" Considérer que le temps passé rend obsolète
tout ce qui a été filmé, écrit, dit, pensé
- comme si n'importe quel cuistre inculte pouvait faire table
rase du travail des siècles - est un symptôme assez
révélateur. " (Clotilde Hamon, dans "
Famille chrétienne "). J'ajouterai : symptôme caractéristique
de l'orgueil moderne. La science, ou la technique, ou les sciences
psychologiques, etc… sont de bonnes choses en soi. Mais elles doivent
rester à leur place, sinon elles sont chacune une idole, d'autant
plus puissantes et indiscutables qu'elles portent le label "
moderne ". L'idole Science par exemple, remettra en cause l'existence
de Dieu (et bien sûr des miracles) parce qu'elle ne peut rien
dire là-dessus. Avec l'idole Science, l'idole moderne la plus
puissante est probablement l'idole Liberté. " A bas les
tabous judéo-chrétiens ! " Depuis qu'il est interdit
d'interdire, le seul vrai péché est d'interdire. Pourquoi
est-il interdit d'interdire ? Probablement pour éviter (soi-disant
!) toute frustration ou toute culpabilité, l'idole Psychanalyse
et son prophète Freud ont du passer par là… On ne sait
plus très bien, mais ce qui est sût en tous cas, c'est
qu'interdire n'est pas moderne. Interdire est réactionnaire,
arriéré. C'est court comme argument, c'est subjectif,
c'est absurde, et l'accepter est, à terme, catastrophique,
mais ça suffit pour intimider tout le monde. " Moderne
" ou pas " moderne ", voilà le critère
absolu pour être admis ou non. Une génération
a imposé sa dictature. Les plus anciennes la subissent comme
une fatalité, les plus jeunes n'ont pas fini d'en subir les
conséquences.
Concernant l'Eglise, mon propos n'est pas
de refuser toute évolution de celle-ci. Mais ce qui est insupportable,
c'est qu'elle doive évoluer sous la dictature du mot "
moderne ", qui est plus qu'ambigü. Ce n'est pas en faisant
le mouton de Panurge, par peur de déplaire ou par complexe,
qu'elle séduira. Si l'Eglise dérange, tant mieux ! C'est
qu'elle est dans son rôle.
" Heureux serez-vous si l'on vous insulte,
si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte
de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous,
soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande
dans les cieux ! " Matthieu 5/11-12.
La guitare électrique à la
messe ? Pourquoi pas. Mais dans le même temps, attention de
ne pas évacuer toute intériorité, ou toute sagesse
exigeante, qui enthousiasmera si elle est présentée
de façon intelligente et convaincante. Céder à
cette tentation pour attirer les jeunes, c'est les mépriser
et méconnaître la jeunesse, qui est précisément
l'âge ou l'on est idéaliste, ou l'on est prêt à
s'investir corps et âme dans un Absolu. On connaît bien
l'origine de cette tentation : l'intériorité ou l'exigence
morale, c'est tout sauf " moderne "… et pourtant,
ça a tant à voir avec la Beauté ! Qui est insensible
à la beauté ? Pourquoi tant de nos contemporains
sont-ils assoiffés de spiritualité ? Et pourquoi vont-ils
très souvent la chercher ailleurs que dans nos églises
? Si l'Eglise n'arrive même par à attirer ceux qui ont
soif, alors oui, peut-être que l'Eglise a un problème…
Et si, au lieu de ne pas être assez " moderne ", elle
l'était parfois trop ?
Si je voulais choisir une icône de
l'Eglise contemporaine, je choisirais la célèbre photo
(couverture du livre " Des fleurs en enfer ") d'un frère
franciscain en bure, courant dans les rues du Bronx new-yorkais, un
enfant noir hilare dans ses bras. Tout y est : la simplicité,
la joie, l'amour du plus pauvre, et une claire identité chrétienne.
Les frères franciscains du Bronx sont aimés et respectés.
Leur devise est : No money, no honey, one boss - pas d'argent (dans
la société américaine !), pas de chérie,
un seul patron. Quelle douce et réjouissante provocation !
On aura reconnu les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance,
plus déconcertants et prophétiques que jamais.
L'Esprit souffle où il veut. Mais
là ! Qui aurait pu imaginer un pape dit réactionnaire,
poil à gratter des modernes, et séducteur de foules
de jeunes ! Il y a de quoi y perdre sa modernité. C'est que,
contre ironie et mépris, celui-là ne s'est pas laissé
impressionner par l'idole. Sûr de son charme, ou plutôt
de celui de son Christ, il n'a nul besoin d'accommodement avec elle
pour séduire. Sa foi affermie lui a permis de ne pas tomber
dans ses filets, et heureusement, car " Si le sel vient à
s'affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n'est plus bon à rien
; : on le jette dehors et les gens le piétinent. " Matthieu
5.13.
Anne LAFARGUE