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   Coup de torchon  
     
   Germinal n° 125  
   

     " Tout va mal, donc il faut inventer ", suggérait Luc Pareydt dans sa dernière conférence rapportée par Germinal. Sitôt dit, sitôt fait. Mais bousculer les habitudes, redistribuer les rôles, redéfinir l'espace, placer les bancs en vis-à-vis… pas facile.

      On a vu des esprits rétifs. On a vu des regards absents lézarder à la croisée des ogives. D'autres ont observé ce reflet curieux qui fait descendre au jardin, comme une fée le long d'un rayon de soleil, la Vierge d'un vitrail : il y avait peu d'échappées pour se distraire… Aux rêveurs, aux blasés, aux nostalgiques, aux réfractaires, pourquoi ne pas proposer un roman ? Un livre pour faire envoler la poussière, rendre aux figures de l'Evangile les couleurs de l'existence.

     " L'empreinte du ciel " * est un récit construit autour du Saint Suaire et divisé en trois parties. Laissons de côté les deux dernières, plus anecdotiques. La première, la plus longue, et celle qui nous intéresse, se déroule au temps de la mort du Christ. Pris d'une amitié sincère pour un maître qui, cependant, ne lui fait guère de confidence, inquiet de le voir risquer sa vie et celle de ses amis par des propos de plus en plus provocants, Judas propose aux autorités romaines de faire enfermer Jésus quelques temps - juste le temps nécessaire pour recouvrer la sagesse.

     En dépit de sa bonne foi, l'affaire, on sait, tourne mal. Intriguée par les rumeurs croissantes de la résurrection du Christ, Claudia, l'épouse de Ponce Pilate, spirituelle et avisée, mène l'enquête auprès des disciples.

      Voilà l'occasion rêvée de partir pour la Judée, de se plonger dans la Jérusalem de l'occupation romaine, de se mêler à la foule des marchands, des soldats et des pèlerins, de goûter l'atmosphère enfiévrée de la Pâque juive. L'occasion d'échanger points de vues et perspectives : que pouvait penser Ponce Pilate, héritier des philosophes grecs, du principe d'un Dieu unique, de l'idée d'un peuple élu ? Quelle vision avait Saül de Tarse, fanatique du Pentateuque, du panthéon bavard et turbulent de l'occupant romain ? Quel regard portaient l'un et l'autre sur le Messie de Nazareth ? Quels propos pouvaient bien échanger la femme d'un gouverneur romain et Jean, le Pharisien de lignée sacerdotale converti à Jésus-Christ ? Autant de personnages campés avec beaucoup d'aplomb et de réalisme dans toute l'épaisseur du mystère de Dieu. Autant de rencontres et de conversations bourrées d'enseignements, de finesse - et d'humour : être historien, philosophe et théologien n'oblige pas à être assommant.

     On écoutera Ponce Pilate se lamenter sur la Judée, cette pépinière d'illuminés, cette province de fanatiques aux superstitions chicanières, toujours prêts à humilier l'autorité romaine. On verra Judas se perdre en conjectures sur les incohérences d'un maître qu'il ne peut plus suivre. On partagera la déception d'Antipas, ce tétrarque de Galilée qui croyait acheter des miracles et espérait remplir sa cave en accueillant aimablement le " Magicien " de Cana. On entendra Jean soupirer sur la nouvelle indissolubilité du mariage.

     Mais on reconnaîtra, serties comme des joyaux dans le cours du récit, les paroles du Christ. On les verra tailler en pièces le bon sens, la logique, la patience d'hommes instruits, intelligents, conciliants et honnêtes. Et Jésus prendra les multiples visages de leur incompréhension : pourquoi prôner un renoncement qui eût ruiné l'économie et menacé la vie de la société toute entière ?

     Pourquoi chasser à coup de corde des marchands respectables, simplement occupés à leurs affaires ? Pourquoi s'entourer d'hommes de si peu de valeur, pêcheurs ou petits employés incapables de saisir même la plus enfantine des paraboles ? Pourquoi ressusciter Lazare, un étranger, quand il eût été si naturel de rendre la vie à son père ? Pourquoi, avec de tels talents, faire si peu de miracles ? Et pourquoi en guérir seulement quelques-uns ?

      Ainsi contés de bouche en bouche, de reproches en stupéfactions, de chagrins en dérisions, de lassitudes en espérances, le procès, la mort et la résurrection du Christ retournent au plus près de ce qu'ils ont pu être, et sonnent étrangement juste auprès de notre vision pétrifiée par 2000 ans d'institution. Si la parole de Dieu pouvait garder en nous la même odeur de scandale, la même force de provocation et renaître ainsi chaque dimanche, il serait bien inutile, comme l'imagine Luc Pareydt de supprimer les murs des églises : elle passerait sûrement au travers.

Anne TAUVEL

* " L'empreinte du Ciel ", Hubert Monteilhet, Presses de la Renaissance.

 
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