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Conférences 2000

 
 
La crise de la transmission
 
 
Exposé de Jean-Pierre LE GOFF
Découvrez et commandez "la barbarie douce" de jean-Pierre Le Goff
 
 
Forum du 24 Septembre 2000
 

Autour du thème de la transmission, voir aussi:
- "Transmettre pour vivre, vivre pour transmettre"
- les questions autour de ces 2 conférences

 
 
     
 

Je vais vous parler des difficultés de la transmission de l'héritage culturel aujourd'hui. Je suis sociologue mais ce n'est pas en position d'expert que je me situe dans ce débat mais d'individu et de citoyen ayant des éléments de réflexion à appporter.
La question de la transmission de l'héritage culturel aujourd’hui suppose d’examiner l’état du présent : Dans quel présent vivons-nous ? Ou plus précisément : Quel lien ce présent entretient-il avec le passé et l'avenir ? Quelles représentation la société a-t-elle aujourd’hui de son passé et de son avenir ? Ces questions sont au coeur du problème de la transmission, parce celle-ci dépend de ce lien passé-présent-avenir. Et il me semble précisément qu'on est dans une situation historique bien particulière où le présent apparaît déconnecté du passé et de l'avenir, et c’est ce qui rend problématique la transmission.
Comment rendre compte de cette situation ? Comment expliquer finalement que, dans beaucoup de domaines, le passé ne semble plus pouvoir nous parler ou qu’il semble surtout nous parler sous la modalité de l’"antiquité" ou de la nostalgie. Finalement en quoi le passé peut-il encore nous aider à comprendre le présent et à nous projeter dans l'avenir ?
Prendre en compte ces questions va m’amener à parler de la "modernisation" actuelle, de sa temporalité et d'un tournant historique à mes yeux décisifs, celui de Mai 68 et des années 70. Je demeure persuadé que c’est au cours de ces années contestataires que quelque chose a basculé dans les représentations qui jusqu’alors structuraient le vivre-ensemble. Nous sommes dans une nouvelle situation historique dont nous n'avons pas forcément encore bien pris conscience.
Mon propos vise donc à vous donner des éléments de réflexion, en développant une interprétation du présent qui peut sembler pessimiste, mais qui me paraît néanmoins correspondre à la situation historique bien particulière dans laquelle nous sommes. Il y a des ressources possibles pour évoluer, mais mon propos d’aujourd’hui ne les traitera pas.

Dans quel présent vivons-nous ?
Les mots "mouvement" et "changement" sont omniprésents dans la société. Il y a quelques années, un parti politique se voulait le parti du mouvement et du changement, tandis que son concurrent disait "non, c'est nous qui sommes pour le changement, mais attention, un vrai changement, pas un faux changement."

Vous avez en fait l'impression que le langage se déconnecte du réel et du sens commun. Les collectifs et les individus sont constamment sollicités pour s’adapter au changement, ou miex encore pour être "acteur du changement", voire de son "propre changement"… Ce "changement" nul, à vrai dire, ne semble être en mesure d’en dessiner les traits, telllement il s’accélère. Mais en arrière-fond  la question demeure: changer pour aller où ? C’est sous cet angle que la modernisation mérite d’être interrogée : la modernisation oui, mais pour quoi faire ? Pour aller vers quel type de société ? Ces questions me semblent précisément sans réponses aujourd’hui.

Il y a des paradoxes qui méritent d’être soulignés. On invite les individus à être "acteurs" du changement, mais grâce à de multiples outils d’évaluation de leurs compétences et de leurs performances, on mesurera en fait s’il sont bien adaptés à ce "changement". On appelle les individus à être "autonomes et responsables" et en même temps on leur demande de s'engager dans un mouvement que personne ne maîtrise, on évalue l’"autonomie" qu’on transforme en un modèle de bon comportement. On invite les jeunes et ceux qui sont en situation difficile au point de vue économique et social à "se projeter positivement dans l'avenir", à "construire des projets personnalisés", redoutables formules quand la société elle-même est incapable de tracer les traits d'un avenir discernable porteur de progrès.

Cette société a le plus grand mal à dessiner les contours de l’avenir, et elle ne cesse d'appeler les individus à se mobiliser pour un changement qui paraît sans but ni sens. Les valeurs sociales mises en avant, sont celles de la mobilité, de la "réactivité", de la polyvalence…, alliées à celles de la motivation, de la "positivité", de la mobilisation et de la communication… En fait, l'impression domine d’une situation où les individus n'ont pas d'autre choix que de s'adapter au plus vite à un monde et à une société qui semblent devenus immaîtrisables.

Bien évidemment en vous disant cela, je ne suis pas contre la nécessité de moderniser. Tout pays, toute société doit s'adapter à un moment donné à un certain nombre d'évolutions structurelles que ce soit dans le domaine du travail ou dans d'autres. Cela étant dit, j'insisterai sur les représentations qui vont de pair avec cette modernisation, des représentations sociales qui nous habitent plus ou moins consciemment.

Les représentations sociales, c'est quelque chose de difficile à démêler parce qu’elles sont logées en nous comme à notre insu et, pour les mettre à distance, il faut opérer un recul réflexif et critique qui n'est souvent pas facile.

Si je prends justement ce discours de la modernisation, il me semble qu'à travers les medias notamment, est dressée une vision chaotique du monde et des évolutions. Il est vrai que les évolutions technologiques s’accélèrent, mais celles-ci, sont présentées d’une manière telle qu’elles semblent échapper à l’esprit humain. La société et les individus n’ont d’autre choix que de s’y adapter au plus vite dans une logique de survie et de l’urgence qui ne laisse pas de place à la réflexion. Les individus se trouvent intégrées dans une course perpétuelle qui s’accélère pour rattraper le retard, dans une logique d'adaptation étroite qui n’a pas de fin. On peut du reste se demander pourquoi il faut discuter de ces évolutions puisque on est dans une telle logique d'urgence, de survie et de non-choix. Dans ce cadre, ce qui tient lieu souvent de démocratie, relève en fait d’une logique de la communication, visant à convaincre chacun qu’il n’a d’autre choix de s’adapter au plus vite.

Si on analyse encore un peu plus ce discours, on s’aperçoit en fait qu’il donne aux évolutions dans tous les domaines, y compris celles des moeurs, une portée culturelle telle qu'elles impliqueraient une rupture radicale dans nos façons traditionnelles de vivre, d'agir et de penser. Cela veut dire que les conceptions de l'homme et du vivre ensemble telles qu'elles nous ont été léguées tant bien que mal à travers les générations paraissent à ce point obsolètes qu’elles ne peuvent plus nous aider à faire face aux nouveaux défis du présent. Le discours de la modernisation en appelle plus ou moins consciemment à une sorte de révolution culturelle permanente. C'est étonnant de voir comment le thème de la révolution qui a eu un moment donné ses heures de gloire dans l’ordre politique, se retrouve aujourd’hui dans le discours de la modernisation : "révolution informatique", "révolution technologique", "révolution de l’intelligence"...

Mais comment une vie humaine, une vie sociale seraient-ils possibles sans stabilité ? Cette vision chaotique du monde participe de ce que j’appelle la "barbarie douce" qui consiste précisément à rendre le monde insignifiant et vain.

Tout ce qui résiste à ce mouvement de fuite en avant, est catalogué un peu rapidement de nostalgique, de ringard, de corporatiste…, sans que véritablement il y ait possibilité de poser un certain nombre de questions sur le sens de ce mouvement. Cette vision des évolutions si elle fascine quelques-uns, entraîne surtout le désarroi et un mal-être existentiel et social. Ceux qui se laissent prendre dans ce mouvement sans but ni sens, sans repères solides où s’accrocher, sont entraînés dans une course folle dans laquelle ils finissent tôt ou tard par s’épuiser.

Jamais la société n'a disposé de tant de renseignements sur elle-même par de multiples études, enquête, audits... Les sondages nous renseignent sur la position des Français dans tous les domaines. Mais cette auto-oscultation permanente masque en fait une sourde angoisse. Quand le passé semble sans ressource et quand l'avenir ne paraît plus porté par l'idée même de progrès, le présent est marqué par une sourde anxiété dont les manifestations sont multiples et oscillent entre deux pôles : d'un côté le surinvestissement dans le travail, l'activisme communicationnel et managérial qui cherche un maximum de "visibilité" et tente de coller aux images du dynamisme, du "battant", du "gagnant"…, et de l'autre côté l’errance des désoeuvrés et des sans-travail. Une temporalité vide ou l’on peut se griser temporairement dans l’activisme, dans l'alcool, dans la drogue ou les anti-dépresseurs pour tenter d'oublier

La fin de l’histoire ?
Cette logomachie du changement me semble symptomatique de la perte d'une représentation historique. Nous vivons, me semble-t-il, dans un présent qui est déconnecté de l'histoire. À la différence de la modernisation actuelle, celle de l'après-guerre s’intégrait encore dans un récit historique qui tentait de faire le pont entre passé-présent-avenir. Il existait une certaine "idée de la France", de son passé et de son rôle dans l’histoire et la modernisation était considérée comme la possibilité de la continuer et de la redynamiser en la confrontant aux évolutions. Disant cela, je ne suis pas nostalgique, et on peut discuter pour savoir s’il n’y avait pas là une part de mythe et un écart avec la réalité. Mais je veux seulement souligner le fait que le présent était relié au passé et à une certaine vision de l'avenir. L’intégration dans une histoire me semble être une donnée fondamentale qu’on ne parvient guère à renouveller aujourd’hui face au développement des nouvelles technologies, de la communication, de ce qu’on appelle la "mondialisation"… Dans la nouvelle situation historique dans laquelle nous sommes, qu'en est-il de notre passé et quelle représentation de l'avenir avons-nous ?

De ce point de vue, la temporalité de la modernisation actuelle me semble très différente de celle de l'après-guerre. Ce n'est pas simplement une question économique et sociale, c'est bien plus que cela : il y a une dimension symbolique quifait terriblement défaut à la modernisation que nous vivons aujourd'hui.

Cette déconnection du présent avec le passé et l’avenir fait qu'on vit dans un présent qui est vide et comme "suspendu à lui-même". Le passé paraît sans ressource et l'avenir est indéterminé ou il est toujours ouvert sur de possibles régressions. Ce présent, on n'arrive pas à l'enraciner dans quelque chose et on n'arrive pas non plus à voir où il va déboucher. Il me semble largement marqué par une temporalité devenue folle qui se traduit par un mal-être existentiel et social que la reprise de la croissance à elle seule ne pourra pas réduire.

Dans ce contexte où la vision historique fait défaut, c’est l'évolutionnisme qui domine : les évolutions sociales sont envisagés sur le même mode que les évolutions naturelles. Les médias contribuent à diffuser une représentation de l’évolution des sociétés qui en fait un simple élément d’une évolution de la matière et des espèces animales, la différence par rapport à la société étant simplement une affaire de "complexité". A partir du "big bang", ne peut-on pas dire que nous sommes tous les fils des étoiles ? La société serait-elle une organisation plus complexe que celle des fourmis ? Le comportement humain une affaire de neuromes et de chimie ?

Un passé qui a du mal à être assumé
Je voudrais pousser plus loin la réflexion et poser une seconde question : qu'est-ce qui fait que le passé apparaît à ce point coupé du présent ? Il y a, dit-on, la rapidité des évolutions et les défis inédits qu’elles posent. Mais ce constat ne suffit pas. Pour apporter des éléments de réponse à cette question, il est nécessaire de revenir sur le bilan qui peut être tiré du XXe siècle et le tournant historique que constitue, à mes yeux, Mai68 et les années soixante-dix.

Quand on examine a postérirori le XXe siècle, on ne peut échapper à l'importance des événements dramatiques que les sociétés européennes ont vécu. L'élément premier a été la guerre de 1914-1918 : des millions de morts, un traumatisme qui va concerner l’idée même de civilisation et de la culture. Et n'oublions pas, comme le souligne justement l’historien François Furet que le fascisme et le communisme sont nés dans le sillage de cette guerre. Georges Steiner l’a fortement souligné : "Nous ne pouvons voir clair dans les crises de la culture occidentale, nous ne pouvons comprendre les origines et les formes des mouvements totalitaires d'Europe Centrale, et le retour de la guerre mondiale, si nous ne gardons constamment à l'esprit les atteintes subies, après 1918, par les centres vitaux de l'Europe".
Après la guerre de 1914, une critique va se développer à l'intérieur de la culture occidentale, critique menée par des avant-gardes esthétiques, je pense entre autres au dadaïsme et au surréalisme. Dans ce domaine, j'ai retrouvé un texte d'Antonin Artaud qui est une grande figure du surréalisme et qui avait écrit une adresse au Pape et une adresse au Dalaï-lama. Cette adresse au Pape est portée par une révolte et une rage peu communes. Ce qui est intéressant à noter c'est le rejet de la culture dont on est issu. A. Artaud est de ce point de vue particulièrement typique et peut-être en un sens prophétique, parce qu’il s’adresse aussi au Dalaï-Lama dans des termes qui sont à l’inverse de ceux adressés au Pape : il en appelle aux "lumières" du Dalaï-Lama contre les "esprits contaminés d'Européens", à changer notre esprit pour que l’homme ne souffre plus. Le mouvement surréaliste, et pas seulement A. Artaud, marque à mes yeux un tournant et anticipe une évolution culturelle décisive.

Deuxième élément-clé, c'est la "shoah" qui constitue un traumatisme décisif. Le problème qui ne peut manquer d’être posé c'est que celle-ci a eu lieu dans un peuple européen très cultivé. Comme le souligne G. Steiner : "Des hommes comme Hans Frank, qui avait la haute main sur la "solution finale" en Europe de l'Est, étaient des connaisseurs exigeants et parfois même de bons interprètes de Bach et de Mozart. On compte parmi les ronds-de-cuir de la torture et de la chambre à gaz des admirateurs de Goethe, des amoureux de Rilke. Il est trop facile de dire que "ces hommes ne comprenaient rien aux poèmes qu'ils lisaient ou à la musique qu'ils possédaient et interprétaient si bien". Rien ne permet d'affirmer qu'ils étaient moins ouverts que quiconque au génie humain, aux forces morales qui modèlent la littérature et l'art.

" On ne peut évacuer le problème. C'est à l'intérieur de l'Europe développée, à l'intérieur de cette culture occidentale que cette barbarie s’est développée, en sachant qu'on pouvait pendre des gens ou les mettre dans une chambre à gaz et ensuite aller écouter une symphonie de Mozart.

Le massacre des guerres coloniales est un élément qui fait également partie de ce bilan du XXe siècle. Je ne dis pas que tout le XXe siècle peut se résumer à ces réalités, mais que les totalitarismes et la barbarie y tiennent toute leur place.

Ce passé a été largement refoulé jusqu'à une certaine période historique. Il y a un moment où tout va basculer, où ce refoulé de l'histoire occidentale, ce refoulé de la République va arriver massivement sur la place publique. Pour comprendre ce basculement, il faut passer par le tournant des années 68-70.

Règlement de compte et nouvel individualisme
Je ne vais pas me livrer ici à une analyse détaillée de Mai 68 et des années contestataires qui ont suivi. Mai 68 a eu des aspects démocratiques mais aussi des aspects destructeurs. Il faut comprendre l'événement dans cette ambivalence. Pour le thème qui nous occupe, celui de la transmission, je voudrais seulement souligner comment la part impossible de l’héritage de Mai 68 interfère fortement.

Tout un héritage culturel a été remis en cause d'une façon radicale, héritage qui n'est pas seulement celui de la religion, mais aussi l'héritage des Lumières et de la République. La question a été directement posée : les valeurs, la référence à la Raison se sont montrées non seulement impuissantes, mais n'ont-elles pas servi de masque pour couvrir les massacres ? La réponse donnée à cette question est allée dans le sens du règlement de compte, du rejet et de la table rase.

Une question a commencé à revenir en force : Qu'en a-t-il été de la collaboration ? Les années 70 voient paraître un certain nombre de livres et de films où on commence à régler les comptes. Toute cette histoire refoulée sous le gaullisme qui présentait une France résistante, remonte à la surface vers les années 70. Je ne crois pas que nous soyons véritablement sortis de ce règlement de comptes avec ce passé et cette vision noire des sociétés européennes. Ce qui me paraît manifester un refus d'assumer l'ambivalence de l’histoire.

En matière d’injustice et de massacres, aucune civilisation, aucun pays ne peut disposer d'un blanc-seing. Mais il importe de souligner que la culture occidentale a une tradition d'auto-réflexion et d'auto-critique. Ce qui suppose une opération de discernement dans le rapport avec son propre passé. Ce n’est pas, me semble-t-il, ce qui se fait aujourd’hui. On peut glisser dans une logique de culpabilité morbide en se fixant sur les horreurs de l'histoire, surtout quand celles-ci nous sont renvoyées presque quotidiennement par des images médiatiques. Cela a pour effet d'engendrer une certaine paralysie quant à la capacité d'une société à se reprendre et à inventer son avenir.

Les changements décisifs qui se sont opérées dans les années 68-70 ne se se sont pas limités pas à ce règlement de compte. Dans le même temps, une nouvelle forme d'individualisme va se développer pour qui le rapport au collectif ne va plus de soi et qui considère les pouvoirs et les institutions comme de simples appareils de domination.

C’est toute une nouvelle culture qui commence alors à se façonner. Paradoxalement ce qui a pu apparaître dans les années 68 et au début des années 70 comme un anti-conformisme s'est transformé en un nouveau conformisme. Nous sommes dans une logique individualiste beaucoup plus auto-centrée que par le passé. Comme le dit Marcel Gauche : "La caractéristique fondamentale de la personnalité contemporaine serait l'effacement de cette structuration par l'appartenance. L'individu n'est pas organisé au plus profond de son être par la précédence du social et par l'englobement au sein d'une collectivité avec ce qu'elle a voulu dire millénairement durant, de sentiment d'obligation, de sens et de dette."

L’histoire à la croisée des chemins
Mes propos vont peut-être sembler pessimistes, mais je pense qu'on ne peut pas exclure la question d'une société qui serait comme hantée par sa propre décadence. Je pense à la phrase de Bernanos :"Il est plus facile que l'on croit de se haïr". Nous sommes, me semble-t-il, dans une société où les individus ont beaucoup de mal à s'estimer comme les héritiers d'une histoire. La part impossible de l’héritage de Mai 68, qui se retrouve aujourd’hui sous une forme abatardie dans la société, bouche l’horizon. Mais une société qui rend insignifiant son passé se condamne à ne plus inventer un avenir discernable porteur d'espérance.

La question qui nous est posée est de sortir de cette situation et je n’ai pas de réponse toute faite à cette question. La situation historique nouvelle dans laquelle nous sommes, nous offre peut-être une chance nouvelle. Nous ne retournerons pas en arrière et toute attitude simplement réactive me semble condamnée à l’échec. Mais c’est à partir d’une rupture dans la tradition qu’il nous est peut-être possible de renouer les fils, dans la mesure où la crise que nous vivons nous rend plus libres dans le rapport au passé et peut nous permettre de le réinterroger plus librement, en faisant resurgir ce que P. Ricoeur appelle ses "potentialités inaccomplies"jusqu’alors cachées. A nous d'opérer un discernement, à nous de reprendre cet héritage, de voir en quoi il peut nous éclairer par rapport aux défis bien réels du présent. Il y a une grande part de l'héritage de Mai 68 qui me semble impossible à reprendre et qui me paraît liée à l'impasse dans laquelle nous sommes. Mais il est des questions qui ont été posées de façon confuse : "Dans quelle société vivons-nous ? On nous a promis le bonheur, voyons, sommes-nous heureux ? La modernisatoin, pour quoi faire et pour aller où ?"

A nous de reprendre ces questions sur d'autres bases en s’appuyant sur ce qui dans notre propre tradition, peut nous aider à y répondre.

Jean-Pierre Le Goff philosophe de formation, est sociologue au Laboratoire Georges Friedmann (Paris I-CNRS). Il préside le club Politique Autrement, qui explore les conditions d'un renouveau de la démocratie dans les sociétés développées. Il est notamment l'auteur, aux Éditions La Découverte, de Le mythe de l'entreprise, Mai 1968, l'héritage impossible et La barbarie douce, ouvrages qui ont rencontré un grand succès.

 
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