Cahors, ce 11 septembre 2001
Après 6 jours de marche et de
" jeûne médiatique ", notre groupe des
" onze pèlerins de Châtenay vers Saint-Jacques
" est heureux de l'étape courte qui nous permet d'arriver
à Cahors à l'heure du déjeuner, de "
savourer " un beefsteak-frites à la terrasse d'une
brasserie avec comme fond sonore le bruit… d'automobiles. Puis notre
petit groupe se disperse pour visiter au gré de chacun la capitale
du Quercy. Et là, dans la curieuse cathédrale à
coupoles, un de nos couples-pèlerins s'avance bouleversé,
leur fille trentenaire, épanouie, mère de famille heureuse
vient de les joindre sur leur portable pour annoncer cette stupéfiante
nouvelle " plusieurs avions-suicide ont percuté les
Twins Towers ".
Nous allons passer la soirée,
comme des millions d'habitants de notre planète, à regarder
ensemble dans une des chambres de notre hôtel, pourvue d'une
télévision, des images stupéfiantes de film-catastrophe,
qui pour imaginables qu'elles soient, ne semblaient pas pouvoir franchir
les limites du virtuel.
Entre Cahors et Lascabannes, ce 12 septembre 2001
Devant le désarroi exprimé
par la fille de nos amis, il me semble important de rompre le silence
tacite et tout en marchant je téléphone à notre
propre trentenaire. Bien qu 'en état de sidération comme
tout le monde, dès ce matin, cette génération
paraît avoir remis en question la politique Nord-Sud, stigmatisé
le fanatisme de l'islamisme intégriste et l'arrogance naïve
des Etats-Unis et du monde occidental, constaté la différence
de poids des morts du Rwanda et d'ailleurs, pris la mesure des répercutions
économiques à leur propre échelle.
Je ressens personnellement que je suis
hors du monde et de ce qui se vit. Le soir dans le très joli
village de Lascabannes un ressortissant britannique installé
là depuis plus de 10 ans nous fait découvrir "
son coin de paradis " sans aucune allusion aux évènements
de la veille, " l'ermite " qui tous les soirs célèbre
l'Eucharistie pour les pèlerins de Saint-Jacques n'a pas une
parole pour les victimes et leurs proches dans la douleur….
* * * *
Nous avons repris notre marche un
peu en marge du monde jusqu'à Condom et retrouvé le
19 septembre la médiatisation extrême.
Je crois que tout a été
dit et beaucoup mieux que je ne saurais le dire, sur cette manifestation
d'hyper-terrorisme, sa froide détermination, sa logique impitoyable
et ses conséquences probables à court et long terme.
Une question cependant me trouble :
je me souviendrai, je crois, toujours de ce 11 septembre et de la
façon dont j'ai appris la nouvelle de l'attentat (comme beaucoup
de ma génération se souviennent du jour de la mort de
John Kennedy..). Pourquoi, alors, ne suis-je pas en mesure de dater
et mémoriser le gigantesque tremblement de terre au Gujarat
qui a enseveli des milliers (combien ?) d'Indiens, il y a quelques
mois (quand précisément ?) ?
Pour moi aussi la vie humaine aurait-elle
deux poids, deux mesures ?
Marie-Thérèse Chainet