|
||
|
|
{calendrier
liturgique}
|
||
Ex
12, 1..14
1 Co 11, 23-26 Jn 13, 1-15 |
||
LA MEMOIRE.
|
||
JEUDI
SAINT
|
||
" J'ai vu des yeux de tout âge, sans âge, de toutes les couleurs, des yeux immenses, profonds, qui n'ont plus de larmes pour pleurer, des yeux qui reflètent pourtant toutes les souffrances humaines. Ces yeux qui ont vu l'horreur du massacre des innocents. C'était par milliers qu'ils étaient allés devant la mort. Jamais des yeux ont vu tant d'hommes et de femmes, et d'enfants qui meurent ainsi ensemble. Des yeux qui ressemblent des blessures béantes, des yeux fatigués, usés, d'autres lancinants, tenaces, lourds de volonté et de survis, des yeux juifs, éternels, qui expriment les inexprimables, crient et reflètent une étrange et insaisissable réalité. Ces yeux voient loin, très loin, dans le passé aussi bien que dans l'avenir, et bien au-delà. Rien ne leur résiste, rien ne leur échappe. Ces yeux parlent partout le même langage secret, racontant la même histoire qui a la force d'une légende cruelle, mille fois entendue, mille fois vécue." C'était Elie Wisel qui racontaient dans "les Juifs silencieux" la conscience de ceux et celles là mêmes qui ont connu l'expérience des camps de mort, et ils se retrouvaient survivants, sauvés de cette extermination à la chaîne. En vous faisant écouter ce témoignage, je voudrais retrouver avec vous le contenu de la Mémoire de la fête de Pâques que les enfants d'Israël célèbrent chaque année en ce début de la saison de printemps. Nous sommes à la veille de la pleine lune du mois de Nisan. L'étreinte de l'hiver est brisée, la nature se réveille. C'est le moment de la Pâques, le passage du sommeil à la vie. En contemplant l'éveil de la nature, les enfants d'Israël se rappellent la libération de leur condition d'esclaves, le passage de l'ange de la mort, le passage du néant à la vie. Combien de fois dans son histoire, Israël avait connu ces moments où il était réduit l'état de néant ! En célébrant les Pâques, Israël veut raconter à ses enfants, à toutes les générations qui viennent, sa vocation d'observateurs privilégiés des premiers instants de la création du monde. Puisqu'il était réduit au néant, il pouvait être présent ce point zéro de l'existence de l'univers. Il pouvait observer ainsi Dieu qui crée le monde et qui le tient en vie. Et Israël éclate en admiration dans cette contemplation de Dieu qui agit qui tire du néant ce monde qui l'entoure. C'est le sens profond de la Pâques juive. Etre présent au point zéro pour contempler Dieu qui agit et qui crée. Etre en perpétuel état de naître, quitter le néant partir vers l'inattendu, l'imprévu et la rencontre. Naître ici, dans le sens de la fête de Pâques c'est n'avoir plus d'autres maisons que le Passage. En vrai juif, Jésus célèbre avec ses disciples cette Pâques prescrite à tous les enfants d'Israël. "C'est une loi perpétuelle, dit le livre de l'Exode, d'âge en âge, vous le ferez." Mais ce soir, c'est pour la dernière fois qu'il fête la mémoire de son peuple. Puisqu'Il sait qu'il va mourir demain, et que sa mort sera pour la première fois le grand passage de cette vie mortelle la vie en Dieu. Ce sera désormais la vraie Pâques, la nouvelle. L'Agneau pascal immolé pour la fête ce sera lui. Le pain azyme, le pain que l'on mange à la hâte, sans préparation, sans artifice, ce sera lui-même, sa chair, son corps. Ce corps transfiguré par la vie en Dieu, habité par l'Esprit permet désormais à la Pâques nouvelle de dépasser les limites de l'histoire d'un peuple. Grâce à ce corps transfiguré, désormais je peux célébrer la Pâques sans être juif. La Pâques nouvelle ne sera plus seulement la renaissance d'Israël, c'est la renaissance de l'univers entier où chacun de nous peut retrouver son propre cheminement du néant à la vie, son propre passage de la mort à la vie. Désormais célébrer la Pâques nouvelle, c'est vivre la présence du Christ Mort et Ressuscité au milieu des hommes de tous les temps. Pour ce faire Il nous a laissé une consigne : faites cela en mémoire de moi. Les disciples de générations en générations vont transmettre cette parole du Seigneur : Ceci est mon Corps. Ceci est la coupe de mon sang. Et Ils vont découvrir très vite qu'ils ne pourraient prononcer ces paroles sans ressentir la mort qui vient en eux. Pratiquement, chaque fois c'est la mort qui est en train de frayer le passage dans leur intérieur pour laisser la place à la présence du Maître. L'homme qui accepte de transmettre la consigne du Seigneur devient le prêtre. C'est une délégation, une vocation. Le prêtre est choisi parmi les enfants de la femme pour rester au service d'une Présence. Comme il doit rester à la fois toujours présent et effacé, au risque d'être un imposteur. C'est pourquoi le Jeudi Saint est aussi dans la tradition de l'Eglise, une journée de prière pour les prêtres. Comme ils ont besoin du soutien de prières de leurs communautés. L'Evangile de St Jean nous en explique pourquoi. Il a laissé aux trois premiers évangiles le soin de nous raconter comment Jésus a rompu le pain et partager la coupe de vin. Et de peur que tout cela ne soit tourné en des célébrations rituelles. Il nous raconte comment Jésus se met laver les pieds de ses disciples, et pour St Jean c'est cela l'Eucharistie. Ce n'est pas seulement tel ou tel rite à observer et qui, à force de la parole prononcée, change ceci en cela. C'est plutôt tout un ensemble de comportement à vivre. Pour St Jean, passer à Dieu c'est aussi passer aux hommes. Faire la mémoire du Don reçu, c'est à notre tour, se mettre en état de service. Pour nous tous qui célébrons ce soir le mémorial du Seigneur, nous pouvons nous demander si nous arrivons à montrer au monde le visage de ce Dieu qui s'est si bien penché vers sa créature qu'il s'est mis en position de devoir lever les yeux pour la regarder. Serviteur agenouillé devant ses disciples, littéralement à leurs pieds, tellement penché que c'est lui qui doit lever la tête pour les regarder. Au lieu de dire aux gens de regarder le ciel, peut-être c'est plus vrai de leur montrer qu'il suffirait de se courber, de se pencher à l'intérieur pour trouver qu'il y a toujours une Présence qui nous habite. D.L |
||