Parole de l'Evangile, l'ensemble des comportements humains décrits
dans l'évangile d'aujourd'hui ne s'explique pas avec notre
logique habituelle, pas plus que le discours sur les béatitudes
de dimanche dernier. Nous sommes situés au-delà de la
loi de la causalité.
Toutes ces recommandations insolites viennent de l'enseignement de
quelqu'un que Paul appelle " le dernier Adam". Il n'est
pas seulement l'être humain, pétri de terre comme le
premier, il "est venu du ciel ", il a la logique du Fils
de Dieu, de sa Parole créatrice qui donne la vie à tout
ce qui existe.
C'est ce passage de la 1ère lettre de St Paul aux Corinthiens
qui sert de fil conducteur à tous les textes de la liturgie
de ce dimanche. L'évangile de St Luc, chapitre 6, verset 27,
est la suite immédiate de l'évangile des béatitudes
de dimanche dernier. Comme les bénédictions et les malédictions
dans les Béatitudes, nos comportements vis à vis des
gens qui nous font du mal, ne s'expliquent pas : l'amour, la bienveillance
contre la haine, la malédiction, la calomnie, les sévices,
le pillage. Pour ce faire, pour comprendre ce comportement, il faut
se laisser élever à cette dignité que Jésus
appelle : " les fils du Très Haut", lui, " il
est bon pour les ingrats et les méchants."
A propos du conseil : "Aimer vos ennemis", la non-violence
du bouddhisme en propose une approche déjà considérable.
La violence fait partie des passions à éliminer. Quand
les passions ne conditionnent plus les ressorts des actions, on est
sorti de la roue de la réincarnation, source de toutes souffrances.
Le bouddhiste arrive ainsi à voir dans l'ennemi, le maître
qui lui enseigne l'humilité, ou la connaissance vraie de sa
personnalité secrète. Et c'est ici que Jésus
diffère de tous les sages de notre monde.
Ses enseignements visent d'abord à nous conduire jusqu'à
la vie en Dieu où s'établit une relation de connaissance
et d'amour. Il s'agit de vivre comme le Père : " vous
serez les fils du Très-Haut. " Et lui, il est le Fils
du Père. Il ne faut pas le quitter, ni cesser de le regarder
pour comprendre ce qu'il dit à chacun et à tous. Nous
pouvons remarquer que souvent il passe du "vous" au "
tu" et de nouveau au "vous". " Priez pour ceux
qui vous calomnie ". " Donne à quiconque te demande."
Ses recommandations sont à la fois personnelles et collectives.
Il y a, à peu près deux millénaires, que la logique
de l'Evangile a été prêchée et vécue
dans notre monde. Il ne peut pas ne pas laisser des traces dans notre
civilisation. La gratuité, le respect, la reconnaissance de
l'autre, seulement parce qu'il est l'autre, la chance de se reprendre,
donnée à ceux qui font du mal, le partage, la défense
des faibles, et tant d'autres acquis dans notre société
ont pris source dans l'Evangile. C'est à nous de les référer
à leur origine pour que tous ces acquis ne soient pas simplement
des comportements d'un monde civilisé, ou d'une sagesse humaine.
Ces valeurs doivent être les signes de la présence active
de Jésus, le vivant. Ressuscité, il vit en Dieu. Et
il donne à ses disciples, par leur mémoire, par leurs
façons de vivre, de le rendre présent dans notre monde.
Les recommandations de l'évangile d'aujourd'hui nous font découvrir
un autre aspect de l'eucharistie que l'Eglise célèbre
de par le monde, non seulement le dimanche, mais tous les jours, et
à peu près toutes les heures, dans toutes langues et
cultures. L'eucharistie rappelle en permanence au monde que la vie
qui dépasse la mort, est une donnée acquise pour tous,
et qu'il est au milieu de nous quelqu'un qui est là, vivant
comme "le premier d'entre les morts ".
C'est à la lumière du Christ ressuscité que
les valeurs de l'Evangile s'éclairent. Elevés à
ce niveau de vie, nous sommes sauvés de la seule loi de causalité
et de ses engrenages de vengeance et de répression. Et depuis,
la communauté humaine apprend à vivre autrement. Pour
tous, l'Evangile reste la force d'interpellation et de ressourcement.
D.L.