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Conférences 2001

 
 
Cet Islam qui nous interroge
 
 
Père Henri de la HOUGUE
 
 
Jeudi 3 Mai 2001 
 
     
 

Présentation par Philippe Guibard


Introduction
Bonsoir à tous. Je suis donc prêtre au Plessis-Robinson. Depuis plusieurs années, je m'intéresse au dialogue avec les musulmans. Ce qui m'a amené à faire cela, c'était une expérience de rencontre avec des musulmans notamment quand j'étais à l'école en 1ère, Terminale et que je faisais de l'entraide scolaire avec un marocain, chez lequel j'allais toutes les semaines.
Le fait qu'il y avait beaucoup de musulmans dans le diocèse m'interrogea alors que j'étais séminariste. J'ai souhaité investir un petit peu là-dedans et on m'a dit "si tu veux investir là-dedans, il n'y a pas trente six mille solutions, il faut que tu te plonges dedans. Va faire un stage d'Arabe en Tunisie ou ailleurs et essaie de voir si cela t'intéresse".
C'est ce que j'ai fait. J'ai fait un premier stage d'Arabe à Tunis pendant un mois et demi et je suis resté un autre mois là-bas. Ensuite comme cela m'intéressait, l'évêque m'a proposé de poursuivre ma formation dans ce domaine. J'ai continué de suivre des cours d'Arabe à la Fac à Censier pendant le séminaire et j'ai fait d'autres stages d'Arabe, à Tunis, à Rabat. J'ai essayé aussi étant en insertion à Colombes de faire partie de l'ASTI, (l'Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés) avec laquelle nous préparions un certain nombre de festivités communes. Il y a aussi des musulmans qui sont venus à mon ordination.
Ensuite j'ai été à Rome faire cet Institut un peu spécialisé dans l'étude de l'Islam en vue du dialogue islamo-chrétien par le biais de la langue arabe. J'y suis resté deux ans. Maintenant en paroisse, j'ai continué un certain nombre d'études en théologie des religions et je termine cette année une maîtrise en théologie des religions à la Catho.
Je ne vais pas vous parler ce soir des bases de l'Islam, les cinq piliers de l'Islam, la vie du prophète que vous pouvez trouver vous-même dans n'importe quel ouvrage sur la question. L'idée ce serait de prendre un peu de recul et de vous donner quelques clés de compréhension. Je vais commencer par une partie sur l'Islam en France.
On a beaucoup de préjugés sur l'Islam que l'on connaît mal. Vous serez peut-être étonnés si je vous dis que les musulmans arabes ne sont que 16% des musulmans du monde, que l'Indonésie à elle seule compte autant de musulmans que dans tout le monde arabe. Souvent dans les images qu'on a, on a Islam = arabe = fondamentaliste = polygame, comme on dit très caricaturalement : les protestants ne croient pas à la Vierge Marie. Cela fait partie des choses complètement fausses mais qui restent ancrées dans un fond de pensée véhiculé par les journalistes. Très souvent, quand on veut faire une présentation de l'Islam dans les médias on va montrer de préférence des musulmans fondamentalistes ce qui ne correspond pas du tout à la réalité des musulmans en France.



I - L'ISLAM EN FRANCE


En France c'est un Islam qui se cherche, c'est comme cela qu'on peut le définir. Il n'y a pas de représentativité de l'Islam unique. Il y avait un califat après la vie du prophète, mais ce califat a été souvent malmené et souvent divisé puisqu'il y a eu plusieurs califats en même temps, un à Cordoue, un à Tunis. Ensuite, le califat est parti à Bagdad et puis à l'empire ottoman. Mais déjà c'était un califat en déliquescence et à la fin de la guerre de 14, à la chute de l'empire ottoman, personne n'a repris le flambeau du califat. Personne ne s'est senti apte à le reprendre. De toute façon, il ne représentait plus une réelle unité du monde musulman.
Donc il n'y a pas un Islam, mais il y a des islams dans le monde. En France aussi. Au lendemain de la guerre de 14-18, en France a été décidée la construction d'une grande mosquée à Paris qui rendrait honneur aux soldats musulmans morts pour la France. C'est la grande mosquée de Paris.

1 Les vagues successives d'immigration

La guerre de 39-45 liera encore plus les musulmans du Maghreb et les chrétiens de la métropole. Ensuite dans les trente glorieuses, le besoin de main d'œuvre entraînera un afflux important d'immigrés. La plupart de ces immigrés pensaient retourner au pays. Ils n'ont pas pour la plupart été attentifs à avoir des lieux de culte ni même à revendiquer une quelconque religion parce que pour eux ils étaient surtout ici en transit pour du travail dans le but de retourner ensuite au pays. C'était un peu comme une parenthèse au niveau de la religion. Beaucoup se sont mariés ici et ils n'ont pas transmis à leurs enfants cet héritage religieux. Avec la crise, beaucoup ont essayé de ramener leurs familles. Beaucoup sont restés et quand ils ont eu enfants et petits enfants, plus personne ne voulait repartir. Donc les musulmans relativement jeunes n'ont pas reçu de transmission de leur foi. Où chercher cette foi, comment vivre cette foi qui faisait vivre leurs ancêtres ?

2 Les problèmes polémiques

a - Affaire Ruschdie
Cette recherche identitaire va pousser les musulmans en France à s'affirmer et notamment à résister à un certain nombre de faits. Il y a eu l'affaire Rushdie en Grande-Bretagne. Salman Rushdie a écrit un livre "les versets sataniques" a été condamné à mort par l'Iran. Cela n'a pas eu en France autant de retentissement qu'en Grande-Bretagne mais cela a eu quand même pas mal d'importance.

b - Affaire de la mosquée de Charvieu
La 2ème affaire a été en 89 la destruction d'une mosquée. A Charvieu, il y avait une ancienne usine qui servait de mosquée. Tout le monde le savait. Mais le 16 août le maire de Charvieu a fait détruire le bâtiment par un bulldozer et cela a provoqué une crise si bien que la semaine d'après tous les musulmans ont décidé d'aller prier dehors sur le site et évidemment les caméras de télévision étaient là. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Pierre Joxe, a convoaué le maire pour lui demander de s'expliquer. Le même été, Michel Noir, à Lyon, annonce la construction de la grande mosquée de Lyon.

c - Le foulard et la laïcité
Le 5 octobre 1989, c'est l'affaire du foulard islamique à Creil. Trois collégiennes décident de porter le foulard et sont exclues du cours. La presse s'en mêle si bien que les filles évidemment se trouvent tout de suite en porte à faux entre les caméras, la pression nationale et l'autorité parentale et par derrière toute la tradition musulmane. L'affaire a failli trouver une issue assez rapide s'il n'y avait pas eu derrière un certain nombre d'Associations islamiques qui ont dit "il ne faut pas céder parce qu'on a besoin, nous musulmans, de dire qu'on a des droits, qu'on a des ambitions et à chaque fois que les musulmans demandent quelque chose, on leur dit non." Donc il ne faut pas céder. Beaucoup de mairies encore aujourd'hui ont une politique un peu systématique de préemption des terrains dès qu'ils entendent parler d'une association qui voudrait construire une mosquée.
Le 27 novembre, le Conseil d'Etat a rendu publique le texte suivant : "la liberté reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui et sans qu'il soit porté atteinte aux activités d'enseignement, au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité."
Ce qu'il faut retenir c'est qu'il ne faut surtout pas que les médias s'en mêlent et que les filles de 14 ans peuvent régler assez bien ces problèmes entre la direction et les parents. Il faut savoir que le foulard n'est pas forcément un signe d'islamisation. Dans la tradition, cela ne l'était pas. Il existait déjà avant l'Islam pour séparer les hommes des femmes à partir de la puberté. Ensuite il a été instauré dans le Coran pour marquer juste les femmes du Prophète. Par la suite, il y a eu un certain nombre de califes et de personnalités de haut rang qui, pour une question de distinction et d'honneur, ont voulu que leurs femmes portent le voile pour les distinguer des autres femmes. Mais cela n'avait pas de motif religieux. C'est après dans la tradition et pour certaines tendances fondamentalistes que c'est devenu une affirmation de l'islamité de la personne. Dans beaucoup de pays, c'est tout simplement l'habit traditionnel du pays. Dans l'administration en Tunisie il est interdit de porter un voile.
Problèmes posés à la laïcité
Toutes ces questions ont posé des problèmes à la laïcité qui s'est vue remise en cause notamment pour la question des repas. C'est vrai qu'il est important pour les musulmans de leur donner l'opportunité de ne pas manger de porc, surtout maintenant où dans les cantines il y a de plus en plus souvent des selfs. Maintenant de plus en plus de musulmans exigent que dans les cantines il y ait de la viande qui ait été égorgée en prononçant le nom de Dieu. Cela pose des problèmes bien plus complexes.
Je vous ai dit que l'Islam n'avait pas de représentativité en France. C'est un problème auquel l'Etat a essayé de remédier depuis notamment Pierre Joxe qui avait essayé de convoquer un Conseil des organisations représentatives de l'Islam en France. En fait cela n'a pas marché parce que les Associations étaient trop divisées et trouvaient que la Grande Mosquée de Paris avait un poids trop important, du fait qu'elle était liée avec le gouvernement algérien.

Le 28 janvier 2000, le ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement a réuni des personnalités qualifiées afin de participer à une consultation pour valider les principes et les fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France. Il semble que cela a eu plus de succès parce qu'il y a eu une meilleure représentativité des Associations et des organisations islamiques. Mais tout n'est pas encore très simple.

En France, l'Islam se cherche. Il y a plusieurs Associations qui essayent d'aider les musulmans. Il y a la Grande Mosquée de Paris qui fédère un certain nombre de musulmans. Ils ont fait des articles "la Charte du Culte Musulman en France" dans lequel ils disent : "Grâce à ces institutions, le culte musulman en France sera à même de mieux favoriser le progrès moral de ses membres, l'avenir de la vie culturelle de ses jeunes, d'organiser la solidarité envers les déshérités, de participer à la lutte contre les fléaux sociaux, d'éviter les dérives politiques et les idéologies dommageables pour l'intérêt national. Les musulmans en France ont des origines diverses, mais ils ont vocation à s'unir et à s'organiser en respectant la pluralité de leurs sensibilités qui est une richesse. La cohésion sociale et l'unité de la France ne sont pas fondées sur une religion, mais sur une volonté, celle de vivre ensemble et de partager les principes de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et des valeurs républicaines. Les musulmans vivant en France, qu'ils soient Français ou étrangers y vivent par choix et sont conscients que leur participation à la communauté nationale leur donne des droits et leur impose des devoirs."


3 - L'Islam dans sa diversité

Cet Islam, vous le voyez, n'est pas un Islam fondamentaliste, c'est un Islam qui se veut un Islam en France, qui respecte les lois et qui essaye d'être attentif à construire l'Islam en France. L'U.N.O.I.F. (l'Union des Organisations Islamiques de France) qui a été fondée en 1983 est une organisation qui gagne un peu en importance. Au départ, elle était assez proche des "Frères Musulmans". A partir de 89, 90, elle s'est plus concentrée à être au service de l'Islam en France et elle s'est beaucoup ouverte. Elle organise chaque année des rassemblements. Il y a un rassemblement annuel au Bourget, vers Noël. En 92, il y a eu dix mille participants et ça va maintenant jusqu'à vingt mille.
En 92, elle a ouvert le seul vrai centre de formation d'imams, dans la Nièvre, qui s'appelle l'Institut Européen des Etudes Islamiques et qui est un lieu de formation des imams pour l'Europe. Ils essayent de faire une formation très centrée autour de l'Islam et de la langue arabe, mais l'enjeu c'est quand même de former des imams pour la France. Dans l'Islam, il n'y a pas de clergé. Est imam celui qui est devant, qui préside la prière, en général celui qui connaît le mieux le Coran, donc celui qui est capable de réciter le Coran par cœur. Cela ne correspond pas toujours aux plus ouverts.
La difficulté, c'est qu'un certain nombre de mosquées, du coup, font appel à des imams extérieurs si elles en ont les moyens et notamment des imams d'Algérie, du Maghreb, etc, dont certains ne parlent même pas le français. C'est le cas par exemple, à la mosquée d'Asnières où il y avait de très bons rapports avec la paroisse et les rapports ont été rendus un peu plus difficiles depuis ces dernières années parce qu'il est arrivé un nouvel imam qui ne parle pas français. Quelqu'un qui ne parle pas Français, on ne peut pas dire qu'il soit vraiment inséré et qu'il puisse aider les gens à vivre leur Islam en France.
Dans leur formation, l'Institut faisait venir jusqu'à il y a quelques années des moines de la Pierre-qui-Vire pour expliquer le christianisme aux étudiants. Le Directeur de l'Institut et le Directeur des Etudes font partie d'un groupe islamo-chrétien avec notre ancien vicaire général, Francis Deniau qui est évêque de la Nièvre.
Il y a d'autres Associations musulmanes et en particulier des Associations de jeunes. Il y a "l'Union des Jeunes Musulmans", les "Jeunes Musulmans de France (J.M.F.) dont l'un des statuts est "Organiser et coordonner au profit des jeunes musulmans des activités sociales, éducatives, culturelles, sportives, humanitaires, économiques. Apporter assistance et aide selon les moyens de J.M.F. aux jeunes dans leur vie quotidienne, par le soutien scolaire, la formation professionnelle, l'aide à l'emploi, l'éducation permanente. Défendre et représenter les intérêts des jeunes musulmans de France, participer à l'évolution et à l'essor de la population française, établir des relations d'amitié et de coopération avec les autres organisations similaires."

4 - Quelques personnalités

Il y a quelques personnalités fortes dans l'Islam de France qui attirent beaucoup les jeunes et dans lesquelles ils se reconnaissent. Il y a Tarik Ramadan. Il est de nationalité suisse. C'est le fondateur des "Frères Musulmans" en Egypte. Il a un discours qui insiste sur l'ouverture à l'ensemble de la société française et il pense que la présence des musulmans en Europe va aider à sortir la réflexion islamique de son carcan traditionnel. Tout en maniant un discours assez traditionnel, il intervient régulièrement en France pour appeler à un Islam français.
Autre personnalité Larbi Kechat qui est le recteur de la mosquée de Paris située rue de Tanger. Ce n'est pas une mosquée en bonne et due forme, elle ressemble plus à un hangar, mais elle a beaucoup d'influence. Son recteur a eu une formation religieuse classique en Algérie. Il a étudié la sociologie en France. Il est docteur en Sorbonne et dans les années 70, il a innové en proposant aux fidèles un prêche bilingue. En 79, il est devenu recteur de cette grande mosquée de la rue de Tanger à Paris, la plus grande mosquée de France en nombre de fidèles. Dans ses discours, il fait aussi toutes les semaines des conférences dans lesquelles il invite d'autres personnes que des musulmans à parler, notamment un certain nombre de prêtres. Il a été assigné à résidence en 1994 à Folembray comme un certain nombre de musulmans, mais il a eu un certain nombre de soutiens et de solidarité qui ont fait croître sa notoriété.
Enfin Hassam Ikuioussen né dans le Nord de la France s'est vraiment intéressé à l'Islam, il est entré à 17 ans dans l'U.O.I.F. et il a créé la branche jeunes (J.M.F.) dont il sera le président jusqu'en 96. Il est marié, père de cinq enfants, et il essaie de faire un certain nombre de conférences pour un Islam vraiment français. En voici un extrait : "Même quand je dis qu'il faut respecter les lois françaises parce que nous avons signé un contrat en signant notre carte d'identité ou de séjour, si vous vivez en France sans en respecter les lois, vous vivez en contradiction avec l'Islam lui-même. Si le contrat que vous avez signé avec la France ne vous convient pas rendez votre carte et quittez la France !"

5 - Une pratique assez faible

La plupart des musulmans en France ne sont pas plus pratiquants que les chrétiens, la plupart ne pratiquent pas les cinq prières (10% selon un interview réalisé à Marseille auprès des musulmans). Par contre c'est vrai que le Ramadan est devenu depuis quelques années, le lieu par lequel les musulmans se disent musulmans.
Ce tableau est très confus mais c'est parce que c'est le reflet de l'Islam en France. Il n'y a pas de courant majoritaire. Chaque mosquée a ses tendances, chaque Association a ses revendications. La plupart des jeunes musulmans aujourd'hui en ont assez des querelles de leurs parents qui étaient des querelles nationales. Ils en ont assez d'entendre des imams qui leur parlent arabe alors qu'eux-mêmes ne le comprennent pas. Donc ils souhaitent vraiment un Islam français où ils puissent s'exprimer et avoir leur place.



II - LES GRANDES QUESTIONS DU DIALOGUE ENTRE MUSULMANS ET CHRETIENS


A ) COMPRENDRE LA FOI AU DIEU UNIQUE

1 - Unicité de Dieu
Souvent quand on pense à l'Islam, on imagine un Dieu très haut, très lointain. Très spontanément on va dire ; l'Islam c'est une religion où on a le même Dieu mais c'est un Dieu qui est plus lointain, parce qu'ils n'ont pas Jésus Christ. C'est un Dieu qui est plus haut, qui est moins proche. C'est un peu l'image qu'on a : Dieu qui domine de haut. Or dans l'Islam, la grandeur de Dieu et l'unicité de Dieu, c'est justement d'être proche de l'homme au quotidien. C'est cela qui fait sa grandeur. Dire que Dieu est grand, qu'il est unique, ce n'est pas tant l'affirmation de la transcendance de Dieu que l'affirmation que Dieu est proche de chaque homme et de chaque femme. Et il est tellement proche que à chaque instant de la vie, on le rappelle. Le muezzin qui retentit cinq fois par jour, le nombre de fois où les musulmans disent Inch Allah ou autres, toutes ces réflexions qui sont faites parfois machinalement redisent que dans toute chose Dieu est présent.
Le principe de base dans l'Islam, c'est la foi au Dieu unique. Si on voulait résumer l'Islam en une chose, ce serait Dieu est unique. C'est le message de l'Islam, c'est la réalité transcendante par rapport à laquelle, il n'y a rien de plus à ajouter. Pour eux toute la Révélation? depuis Moïse, en passant par Jésus jusqu'au Coran? ne fait que dire cette réalité unique "il n'y a qu'un seul Dieu". Quand on a dit cela, ce n'est pas simplement une affirmation de foi comme ça, c'est une affirmation qui va avoir des répercutions dans toute la vie du musulman.
Voici la première sourate du Coran, sourate qui est autant priée, sinon plus, par les musulmans que les chrétiens prient le Notre Père : "Au nom de Dieu, celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux, louange à Dieu, Seigneur des mondes, Celui qui fait miséricorde, le Roi du Jour du Jugement. C'est Toi que nous adorons, c'est Toi dont nous implorons le secours. Dirige-nous dans le chemin droit, le chemin de ceux que tu as comblés de bienfaits, non pas le chemin de ceux qui encourent ta colère ni celui des égarés."
Vous savez que le premier des piliers de l'Islam, c'est la profession de foi : j'atteste qu'il n'y a pas de Dieu en dehors de Dieu et que Muhammad est son envoyé. Il suffit, à la limite, en cas de danger de mort, de dire uniquement cette phrase et on devient musulman. Et dans cette phrase, c'est la première partie qui est la plus importante.

On dit cette sourate plusieurs fois par jour et dans chaque prière. Donc cette unicité de Dieu c'est le plus haut degré de la révélation, mais cela veut dire que profondément il y a Dieu et il y a le reste. Autrement dit, il y a dans l'Islam une dualité profonde entre l'homme qui n'est que créature et Dieu qui est le créateur. Puisque il y a un seul Dieu et que Dieu est l'unique, le créateur, cela veut dire que l'homme est profondément fait pour adorer Dieu, pour être tourné vers Dieu.
Islam veut dire soumission. Ce n'est pas soumission au sens où on obéirait au radar, mais cela veut dire que tout l'être du musulman est par nature tourné vers Dieu. Cette dualité marque profondément la conception de Dieu dans l'Islam et tellement profondément que cela devient une différence très importante par rapport au christianisme puisqu'il n'y a pas dans l'Islam de participation possible de l'homme à la vie divine. Les chrétiens espèrent et vivent déjà de manière sacramentelle une participation à la vie de Dieu et c'est en cela que nous espérons trouver notre bonheur. Quand le prêtre verse la goutte d'eau dans le vin il dit "puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité" Dans l'Islam, c'est impensable. Il n'y aura jamais de participation de l'homme à la vie de Dieu puisqu'il y a profondément, fondamentalement cette idée que Dieu est unique.
Dans la sourate 7, au verset 172 il est dit "Quand ton Seigneur tira une descendance des fils d'Adam, il les fit témoigner contre eux-mêmes : "Ne suis-je pas votre Seigneur ?" - Ils dirent : "Oui, nous en témoignons" et cela pour que vous ne disiez pas au jour de la résurrection "nous avons été pris au dépourvu". Cela veut dire que dès la création, il y a eu cette prise de conscience que Dieu était le Seigneur. C'est pour cela que dans l'Islam, tout homme naît musulman. Cela ne veut pas dire forcément qu'il est de la religion musulmane, mais cela veut dire qu'il est tourné vers Dieu, qu'il reconnaît naturellement qu'il est orienté vers Celui qui est le créateur et que lui n'est que créature.
Au chapitre 30, verset 30, le Coran dit : "Acquitte-toi des obligations de la religion en vrai croyant et selon la nature que Dieu a donnée aux hommes en les créant."
Dans la tradition musulmane, il y a le Coran, mais il y a aussi le "hadith". Le hadith c'est tous les dires du Prophète qui ne font pas partie du Coran. Quand il a dicté le Coran, il entrait dans une sorte de transe et ses disciples notaient ce qu'il disait. Il fallait noter tout ce que disait le Prophète et parfois il disait des choses qui n'étaient pas des révélations. Tout cela a été retenu, noté, mis en recueil parce que le Prophète est devenu le modèle. Donc on a écrit des tas de choses sur ses faits et dires et on en a même inventé. Beaucoup de ces recueils s'appellent "les Authentiques" ce qui signifie qu'il y en plein d'autres qui ne sont pas authentiques. Dans ces hadith, on dit par exemple "un homme entendit un autre homme réciter continuellement la sourate 112. Le lendemain, il vint voir le Prophète et lui demanda si cela suffisait. Il répondit "Par Celui dont mon âme est entre les mains cela équivaut à un tiers de la récitation du Coran." Or, c'est une sourate qui se trouve à la fin du Coran et qui affirme l'unicité de Dieu. Elle dit "Dieu est Un, Il est l'Impénétrable, il n'engendre pas , il n'est pas engendré. Nul n'est égal à lui."
Cela est vécu aujourd'hui comme un principe de libération. Pour les musulmans, l'unicité de Dieu c'est le moyen de se libérer de tout l'esclavage du péché. Quand on est esclave de ses préoccupations, du péché et de tout ce qui va mal, il faut retourner à l'unicité de Dieu, à cette proclamation. Le fait de dire "je crois qu'il n'y a pas de Dieu en-dehors de Dieu, c'est une manière de dépasser son péché et de se rapprocher de Dieu. Il y a une sorte de dynamisme dans cette proclamation de l'unicité de Dieu.


2 - Unicité dans l'Islam et Trinité chrétienne

Evidemment par rapport à cela quand les musulmans doivent rencontrer des chrétiens et qu'on évoque la question de la Trinité, ce n'est pas évident pour eux, d'autant que beaucoup de musulmans ont des caricatures sur les chrétiens notamment ceux qui vivent dans les pays musulmans où ils fréquentent peu de chrétiens et ne sont pas très cultivés. Pour eux, le chrétien croit en trois dieux qui sont le Père, le Fils et la Vierge Marie. Cela fait partie des caricatures. Ceux qui vivent en France s'aperçoivent que ce n'est pas la réalité. Mais vous comprenez bien qu'au fond d'eux-mêmes, ils auront toujours une réticence.
Ce ne sera jamais facile pour eux d'accepter que les chrétiens croient en un Dieu en trois personnes. Déjà nous, quand on essaie de l'expliquer, ce n'est pas évident, mais pour eux qui ont ce culte de l'unicité de Dieu et pour qui le seul péché impardonnable c'est d'associer d'autres personnes à Dieu, c'est très difficile d'accepter que les chrétiens croient en un seul Dieu.


B - Pour comprendre la Parole de Dieu dans l'Islam


- Origine du Coran
Dans l'Islam, au moins dans la version traditionnelle, quand le prophète a reçu la révélation, en l'année 610, alors que lui-même était un homme religieux et qu'il faisait des retraites dans des grottes près de La Mecque, l'Ange Gabriel est venu le voir et lui a dit "récite" - Il a répondu "mais je ne sais pas lire !" Par trois fois, l'Ange a répété "Récite" et à chaque fois, le prophète disait "je ne sais pas lire" et la 3ème fois, il a senti des paroles qui retentissaient en lui et il a récité ces paroles. C'est le début de la sourate 96 qui raconte cette histoire. Le Prophète s'est senti comme possédé. La tradition dit même qu'il a essayé de se suicider et l'Ange l'a retenu en lui expliquant qu'il était l'Ange Gabriel. Ensuite, à chaque fois, le Prophète recevait des paroles de la part de Dieu et les transmettait aux hommes.
- Le Coran incréé
Dans la tradition musulmane, le prophète n'a été que le moyen par lequel Dieu a parlé. Contrairement à la Bible, il n'y a pas de style Muhammad comme il y a un style Matthieu, un style de Marc, un style de Luc.. etc. Le Prophète est celui qui a dit la Parole de Dieu telle quelle a été reçue. Il n'a été que l'instrument matériel pour prononcer la parole. Donc cette parole est parfaite. Il n'y a pas une phrase mise à un endroit d'une manière imparfaite. Il n'y a pas un mot, pas une lettre qui ne soient à la place voulue par Dieu. Cela veut dire que ce qui est Parole de Dieu, ce n'est pas simplement le contenu, mais c'est aussi la forme. Un jour on vient voir le Prophète et on lui dit "fais un miracle pour nous prouver que tu viens de Dieu". Il répond "le miracle c'est le Coran."
- Traduction et exégèse du Coran
Le Coran est inimitable, il est parfait. On n'a pas le droit de le toucher et c'est pour cela qu'il est toujours représenté dans un cadre. On n'a pas le droit de modifier ce qu'il y a dans le cadre. Du coup, la difficulté c'est que ce Coran ne peut être traduit. Tous ceux qui ont essayé de faire la traduction ont bien vu que, lorsqu'on essaye de traduire des langues, il n'y a pas des équivalents. On peut traduire les idées mais on ne peut pas traduire les lettres. Et si on traduit, on perd la perfection. Il suffit de le transformer à peine pour qu'il perde son caractère d'absolu et de perfection et pour qu'il ne soit plus divin. Dans toutes les traductions du Coran, il y a écrit non pas "traduction du Coran" mais "essai d'interprétation du Coran inimitable".
On serait presque tenté d'en rire. Ce serait ne pas tenir compte de deux choses : d'abord que l'évolution dans l'exégèse catholique est assez récente et qu'il a fallu attendre le Concile Vatican II pour que la vision puisse changer. Loisy en 1907 a été interdit d'enseignement parce qu'il affirmait que le livre de la Genèse n'était pas un livre du genre historique, donc pas à prendre au pied de la lettre. Il faut être assez modeste parce qu'on a bénéficié d'une formidable évolution qui nous a permis de découvrir plein de choses mais cela a été un accouchement douloureux.
Lecture du Coran et Sacrement
La deuxième chose c'est que dans l'Islam, le fait de la littéralité de la lettre permet un autre type de rencontre avec Dieu. Si la Bible est une Parole de Dieu, mais ce qui est la Parole de Dieu, c'est le Christ. Le Christ est comme dit St Jean, le Verbe, la Parole. Or si nous cherchons ce qui dans notre vie correspond aux rencontres entre notre vie et le Christ, les rencontres les plus fortes sont les rencontres sacramentelles. Le sacrement c'est un symbole par lequel nous entrons dans une relation la plus réelle possible avec Dieu. Or ce rapport sacramentel est soumis à une certaine littéralité. Il y a un symbole et si on ne respecte pas le symbole, il n'y a pas la rencontre. Si je célèbre la messe et que je ne dis pas les paroles de la consécration, la messe n'est pas valide. Il n'y a pas de sacrement. Donc le sacrement est aussi soumis à une certaine forme de littéralité. Quand on essaie d'y être fidèle on croit, nous chrétiens, que dans un sacrement se vit une rencontre réelle entre le Christ et l'homme par le biais du symbole.
Le musulman qui lit le Coran en Arabe vit ce même type de rapport. Il va rentrer dans le monde de Dieu. C'est le rapport symbolique par lequel il va se mettre en présence de Dieu. Et quand il va lire la Parole de Dieu en arabe, il va, en quelque sorte, rendre Dieu présent dans sa vie. S'il le lit chez lui dans une circonstance donnée, il va rendre Dieu présent dans cette situation donnée. Lire le Coran pour un musulman, ce n'est pas simplement maintenir des traditions, ce n'est pas simplement maintenir des choses anciennes ou faire comme les parents ont fait, mais c'est vraiment vivre un symbole liturgique qui permet une mise en présence de Dieu dans la vie concrète de tous les jours. S'il le prie en français ou dans une autre langue, il n'y aura pas ce qui fait le cœur de ce symbole.
Ce que je vous dis là, c'est un rapprochement pédagogique, ce n'est pas un rapprochement théologique. Je ne dis pas qu'il y a des sacrements dans l'Islam. Mais je trouve que c'est intéressant de faire ce rapprochement. Cela fait comprendre que le rapport à la littéralité n'est pas qu'un retard de l'Islam comme beaucoup de chrétiens le pensent. Cela n'empêche pas que dans tous les supermarchés il y a des Corans bilingues. La plupart des musulmans ne parlent pas l'arabe et donc ils lisent le Coran dans leur langue.

C- Pour comprendre Jésus et le Prophète Muhammad

Les musulmans en général, pour parler de Muhammad, ils disent le Prophète tout simplement. On n'utilise pas actuellement le terme "Mahomet" parce qu'il est trop évocateur de la période des Croisades.
- Jésus et Marie dans le Coran
Dans le Coran, on parle de Jésus, de Marie, des Prophètes de l'Ancien Testament. Trois prophètes ont le statut d'envoyés. Ce sont Moïse parce qu'il a apporté la Torah, Jésus parce qu'il a apporté l'Evangile et Muhammad parce qu'il a apporté le Coran. Jésus et Marie ont une grande place. Il y a une sourate qui est consacrée entièrement à Marie, la sourate 19. Pour les musulmans, Jésus est le prophète le plus important après le prophète Muhammad, mais il n'est en aucun cas Dieu, ni le Fils de Dieu.. On dit que Jésus est né d'une vierge et dans la tradition musulmane, il est monté au ciel sans mourir.
Jésus a donc une place très importante et certains mystiques disent de lui que si Muhammad est le sceau de la Prophétie, Jésus est le sceau de la Sainteté. L'histoire assez houleuse des relations islamo chrétiennes durant plusieurs siècles a fait que jamais les musulmans n'ont cherché à développer l'étude de Jésus dans le Coran. Beaucoup de musulmans disent "mais pourquoi ne reconnaissez-vous pas Mohammad comme un prophète puisque nous, on reconnaît Jésus comme un prophète ? Pour eux reconnaître Jésus comme un prophète, ce n'est pas autre chose que ce que dit le Coran. Pour nous, reconnaître Muhammad comme un prophète ce n'est pas reconnaître ce que dit la Bible. Pour beaucoup Jésus avait en fait annoncé la venue du Prophète et pour eux les premiers chrétiens ont falsifié les Ecritures.
- Le prophétisme de Muhammad
Que pouvons-nous penser du Prophète Muhammad ? C'est un homme qui a vécu de 570 jusqu'en 632. Il a été un homme religieux, convaincu, il avait rencontré le monothéisme dans sa vie à la Mecque et il avait cette force spirituelle d'être militant dans sa foi monothéiste et de passer du temps à prier. Il faisait des retraites, il a certainement eu un certain nombre de révélations de Dieu comme peuvent en avoir la plupart de ceux qui vivent des expériences spirituelles et il a eu le courage d'en vivre et d'annoncer cette révélation de la foi monothéiste dans un pays polythéiste. En cela je pense que c'est quelqu'un d'admirable dans ce qu'il a fait et qu'on peut tout à fait dire qu'il a reçu des révélations de la part de Dieu et qu'il a été prophète en ce sens qu'il a fait partager ces révélations au péril de sa vie. Il a été plusieurs fois menacé de mort, lapidé et il a dû s'exiler à Médine.
Je pense qu'à partir du moment où il est allé à Médine, le seul moyen pour lui de développer l'Islam dans le contexte tribal de son époque c'était de combattre les autres tribus. Ensuite, il a donc été un chef militaire plutôt qu'un chef religieux, même si, pour lui, les deux étaient liés.
Maintenant, si un musulman vient me voir et me demande "es-tu prêt à reconnaître que Muhammad est prophète ?" Si je ne le connais pas, à priori, je lui dirai non. Pourquoi ? Parce que si je dis oui, étant donné que je reconnais qu'il n'y a qu'un seul Dieu et que je reconnais que Muhammad est son prophète, je suis musulman. Par contre si j'ai affaire à un groupe réel de dialogue avec des musulmans que je connais depuis longtemps, avec lesquels on a travaillé, je pourrai leur dire "oui, je crois que Muhammad était prophète dans ce qu'il a fait et dans ce qu'il a vécu. Mais le terme est piégé. Quand on parle, il faut non seulement se demander ce qu'on va dire mais quel est l'écho que cela va avoir dans d'autres cultures.


Conclusion

J'ai développé là trois aspects qui sont importants du dialogue simplement pour vous donner une idée des grosses questions qui se posent dans le dialogue islamo-chrétien. Mais surtout ne commencez pas par là dans un dialogue avec un musulman? Parlez de vos expériences. Dites "pour moi, quand je prie voilà ce que je vis ! Et toi, quand tu pries qu'est-ce que tu vis ?" Parlons de ce qu'on vit. Après on pourra peut-être voir quelques questions plus théoriques.

Débat à l'issue de cette conférence


Présentation par Philippe Guibard Comme curé de la paroisse.

Je suis heureux d'accueillir mon confrère Henri de la Hougue. Après son ordination au ministère presbytéral, il a été envoyé à Rome à l'Institut d'Islamologie et il est maintenant au Plessis-Robinson : Son intervention se situe dans le cadre d'une ouverture de notre Eglise au monde dans lequel nous vivons, un monde pluri-culturel, même à Châtenay-Malabry.

 

 

 
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