1. L'Evénement : choisir son camp.
" Deux avions suicide ont décapité
la Tour Eiffel et la Tour Montparnasse: 5000 morts. Un autre avion
est tombé sur l'assemblée Nationale et un troisième
s'est écrasé avec 100 passagers "
Il faut imaginer de tels événements
pour comprendre le choc subi par les Américains. Face à
leurs réactions, certains s'interdisent de stigmatiser le mal
(1). Pourtant il faut savoir appeler un
chat un chat. Il est des cas où il faut savoir choisir son
camp : on l'a vu lors de la dernière Guerre mondiale. L'Occident
a été affronté à diverses formes de totalitarismes
: nationalismes, communisme stalinien, racisme nazi. Aujourd'hui,
c'est au terrorisme islamiste que nous sommes affrontés. Et
notre camp est celui des victimes. Toutes les victimes.
2. Faut-il pour autant opposer l'Occident à l'Islam ?
Curieusement, les voix qui amalgament
terrorisme et Islam proviennent de deux côtés opposés
:
D'une part, certains milieux,
issus de l'immigration, mal intégrés, qui expriment
leur solidarité musulmane et voient dans les terroristes des
sortes de héros qui effacent les frustrations vraies ou supposées
qu'ils ont subies.
D'autre part des mouvements d'extrême
droite, qui voient dans les événements l'occasion d'unir
l'Occident dans une sorte de " croisade " contre l'Islam.
Il faut bien comprendre que cet
amalgame est désiré par les terroristes eux-mêmes.
Il fait partie de l'intoxication psychologique qu'ils tentent de répandre
afin d'associer le monde musulman à leur action et le mobiliser
contre l'Occident.
Pas plus que n'étaient
staliniens tous les Russes ou nazis tous les Allemands, tous les musulmans
ne sont pas islamistes et encore moins terroristes. Plus : l'Islam
a de nombreuses parentés avec le Judaïsme et le Christianisme.
Et en premier lieu le monothéisme.
3. Le monothéisme possède-t-il des germes de totalitarisme
et d'intolérance ?
Le journal " La Croix "
du 25 octobre 2001, publie un dialogue entre Paul RICOEUR (notre voisin
!) et Stanislas BRETON dans lequel ce dernier n'hésite pas
à dire : " dans tout monothéisme, il y a une volonté
de meurtre de l'idolâtre. Une forte critique des monothéismes...
est indispensable. "
Que nous en disent l'histoire,
la culture ? De quel Dieu parle- t-on ?
4. L'Histoire : l'autonomie du " religieux " et le pluralisme.
Un trait important des sociétés
occidentales démocratiques est la séparation des autorités
politiques et religieuses. L' autonomie des institutions implique
un pluralisme politique et religieux. Elle caractérise ce qu'on
appelle la modernité. " (2)
Cette séparation trouve
sa source dans l'histoire Judéo-Chrétienne. Dans la
Bible, le Prophète s'oppose souvent au Roi : à commencer
par DAVID. Dans l'Evangile, Jésus refuse à plusieurs
reprise le pouvoir royal et proclame : "Rendez à César
ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu." (3)
L'histoire de l'Occident a été
très marquée par la lutte entre spirituel et temporel,
le Pape et l'Empereur, il y a eu instrumentations mutuelles, tentations
gallicanes ou cléricales, mais jamais de véritables
"Théocraties".
Tel n'est pas le cas de l'Islam
où, dès les origines, et jusqu'à aujourd'hui,
il y eut souvent confusion entre pouvoirs politique et religieux sous
forme de diverses théocraties dont on trouve encore plusieurs
exemples : Iran, Afghanistan. Même dans les pays musulmans où
cette séparation existe, il faut avouer qu'il y a souvent peu
de démocratie.
Pourtant, un fait historique
est là, souvent vécu par nos sociétés
de façon négative, mais qui peut être une chance
pour l'Islam : l'immigration de populations musulmanes dans des pays
démocratiques occidentaux. Cette chance peut être saisie
pour que se développe une nouvelle forme de l'Islam en tant
que religion intégrée dans un état de droit,
au même titre que d'autres religions. C'est une question de
survie. Mais n'oublions pas que les Catholiques de France ont mis
longtemps à accepter la République !
Dès son origine, l'Islam
a été marqué par la guerre : la lutte du Prophète,
son exil à Médine (l'Egire), ses conquêtes successives
qui furent en fait les modèles des premières "croisades".
L'histoire du Christianisme est,
elle aussi, marquée par la violence : mépris et persécution
des Juifs, croisades, inquisition... Mais le pôle fondateur
du christianisme est un acte non violent : la Croix du Christ à
laquelle il nous faut toujours revenir...
5. Culture.
Dans le numéro de Novembre
2001 de " Actualité des Religions ", Mohammed TALBI
rappelle les nombreux apports de l'Islam à la culture universelle,
dans les domaines de l'art, de la philosophie, des mathématiques.
L'Islam a transmis à l'Occident les grand textes de l'Antiquité.
Le sommet de l'Islam culturel, tolérant, se trouve dans la
période dite " Al Andalous ", au sud de l'Espagne,
autour du Xème siècle, où cultures juive, musulmane
et chrétienne, se sont rencontrées, ont fécondé
l'Occident . (4)
Mais, surtout depuis l' "âge
des Lumières", la culture suppose l'esprit critique, la
soumission aux faits, à la rationalité. Cette attitude
peut elle s'appliquer aux textes sacrés eux mêmes ? Les
Eglises ne l'ont acceptée pour la Bible que tardivement, en
gros, depuis le début du XXème siècle. Cela nous
permet aujourd'hui de relativiser certains textes, violents (quelques
psaumes) ou misogynes (de St. Paul, par exemple), vu leurs contextes
historiques. On peut espérer que l'Islam connaîtra une
évolution un peu comparable à l'égard du Coran.
6. Dieu.
Les Musulmans traitent parfois
les chrétiens de "polythéistes" à cause
de leur conception trinitaire de Dieu. Cette question touche un point
clé. L'idée que nous avons de Dieu est un reflet de
celle que nous avons de l'homme. Inversement, elle réagit sur
notre conception de la Société. Elle nous invite au
recueillement, au respect de tous les "chercheurs de Dieu".
Elle nous pousse à approfondir notre Foi dans ce qu'elle a
de spécifique.
Pour l'Islam, Dieu est unique,
il est avant tout transcendant, absolument distinct de la Création.
Les chrétiens adhèrent
à cette conception mais pour eux, Dieu est aussi immanent,
présent à sa Création avec laquelle il fait alliance
pour la sauver, c'est à dire la faire entrer par son amour
dans sa vie divine.
Pour les chrétiens, l'unité
divine n'est pas "monolithique".C'est une unité d'amour
entre des personnes distinctes. L'unité entre le "Père"
et le "Verbe" n'est pas du type " fusionnel ",
elle provient de l'amour qui les unit : "l'Esprit".
L'incarnation du Verbe en Jésus
est une invite, faite à tout homme, à toute la Création,
d'entrer dans l'Unité vivante de cet Amour. La Croix authentifie
cet Amour.
Merci, mon Dieu du don que tu
nous fais !
Ainsi, déjà au
cœur même de Dieu, l'unité provient d'une relation interpersonnelle.
En ce sens, la Trinité est l'archétype, le modèle
proposé à toute relation humaine : Jean-Paul lI
vient d'ailleurs de dire à peu près la même chose
à propos du " dialogue interreligieux ".
Etablir des relations de justice,
de respect, de sympathie, d'amour entre des personnes distinctes,
autonomes, c'est déjà vivre en Dieu (5).
C'est le contraire de l'unité proposée par les totalitarismes
qui veulent l'obtenir en supprimant les différences. Comme
l'écrivait Pierre Claverie : "...la fraternité
universelle, non pas au delà de nos différences, mais
avec elles".
En ces heures difficiles, que
ces paroles nous éclairent chaque fois que nous croiserons
un musulman.
Serge Drabowitch