retour à la page d'accueil retour à la page d'accueil
retour à la page d'accueilarchives des homéliespetit germinal, informations pratiquesla vie de la communautédernières conférencesparticipez à germinal
retour page accueil Archives Forum Au sommaire du prochain numéro
 
Consulter et participer au forum Germinal

Forum Germinal

 
   S o i r é e    R u s s i e  
     
   Germinal n° 124  
   
Sergueï Mikhaïlovitch, photographe du Tsar

Au début du siècle dernier, Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky, âgé d'une quarantaine d'années, était un chimiste et un physicien connu en Russie. Il s'était spécialisé dans la toute nouvelle technique de la photographie en couleurs. Le procédé qu'il avait mis au point consistait à prendre, à l'aide d'un appareil photographique spécial, trois fois le même cliché, en enchaînant le plus vite possible. Ces trois clichés étaient pris sur une plaque sensible noir et blanc, mais chacun à travers un filtre coloré, correspondant aux trois couleurs fondamentales. Les négatifs étaient transformés par contact en positifs sur verre, toujours noir et blanc.

Les images étaient ensuite projetées sur un écran, grâce à un projecteur à trois objectifs, spécialement conçu, chaque image traversant un filtre coloré. Les trois images colorées se superposaient sur l'écran et reconstituaient ainsi les couleurs naturelles du sujet.

Fort de cette technique, Sergueï Mikhaïlovitch avait une idée en tête : parcourir la Russie profonde et photographier lieux et gens, pour constituer des documents pédagogiques à destination des élèves des écoles. Et leur faire mieux prendre conscience par là, de la diversité et de la richesse de ce pays immense.

En 1909, le tsar Nicolas II, auquel Sergueï Mikhaïlovitch avait réussi à présenter son projet, fut tout de suite conquis par l'idée. Il signa rapidement les oukazes nécessaires pour permettre à l'intéressé de circuler sans problème dans tout l'empire et lui affecta un wagon spécial, remorqué à la demande, pour servir à la fois de logement de campagne et de laboratoire pour le développement des clichés.

Pendant cinq ans, de 1910 à 1915, Sergueï Mikhaïlovitch va délaisser les grandes villes et les personnages importants, ce n'était pas le sujet, pour s'intéresser aux lieux les plus reculés, notamment en Asie Centrale et dans le Caucase. Et il en ramène des clichés hauts en couleurs, que nous avons eu la joie d'apprécier, 90 ans après, sur le grand écran vidéo de notre salle paroissiale, le 18 octobre dernier.

C'était la première partie de notre " soirée Russie ". Une centaine de clichés, exceptionnels, tant par leur qualité que par le témoignage qu'ils représentaient. Des églises dont beaucoup ont été rasées depuis par les bolcheviques, des notables d'Asie Centrale qu'on croirait de notre époque, comme si le temps s'était figé dans l'intervalle, des scènes de vie tout à fait typiques. Cette projection a visiblement ravi l'assistance. Et ce d'autant plus que les photos nous étaient montrées et commentées par Jean Swetchine, un ami chatenaysien, qui les a découvertes à Washington en juillet dernier, lors d'une exposition à la bibliothèque du Congrès Américain. Ces clichés, acquis par le gouvernement américain en 1948, n'avaient jamais été montrés au public depuis 1915. En dehors de son intérêt constant pour le pays de ses ancêtres et de son attrait pour la photographie, Jean Swetchine avait aussi une bonne raison de regarder ces photos de près : Sergueï Mikhaïlovitch n'était autre que son grand père maternel.

NDLR : Adresse du site internet pour voir ces photos : http://www.loc.gov/exhibits/empire/

Le renouveau de l'Eglise en Russie

La tâche du Père René Marichal, notre deuxième intervenant ce soir-là, était un peu plus ardue : nous dresser en trente minutes un bilan de la situation de l'Eglise en Russie et nous décrire les perspectives qui s'ouvrent pour cette Eglise, après avoir été réduite au silence et martyrisée pendant sept décennies.

Tout a commencé en 1988, année du millénaire du baptême de la Russie. L'Etat russe, qui se demandait comment gérer l'événement, a finalement donné son feu vert sous l'impulsion de Mikhaïl Gorbatchev, pour que des festivités aient lieu à cette occasion. Ce qui a entraîné un choc d'une puissance imprévue. Des millions de femmes et d'hommes prirent alors conscience qu'il y avait une réalité qu'on leur avait cachée et demandèrent à rejoindre l'Eglise. On baptisait à tour de bras, au sens littéral du terme. Dans l'urgence, priorité fut donnée à la " quantité ", en ne lésinant pas trop sur les conditions d'adhésion à la foi ; le problème de la " qualité " fut renvoyé à plus tard.

Les lieux de culte étaient dévastés. Un grand effort fut fait pour rentrer en possession de ce patrimoine. Nombre d'églises et de monastères furent relevés par des bénévoles.
On avait à nouveau des églises, mais qui mettre à leur tête ? Il n'y avait que trois séminaires ecclésiastiques du temps de l'URSS : Moscou, Leningrad et Odessa et on n'y entrait pas comme on voulait. L'Etat avait institué un numerus clausus et il fallait un certificat du responsable local du parti pour entrer au séminaire.

Toujours dans l'urgence, on mit provisoirement en place des gens de bonne volonté, ordonnés rapidement mais dont l'instruction religieuse était limitée. Le pays s'est ainsi couvert d'un clergé peu intellectualisé et mal formé.

Contrairement à l'Eglise Catholique, l'Eglise de Russie, préoccupée par sa survie, a tout mis dans la prière liturgique, en laissant le temporel de côté ; elle se veut avant tout une église contemplative, qui se tient debout devant Dieu. C'est même un certaine rupture avec le passé où l'Eglise avait un rôle civilisateur dans ce pays : on apprenait à labourer autour des couvents.

La liberté retrouvée, les résultats sont bien vite arrivés : il y a aujourd'hui en Russie 128 diocèses (contre 67 en 1980), 19000 paroisses (contre 700), 480 monastères (contre 18), 26 grands séminaires et 29 écoles ecclésiastiques (petits séminaires), des séminaires féminins pour les femmes appelées à diriger les chants à l'église. Notons au passage, pour l'anecdote, que ces séminaires féminins ont une double fonction, car les futurs prêtres y trouvent naturellement des épouses toutes prêtes.

Les décisions importantes de l'Eglise sont prises par un synode, en présence du Patriarche. Le synode traite par exemple des questions concernant les relations ecclésiastiques, les oeuvres caritatives, et la coopération avec les forces armées et les forces du maintien de l'ordre.

L'Eglise, l'Etat et le Pape

Les rapports entre l'Eglise et l'Etat connaissent des fortunes diverses. Sous Gorbatchev, l'Eglise était l'alliée naturelle de l'Etat pour remettre un peu d'ordre et de morale dans la société. Le Patriarche actuel, Alexis II, était d'ailleurs à l'époque chancelier des affaires ecclésiastiques, c'est à dire en fait courroie de transmission entre l'Eglise et l'Etat.

Si les laïcs adhèrent dans leur grande majorité au mouvement patriotique orthodoxe, mais sans pour autant représenter une unité politique, l'Eglise Orthodoxe se défend quand même de revendiquer le statut d'une église d'Etat ; la Fédération de Russie reste un Etat pluriconfessionnel.

Mais le gouvernement actuel trouve que le simple loyalisme de l'Eglise est insuffisant pour maîtriser la crise profonde actuelle ; il voudrait une Eglise plus engagée avec lui. Il admet mal par exemple le principe de l'objection de conscience, qui permet à l'Eglise de refuser l'obéissance à l'Etat ; ceci sur fond de guerre en Tchétchénie, où les soldats ne veulent plus aller se faire tuer. Sans compter le fait que par suite des mauvais traitements habituellement infligés aux appelés dans l'armée, 2000 à 3000 d'entre eux meurent déjà chaque année, en dehors de tout conflit.

Un synode a été réuni l'été dernier pour définir la place que l'Eglise compte tenir dans la cité. Il y a été en particulier question des relations avec les non-orthodoxes et de la conception sociale de l'Eglise. Ses travaux ont été présentés à la Douma par le métropolite de Smolensk, président de la conférence épiscopale, mais ne sont encore guère accessibles au grand public.

Pour terminer, la question des relations entre le Patriarche Alexis II et le Pape Jean Paul II est bien entendu venue sur le tapis, mais elle ne revêt pas pour notre conférencier, une importance primordiale.

Du temps du communisme, l'Occident priait pour l'Eglise du Silence, mais les russes n'en savaient rien. En 1990, les russes ont eu l'impression d'être envahis par les chrétiens occidentaux, perçus comme des " agents recruteurs " avec des moyens financiers importants. Ces occidentaux, qui avaient par exemple l'habitude de s'occuper des jeunes et de répondre à leurs attentes, exerçaient un attrait qui était très mal ressenti par l'Eglise Orthodoxe convalescente. Elle y a vu une concurrence déloyale ; le refus de répondre aux demandes de visites du pape s'inscrit dans ce contexte. " Quand la maison est en désordre, on n'aime pas recevoir des visites ! " dit un proverbe local.

Laissons encore un peu de temps à nos frères orthodoxes pour finir de ranger la maison et terminons aussi le ménage chez nous. Le jour viendra bien où l'Eglise du Christ pourra respirer à pleins poumons.

Daniel Désormière

 
  Envoyer sa contribution à Germinal            Consulter ou participer au forum