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5ème Dimanche de Carême C
 
 
Jean 8,2-11
 
     
 
La femme adultère, ou la confession publique des pharisiens.
 
     
 
01 avril 2001
 
     
 

Le titre donné à ce passage, " La femme adultère ", peut paraître suspect. En montrant ainsi du doigt la seule femme, nos traducteurs ont perpétué l'attitude des scribes et des pharisiens. S'ils avaient choisi comme titre " De l'adultère ", on aurait pu entendre, comme jésus essaie de le faire comprendre à ses interlocuteurs, qu'ici c'est l'acte qui est en cause et non la personne qui l'a commis. Faut?il rappeler aux traducteurs, comme aux scribes et aux pharisiens, que pour être adultère il faut être deux, un homme et une femme ? Or, dans la scène de l'évangile, l'homme, l'amant, l'amoureux n'est pas là. Pas plus d'ailleurs que le mari dont on ne parle jamais, alors qu'il est (normalement) le principal intéressé dans l'affaire. Pourtant, le texte revient à deux reprises sur le fait que la femme a été " surprise en flagrant délit d'adultère ", donc forcément dans les bras de son amant.

L'absence de ce dernier est tellement criante qu'il n'est pas interdit de supposer que le mari et lui sont parmi les scribes et les pharisiens qui vocifèrent. Mais, plus fondamentalement, pour les scribes et les pharisiens, seule la femme peut être adultère. L'homme est amoureux. La femme, elle, n'aime pas. Elle est perverse, elle détourne l'homme. Voilà bien un signe du machisme des scribes et des pharisiens, défenseurs du système patriarcal, mais aussi de celui des traducteurs du Nouveau Testament.

L'adultère symbole de tout conflit de désir

Mais il y a plus. L'adultère est ici symbole de toute relation conflictuelle, où le désir exacerbé prend le pas sur l'amour. Ainsi ce texte nous dit quelque chose d'essentiel sur le conflit en général. Le conflit le plus courant de la littérature n'est?il pas le ménage à trois, où le désir de l'un?e pour l'autre est imité, provoqué, détourné par le désir du tiers ? Ce texte nous parle aussi de la Loi pervertie par les hommes pour leur permettre de s'arranger avec cette situation. Car la Loi ne fait que révéler la logique de cette attitude. En condamnant à mort, la Loi qui interdit l'adultère est là pour en révéler l'intention. La logique de l'adultère c'est la mort, parce que c'est la fuite du conflit et de la confrontation avec le partenaire dans la fusion avec le tiers.

Et nous aurions tort de condamner trop vite les scribes, les pharisiens et la femme. Ce serait nous condamner nous?mêmes. Car en chacun?e de nous, lecteurs, traducteurs ou interprètes, veille un homme, une femme, qui ne se sent aucune responsabilité dans le conflit, qui est donc irresponsable : c'est toujours la faute de l'autre et réciproquement, symétriquement. C'est une très vieille histoire : n'est?ce pas déjà le discours d'Adam à propos d'Ève et d'Ève à propos du serpent dans l'affaire du fruit défendu ? C'est peut?être ainsi que s'explique l'absence de l'amant. Dans un adultère, les deux sont complices, comme dans un conflit, mais n'y a?t?il pas toujours un?e accusé?e et un?e juge et j symétriquement ? C'est le vieux principe du bouc émissaire qui veut que l'un?e soit désigné?e à la vindicte populaire pour éviter les vraies questions de la crise.

La condamnation à mort

Le message principal de ce texte est bien que les êtres humains n'ont pas le droit de condamner à mort, que personne n'est assez " pur " pour juger de la vie et de la mort d'un congénère, fût?ce au nom de Dieu et même pour un délit très grave, voir un crime. Jésus ne s'oppose pas formellement à la Loi qui dit que l'adultère mérite la mort par lapidation, puisque sa formule " Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre " reconnaît le droit, en théorie, à toute personne " sans péché " de tuer. Mais, de fait, il retire à tout être humain la possibilité d'appliquer le jugement, puisque seul Dieu est sans péché. En ce sens, il est cohérent avec tous ses autres discours : aucun être humain ne peut juger, aucun être humain ne peut en condamner un autre.

Dans cette perspective, la peine de mort devient injustifiable d'un point de vue évangélique, y compris la mort imposée par l'État. De fait, c'est le pouvoir légal de l'État de mettre à mort qui est aussi contesté ici. C'est une véritable " déclaration de guerre " aux défenseurs de la peine de mort, de l'Empire romain à nos jours.

Dans l'Ancien Testament, le fondement de la lapidation pour adultère (Dt 22,22 et Lv 20,10) est une chasse à l'impureté du peuple: " Ainsi tu ne rendras pas impur ton sol que Yahvé, ton Dieu te donne en héritage. " (Dt 21,23), " Tu ôteras le mal du milieu de toi " (Dt 22,21) et " Tu ôteras le mal d'Israël " (Dt 22,22). Le fait de lapider est d'ailleurs une technique de mise à mort qui permet de tuer sans entrer en contact avec ces personnes impures. Les premières pierres sont jetées par au moins deux témoins (ce qui en principe, mais en principe seulement, doit garantir que l'accusation n'est pas infondée), mais, pour que tout le peuple soit impliqué dans ce processus purificateur, tous doivent participer à la mise à mort. Or, précisément, les pharisiens sont obsédés par cette question de la pureté rituelle. N'oublions pas que la scène se déroule dans le Temple, lieu saint par excellence.
Légitime défense et situations limites

Dans aucun autre texte des évangiles, Jésus n'est confronté à une situation d'une telle intensité dramatique. Tout d'abord, il risque sa vie face aux autorités religieuses juives qu'il vient déjà de défier lors de l'opération de " nettoyage " du Temple. Mais surtout, de son attitude dépend la vie ou la mort d'une femme. En effet, il doit cette fois choisir entre sa vie et celle de cette femme. N'est?ce pas là la caricature du système patriarcal ?

Ce texte nous parle donc des situations limites que l'on appelle de " légitime défense " pour mieux occulter un discours sur la légitime violence. Et il veut nous dire que la " légitime violence " est désormais obsolète, qu'il existe une autre façon d'agir et de penser qui requiert une disposition spirituelle particulière dont il n'est pas suffisant de dire qu'elle procède de l'amour. Elle relève plus précisément d'une nouvelle approche du conflit. Voyons plutôt.


Visualiser la scène

Jésus est assis à même le sol dans le Temple et commente des textes des Écritures. Un cercle d'auditeurs l'entoure. Cette situation est normale. Tout à coup surgit, dans un grand fracas, un groupe d'intégristes qui captent l'attention du public et qui attirent encore plus de monde autour de Jésus. Ils propulsent avec brutalité une femme au milieu du cercle, juste à côté de Jésus. Sans attendre que ce dernier leur donne la parole, ils la prennent en l'interpellant et crient en élevant suffisamment la voix pour dominer le tumulte provoqué par leur entrée. La femme baisse la tête, non seulement honteuse d'avoir été surprise mais convaincue du sort qui l'attend. Le public qui regardait les scribes et les pharisiens avec fascination se tourne vers Jésus, observe et compte les points : s'il défend la femme, il est toujours l'ami du peuple mais, s'il donne raison aux notables, s'en est fini de sa réputation. Dans le public, beaucoup sont partagés entre leur désir de condamner cette femme qui a osé faire ce à quoi peut?être ils rêvent depuis longtemps et leur peur de voir Jésus tomber dans un piège mortel alors qu'ils reconnaissent en lui un leader religieux, voire nationaliste. Les cyniques comptent les points. Les supporters des intégristes (souvent leurs futures victimes) sont là également. Bref, Jésus n'a pas que des amis dans le peuple.

Un silence régénérateur

Et à ce moment?là : silence total. Jésus se baisse en avant et écrit avec son doigt sur le sol. Et tous, comme un seul homme, le public, les scribes, les pharisiens, la femme et nous aussi les spectateurs de la scène, nous nous disons en nous?mêmes : " Mais qu'est?ce qu'il fabrique donc, qu'est?ce qu'il écrit ? " Tous ? En tout cas, les scribes et les pharisiens répètent leur question. En effet, ce silence est tellement insupportable qu'ils le brisent. Ce silence de quelques secondes est d'une telle intensité qu'il a pu sembler une éternité. Il n'est donc qu'apparent, car chacun marmonne en son coeur, à commencer par la femme elle?même qui doit se dire qu'elle est vraiment perdue, puisque Jésus ne dit rien tout en se donnant une contenance. (On trouve plusieurs exemples de cette attitude qui consiste à écrire par terre dans les régions où l'attitude accroupie ou assise au sol est courante). Mais ce silence régénérateur va renverser le cours des choses. Vous connaissez la suite. Jésus redresse son buste et prononce la phrase clé à partir de laquelle tout va se dénouer.


Les conflits et leur transformation

Reprenons, maintenant un à un les éléments de l'approche constructive du conflit. De façon générale, la transformation constructive des conflits ne cherche pas une résolution des conflits, parce que en toute rigueur la résolution n'existe pas dans la mesure où un conflit en appelle ou en masque toujours un autre. Ce n'est pas l'existence des conflits qui est dramatique ? elle est normale, caractéristique de toute vie ? c'est la façon de les aborder qui est en cause et qui peut s'avérer positive ou négative, constructive ou destructive. C'est en fin de compte la façon de considérer l'autre, le partenaire du conflit, qui est importante. Est?ce une personne de trop (la femme " adultère " pour les hommes) donc àéliminer, ou bien est?ce le passage, le partenaire obligé, pour évoluer ?


Le reproche, pas le jugement

Il est possible, tout d'abord, de distinguer le jugement sur l'acte (l'adultère) du jugement sur la personne (la femme adultère). Déjà, dans la Bible, ce n'est pas la personne que condamne la Loi, mais l'acte. Ce n'est pas le pécheur ou la pécheresse qui est en cause, mais le péché. Mais, en radicalisant la Loi, Jésus ôte, de fait, aux humains toute possibilité de porter une condamnation sur les actes. Il rappelle le caractère extrêmement radical de la Loi mais il laisse à Dieu seul le droit d'en tirer les conséquences : ainsi, même l'acte n'est plus condamnable (au sens de damner) par les humains.

Est?ce à dire alors qu'on ne peut plus rien dire sur rien, que chacun?e peut faire ce qu'il?elle veut ? Est?ce la porte ouverte à tout et à n'importe quoi ? Non, car jésus, s'il coupe l'herbe sous les pieds des censeurs, réprimande aussi les pécheurs. Cela vient de ce que Jésus fait une différence très importante entre le jugement d'une part et le reproche d'autre part. Jésus s'interdit de juger mais il ne peut pas ne pas dire la colère qu'il ressent face à la Loi tordue, face à l'adultère ! Au nom de quoi alors ? Au nom du commandement de l'amour du prochain comme de soi?même. Car la critique sans jugement est constitutive de l'amour du prochain et de soi : en effet, la réprimande, le non?reproche produisent la culpabilité puis la haine, et même le meurtre.

Refus du conflit des personnes

Ici, Jésus doit déjouer deux pièges à la fois : celui du blasphème mortel et celui du " sacrifice " de cette femme. C'est la vie des personnes qui est en jeu sous prétexte de conflits idéologiques. Jésus va renverser l'ordre des choses : pour lui, les personnes passent avant l'idéologie. Il ramène le conflit de personnes qui ferait de toute façon des gagnants vivants et des perdants morts, à un conflit d'objet sur le sens de la Loi. Or cette Loi est faite pour garantir l'intégrité de la personne et de la relation aux autres personnes, et non l'inverse. Le salut des personnes en conflit passe avant l'enjeu idéologique qui va être ramené au niveau des moyens. Si la fin justifie les moyens, Jésus inverse les priorités : la fin, c'est la personne, et non la Loi, qui plus est, la Loi pervertie. La Loi n'est qu'un moyen.

Jésus refuse donc le conflit de personnes, mortel, et le ramène à son objet véritable, une différence d'interprétation, un enjeu économique, bref, quelque chose sur quoi il est toujours possible de trouver un compromis, alors qu'on ne peut pas faire de compromis sur les personnes.

Ce refus du conflit de personnes est lisible dans le comportement de jésus : il est assis ou accroupi. Lorsque les adversaires arrivent, il ne se lève pas. Jésus n'entre pas en rivalité avec ses adversaires et reste accroupi en situation d'infériorité. Il demeure ainsi plus bas que la femme. Nous appelons cela " casser la symétrie " parce que tout conflit de personnes est rigoureusement symétrique dans la forme, comme dans le fond. Observez deux personnes aux prises dans ce type de conflit et vous verrez que les arguments et les comportements, les attitudes mêmes, sont interchangeables, mimétiques : " il n'y en a pas un?e pour racheter l'autre ".

Casser la symétrie est exactement ce à quoi nous invite Jésus quand il nous recommande, lorsque nous sommes frappés sur la joue droite, de tendre l'autre (Mt 5,38) et de ne pas aimer seulement ceux qui nous aiment mais aussi nos ennemis. Cet amour des ennemis fonde la perfection de Dieu (Mt 5,43...), sa bonté, sa miséricorde (Lc 6,35?36). L'apôtre Paul appelle, dans le même esprit à ne pas répondre au mal par le mal (Rm 12,17 ). Cette façon de casser la symétrie permet à jésus de revenir à l'objet véritable du conflit, à savoir le sens et la fonction de la Loi. Rivaliser sur le terrain juridique avec ses adversaires l'eût au contraire entraîné dans un combat fratricide aux dépens de la femme.


Une action symbolique

Ce faisant, Jésus peut?être plus déstabilisé qu'on ne le croit dans un premier temps, exploite au mieux la situation dans laquelle il se trouve. Comment ne pas la faire déraper ? Il lui faut d'abord gagner du temps. Il se penche vers le sol (alors que ses adversaires évoquent le Ciel àtravers Moïse) et il se met à écrire. Et à ce moment?là, jésus recourt àune action qu'on appelle symbolique et qu'on pourra aussi bien appeler " parabolique ". Si le symbole donne à penser, le but de l'action symbolique est de dire plus de choses que les mots ne peuvent le faire, tout en laissant chacun?e libre de son interprétation. En ce sens, l'action symbolique peut ouvrir l'esprit (par l'humour) ou le fermer (par la violence qui fait peur).

Mais Jésus ne fait pas semblant d'écrire et, l'eût?il fait, son geste était suffisamment propre à intriguer tout le monde (et nous aussi) pour déplacer le conflit sur un autre terrain. Ce qui provoque ses adversaires à lui reposer la question, preuve qu'ils ne sont pas sûrs d'avoir gagné la partie.
En agissant ainsi, jésus ne pouvait pas ne pas être compris par les scribes mais il disait des choses fortes sans les prononcer devant le peuple et donc sans humilier ses adversaires. En tout cas, scribes et pharisiens font semblant de ne pas comprendre, ce qui leur permet de sauver la face cela fait aussi partie des avantages de l'action symbolique qui ne cherche pas à dévaluer mais à faire réfléchir vers autre chose.

Prolonger la force de l'agresseur pour le désarmer.

En restant accroupi, jésus prend sur lui toute la violence de la situation. En se mettant au centre de la violence, il peut en maîtriser le cours, il peut la réorienter, la canaliser vers autre chose. Face à une agression, on choisit le plus souvent entre ces deux attitudes : soit s'opposer dans la symétrie, soit essayer de rester en périphérie de l'action comme victime, spectateur, juge ou avocat. Dans le premier cas, sauf si on est le plus fort, on renforce la force de l'autre et dans le second cas, on est vite entraîné par la force de l'action des agresseurs qui gardent l'initiative.
En cassant la symétrie, Jésus ne s'oppose pas à la force des agresseurs. Au contraire, il la prolonge. En disant " Que celui qui n'a jamais péché... ", il pousse à l'extrême cette force pour l'amener à son point d'inefficacité maximum. Ses adversaires sont alors déséquilibrés par l'inertie de leur propre force. Mais Jésus prend aussi le risque d'y laisser sa vie. C'est un risque calculé, car il connaît les faiblesses de ses adversaires et il croit à la force, à l'efficacité de l'amour des ennemis, du respect de l'adversaire dans la combativité.
C'est parce que Jésus est resté à côté de la femme accusée, au milieu du conflit ? le terme " milieu " revient par deux fois dans le texte ? qu'il a pu recentrer le vrai débat. C'est parce qu'il n'est pas resté spectateur ou avocat mais qu'il a pris la violence de la situation sur lui qu'il a pu en maîtriser le déroulement.

Ni juge, ni avocat, mais médiateur.

Pourtant, le piège tendu à Jésus par ses adversaires était présenté sous la forme très attrayante, très valorisante de la position d'arbitre, voire de juge : il y a des accusateurs d'un côté, une accusée de l'autre, il manque un juge. Jésus refuse ce rôle, car non seulement il aurait dû humilier la victime en lui demandant des détails mais, pire, il aurait nécessairement dû chercher une deuxième victime, l'amant. Mais Jésus refuse aussi le rôle de l'avocat, au sens moderne de celui " qui prend parti pour son client ". Il va développer une attitude de tierce personne solidaire mais non partisane, l'attitude du médiateur.

Jésus résiste à la tentation dite du " sauveur ", en restant tiers solidaire et non partisan. Non partisan des scribes et des pharisiens, parce que les soutenir serait commettre une injustice impardonnable et non partisan de la femme, parce que Jésus est convaincu que l'adultère est un péché " capital " tant vis?à?vis de son mari que vis?à?vis de Dieu.

Mais, détail important, il ne considère pas que cet adultère est une offense envers lui car Jésus ne pardonne pas à la femme ? Il refuse de la condamner parce qu'il ne se sent pas concerné personnellement, il n'est pas partisan. Reste?t?il neutre, c'est?à?dire lâche ? Non ! Jésus est solidaire, mais solidaire de tous : il compatit à la souffrance des uns et des autres dans leur faiblesse et leurs blocages et, en ce sens, il n'est pas l'avocat de la victime. S'il se tient à côté, c'est à côté de tous. Il est l'avocat, l'intercesseur de l'amour de Dieu pour tous les humains.

Un regard de compassion.

En se comportant de la sorte, Jésus laisse une porte de sortie à ses adversaires. Il n'a pas cherché à les humilier devant le peuple. Après avoir prononcé la phrase clé, il se penche à nouveau en avant pour ne pas voir le retrait des accusateurs. Il aurait pu se poster devant eux et les observer. C'eût été les provoquer à plus de violence. Il leur laisse une porte de sortie honorable et, en plus, il les restaure dans leur dignité, comme, du même coup, la femme, le peuple observateur et nous-mêmes qui nous sommes impliqués d'un côté ou de l'autre.

Il faudrait ici dire quelques mots sur le regard de Jésus, sur sa façon de regarder ou de ne pas fixer les personnes, tout en portant sur elles un regard de compassion. C'est ce regard qui donne sa dignité à l'autre.

L'humour de Jésus

La façon dont Jésus s'adresse ensuite à la femme peut alors intriguer par sa sécheresse apparente : elle vient de passer un mauvais quart d'heure et Jésus semble la renvoyer sans beaucoup de tendresse. Mais ces paroles prennent un tout autre sens si on les entend comme de l'humour. Car si Jésus voit bien qu'elle n'a pas été condamnée, pourquoi pose?t?il la question, sinon pour dédramatiser la situation et pour nouer un
dialogue avec cette femme qui n'a pas ouvert la bouche de toute la scène. Jésus lui donne ainsi la parole, la restaure dans son intégrité d'être humain à son égal, à l'égal des hommes en général et de son mari en particulier.

L'amour

Le dénouement de ce conflit ne relève donc pas du miracle mais il est le résultat d'une juste compréhension de la dynamique des conflits et de ce qui les alimente. On objectera que si la crise a été dénouée, c'est parce que les scribes et les pharisiens n'étaient pas si méchants et qu'ils partageaient au fond les mêmes valeurs que Jésus, et on ajoutera que, dans d'autres situations, avec des gens vraiment méchants, cela n'aurait pas fonctionné. Ce genre de remarques renvoie à l'image que nous nous faisons des autres, blessés comme nous, qui souffrent mais qui ne demandent pas mieux que d'être interpellés dans leur capacité de compassion, endormie ou refoulée.

Si nous voyons l'autre incapable de compassion, c'est que nous nous voyons nous?mêmes ainsi. L'amour de Dieu pour chacun?e nous invite à nous regarder autrement et à pouvoir regarder les autres, (nos " partenaires en conflits "), autrement. Si nous ne sommes pas prêts à prendre comme jésus le risque de parier (c'est cela la foi ! ) sur la capacité de nos " adversaires " à redevenir " consciencieux ", c'est que nous avons de la peine à admettre que c'est la vraie révélation, le vrai Évangile, la vraie Bonne Nouvelle ! Si Dieu aime ses ennemis, c'est ce qui fait sa perfection, dit Matthieu. Alors nous trouverons dans cette foi l'intelligence d'aborder les conflits d'une autre façon.

Un Évangile dans l'Évangile

Mon intuition du départ s'est confirmée tout au long de cette lecture nous avons avec ce texte de l'évangile de Jean, un concentré d'une extraordinaire densité de tout le message évangélique sur les conflits sur l'attitude à adopter, en particulier dans les conflits les plus difficiles et dans les situations limites. Ici, le conflit symbolise tous les conflits qui paraissent mortels à tous les coups, où le choix semble être entre sauver sa vie en sacrifiant celle d'un?e autre tout en sachant qu'il ou elle ne mérite pas la mort, et y laisser la vie tous les deux. Nous avons donc dans ce texte une proposition d'attitude à adopter en de telles circonstances. Je suggère donc de le considérer comme un manuel d'intervention civile évangélique pour situations de conflits.

HERVÉ OTT

Engagé au Cun au niveau des solidarités internationales.
Spécialiste dans l'approche constructive des conflits.
Diplômé en théologie.