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La foi est un dialogue. Mgr
Pierre Claverie, évêque d'Oran, l'a magnifiquement écrit
il y a quelques années et l'a aussi payé de sa vie. Les
islamistes, qu'il contrariait sérieusement en affirmant cela,
ne lui ont pas pardonné ; pas plus qu'aux moines de Tibérine,
qui en étaient un témoignage trop voyant. Les attentats
du 11 septembre dernier et ce que l'on a découvert depuis en
Afghanistan, confirment une fois de plus, que le dialogue avec l'islam,
si tant est qu'il puisse être établi, ne va pas de soi.
Même si l'arbre ne doit pas cacher
la forêt, comment pouvons-nous faire la part des choses entre
islam et islamisme ? Qui peut nous dire où passe la frontière
entre l'un et l'autre ? Dans quel pays à majorité musulmane
existe cet islam, qu'on nous dépeint à longueur de journée,
comme synonyme de tolérance et de modération ? Au Maroc,
au Kazakhstan, où Jean-Paul II a été accueilli
en ami ? Peut-être. Mais en dehors de ces deux cas, qui paraissent
constituer une exception, force est de constater que l'attitude, qui
domine ailleurs, est tout autre : c'est précisément l'abus
de position dominante. Nombre de nos frères en Christ, vivant
dans ces pays, sont humiliés quotidiennement et persécutés
pour leur foi. Et ceci d'une manière massive, comme l'a bien
montré un rapport de l'ACAT au printemps dernier.
Les chrétiens pourchassés
Au Pakistan, que l'actualité a
mis tragiquement en lumière récemment à la suite
d'un mitraillage dans une église, où onze d'entre eux
ont été tués, les chrétiens sont en permanence
victimes de lois d'Etat iniques. Notamment celle sur le blasphème,
qui stipule que toute personne, qui aura injurié le Coran et
son prophète, encourt la peine de mort. Il suffit que l'un de
ses voisins le dénonce de manière arbitraire, pour qu'un
chrétien soit immédiatement arrêté et condamné
à la peine capitale. Ils sont des dizaines à subir ce
sort chaque année et leurs évêques se battent en
permanence contre cette injustice, au point d'y laisser eux-mêmes
leur vie ; ainsi Mgr John Joseph, conduit en mai 1998 à se donner
la mort, pour protester contre l'injustice faite à l'un de ses
fidèles, qu'il avait défendu jusqu'au bout.
Au Soudan, où les églises
sont rasées et les chrétiens déplacés de
force, Mgr Zubeir Wako, archevêque de Khartoum, a lancé
ce cri désespéré : " Nous les chrétiens
du Soudan, pensons que nous avons été oubliés du
monde ".
Au Nigéria, pays le plus peuplé
d'Afrique où ils représentent 45% de la population, les
chrétiens subissent des brimades quotidiennes depuis 1999, à
cause de l'application de la loi islamique décrétée
par plusieurs Etats du nord. Certains d'entre eux ont été
violemment attaqués et leurs églises détruites,
notamment en février 2000, dans l'Etat de Kanuda, par des musulmans
qui voulaient leur imposer la charia.
800 000 chrétiens travaillent en
Arabie Saoudite et ne peuvent afficher leur foi. Ils savent parfaitement
que le simple fait de prier, même chez soi, peut déclencher
les foudres de la police religieuse wahhabite et qu'ils n'auront jamais
droit à un lieu de culte dans ce pays.
En Egypte, des islamistes au nombre d'une
centaine, arrêtés en janvier 2000 pour avoir assassiné
20 membres de la communauté copte, ont été acquittés
après une parodie de procès.
En Iran, ceux qui se convertissent au
christianisme sont arrêtés et jugés ; leurs enfants
leur sont retirés et placés de force dans un centre de
rééducation islamique.
En Indonésie, sur l'Ile de Timor
ou sur l'archipel des Moluques, 10 000 chrétiens ont été
tués depuis deux ans par des milices islamistes menant "
la guerre sainte ", avec la bienveillance de l'armée indonésienne.
Mgr Benjamin de Jésus, nonce apostolique, a été
assassiné le 4 février 1997 sur l'Ile de Jolo, rendue
célèbre depuis pour ses enlèvements d'occidentaux.
Et cette liste, déjà longue,
est loin d'être exhaustive. Elle confirme, malgré tout
ce qu'on peut dire sur le sujet, qu'islam et christianisme ne font pas
bon ménage, et que cela tourne systématiquement à
la brimade et à la persécution des chrétiens, lorsque
ces derniers sont minoritaires.
Ceci ne doit pas être oublié
dans notre désir de dialogue avec les musulmans. En France, où
la situation est inversée, les musulmans bénéficient
même de droits supérieurs à ceux qui leur sont accordés
dans leurs pays d'origine, sans parler du sort réservé
aux chrétiens dans ces mêmes pays. En arrivant dans notre
pays, les musulmans y ont trouvé la démocratie et des
libertés fondamentales, comme par exemple celle de choisir et
pratiquer sa religion, qu'ils apprécient visiblement. Ils ont
aussi compris tous les avantages qu'ils peuvent tirer de la laïcité
à la française, au point même de revendiquer haut
et fort des aménagements, qui leur sont propres, comme le port
du foulard islamique dans certaines écoles publiques, alors qu'il
est par exemple interdit en Turquie.
Pour un dialogue sincère
Il est normal, lorsqu'on doit vivre ensemble
dans un même pays, de chercher à se parler et d'essayer
de voir si on peut faire route commune pour promouvoir l'homme, lorsque
l'on croit tous au Dieu unique. Mgr Claverie avait raison, le pluralisme
est un défi majeur de notre temps.
Mais si dialogue il y a avec nos frères
musulmans, il doit être honnête. On ne doit pas se contenter
d'aborder les sujets qui ne " mangent pas de pain " et en
rester à des consensus mous du genre " tout le monde il
est beau, tout le monde il est gentil ".
Si l'on veut réellement progresser
dans la fraternité, il faut tout mettre sur la table et parler
aussi des sujets qui fâchent. Il ne suffit pas, vis à vis
des cas évoqués ci-dessus, de se voir répondre
qu'il y a plusieurs formes d'islam dans lesquelles on ne se reconnaît
pas, et d'entendre désapprouver du bout des lèvres les
exactions révélées au grand jour. Cela revient
à botter en touche et c'est trop facile. Il faut que nos interlocuteurs,
en général très soucieux de leur dignité
dans notre pays, acceptent de défendre ouvertement le principe
de réciprocité pour nos frères brimés et
persécutés dans les pays musulmans. Nous sommes une seule
et même Eglise de par le monde et ce que l'on fait à nos
frères au Pakistan, en Indonésie ou en Arabie Saoudite,
nous atteint dans notre propre chair. Nous avons ce devoir de solidarité
vis à vis de nos frères humiliés, qui ont le courage
de rester debout pour témoigner de l'amour de Jésus-Christ
dans un tel environnement.
Verrons-nous un jour, un responsable musulman
très en vue en France, comme le recteur de la mosquée
de Paris ou le mufti de Marseille, demander officiellement au nom de
l'égalité de traitement, que les chrétiens puissent,
par exemple, disposer d'un lieu de culte décent en Arabie Saoudite,
pays qui joue un rôle important dans la construction des mosquées
en France ?
Un prêtre pakistanais, interviewé
dernièrement à la suite du mitraillage dont j'ai parlé
ci-dessus, nous disait, dans un journal télévisé,
qu'il demandait à ses fidèles, de prier au cours des messes,
pour leurs frères musulmans. Il nous avouait aussi par la même
occasion, qu'il aimerait bien de son côté, entendre un
jour des musulmans de son pays dire clairement que les chrétiens
sont leurs frères. Aux dernières nouvelles, il attend
toujours.
Daniel Désormière
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