retour à la page d'accueil retour à la page d'accueil
retour à la page d'accueilarchives des homéliespetit germinal, informations pratiquesla vie de la communautédernières conférencesparticipez à germinal
retour page accueil Archives Forum Au sommaire du prochain numéro
 
Consulter et participer au forum Germinal

Forum Germinal

 
   TRANSMETTRE POUR VIVRE
Témoignage : lettre à mon père
 
     
   Germinal n° 125  
   

Le 18 février 2002

      Papa,

      Tu nous as quittés il y a tout juste deux mois après quatre semaines d'hospitalisation. Quatre semaines durant lesquelles nous avons tous, tes enfants, tes petits-enfants, tes arrière petits-enfants, et tous tes amis bien sûr, espéré une amélioration de ton état. Nous guettions les moindres signes. Certains jours tu étais mieux d'ailleurs, et nous reprenions espoir.

      Tu retrouvais alors ta vivacité d'esprit, ton sens de l'humour même, l'intérêt que tu portais à chacun... Ta gentillesse, tu ne l'as jamais quittée même lorsque tu n'étais pas bien. Tu ne voulais pas déranger le personnel de l'hôpital. Cela t'humiliait d'être obligé de faire appel pour des petits gestes tout simples.

      Tu ne te plaignais pas. Tu disais simplement que les journées étaient longues, les nuits surtout ! Car la nuit, tu étais seul. On est toujours seul à l'hôpital la nuit ! Même s'il y a beaucoup de monde qui s'agite tout près ! C'est la solitude de la nuit. C'est la solitude du malade qui attend le jour et sa lumière ! Chaque jour nouveau est peut-être porteur d'une espérance nouvelle…

      Mais tu savais que nous allions revenir te voir... Tu nous verrais les uns après les autres !

     Chacun te parlait alors selon sa sensibilité. Tu nous l'as fait remarquer d'ailleurs. Cela "t'amusait" de voir nos différentes manières de nous adresser à toi, de t'aider à manger les jours où tu étais moins bien, de te donner des nouvelles des uns, des autres... Certains osaient des conversations plus profondes sur ta maladie, sur l'avenir incertain durant lequel - c'est sûr - nous t'aiderions !

      Brigitte te parlait de Pâques qui serait vraiment pour toi, pour nous, cette année, la fête de la Résurrection ! On fêterait aussi ta guérison ? Elle te chantait des chants de Pâques et des refrains de Taizé et toi tu fredonnais "Joyeuse Lumière, splendeur éternelle du Père...!" J'admirais sa simplicité. Moi, je n'ai pas osé parce que je n'avais pas l'habitude de t'exprimer ce que je ressentais profondément.

      Mais où étais-tu, papa, durant ces quatre semaines ? Tu nous paraissais parfois proche mais parfois si lointain ! Que pensais-tu vraiment ? Nous avons parlé longuement, nous avons prié, nous n'avons pas évoqué ton départ tout simplement parce que nous n'y pensions pas vraiment - pas tout de suite - Aurait-il fallu le faire ? Tu ne nous as pratiquement pas parlé de ta mort, toi qui souhaitais tellement être prêt "le jour du grand départ". Y pensais-tu ? Nous cachais-tu quelque chose de tes angoisses ? Voulais-tu nous protéger ? J'ai du mal à le croire. Toi qui as toujours été si transparent par rapport à tes pensées, toi qui savais exprimer simplement tes sentiments.

      En réalité, tu étais très fatigué. Ce n'était plus toi qui décidais. Tu vivais, heure par heure, en t'abandonnant totalement. Tu n'avais d'ailleurs pas le choix ! Tu ne pouvais qu'accepter cette dépendance totale et tu l'as fait avec beaucoup de patience.

      Quelques jours avant ta mort, tu avais accepté l'idée de partir dans une maison de rééducation. Réalisais-tu ce que cela représentait ? Pour nous, cette idée de "maison" était insoutenable. Comment allais-tu supporter un nouveau changement ? Te voir partir plus loin encore, dans un endroit où nous ne pourrions pas aller te voir tous les jours ...! La tentation fut grande de te ramener chez toi, tout simplement. Après tout, nous étions nombreux et cela devait être possible... se retrouver tous ensemble dans ton cadre familier. Tu aurais tout reconnu, tu aurais revu les photos, tu aurais respiré les odeurs familières.

      Mais non, ce n'était pas raisonnable et ce n'était pas juste de ne pas te donner ta chance. Il fallait donc supporter les contraintes de l'hôpital. Monter ce grand escalier avec l'angoisse au ventre, jeter un regard sur ta chambre pour apercevoir la lumière en espérant que l'un de nous serait encore là... Comment seras-tu aujourd'hui ?

      Malgré le dévouement réel des personnes qui prenaient soin de toi, quelle tristesse de te laisser seul, lorsque le "relais" n'était pas encore assuré par celui qui s'était inscrit sur le planning de la semaine.

      Il m'est arrivé de partir pendant que tu dormais après t'avoir embrassé, pour ne pas avoir à te dire "aurevoir". Bien sûr, je reviendrai demain. Mais vas-tu dormir cette nuit ? Quelles seront tes pensées ? Pourvu que tu ne souffres pas... et si quelque chose arrivait et que nous ne soyons pas là !

      Il y avait aussi des moments plus "paisibles". Nous nous retrouvions à plusieurs dans ta chambre devenue alors trop petite. Le personnel pensait certainement que nous te fatiguions. La vie reprenait alors. Nous plaisantions. Parfois tu parlais d'une fête qu'il faudrait organiser. On se partageait les "gâteries" que certains avaient apportées. On goûtait le vin de Cahors (chut !). Tu étais resté bien gourmand et il était facile de te faire plaisir. Ces instants étaient comme des parenthèses de bonheur. Il faut être blessé pour saisir et croquer ces moments magiques, très brefs mais qui redonnent force et courage.

      Il y a eu aussi ces moments de rencontres dans ta chambre, dans les couloirs, le soir chez les uns, chez les autres ou chez toi. Les moments d'entr'aide, d'encouragement, les petits mots écrits par les uns sur le carnet de bord qui était dans ta chambre et qui soutenaient les autres lorsque tu étais moins bien. Et qui permettaient aussi à ceux qui venaient moins souvent de ne pas se sentir à l'écart.

      Les dessins et les lettres des petits-enfants, les cartes de la famille et des nombreux amis, s'affichaient sur le mur et ta chambre devenait vraiment "ta" chambre. Tu avais bien sûr, la photo de maman à côté de toi : celle que tu n'as jamais quittée et une photo de chacun de nous !

     Les sapins disposés dans les couloirs de l'hôpital nous rappelaient que bientôt, on fêterait Noël. Mais où ?

      Tu t'étais préparé comme chaque année à célébrer cette fête. Tu continuais à lire quotidiennement le "prions en Eglise" Tu te souvenais des textes que tu avais lus le matin et il t'est arrivé de nous en reparler dans la journée. De temps en temps, tu voyais le diacre de l'hôpital qui t'apportait la communion. Il y avait aussi Bernadette (de la paroisse) dont tu avais la visite puisqu'elle est kinésithérapeute à l'hôpital Béclère. Quelle chance de retrouver une tête connue dans un univers inconnu ! Elle nous a souvent réconfortés. Merci Bernadette pour tout ce soutien.

      Le vendredi 14 décembre, ton état s'est aggravé. Papa, nous étions presque tous autour de toi pour ton grand départ. Le Père Denis était là aussi : il nous a beaucoup aidés. Nous avons communié ensemble autour de toi. Ce fut un moment très fort, très émouvant. Un moment comme on en vit rarement dans une vie. Nous nous sommes retrouvés orphelins mais tellement nombreux à nous soutenir, dans la tristesse bien sûr mais dans la paix aussi.

      Oserai-je le dire ? J'ai ressenti un énorme déchirement mais en même temps un immense soulagement pour toi, papa. Tu étais enfin dans la paix du Seigneur. Tu avais rejoint maman et ceux que tu aimais. Depuis le temps que tu nous évoquais parfois ce moment du passage vers l'au-delà !

      Il est évident que ces quatre semaines d'hospitalisation nous avaient préparés à cette séparation. Pour toi, l'avenir devenait vraiment trop sombre.

     Tu es parti plus vite que nous le pensions. Mais c'est mieux ainsi. Tu n'es pas parti seul, (même si l'on part sans doute toujours seul d'une certaine manière) nous étions là tout près de toi. Et tellement loin peut-être ! Nous avons essayé de t'aider. Tu nous as aidés aussi à ta manière certainement. Celui auquel nous croyons et sur lequel tu as compté toute ta vie, Lui, était bien présent : c'est sûr.

     C'est vrai que ton dynamisme, ton goût de vivre, l'intérêt que tu portais à chacun de nous, tes projets de réunions familiales et de fêtes, nous laissaient croire que tu serais éternel. Mais tu avais ton âge. Tu avais le droit de partir sereinement rejoindre Celui en qui tu avais mis ta confiance. Tu n'avais pas à t'inquiéter pour nous à qui tu avais tant donné.
Bien sûr, nous avions encore beaucoup de choses à te dire et sans doute l'essentiel. Car il y a des choses que l'on ne dit jamais, surtout à ceux que l'on aime, parce que justement elles sont très importantes et que ce qui est important reste souvent secret. Et c'est peut-être bien ainsi ! Il ne faut pas avoir de regrets sur ce qui n'a pas été fait, ni dit. Il faut au contraire se réjouir pour ce qui a pu se vivre dans le coeur de chacun.
Nous t'aimions beaucoup papa et tu le savais… Je t'aimais beaucoup et je ne te l'ai sans doute jamais dit.
Tu savais nous aider et être présent lorsque nous avions besoin de toi. Nous pouvions compter sur toi et nous n'avons pas hésité ! Ta porte était toujours ouverte, ton coeur surtout.

      Il nous faut maintenant nous habituer à cette "présence/absence"

      Tu nous laisses un héritage précieux papa : tes convictions, ton sens de la famille, du devoir et de l'honnêteté, ton optimisme, ta façon d'envisager l'avenir avec enthousiasme tout en gardant précieusement le passé en mémoire et en vivant pleinement le présent. Tout t'intéressait, rien ne te laissait indifférent. Tu étais proche de tout le monde. Tu étais simple et chaleureux. Avais-tu des ennemis ? Je ne me souviens pas t'avoir entendu dire du mal de quelqu'un.

      Nous étions fiers de toi parce que tu étais un homme juste et droit. Tu étais à la fois très fort et très fragile. Toi aussi, tu avais beaucoup besoin de nous et des autres.
Pour certains, tu étais surtout un homme de science. Ton travail t'a beaucoup apporté, c'est vrai, mais tu n'en as jamais tiré d'orgueil. Tu as toujours considéré que tu étais quelqu'un d'ordinaire et tu le pensais profondément. A tel point, qu'en famille, nous ne parlions jamais de tes découvertes. Et nous, tes enfants, sommes bien incapables de préciser ce que tu as fait dans le domaine scientifique. Tu ne nous en as jamais voulu d'ailleurs.

      L'essentiel pour toi, n'était pas là. C'était la transmission de ta foi ! et c'est ce que nous gardons aujourd'hui comme un trésor que tu nous laisses. Ta foi, une foi volontaire, laborieuse même, une foi toujours en recherche et dans laquelle tu voulais encore progresser. Une foi "battante" qui se voulait éclairée à la lumière des Ecritures que tu lisais quotidiennement. Tu trouvais toujours que ta foi était trop petite. (tu me l'as encore dit la dernière fois que nous nous sommes parlé). Tu te considérais comme un "pauvre" dans ce domaine. Le pauvre au sens de l'Evangile : celui qui accepte de recevoir des autres et qui sait qu'il ne peut rien tout seul.

      Tu es décédé pendant le temps de l'Avent et c'est maintenant le temps du Carême. Nous allons célébrer la grande fête de Pâques. Dans la foi, nous croyons que la vie est plus forte que la mort. Le Christ ressuscité appelle chacun de nous à une vie nouvelle où il n'y aura plus ni souffrance, ni séparation.

      Brigitte avait raison. Ce sera très différent cette année pour toi et pour chacun de nous.

      Tu seras dans la Lumière que tu as toujours cherchée, auprès de ceux que tu aimes. Tu le croyais tellement, papa, que ce n'est pas possible que tu te sois trompé.

      Et nous ? Nous continuons à marcher ensemble auprès de Celui qui nous guide vers la Lumière.


Pourquoi t'écrire une si longue lettre, papa ?
Parce que je ne l'ai jamais fait
et parce que je ne pourrai plus le faire.


Anne

 
  Envoyer sa contribution à Germinal            Consulter ou participer au forum