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   On en parle depuis longtemps…  
     
   Germinal 121, avril 2001  
   
On en parle depuis longtemps. Ecoutons par exemple l'étonnant dialogue rapporté par Hérodote entre Crésus, le dernier roi de Lydie, l'homme le plus riche du monde, et le grec Solon, qui a tout vu, qui sait tout et qui passait justement par là. La scène se situe à Sardes pas très loin de l'actuelle Smyrne en Turquie environ 550 avant Jésus Christ. Le roi lui montre avec force détails toutes ses richesses, tout son or, et lui demande mine de rien: " Le désir m'est venu, aujourd'hui, de te demander si tu as vu quelqu'un qui fût le plus heureux des hommes ". Hérodote ajoute, mais on s'en doutait, que lui, Crésus, se croyait le plus heureux des hommes et que c'était pour cette raison qu'il lui posait la question . La réponse est inattendue : " Oui seigneur, c'est Tellos d'Athènes. ". Tellos ! un illustre inconnu, quelque chose comme Dupont ou Durand, pas de quoi s'extasier. La suite est plus intéressante : " Tout d'abord, citoyen d'une cité prospère, il eut des fils beaux et vertueux et il a vu naître chez eux des enfants qui tous ont vécu. Puis, entouré de toute la prospérité dont on peut jouir chez nous, il a terminé sa vie de la façon la plus glorieuse : il combattit pour sa patrie, mit l'ennemi en déroute et périt héroïquement. " Tout le monde a compris, sauf Crésus.
Il s'agit d'un homme et pas d'une femme.
D'un athénien , et pas d'un métèque.
Sa descendance est assurée.
Il a eu une vie exemplaire et surtout, il est mort ; rien ne peut plus lui arriver, comme si pour un Grec le pire était à venir.
L'essentiel est dit.
Les textes bibliques qui traitent du sujet ne sont pas tous non plus spécialement enthousiastes : le livre de Job, si criant de vérité et si poignant, cette vision en creux du bonheur, n'incite pas à un optimisme exagéré et les " Paroles de Qohélet ", fils de David sonnent comme celles de Solon :
"Mieux vaut le jour de la mort que le jour de la naissance."
Mieux vaut aller à la maison du deuil qu'à la maison du banquet puisque c'est la fin de tout homme ".
Tout au plus accepte-t-il de se contenter d'un petit bonheur , d'une sorte de bonheur minimum de survie : " Il n'y a de bonheur pour l'homme que le manger et le boire et dans le bonheur qu'il trouve dans son travail " (ce qui n'est peut-être pas si mal).
En revanche le Cantique des Cantiques qui ne parle pas exactement de bonheur mais de l'amour, son proche parent, est nettement plus vivifiant (tout le monde garde en mémoire les accents passionnés du fiancé pour la fiancée), et Isaïe, dans son " festin divin ", annonce un espoir qui le submerge mais nous parle, là encore, plutôt de joie que de bonheur.
Que dire de l'apport du christianisme à l'idée de bonheur ? On peut parier qu'il s'agit bien de cela quand François d'Assise évoque ses " frères les oiseaux " ou son " frère le loup " et je crois bien déceler quelque chose du même ordre sur le visage des élus tels que les peint Giotto dans son jugement dernier de la chapelle de Padoue.
Mais on retrouve presque toujours, chez ceux qui ont connu le pouvoir suprême, le même sentiment de lassitude désenchantée. Abdel Rahman III par exemple, qui avait régné sur Cordoue pendant cinquante ans n'affiche pas la joie : " Cinquante ans se sont écoulés depuis que je suis khalife. Trésors, honneurs, plaisirs, j'ai joui de tout , j'ai tout épuisé. Les rois, mes rivaux, m'estiment, me redoutent et m'envient. Tout ce que les hommes désirent m'a été accordé par le Ciel. Dans ce long espace d'apparente félicité, j'ai calculé le nombre de jours où je me suis trouvé heureux : ce nombre se monte à quatorze ".
Tout cela n'est pas très réjouissant !
Que dire de plus sinon que le bonheur apparaît comme très intime, très personnel, et finalement incommunicable, qu'il ne faut surtout pas confondre avec la joie et encore moins avec le plaisir. Quelque chose de fugitif, d'incontrôlable, de fragile, d'insaisissable, que l'on peut atteindre sans rechercher, qui ressemble à une chance, à une grâce, finalement quelque chose d'indéfinissable et qui, de toute façon, vient en plus, est donné par surcroît... On aura presque tout dit quand on aura compris que le bonheur est plus souvent attendu que vécu.
Heureusement, on est quelquefois heureux sans le savoir : dans un exposé récent, Luc Ferry nous proposait à ce sujet un petit exercice d'hygiène mentale qui me paraît salutaire . " Pensez un instant à ceux que vous aimez et imaginez votre vie s'ils n'étaient plus là ! ! ! ". Le mot de la fin revient probablement à Jacques Prévert qui disait la même chose mais d'une façon plus poétique : " Je reconnais mon bonheur au bruit qu'il fait en partant ".

Michel VANDEVYVER

 
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