Présentation par Philippe Guibard
Introduction
Bonsoir à tous. Je suis donc prêtre au Plessis-Robinson.
Depuis plusieurs années, je m'intéresse au dialogue
avec les musulmans. Ce qui m'a amené à faire cela, c'était
une expérience de rencontre avec des musulmans notamment quand
j'étais à l'école en 1ère, Terminale et
que je faisais de l'entraide scolaire avec un marocain, chez lequel
j'allais toutes les semaines.
Le fait qu'il y avait beaucoup de musulmans dans le diocèse
m'interrogea alors que j'étais séminariste. J'ai souhaité
investir un petit peu là-dedans et on m'a dit "si tu veux
investir là-dedans, il n'y a pas trente six mille solutions,
il faut que tu te plonges dedans. Va faire un stage d'Arabe en Tunisie
ou ailleurs et essaie de voir si cela t'intéresse".
C'est ce que j'ai fait. J'ai fait un premier stage d'Arabe à
Tunis pendant un mois et demi et je suis resté un autre mois
là-bas. Ensuite comme cela m'intéressait, l'évêque
m'a proposé de poursuivre ma formation dans ce domaine. J'ai
continué de suivre des cours d'Arabe à la Fac à
Censier pendant le séminaire et j'ai fait d'autres stages d'Arabe,
à Tunis, à Rabat. J'ai essayé aussi étant
en insertion à Colombes de faire partie de l'ASTI, (l'Association
de Soutien aux Travailleurs Immigrés) avec laquelle nous préparions
un certain nombre de festivités communes. Il y a aussi des
musulmans qui sont venus à mon ordination.
Ensuite j'ai été à Rome faire cet Institut un
peu spécialisé dans l'étude de l'Islam en vue
du dialogue islamo-chrétien par le biais de la langue arabe.
J'y suis resté deux ans. Maintenant en paroisse, j'ai continué
un certain nombre d'études en théologie des religions
et je termine cette année une maîtrise en théologie
des religions à la Catho.
Je ne vais pas vous parler ce soir des bases de l'Islam, les cinq
piliers de l'Islam, la vie du prophète que vous pouvez trouver
vous-même dans n'importe quel ouvrage sur la question. L'idée
ce serait de prendre un peu de recul et de vous donner quelques clés
de compréhension. Je vais commencer par une partie sur l'Islam
en France.
On a beaucoup de préjugés sur l'Islam que l'on connaît
mal. Vous serez peut-être étonnés si je vous dis
que les musulmans arabes ne sont que 16% des musulmans du monde, que
l'Indonésie à elle seule compte autant de musulmans
que dans tout le monde arabe. Souvent dans les images qu'on a, on
a Islam = arabe = fondamentaliste = polygame, comme on dit très
caricaturalement : les protestants ne croient pas à la Vierge
Marie. Cela fait partie des choses complètement fausses mais
qui restent ancrées dans un fond de pensée véhiculé
par les journalistes. Très souvent, quand on veut faire une
présentation de l'Islam dans les médias on va montrer
de préférence des musulmans fondamentalistes ce qui
ne correspond pas du tout à la réalité des musulmans
en France.
I - L'ISLAM EN FRANCE
En France c'est un Islam qui se cherche, c'est comme cela qu'on peut
le définir. Il n'y a pas de représentativité
de l'Islam unique. Il y avait un califat après la vie du prophète,
mais ce califat a été souvent malmené et souvent
divisé puisqu'il y a eu plusieurs califats en même temps,
un à Cordoue, un à Tunis. Ensuite, le califat est parti
à Bagdad et puis à l'empire ottoman. Mais déjà
c'était un califat en déliquescence et à la fin
de la guerre de 14, à la chute de l'empire ottoman, personne
n'a repris le flambeau du califat. Personne ne s'est senti apte à
le reprendre. De toute façon, il ne représentait plus
une réelle unité du monde musulman.
Donc il n'y a pas un Islam, mais il y a des islams dans le monde.
En France aussi. Au lendemain de la guerre de 14-18, en France a été
décidée la construction d'une grande mosquée
à Paris qui rendrait honneur aux soldats musulmans morts pour
la France. C'est la grande mosquée de Paris.
1 Les vagues successives d'immigration
La guerre de 39-45 liera encore plus les musulmans du Maghreb et les
chrétiens de la métropole. Ensuite dans les trente glorieuses,
le besoin de main d'œuvre entraînera un afflux important d'immigrés.
La plupart de ces immigrés pensaient retourner au pays. Ils
n'ont pas pour la plupart été attentifs à avoir
des lieux de culte ni même à revendiquer une quelconque
religion parce que pour eux ils étaient surtout ici en transit
pour du travail dans le but de retourner ensuite au pays. C'était
un peu comme une parenthèse au niveau de la religion. Beaucoup
se sont mariés ici et ils n'ont pas transmis à leurs
enfants cet héritage religieux. Avec la crise, beaucoup ont
essayé de ramener leurs familles. Beaucoup sont restés
et quand ils ont eu enfants et petits enfants, plus personne ne voulait
repartir. Donc les musulmans relativement jeunes n'ont pas reçu
de transmission de leur foi. Où chercher cette foi, comment
vivre cette foi qui faisait vivre leurs ancêtres ?
2 Les problèmes polémiques
a - Affaire Ruschdie
Cette recherche identitaire va pousser les musulmans en France à
s'affirmer et notamment à résister à un certain
nombre de faits. Il y a eu l'affaire Rushdie en Grande-Bretagne. Salman
Rushdie a écrit un livre "les versets sataniques"
a été condamné à mort par l'Iran. Cela
n'a pas eu en France autant de retentissement qu'en Grande-Bretagne
mais cela a eu quand même pas mal d'importance.
b - Affaire de la mosquée de Charvieu
La 2ème affaire a été en 89 la destruction d'une
mosquée. A Charvieu, il y avait une ancienne usine qui servait
de mosquée. Tout le monde le savait. Mais le 16 août
le maire de Charvieu a fait détruire le bâtiment par
un bulldozer et cela a provoqué une crise si bien que la semaine
d'après tous les musulmans ont décidé d'aller
prier dehors sur le site et évidemment les caméras de
télévision étaient là. Le ministre de
l'Intérieur de l'époque, Pierre Joxe, a convoaué
le maire pour lui demander de s'expliquer. Le même été,
Michel Noir, à Lyon, annonce la construction de la grande mosquée
de Lyon.
c - Le foulard et la laïcité
Le 5 octobre 1989, c'est l'affaire du foulard islamique à Creil.
Trois collégiennes décident de porter le foulard et
sont exclues du cours. La presse s'en mêle si bien que les filles
évidemment se trouvent tout de suite en porte à faux
entre les caméras, la pression nationale et l'autorité
parentale et par derrière toute la tradition musulmane. L'affaire
a failli trouver une issue assez rapide s'il n'y avait pas eu derrière
un certain nombre d'Associations islamiques qui ont dit "il ne
faut pas céder parce qu'on a besoin, nous musulmans, de dire
qu'on a des droits, qu'on a des ambitions et à chaque fois
que les musulmans demandent quelque chose, on leur dit non."
Donc il ne faut pas céder. Beaucoup de mairies encore aujourd'hui
ont une politique un peu systématique de préemption
des terrains dès qu'ils entendent parler d'une association
qui voudrait construire une mosquée.
Le 27 novembre, le Conseil d'Etat a rendu publique le texte suivant
: "la liberté reconnue aux élèves comporte
pour eux le droit d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses
à l'intérieur des établissements scolaires dans
le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui et sans
qu'il soit porté atteinte aux activités d'enseignement,
au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité."
Ce qu'il faut retenir c'est qu'il ne faut surtout pas que les médias
s'en mêlent et que les filles de 14 ans peuvent régler
assez bien ces problèmes entre la direction et les parents.
Il faut savoir que le foulard n'est pas forcément un signe
d'islamisation. Dans la tradition, cela ne l'était pas. Il
existait déjà avant l'Islam pour séparer les
hommes des femmes à partir de la puberté. Ensuite il
a été instauré dans le Coran pour marquer juste
les femmes du Prophète. Par la suite, il y a eu un certain
nombre de califes et de personnalités de haut rang qui, pour
une question de distinction et d'honneur, ont voulu que leurs femmes
portent le voile pour les distinguer des autres femmes. Mais cela
n'avait pas de motif religieux. C'est après dans la tradition
et pour certaines tendances fondamentalistes que c'est devenu une
affirmation de l'islamité de la personne. Dans beaucoup de
pays, c'est tout simplement l'habit traditionnel du pays. Dans l'administration
en Tunisie il est interdit de porter un voile.
Problèmes posés à la laïcité
Toutes ces questions ont posé des problèmes à
la laïcité qui s'est vue remise en cause notamment pour
la question des repas. C'est vrai qu'il est important pour les musulmans
de leur donner l'opportunité de ne pas manger de porc, surtout
maintenant où dans les cantines il y a de plus en plus souvent
des selfs. Maintenant de plus en plus de musulmans exigent que dans
les cantines il y ait de la viande qui ait été égorgée
en prononçant le nom de Dieu. Cela pose des problèmes
bien plus complexes.
Je vous ai dit que l'Islam n'avait pas de représentativité
en France. C'est un problème auquel l'Etat a essayé
de remédier depuis notamment Pierre Joxe qui avait essayé
de convoquer un Conseil des organisations représentatives de
l'Islam en France. En fait cela n'a pas marché parce que les
Associations étaient trop divisées et trouvaient que
la Grande Mosquée de Paris avait un poids trop important, du
fait qu'elle était liée avec le gouvernement algérien.
Le 28 janvier 2000, le ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre
Chevènement a réuni des personnalités qualifiées
afin de participer à une consultation pour valider les principes
et les fondements juridiques régissant les rapports entre les
pouvoirs publics et le culte musulman en France. Il semble que cela
a eu plus de succès parce qu'il y a eu une meilleure représentativité
des Associations et des organisations islamiques. Mais tout n'est
pas encore très simple.
En France, l'Islam se cherche. Il y a plusieurs Associations qui essayent
d'aider les musulmans. Il y a la Grande Mosquée de Paris qui
fédère un certain nombre de musulmans. Ils ont fait
des articles "la Charte du Culte Musulman en France" dans
lequel ils disent : "Grâce à ces institutions, le
culte musulman en France sera à même de mieux favoriser
le progrès moral de ses membres, l'avenir de la vie culturelle
de ses jeunes, d'organiser la solidarité envers les déshérités,
de participer à la lutte contre les fléaux sociaux,
d'éviter les dérives politiques et les idéologies
dommageables pour l'intérêt national. Les musulmans en
France ont des origines diverses, mais ils ont vocation à s'unir
et à s'organiser en respectant la pluralité de leurs
sensibilités qui est une richesse. La cohésion sociale
et l'unité de la France ne sont pas fondées sur une
religion, mais sur une volonté, celle de vivre ensemble et
de partager les principes de la Déclaration des Droits de l'Homme
et du Citoyen et des valeurs républicaines. Les musulmans vivant
en France, qu'ils soient Français ou étrangers y vivent
par choix et sont conscients que leur participation à la communauté
nationale leur donne des droits et leur impose des devoirs."
3 - L'Islam dans sa diversité
Cet Islam, vous le voyez, n'est pas un Islam fondamentaliste, c'est
un Islam qui se veut un Islam en France, qui respecte les lois et
qui essaye d'être attentif à construire l'Islam en France.
L'U.N.O.I.F. (l'Union des Organisations Islamiques de France) qui
a été fondée en 1983 est une organisation qui
gagne un peu en importance. Au départ, elle était assez
proche des "Frères Musulmans". A partir de 89, 90,
elle s'est plus concentrée à être au service de
l'Islam en France et elle s'est beaucoup ouverte. Elle organise chaque
année des rassemblements. Il y a un rassemblement annuel au
Bourget, vers Noël. En 92, il y a eu dix mille participants et
ça va maintenant jusqu'à vingt mille.
En 92, elle a ouvert le seul vrai centre de formation d'imams, dans
la Nièvre, qui s'appelle l'Institut Européen des Etudes
Islamiques et qui est un lieu de formation des imams pour l'Europe.
Ils essayent de faire une formation très centrée autour
de l'Islam et de la langue arabe, mais l'enjeu c'est quand même
de former des imams pour la France. Dans l'Islam, il n'y a pas de
clergé. Est imam celui qui est devant, qui préside la
prière, en général celui qui connaît le
mieux le Coran, donc celui qui est capable de réciter le Coran
par cœur. Cela ne correspond pas toujours aux plus ouverts.
La difficulté, c'est qu'un certain nombre de mosquées,
du coup, font appel à des imams extérieurs si elles
en ont les moyens et notamment des imams d'Algérie, du Maghreb,
etc, dont certains ne parlent même pas le français. C'est
le cas par exemple, à la mosquée d'Asnières où
il y avait de très bons rapports avec la paroisse et les rapports
ont été rendus un peu plus difficiles depuis ces dernières
années parce qu'il est arrivé un nouvel imam qui ne
parle pas français. Quelqu'un qui ne parle pas Français,
on ne peut pas dire qu'il soit vraiment inséré et qu'il
puisse aider les gens à vivre leur Islam en France.
Dans leur formation, l'Institut faisait venir jusqu'à il y
a quelques années des moines de la Pierre-qui-Vire pour expliquer
le christianisme aux étudiants. Le Directeur de l'Institut
et le Directeur des Etudes font partie d'un groupe islamo-chrétien
avec notre ancien vicaire général, Francis Deniau qui
est évêque de la Nièvre.
Il y a d'autres Associations musulmanes et en particulier des Associations
de jeunes. Il y a "l'Union des Jeunes Musulmans", les "Jeunes
Musulmans de France (J.M.F.) dont l'un des statuts est "Organiser
et coordonner au profit des jeunes musulmans des activités
sociales, éducatives, culturelles, sportives, humanitaires,
économiques. Apporter assistance et aide selon les moyens de
J.M.F. aux jeunes dans leur vie quotidienne, par le soutien scolaire,
la formation professionnelle, l'aide à l'emploi, l'éducation
permanente. Défendre et représenter les intérêts
des jeunes musulmans de France, participer à l'évolution
et à l'essor de la population française, établir
des relations d'amitié et de coopération avec les autres
organisations similaires."
4 - Quelques personnalités
Il y a quelques personnalités fortes dans l'Islam de France
qui attirent beaucoup les jeunes et dans lesquelles ils se reconnaissent.
Il y a Tarik Ramadan. Il est de nationalité suisse. C'est le
fondateur des "Frères Musulmans" en Egypte. Il a
un discours qui insiste sur l'ouverture à l'ensemble de la
société française et il pense que la présence
des musulmans en Europe va aider à sortir la réflexion
islamique de son carcan traditionnel. Tout en maniant un discours
assez traditionnel, il intervient régulièrement en France
pour appeler à un Islam français.
Autre personnalité Larbi Kechat qui est le recteur de la mosquée
de Paris située rue de Tanger. Ce n'est pas une mosquée
en bonne et due forme, elle ressemble plus à un hangar, mais
elle a beaucoup d'influence. Son recteur a eu une formation religieuse
classique en Algérie. Il a étudié la sociologie
en France. Il est docteur en Sorbonne et dans les années 70,
il a innové en proposant aux fidèles un prêche
bilingue. En 79, il est devenu recteur de cette grande mosquée
de la rue de Tanger à Paris, la plus grande mosquée
de France en nombre de fidèles. Dans ses discours, il fait
aussi toutes les semaines des conférences dans lesquelles il
invite d'autres personnes que des musulmans à parler, notamment
un certain nombre de prêtres. Il a été assigné
à résidence en 1994 à Folembray comme un certain
nombre de musulmans, mais il a eu un certain nombre de soutiens et
de solidarité qui ont fait croître sa notoriété.
Enfin Hassam Ikuioussen né dans le Nord de la France s'est
vraiment intéressé à l'Islam, il est entré
à 17 ans dans l'U.O.I.F. et il a créé la branche
jeunes (J.M.F.) dont il sera le président jusqu'en 96. Il est
marié, père de cinq enfants, et il essaie de faire un
certain nombre de conférences pour un Islam vraiment français.
En voici un extrait : "Même quand je dis qu'il faut respecter
les lois françaises parce que nous avons signé un contrat
en signant notre carte d'identité ou de séjour, si vous
vivez en France sans en respecter les lois, vous vivez en contradiction
avec l'Islam lui-même. Si le contrat que vous avez signé
avec la France ne vous convient pas rendez votre carte et quittez
la France !"
5 - Une pratique assez faible
La plupart des musulmans en France ne sont pas plus pratiquants que
les chrétiens, la plupart ne pratiquent pas les cinq prières
(10% selon un interview réalisé à Marseille auprès
des musulmans). Par contre c'est vrai que le Ramadan est devenu depuis
quelques années, le lieu par lequel les musulmans se disent
musulmans.
Ce tableau est très confus mais c'est parce que c'est le reflet
de l'Islam en France. Il n'y a pas de courant majoritaire. Chaque
mosquée a ses tendances, chaque Association a ses revendications.
La plupart des jeunes musulmans aujourd'hui en ont assez des querelles
de leurs parents qui étaient des querelles nationales. Ils
en ont assez d'entendre des imams qui leur parlent arabe alors qu'eux-mêmes
ne le comprennent pas. Donc ils souhaitent vraiment un Islam français
où ils puissent s'exprimer et avoir leur place.
II - LES GRANDES QUESTIONS DU DIALOGUE
ENTRE MUSULMANS ET CHRETIENS
A ) COMPRENDRE LA FOI AU DIEU UNIQUE
1 - Unicité de Dieu
Souvent quand on pense à l'Islam, on imagine un Dieu très
haut, très lointain. Très spontanément on va
dire ; l'Islam c'est une religion où on a le même Dieu
mais c'est un Dieu qui est plus lointain, parce qu'ils n'ont pas Jésus
Christ. C'est un Dieu qui est plus haut, qui est moins proche. C'est
un peu l'image qu'on a : Dieu qui domine de haut. Or dans l'Islam,
la grandeur de Dieu et l'unicité de Dieu, c'est justement d'être
proche de l'homme au quotidien. C'est cela qui fait sa grandeur. Dire
que Dieu est grand, qu'il est unique, ce n'est pas tant l'affirmation
de la transcendance de Dieu que l'affirmation que Dieu est proche
de chaque homme et de chaque femme. Et il est tellement proche que
à chaque instant de la vie, on le rappelle. Le muezzin qui
retentit cinq fois par jour, le nombre de fois où les musulmans
disent Inch Allah ou autres, toutes ces réflexions qui sont
faites parfois machinalement redisent que dans toute chose Dieu est
présent.
Le principe de base dans l'Islam, c'est la foi au Dieu unique. Si
on voulait résumer l'Islam en une chose, ce serait Dieu est
unique. C'est le message de l'Islam, c'est la réalité
transcendante par rapport à laquelle, il n'y a rien de plus
à ajouter. Pour eux toute la Révélation? depuis
Moïse, en passant par Jésus jusqu'au Coran? ne fait que
dire cette réalité unique "il n'y a qu'un seul
Dieu". Quand on a dit cela, ce n'est pas simplement une affirmation
de foi comme ça, c'est une affirmation qui va avoir des répercutions
dans toute la vie du musulman.
Voici la première sourate du Coran, sourate qui est autant
priée, sinon plus, par les musulmans que les chrétiens
prient le Notre Père : "Au nom de Dieu, celui qui fait
miséricorde, le Miséricordieux, louange à Dieu,
Seigneur des mondes, Celui qui fait miséricorde, le Roi du
Jour du Jugement. C'est Toi que nous adorons, c'est Toi dont nous
implorons le secours. Dirige-nous dans le chemin droit, le chemin
de ceux que tu as comblés de bienfaits, non pas le chemin de
ceux qui encourent ta colère ni celui des égarés."
Vous savez que le premier des piliers de l'Islam, c'est la profession
de foi : j'atteste qu'il n'y a pas de Dieu en dehors de Dieu et que
Muhammad est son envoyé. Il suffit, à la limite, en
cas de danger de mort, de dire uniquement cette phrase et on devient
musulman. Et dans cette phrase, c'est la première partie qui
est la plus importante.
On dit cette sourate plusieurs fois par jour et dans chaque prière.
Donc cette unicité de Dieu c'est le plus haut degré
de la révélation, mais cela veut dire que profondément
il y a Dieu et il y a le reste. Autrement dit, il y a dans l'Islam
une dualité profonde entre l'homme qui n'est que créature
et Dieu qui est le créateur. Puisque il y a un seul Dieu et
que Dieu est l'unique, le créateur, cela veut dire que l'homme
est profondément fait pour adorer Dieu, pour être tourné
vers Dieu.
Islam veut dire soumission. Ce n'est pas soumission au sens où
on obéirait au radar, mais cela veut dire que tout l'être
du musulman est par nature tourné vers Dieu. Cette dualité
marque profondément la conception de Dieu dans l'Islam et tellement
profondément que cela devient une différence très
importante par rapport au christianisme puisqu'il n'y a pas dans l'Islam
de participation possible de l'homme à la vie divine. Les chrétiens
espèrent et vivent déjà de manière sacramentelle
une participation à la vie de Dieu et c'est en cela que nous
espérons trouver notre bonheur. Quand le prêtre verse
la goutte d'eau dans le vin il dit "puissions-nous être
unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité"
Dans l'Islam, c'est impensable. Il n'y aura jamais de participation
de l'homme à la vie de Dieu puisqu'il y a profondément,
fondamentalement cette idée que Dieu est unique.
Dans la sourate 7, au verset 172 il est dit "Quand ton Seigneur
tira une descendance des fils d'Adam, il les fit témoigner
contre eux-mêmes : "Ne suis-je pas votre Seigneur ?"
- Ils dirent : "Oui, nous en témoignons" et cela
pour que vous ne disiez pas au jour de la résurrection "nous
avons été pris au dépourvu". Cela veut dire
que dès la création, il y a eu cette prise de conscience
que Dieu était le Seigneur. C'est pour cela que dans l'Islam,
tout homme naît musulman. Cela ne veut pas dire forcément
qu'il est de la religion musulmane, mais cela veut dire qu'il est
tourné vers Dieu, qu'il reconnaît naturellement qu'il
est orienté vers Celui qui est le créateur et que lui
n'est que créature.
Au chapitre 30, verset 30, le Coran dit : "Acquitte-toi des obligations
de la religion en vrai croyant et selon la nature que Dieu a donnée
aux hommes en les créant."
Dans la tradition musulmane, il y a le Coran, mais il y a aussi le
"hadith". Le hadith c'est tous les dires du Prophète
qui ne font pas partie du Coran. Quand il a dicté le Coran,
il entrait dans une sorte de transe et ses disciples notaient ce qu'il
disait. Il fallait noter tout ce que disait le Prophète et
parfois il disait des choses qui n'étaient pas des révélations.
Tout cela a été retenu, noté, mis en recueil
parce que le Prophète est devenu le modèle. Donc on
a écrit des tas de choses sur ses faits et dires et on en a
même inventé. Beaucoup de ces recueils s'appellent "les
Authentiques" ce qui signifie qu'il y en plein d'autres qui ne
sont pas authentiques. Dans ces hadith, on dit par exemple "un
homme entendit un autre homme réciter continuellement la sourate
112. Le lendemain, il vint voir le Prophète et lui demanda
si cela suffisait. Il répondit "Par Celui dont mon âme
est entre les mains cela équivaut à un tiers de la récitation
du Coran." Or, c'est une sourate qui se trouve à la fin
du Coran et qui affirme l'unicité de Dieu. Elle dit "Dieu
est Un, Il est l'Impénétrable, il n'engendre pas , il
n'est pas engendré. Nul n'est égal à lui."
Cela est vécu aujourd'hui comme un principe de libération.
Pour les musulmans, l'unicité de Dieu c'est le moyen de se
libérer de tout l'esclavage du péché. Quand on
est esclave de ses préoccupations, du péché et
de tout ce qui va mal, il faut retourner à l'unicité
de Dieu, à cette proclamation. Le fait de dire "je crois
qu'il n'y a pas de Dieu en-dehors de Dieu, c'est une manière
de dépasser son péché et de se rapprocher de
Dieu. Il y a une sorte de dynamisme dans cette proclamation de l'unicité
de Dieu.
2 - Unicité dans l'Islam et Trinité
chrétienne
Evidemment par rapport à cela quand les musulmans doivent rencontrer
des chrétiens et qu'on évoque la question de la Trinité,
ce n'est pas évident pour eux, d'autant que beaucoup de musulmans
ont des caricatures sur les chrétiens notamment ceux qui vivent
dans les pays musulmans où ils fréquentent peu de chrétiens
et ne sont pas très cultivés. Pour eux, le chrétien
croit en trois dieux qui sont le Père, le Fils et la Vierge
Marie. Cela fait partie des caricatures. Ceux qui vivent en France
s'aperçoivent que ce n'est pas la réalité. Mais
vous comprenez bien qu'au fond d'eux-mêmes, ils auront toujours
une réticence.
Ce ne sera jamais facile pour eux d'accepter que les chrétiens
croient en un Dieu en trois personnes. Déjà nous, quand
on essaie de l'expliquer, ce n'est pas évident, mais pour eux
qui ont ce culte de l'unicité de Dieu et pour qui le seul péché
impardonnable c'est d'associer d'autres personnes à Dieu, c'est
très difficile d'accepter que les chrétiens croient
en un seul Dieu.
B - Pour comprendre la Parole de Dieu
dans l'Islam
- Origine du Coran
Dans l'Islam, au moins dans la version traditionnelle, quand le prophète
a reçu la révélation, en l'année 610,
alors que lui-même était un homme religieux et qu'il
faisait des retraites dans des grottes près de La Mecque, l'Ange
Gabriel est venu le voir et lui a dit "récite" -
Il a répondu "mais je ne sais pas lire !" Par trois
fois, l'Ange a répété "Récite"
et à chaque fois, le prophète disait "je ne sais
pas lire" et la 3ème fois, il a senti des paroles qui
retentissaient en lui et il a récité ces paroles. C'est
le début de la sourate 96 qui raconte cette histoire. Le Prophète
s'est senti comme possédé. La tradition dit même
qu'il a essayé de se suicider et l'Ange l'a retenu en lui expliquant
qu'il était l'Ange Gabriel. Ensuite, à chaque fois,
le Prophète recevait des paroles de la part de Dieu et les
transmettait aux hommes.
- Le Coran incréé
Dans la tradition musulmane, le prophète n'a été
que le moyen par lequel Dieu a parlé. Contrairement à
la Bible, il n'y a pas de style Muhammad comme il y a un style Matthieu,
un style de Marc, un style de Luc.. etc. Le Prophète est celui
qui a dit la Parole de Dieu telle quelle a été reçue.
Il n'a été que l'instrument matériel pour prononcer
la parole. Donc cette parole est parfaite. Il n'y a pas une phrase
mise à un endroit d'une manière imparfaite. Il n'y a
pas un mot, pas une lettre qui ne soient à la place voulue
par Dieu. Cela veut dire que ce qui est Parole de Dieu, ce n'est pas
simplement le contenu, mais c'est aussi la forme. Un jour on vient
voir le Prophète et on lui dit "fais un miracle pour nous
prouver que tu viens de Dieu". Il répond "le miracle
c'est le Coran."
- Traduction et exégèse du Coran
Le Coran est inimitable, il est parfait. On n'a pas le droit de le
toucher et c'est pour cela qu'il est toujours représenté
dans un cadre. On n'a pas le droit de modifier ce qu'il y a dans le
cadre. Du coup, la difficulté c'est que ce Coran ne peut être
traduit. Tous ceux qui ont essayé de faire la traduction ont
bien vu que, lorsqu'on essaye de traduire des langues, il n'y a pas
des équivalents. On peut traduire les idées mais on
ne peut pas traduire les lettres. Et si on traduit, on perd la perfection.
Il suffit de le transformer à peine pour qu'il perde son caractère
d'absolu et de perfection et pour qu'il ne soit plus divin. Dans toutes
les traductions du Coran, il y a écrit non pas "traduction
du Coran" mais "essai d'interprétation du Coran inimitable".
On serait presque tenté d'en rire. Ce serait ne pas tenir compte
de deux choses : d'abord que l'évolution dans l'exégèse
catholique est assez récente et qu'il a fallu attendre le Concile
Vatican II pour que la vision puisse changer. Loisy en 1907 a été
interdit d'enseignement parce qu'il affirmait que le livre de la Genèse
n'était pas un livre du genre historique, donc pas à
prendre au pied de la lettre. Il faut être assez modeste parce
qu'on a bénéficié d'une formidable évolution
qui nous a permis de découvrir plein de choses mais cela a
été un accouchement douloureux.
Lecture du Coran et Sacrement
La deuxième chose c'est que dans l'Islam, le fait de la littéralité
de la lettre permet un autre type de rencontre avec Dieu. Si la Bible
est une Parole de Dieu, mais ce qui est la Parole de Dieu, c'est le
Christ. Le Christ est comme dit St Jean, le Verbe, la Parole. Or si
nous cherchons ce qui dans notre vie correspond aux rencontres entre
notre vie et le Christ, les rencontres les plus fortes sont les rencontres
sacramentelles. Le sacrement c'est un symbole par lequel nous entrons
dans une relation la plus réelle possible avec Dieu. Or ce
rapport sacramentel est soumis à une certaine littéralité.
Il y a un symbole et si on ne respecte pas le symbole, il n'y a pas
la rencontre. Si je célèbre la messe et que je ne dis
pas les paroles de la consécration, la messe n'est pas valide.
Il n'y a pas de sacrement. Donc le sacrement est aussi soumis à
une certaine forme de littéralité. Quand on essaie d'y
être fidèle on croit, nous chrétiens, que dans
un sacrement se vit une rencontre réelle entre le Christ et
l'homme par le biais du symbole.
Le musulman qui lit le Coran en Arabe vit ce même type de rapport.
Il va rentrer dans le monde de Dieu. C'est le rapport symbolique par
lequel il va se mettre en présence de Dieu. Et quand il va
lire la Parole de Dieu en arabe, il va, en quelque sorte, rendre Dieu
présent dans sa vie. S'il le lit chez lui dans une circonstance
donnée, il va rendre Dieu présent dans cette situation
donnée. Lire le Coran pour un musulman, ce n'est pas simplement
maintenir des traditions, ce n'est pas simplement maintenir des choses
anciennes ou faire comme les parents ont fait, mais c'est vraiment
vivre un symbole liturgique qui permet une mise en présence
de Dieu dans la vie concrète de tous les jours. S'il le prie
en français ou dans une autre langue, il n'y aura pas ce qui
fait le cœur de ce symbole.
Ce que je vous dis là, c'est un rapprochement pédagogique,
ce n'est pas un rapprochement théologique. Je ne dis pas qu'il
y a des sacrements dans l'Islam. Mais je trouve que c'est intéressant
de faire ce rapprochement. Cela fait comprendre que le rapport à
la littéralité n'est pas qu'un retard de l'Islam comme
beaucoup de chrétiens le pensent. Cela n'empêche pas
que dans tous les supermarchés il y a des Corans bilingues.
La plupart des musulmans ne parlent pas l'arabe et donc ils lisent
le Coran dans leur langue.
C- Pour comprendre Jésus et le Prophète Muhammad
Les musulmans en général, pour parler de Muhammad, ils
disent le Prophète tout simplement. On n'utilise pas actuellement
le terme "Mahomet" parce qu'il est trop évocateur
de la période des Croisades.
- Jésus et Marie dans le Coran
Dans le Coran, on parle de Jésus, de Marie, des Prophètes
de l'Ancien Testament. Trois prophètes ont le statut d'envoyés.
Ce sont Moïse parce qu'il a apporté la Torah, Jésus
parce qu'il a apporté l'Evangile et Muhammad parce qu'il a
apporté le Coran. Jésus et Marie ont une grande place.
Il y a une sourate qui est consacrée entièrement à
Marie, la sourate 19. Pour les musulmans, Jésus est le prophète
le plus important après le prophète Muhammad, mais il
n'est en aucun cas Dieu, ni le Fils de Dieu.. On dit que Jésus
est né d'une vierge et dans la tradition musulmane, il est
monté au ciel sans mourir.
Jésus a donc une place très importante et certains mystiques
disent de lui que si Muhammad est le sceau de la Prophétie,
Jésus est le sceau de la Sainteté. L'histoire assez
houleuse des relations islamo chrétiennes durant plusieurs
siècles a fait que jamais les musulmans n'ont cherché
à développer l'étude de Jésus dans le
Coran. Beaucoup de musulmans disent "mais pourquoi ne reconnaissez-vous
pas Mohammad comme un prophète puisque nous, on reconnaît
Jésus comme un prophète ? Pour eux reconnaître
Jésus comme un prophète, ce n'est pas autre chose que
ce que dit le Coran. Pour nous, reconnaître Muhammad comme un
prophète ce n'est pas reconnaître ce que dit la Bible.
Pour beaucoup Jésus avait en fait annoncé la venue du
Prophète et pour eux les premiers chrétiens ont falsifié
les Ecritures.
- Le prophétisme de Muhammad
Que pouvons-nous penser du Prophète Muhammad ? C'est un homme
qui a vécu de 570 jusqu'en 632. Il a été un homme
religieux, convaincu, il avait rencontré le monothéisme
dans sa vie à la Mecque et il avait cette force spirituelle
d'être militant dans sa foi monothéiste et de passer
du temps à prier. Il faisait des retraites, il a certainement
eu un certain nombre de révélations de Dieu comme peuvent
en avoir la plupart de ceux qui vivent des expériences spirituelles
et il a eu le courage d'en vivre et d'annoncer cette révélation
de la foi monothéiste dans un pays polythéiste. En cela
je pense que c'est quelqu'un d'admirable dans ce qu'il a fait et qu'on
peut tout à fait dire qu'il a reçu des révélations
de la part de Dieu et qu'il a été prophète en
ce sens qu'il a fait partager ces révélations au péril
de sa vie. Il a été plusieurs fois menacé de
mort, lapidé et il a dû s'exiler à Médine.
Je pense qu'à partir du moment où il est allé
à Médine, le seul moyen pour lui de développer
l'Islam dans le contexte tribal de son époque c'était
de combattre les autres tribus. Ensuite, il a donc été
un chef militaire plutôt qu'un chef religieux, même si,
pour lui, les deux étaient liés.
Maintenant, si un musulman vient me voir et me demande "es-tu
prêt à reconnaître que Muhammad est prophète
?" Si je ne le connais pas, à priori, je lui dirai non.
Pourquoi ? Parce que si je dis oui, étant donné que
je reconnais qu'il n'y a qu'un seul Dieu et que je reconnais que Muhammad
est son prophète, je suis musulman. Par contre si j'ai affaire
à un groupe réel de dialogue avec des musulmans que
je connais depuis longtemps, avec lesquels on a travaillé,
je pourrai leur dire "oui, je crois que Muhammad était
prophète dans ce qu'il a fait et dans ce qu'il a vécu.
Mais le terme est piégé. Quand on parle, il faut non
seulement se demander ce qu'on va dire mais quel est l'écho
que cela va avoir dans d'autres cultures.
Conclusion
J'ai développé là trois aspects qui sont importants
du dialogue simplement pour vous donner une idée des grosses
questions qui se posent dans le dialogue islamo-chrétien. Mais
surtout ne commencez pas par là dans un dialogue avec un musulman?
Parlez de vos expériences. Dites "pour moi, quand je prie
voilà ce que je vis ! Et toi, quand tu pries qu'est-ce que
tu vis ?" Parlons de ce qu'on vit. Après on pourra peut-être
voir quelques questions plus théoriques.
Débat à l'issue de
cette conférence
Présentation par Philippe Guibard Comme
curé de la paroisse.
Je suis heureux d'accueillir mon confrère Henri de la Hougue.
Après son ordination au ministère presbytéral, il a été envoyé à Rome
à l'Institut d'Islamologie et il est maintenant au Plessis-Robinson
: Son intervention se situe dans le cadre d'une ouverture de notre
Eglise au monde dans lequel nous vivons, un monde pluri-culturel,
même à Châtenay-Malabry.