Si l'on peut éviter les jugements tout fait. " Survint une femme de la ville une pécheresse. " On est à peu près sûr que c'est plutôt par ouïr dire que par l'avoir surprise en flagrant délit que cette phrase est écrite dès la première phrase de notre évangile. Sans prendre cette précaution de respect, un auteur de l'homélie a intitulé ce fait divers : " La prostituée de Luc 7 ".

La femme sans nom est-elle une pécheresse par le fait de venir voir Jésus à table d'un invité, de tomber à ses pieds en larmes, de les essuyer avec ses cheveux, les couvrir de baisers et d'y verser le parfum précieux.
Comment cette femme peut-elle entrer dans la salle d'invitation sans être invitée ? Le maître de la maison l'a-t-il connue ? Tout s'explique au-delà de ce qu'on peut voir. Simon, le maître de la maison est respectable, on retient son nom. La femme est sans nom, car, dit-on, elle est le symbole de l'humanité pécheresse.

L'arrière fond de cette histoire est à rechercher dans le milieu palestinien où les pharisiens étaient intransigeants sur les questions de pureté rituelle, où les lignes de démarcation entre les justes et les pécheurs étaient rigoureusement tracées, où les femmes n'avaient aucun rôle public dans la religion.

Courageusement, Jésus n'entre pas dans le jeu. Il passe par-dessus les tabous. I1 agit selon sa propre conviction. Il est venu pour abolir les frontières, les castes, les interdits. Ainsi seront dévoilés les débats de bien des coeurs.

Dans cette scène du festin, il laisse pleine liberté à la femme. D'où le scandale! N'est-ce pas dire oui à la pécheresse ? Mais alors, se dit le pharisien ? Et Jésus de lui raconte sa parabole de l'amour et du pardon.

Il semble qu'il y ait un décalage entre la scène du festin et le récit de la parabole. Peut-être les deux éléments ont-ils d'abord existé séparément, et ensuite imbriqués par Luc dans un texte unique. Il s'en dégage deux aspects également frais. D'après la scène, l'amour produit le pardon. Cette femme jugée pécheresse a dû entendu parler de Jésus et peut-être l'a-t-elle rencontré.

A écouter son joyeux message et à le voir agir, elle a trouvé le courage de venir chercher la dignité de la femme. La condition de la femme bafouée retrouve tout l'amour et le respect aux pieds de Jésus. Aussi, pour tant d'amour, Jésus lui a donné son estime.

A la scène et à la parabole de l'amour, Luc ajoute une liste de femmes qui suivaient Jésus à travers la Palestine. II n'y a pas que des hommes "avec lui": il y a aussi un groupe de femmes. Cette suite féminine est un fait exceptionnel dans le monde palestinien. Jamais on ne voit un rabbin avoir d'autres personnes comme disciples que des hommes.

Jésus opère une révolution. Encore aujourd'hui, la femme n'a au,-un rôle dans la mosquée et la synagogue. Jésus l'introduit à part entière dans son groupe de disciples. C'est une constante de Luc dans son évangile : montrer que la femme a sa dignité et un rôle à jouer dans le royaume de Dieu. Elle n'est pas seulement une auditrice passive de la Parole, elle est appelée à participer activement à l'évangélisation.

Ce sont des femmes qui ont livré les trois plus grands secrets de Jésus : sa conception par l'Esprit Saint (Marie), le vrai adorateur (la Samaritaine), sa résurrection (Marie-Madeleine). Les Actes des Apôtres et les lettres de saint Paul montrent la part importante prise par les femmes dans l'annonce de l'Evangile.

Denis LUONG