Avec la nouvelle année, le père
Noël termine sa mission auprès des tous les enfants, ses
petits amis.
Il pose sa grande robe rouge et la confie
à son pressing avant de la suspendre dans son placard.
Il va chez son coiffeur pour faire tailler
sa barbe et raccourcir ses longs cheveux que le froid transforme en
glaçons avec les larmes qui tombent de ses yeux.
- Alors, Père Noël, vous m'avez l'air bien triste et
fatigué, cette année !
- Oui, mais j'aime tellement faire plaisir à mes petits enfants
que je ne pense jamais à ma fatigue même si celle-ci
commence à donner des signes d'inquiétude.
- Comment arrivez-vous à assumer tout ce travail malgré
votre âge en un temps si court ?
- D'abord, je classe les milliers de lettres que je reçois
et inscris des listes et des listes... de cadeaux à commander
et à préparer.
Il y a les lettres des enfants avec des dessins ou des photos que
je garde précieusement pour reconnaître mes petits amis
au prochain Noël.
Il y a les lettres des parents avec lesquels je m'entends souvent
pour partager le travail de livraison lorsque les commandes sont trop
importantes pour entrer dans ma hotte.
Ce qui est souvent le cas.
Il y a les lettres des grands-parents ou arrières-grands-parents,
etc.. éloignés qui me demandent de déposer un
petit cadeau dans les souliers de leurs grands et petits chéris.
- Je comprends, vous avez déjà un très gros travail
de préparation avant de commencer votre voyage à travers
la France et même le monde...
- La France me suffit, j'ai des correspondants dans chaque pays avec
lesquels nous nous envoyons les consignes par Poste (quand elle n'est
pas en grève) ou par portable et Internet pour ceux qui sont
dégourdis en informatique.
- Ah, c'est vrai vous avez souvent à composer avec les grèves
de la Poste, des trains et en plus, les embouteillages sur les routes
avec la neige au moment des vacances, tout cela ne vous empêche
pas d'arriver pour le 25 décembre. Comment faites-vous ?...
- Je survole la France, poussé par le vent glacial en cette
saison, je me réchauffe comme je peux, en passant au-dessus
des cheminées fumantes, cependant, mon cœur reste toujours
chaud quand je fais plaisir.
- Ça, je le retiens car c'est une bonne recette.. contre le
froid !
- Parfois, j'entrevois par la cheminée, le sapin décoré
débordant des cadeaux que chacun ouvrira fébrilement.
Je hume les odeurs d'un succulent réveillon chaudement préparé
pour le retour de la messe de Noël (toujours conseillée
mais de moins en moins imposée). C'est un moment intense de
partage de joies et choses diverses.. allant des chocolats.. aux virus
de toutes sortes (broncho, gastro, intox, grippe, etc..) dont on ne
connaît pas toujours les porteurs pour les gratifier d'un sourire.
- Oui, en général tout le monde se retrouve plus ou
moins au lit, les valides soignent les malades et la joie de Noël
est complètement étouffée par la fièvre
qu'on ne peut même pas soigner en faisant appel aux médecins
généralistes, en grève pendant cette période.
- Maintenant, je dois mettre à jour mon carnet d'adresses,
vérifier si j'ai entièrement vidé le compte que
la Banque du ciel m'avait ouvert pour Noël 2001. En plus, le
changement de monnaie me complique les choses. En effet, j'ai reçu
des chèques en francs et en Euros ce qui m'oblige à
une double comptabilité. Mais ce qui m'inquiète le plus,
c'est que je ne peux pas savoir si mes petits amis ont bien reçu
leurs Euros malgré l'embouteillage des guichets ou quelque
chose d'autre...
- Mais les enfants ne vous donnent plus de leurs nouvelles, après
les fêtes !..
- Si, j'en reçois quelques-unes pour me souhaiter une bonne
année et une bonne santé surtout pour recommencer ma
distribution pour le prochain Noël. Assez rarement, ce sont des
remerciements avec une photo sur laquelle je constate le sourire épanoui
de mes petits amis, arborant leur cadeau.
- Comment se fait-il que la Poste soit, paraît-il, encore plus
encombrée au mois de Janvier. Je pensais que c'était
à cause des remerciements et des vœux qui vous sont destinés.
- Non, ce sont les adultes qui encombrent la Poste avec leurs vœux
sincères ou pas, adressés à toutes les personnes
à qui ils doivent passer la main dans le dos... mais aussi
par des réclamations. Un jour, j'ai reçu une lettre
de reproches d'une petite fille qui m'indiquait que je m'étais
trompé car elle n'avait jamais commandé une superbe
coiffeuse. J'en suis resté interloqué et en recherchant
sa lettre, j'ai constaté que les parents avaient truqué
sa demande, sans doute pour se faire plaisir. Tu vois, je doute de
moi maintenant et me demande si j'assume bien la mission que m'a confiée
l'Enfant Jésus depuis de si nombreuses années, à
l'occasion de sa naissance. J'ai beaucoup de joie à rendre
les enfants heureux à cette occasion, mais le sont-ils vraiment
ou suis-je piégé ?
- Les enfants grandissent très vite maintenant et sont submergés
de préoccupations diverses comme leurs parents. Ils n'ont plus
le temps... de jouer, de rêver, de penser, de dessiner, d'écrire...
Tout doit aller au plus vite et être le plus économique
possible.
- J'ai aussi beaucoup de concurrence par exemple : Internet permet
d'envoyer le même message à plusieurs destinataires différents
ce qui me complique les choses car je ne sais plus si je suis particulièrement
concerné et en plus j'aime quelque chose de plus personnel.
Comme je deviens vieux et sourd par dessus le marché, je confonds
parfois les demandes téléphoniques. Le minitel qui m'est
plus accessible, ne concerne que quelques initiés... Je ne
sais vraiment pas si je dois continuer ce traditionnel rôle
de Père Noël, si mes petits amis sont vraiment heureux
de fêter la naissance de Jésus concurrencé lui
aussi par la sorcellerie d'Hallowen ou la magie d'Harry Poter. Par
contre, la collaboration de Saint Nicolas dans l'est de la France
soulage beaucoup mon arthrose.
- Actuellement, Père Noël, vous êtes trop fatigué,
il vous faut reprendre courage…
- Je crois plutôt qu'il est grand temps de prendre ma retraite
en ce début de nouveau siècle qui inventera d'autres
traditions… religieuses ou païennes et un autre mode de savoir-vivre.
Qui sait ? Je me sens complètement dépassé par
la société moderne et épuisé par ce grand
tour de France.
- Père Noël, je vous en supplie, n'oubliez pas tous les
petits orphelins qui meurent de faim dans des pays très pauvres
à travers le monde.
- Ceux-là, je ne les oublierai jamais et je vais continuer
à m'en préoccuper… Je te le promets, Gentil coiffeur.
Me voilà chauve et imberbe maintenant. Je ne peux donc plus
représenter le Père Noël. Dis-moi combien je te
dois pour ces cheveux et cette barbe qui ne retiendront plus les larmes
glacées que j'enfouis désormais au fond de mon cœur.
- Père Noël, vous me faites pitié. Je rase gratis…
- Alors, garde précieusement cette barbe blanche et ses cheveux
blancs dans un coin de ta crèche, ils sont le symbole de toute
une longue histoire que tu raconteras à tes petits-enfants
afin qu'ils se souviennent d'un vieux Père Noël qu'ils
n'oublieront peut-être plus de remercier pour le revoir. Je
te remercie de m'avoir aidé à vider mon coeur et à
sécher mes larmes. Bonsoir…!
Le Père Noël disparaît
et le coiffeur reste tout seul à caresser la barbe et les cheveux
blancs devant la crèche en priant :
- Petit Jésus, je te demande pardon pour les petits-enfants
que tu aimes tant, et, de leur part, je te dis un grand Merci !
Cl. D.
(10 janvier 2002)