux des signes.
Le besoin ou la faim des hommes n'a pas beaucoup changé
au cours des temps. On a besoin de signes, de quelqu'un qui fait
signe, le besoin d'être compris avant même celui de
comprendre. Une parole qui évoque l'épreuve qu'on
est en train de subir est d'emblée la bienvenue. Jeunes ou
moins jeunes on se rassemble volontiers en foule, pour écouter
un chant, pour assister à une scène de vie où
tout ce qu'on a dans le coeur s'y retrouve. Les paroliers des chants
devenus célèbres sont riches des complaintes de notre
temps.
" Dieu est mort, Nietzsche est mort,
Prends ma main, camarade, j'en ai besoin. " (Noir Désir)
Le temps de festivals d'été est révélateur
du besoin de l'homme d'être mentionné, même au
prix de devenir un anonyme de la foule. La publicité moderne
possède l'art des faiseurs de signes. Les besoins de l'homme
sont exploités, flattés jusque dans les détails
de leurs secrètes attentes. Alors, pour être efficaces,
les signes apparaissent et défilent en quelques secondes
pour tenir en laisse l'imagination des autres. Jésus n'a
pas besoin du don de séduire la foule. La foule comme foule
est anonyme comment l'atteindre, comment lui faire entendre un message
spirituel ? Aimer la foule, les personnes qui figurent dedans, c'est
se mettre en recul, à distance. Alors, écrit St Jean,
Jésus se retira, tout seul, dans la montagne.
Homme de relation, il aime bien être au milieu des gens,
tout en gardant la part de silence et de solitude. Dans le brouhaha,
il est le seul à penser que les gens ont faim. Tous les détails
vivants de ce récit sur le partage du pain, à partir
de cinq pains d'orge et deux poissons, St Jean les a tous utilisés
pour dire que son maître est conscient de la vraie faim de
l'homme.
Il a pu voir comment le Christ les a pris en considération
et les a aidés à aller au delà des besoins
immédiats. Ils ont vu des signes, mais c'est difficile, pour
tous, de passer de l'intérêt immédiat à
la vie qui guérit la faim intérieure, plus tiraillante
encore: " Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd,
mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle.
" Jésus attend que les gens écoutent sa parole
comme " le pain de la vie ".
D'un bout à l'autre, Jésus ne cesse de conduire
la foule vers son Père, vers l'autre face de la réalité,
à partir de ce qu'ils ont à vivre tous les jours.
De la nourriture terrestre, nous voici élevés à
la nourriture qui ne périt pas. Le signe à retenir
n'est pas le pain multiplié pour des milliers de personnes.
L'important c'est que des milliers de personnes peuvent se rassembler
autour de lui pour l'écouter, pour découvrir avec
lui la vie qui est en eux, comme une évidence à peine
aperçue. Ils s'apercevront qu'ils sont des vivants. La vie
donnée en eux n'est pas un secret inaccessible, mais comme
la présence même qu'ils éprouvent sans cesse,
comme cette réalité vivante en quoi il s'éprouve,
comme leur propre existence, unique et aimée de Dieu. C'est
l'essentiel de la mission de Jésus, Parole de vie qui réveille
la vie endormie en nous, capable de tout recevoir.
C'est de cette écoute que nous pouvons connaître
ce qu'il faut faire pour travailler aux oeuvres de Dieu. L'enseignement
du Christ est à la fois direct et clair. Qui désire
quelque chose de lui doit savoir que c'est lui-même qu'il
a à recevoir. C'est lui-même qui est ce que l'on cherchait.
En des situations différentes, il a dit ce qu'il est pour
le monde : " le Pain de la vie ", " le Bon Pasteur
", " la porte des brebis ", " la résurrection
et la vie ", " la vraie vigne ", " la Lumière,
la vérité, la vie, le chemin. Fils de Dieu. "
Le vrai miracle est le signe qui dit qu'à partir d'un besoin
ordinaire de la vie, le Christ nous a fait vivre les valeurs les
plus profondes qui constituent l'homme et la communauté humaine.
Ce n'est pas pour un morceau de pain que des cathédrales,
des églises, des chapelles ont été construites
de par le monde. C'est pour une présence qui parle, qui est
là et qui sera là toujours jusqu'à la fin des
temps, comme la nourriture qui alimente la vie.
Nous savons qu'il y a bien d'autres dons dans la vie que le pain
ou le vin, il y a le coeur de l'homme. De ce lieu que l'Esprit de
Dieu prend comme son temple, nous pouvons nous élever jusqu'à
la vie intime en Dieu en écoutant en mangeant la Parole de
Dieu qui prend corps, pour nous faire connaître le Père,
L'aimer, L'adorer, à partir de tout ce qui fait partie de
notre vie, de cette terre.
D.L.