|
||
|
|
Conférences 2000 |
||||
Questions autour des conférences
"Transmettre pour vivre, vivre pour transmettre" et "La crise de la transmission" |
||||
Jean pierre Legoff et Paul Legavre |
||||
Forum du 24 septembre
2000
|
||||
Serge : Vous nous avez montré qu'une des causes qui fait que les gens sont coupés culturellement par rapport au passé, c'est qu'ils ont finalement une vision catastrophique du passé. Et on a eu effectivement un tableau assez catastrophique. Il me semble que si on veut que les gens retrouvent le courage et la joie d'agir, il faudrait faire un ouvrage qu'on pourrait appeler "Défenses et illustrations du 20ème siècle" dans lequel on montrerait que finalement ce n'était pas complètement faux quand on disait que la Science pouvait faire des choses. Il n'y a qu'à voir par exemple sur le plan médical : quand les gens sont malades, ils font quand même confiance à la science, quand ils se déplacent ils prennent le TGV. Cela, c'est l'aspect technique. Il y a aussi l'aspect scientifique, c'est-à-dire l'image élargie dans le temps et l'espace que la science nous donne du monde. Il y a quelque chose qui nous permet d'avoir une meilleure compréhension de cet univers qui nous entoure et la perception d'un monde qui est en dynamique, quelque chose qui évolue. Par conséquent la science a une façon à elle de poser la question du sens parce que la Science découvre au 20ème siècle, le monde comme quelque chose qui n'est pas statique, mais qui bouge. Il y a quantité d'autres aspects qui émergent maintenant et qui sont des aspects positifs. Je pense par exemple au mouvement écologiste qui est une prise de conscience à l''échelle universelle même si c'est récupéré politiquement. Je pense aux mouvements humanitaires. Quand on paarle de contre-culture, je crois que c'est très important d'être à l'écoute d'un certain nombre de choses qui se passent qu'on peut promouvoir et qui font partie d'une culture profane.
Réponse J'ai beaucoup de mal personnellement à parler en termes optimistes ou pessimistes. Le problème c'est : est-ce que c'est vrai ou pas ? C'est tout. Que ce soit optimiste ou pessimiste, c'est une conséquence. Mais si jamais on commence à réfléchir sur la situation du monde en disant : est-ce que cela rentre dans une catégorie, on n'est plus libre dans la pensée. Je ne raisonne pas comme cela. Je suis confronté à une situation sociale qui effectivement peut paraître pessimiste. Je pense que c'est le problème des ressources aujourd'hui et vous l'avez souligné à travers un certain nombre d'aspects que je voudrais reprendre en deux mots. D'abord sur la question de la Science. Il y a des aspects positifs effectivement. Mais je ne sais pas si c'est parce que la Science nous montre que le monde est en mouvement qu'il y a des raisons d'espérer parce que la question, c'est la finalité du mouvement, ce n'est pas le mouvement lui-même et cette question de la finalité, ce n'est pas la Science qui nous la donnera. C'est la question du sens de tout cela. Elle peut faire émerger la question, mais la réponse à cette question reste d'un autre ordre que la Science. D'ailleurs je suis très frappé par le fait que nombre de scientifiques dans les medias jouent le rôle que jouait antérieurement un certain type de métaphysique. Par exemple on apprenait à l'école des passages entiers de Pascal sur l'infiniment grand et l'infiniment petit. Et il y avait une forme de sensibilité et d'ouverture à un type de questionnement métaphysique. Or ce questionnement me semble largement évacué au sein de la société. On voit apparaître un drôle de mélange entre "nous sommes les fils des étoiles", de la matière, etc, où la dimension métaphysique est absente. Je pense que la Science nous montre l'évolution dans laquelle l'humanité s'inscrit. Mais l'Histoire, c'est autre chose que l'évolution parce que l'Histoire passe par un récit qui est le propre de l'homme et qui ne peut pas seulement être fondé scientifiquement. Le récit que nous portons sur notre propre histoire n'est pas un résultat des découvertes scientifiques. Nous donnons un sens à notre histoire et en le faisant, nous dépassons le constat purement scientifique. Je suis très frappé par cette espèce d'évolutionnisme naturel. Finalement la Science c'est l'oeuvre de l'esprit humain. Elle ne se confond pas avec un évolutionnisme naturel de type matérialiste. Je pense qu'effectivement la Science fait ouvrir des questions. Elle nous amène à nous poser un certaine nombre de questions mais le problème pur moi, c'est quand elle prend toute la place et qu'elle a tendance à intégrer dans son propre champ la question de la signification et du sens. Deuxième problème sur les écologistes. Au-delà de la dimension politique, je pense qu'il y a une prise de conscience des dégâts du progrès et surtout de la limite. Par rapport à une idéologie scientiste du 19ème siècle qui voulait créer une nouvelle religion, je pense qu'on est dans une période où il y a de nouveau une confusion généralisée des genres. Moi personnellement je plaide non pas pour une autonomie totale des sphères mais pour qu'il y ait entre elles une certaines distance, sinon je crains que personne n'y gagne, ni la science, ni la religion mais qu'on arrive à une espèce de syncrétisme . Le bouddhisme vous dira : mais justement on peut s'appuyer sur la dimension scientifique qui montre que... Je pense que la dimension religieuse est autre chose. Sur le mouvement écologiste, vous avez raison d'être attentif aux dimensions du nouveau notamment dans l'écologiste et l'humanitaire, mais il faut aussi voir que cela peut être ambivalent. Ce n'est jamais purement nouveau. Dans l'écologiste, vous pouvez avoir une prise de conscience des limites et des dégâts du progrès mais aussi une vision noire des choses. C'est très mêlé. Je ne crois pas qu'on puisse attendre des mouvements quelque chose qui soit pur. C'est très ambivalent et c'est à nous de voir sur quoi on s'appuie pour construire du positif dans ces mouvements. Mais en elles-mêmes ces réalités sont très ambivalentes et la lecture qu'on porte sur elles dépend de notre propre foi, de notre propre engagement.
S.Beauregard J'ai médité en écoutant ces deux interventions et étant enseignante, ce que j'essaie de dire c'est que j'ai beaucoup reçu, je me reçois des autres, je me reçois d'un passé, et c'est cela que j'essaie de transmettre. Et je relis ma vie avec tout ce que j'ai reçu. Vous parliez de Pascal. Il y a tout de même un texte qui dit "que c'est un même homme qui apprend toujours". Nous nous recevons donc nous devons aussi retrouver dans tout ce passé ce qui nous fait vivre, ce qui nous fait aimer, ce qui nous donne confiance et c'est cela que nous avons envie de transmettre et pour moi c'est cela dans une perspective de laïcité ce que j'essaie de vivre. Vous n'avez pas employé ces termes : dire merci,; se recevoir et nous recevoir. Nous nous recevons de nos parents et nous devons après choisir ce que nous subissons à la manière de Sartre. Il y a des choses négatives mais il y a aussi des choses très belles que nous devons voir comme des lumières.
Réponse Je suis d'accord avec tout ce que vous dites. La question, c'est que dans la transmisssion, il n'y a pas un rapport égalitaire. Cela pose le problème de l'institution, de l'école. La question numéro 1 est moins de se désoler sur l'état dans lequel seraient nos enfants, mais de savoir en quoi les adultes croient encore et ce qu'ils sont prêts à transmettre. Je suis tout à fait d'accord. Dans cette transmission, il y a une part de devoir qui est plus importante du côté de l'institution, du côté de l'adulte. Certes, on a tous à recevoir. Mais j'insisterai dans la période dans laquelle on vit, sur la dimension de devoir de l'institution et du devoir de l'adulte de transmettre. Cela suppose que l'adulte et l'institution sachent ce qu'ils aiment, ce à quoi ils tiennent. Or je pense que cette question socialement est beaucoup moins évidente que par le passé et qu'une grande difficulté de la transmission de la part des jeunes enseignants c'est qu'est-ce qu'on garde de notre héritage à partir de tout ce qui a été dit dessus. Cette question-là n'est pas si naturelle en tous cas elle est beaucoup moins évidente. En même temps c'est une chance pour ré-insérer le dialogue. Mais pour que le dialogue ait un sens, encore faut-il qu'il y ait une parole forte. Pour qu'il y ait un échange encore faut-il que quelqu'un s'avance et dise "voilà ce à quoi je crois, voilà ce à quoi je tiens. Il y a une espèce d'illusion qui consiste à dire "mettons-nous tous ensemble et appportons tous ensemble. Oui, mais il faut que quelqu'un s'avance, sinon ce n'est plus du dialogue, c'est un tour de table interminable où personne n'ose s'avancer, où sous prétexte de mise en commmun, on arrive à une espèce de dénominateur moyen assez informe. Il y a un moment où il faut qu'une parole forte soit donnée. On va être pour ou on va être contre et tout d'un coup on va s'apercevoir qu'il y a dialogue. Pour moi, le dialogue est inséaparable de l'affrontement fraternel, ce qui implique non pas l'agressivité mais la force. Cela veut dire qu'on n'est pas d'accord, cela veut dire qu'il y a contradiction. c'est ce qui fait la vie et c'est ce qui fait l'unité. La difficulté qu'on a dans l'héritage c'est comment penser à la fois la contradiction, la différence sur fond commun. Pour prendre conscience de ce fond commun, encore faut-il dire ce à quoi l'on croit. C'est à mon avis, la seule optique si on veut éviter un discours mou de consensus moyen où tout le monde vogue sur un certain nombre de choses où on a du mal à délimiter ce sur quoi on est d'accord. Je crois que vous l'avez très bien expliqué : c'est le problème de la transmisssion et la transmission c'est ce qu'on aime, ce à quoi on tient et ce que l'on est prêt à défendre. Et à partir de là, le problème de la jeunesse, pour moi, n'est pas tellement le problème de l'état de la jeunesse, c'est : qu'est-ce que les jeunes ont en face d'eux, qu'est-ce qui leur fait face sans démagogie ? Le problème principal est là, à mon avis. |
||||
Réagir à cette conférence | ||||