J'étais
en retraite spirituelle à l'Hay-les-Roses depuis le 3 Septembre lorsque
à mon retour le 11 vers 14h30, alors que je venais tout juste d'arriver,
une personne amie me téléphone "ma Soeur, ouvrez votre poste de télé
sur la 2 ! " C'est alors que je découvre l'horreur : la première tour
en flamme, tandis que je vois arriver le deuxième avion qui va sciemment
percuter sa soeur jumelle. Mes deux soeurs me rejoignent l'une après
l'autre dans l'appartement et comme moi restent sidérées, pétrifiées
devant le spectacle que nous donne la télé.
Nos réflexions,
nos hypothèses vont bon train : comment se fait-il que les Américains
aient laissé passer des avions-pirates dans leur espace aérien ? Qui
a fait cela ? Pourquoi ? Peu à peu les informations se précisent :
ce ne sont pas des avions venus d'ailleurs qui ont accompli ce forfait,
ce sont des Boeings de tourisme appartenant aux U.S.A. et desservant
les lignes intérieures qui, sous la pression de pirates, se sont détournés
de leur route et ont percuté volontairement les tours de World Trade
Center, sachant très bien que non seulement les passagers mais aussi
les pirates allaient mourir dans l'opération. Mais qui est à l'origine
de ces attentats ?
Stupeur,
effroi, indignation, compassion pour les malheureuses victimes dont
certaines, que nous voyons à la télé, essaient de fuir une mort affreuse
en se jetant pas les fenêtres. Pendant ce temps le troisième avion
se jette sur le Pentagone tandis qu'un 4ème s'écrase en Pensylvanie.
Ce premier
jour, nous sommes trop bouleversées pour réfléchir vraiment. La nuit,
mes rêves me présentent sans cesse les tours en flammes et la foule
américaine qui court, qui court. Quand les medias nous apprennent
que vraisemblablement c'est Ben Laden et ses fondamentalistes musulmans
qui sont les commanditaires de ce massacre minutieusement préparé
depuis des mois et sans doute des années, les questions qui me hantent
changent. Elles tournent autour du prix de la vie, du sens de Dieu,
des excès que peut engendrer la haine.
Quel
est ce Dieu pour lequel des jeunes gens cultivés, instruits, sont
prêts à sacrifier leur vie et à entraîner dans leur mort affreuse
des centaines d'innocents ? Allah n'a pas prêché la haine. Le Coran
non plus. Je pense à mes voisins musulmans avec qui nous entretenons
les meilleurs rapports, je pense aux conférences que j'ai entendues
sur l'Islam et au rapprochement islamo-chrétien que connaît notre
époque.
Les Américains
prêchent la riposte et on les comprend un peu. même si on pense que
la haine et la violence ne doivent pas répondre à la haine et la violence.
Mais aujourd'hui, alors que depuis trois semaines, les bombes pleuvent
sur l'Afghanistan et font des victimes innocentes parce qu'il est
difficile de viser avec une précision chirurgicale, les questions
que je me pose sont autres.
Je souffre
de réflexions qui mettent en cause Dieu dans ces événements. J'entends
dire "mais comment pouvez-vous croire en Dieu devant des événements
pareils ? Un Dieu qui pousse à convaincre des jeunes qu'en sacrifiant
leur vie pour tuer des centaines de victimes innocentes mais occidentales,
donc supposées chrétiennes, on va gagner un paradis merveilleux où
on sera accueilli par des dizaines de belles jeunes filles ? Ce Dieu-là
n'est évidemment pas le mien.
Par ailleurs,
il est nécessaire d'éradiquer les actions terroristes. Mais le prix
de la vie, d'une seule vie et, à plus forte raison, de centaines de
vie, demande autre chose que des bombes ou des missiles. Quand sera-t-on
capable d'organiser le monde de telle sorte qu'il n'y ait plus un
abîme entre les pays développés et les autres, entre les riches d'un
même pays et ceux qui, dans le quartier voisin, ont tout juste de
quoi ne pas mourir de faim.
Ces problèmes
me dépassent. J'en ai tout à fait conscience mais tout en faisant
ce que je peux pour créer, autour de moi, de l'amitié, du respect,
de la justice entre ceux qui me sont proches, je souffre de me sentir
totalement impuissante devant de tels malheurs.
Nous
sommes dans un monde où tous les jours la publicité, les médias nous
donnent une image du bonheur liée à la possession, à la consommation,
à la beauté, à la jeunesse et au plaisir. Pourquoi les générations
plus âgées, les nôtres, n'ont-elles pas été capables de faire vibrer
les jeunes à un autre idéal ?
Où va
notre petite planète qui, après de tels événements et avec d'autres
actions scientifiques, médiatiques ou politiques donne l'impression
que nous sommes en train de marcher sur la tête ? Et que faire, pour
combattre la haine et l'intolérance ? Est-ce que la prière, le respect
mutuel, les échanges de service entre voisins suffisent ? Et que pouvons-nous
faire d'autre ?
Soeur Marie-Joseph