Nuit concentrationnaire. Enfer
de vives torches
Dénommées Monthausin, Auschwitz ou Birkenau
Le poète Aragon subversif agnostique
Pour les stigmatiser eut des mots de cantique
Chapelet de sanglots : " Je vous salue Marie… "
" Auschwitz, Auschwitz, ô syllabes sanglantes
" Ici l'on vit, ici l'on meurt à petit feu
" On appelle cela l'exécution lente
" Une part de nos cœurs y périt peu à
peu
" Limites de la faim, limites de la force
" Ni le Christ n'a connu ce terrible chemin
" Ni cet interminable et déchirant divorce
" De l'âme humaine avec l'univers inhumain
" Ce sont ici des Olympiques de souffrance
" Où l'épouvante bat la mort à
tous les coups
" Et nous avons ici notre équipe de France
" Et nous avons ici cents femmes de chez nous…
" Puisque je ne pourrais ici tous les redire
" Ces cent noms doux aux fils aux frères aux
maris
" C'est vous que je salue, en cette heure la pire
" Marie-Claude (*) en disant : " Je vous
salue Marie "
" Et celle qui partit dans la nuit la première
" Comme à la liberté monte le premier
cri
" Marie-Louise Fleury rendue à la lumière
" Au-delà du tombeau : " Je vous salue
Marie "…
" Haleine des jardins lorsque la nuit va naître
" Feuillage de l'été profondeur des
prairies
" L'hirondelle tantôt qui vint sur la fenêtre
" Disait me semble-t-il : " Je vous salue Marie
".
" Je vous salue ma France arrachée aux fantômes
" O rendue à la paix Vaisseau sauvé
des eaux
" Pays qui chante Orléans, Beaugency, Vendôme
" Cloches, cloches sonnez l'angélus des oiseaux…
"
(*) Marie-Claude Vaillant-Couturier,
amie de Geneviève De Gaulle-Anthonioz
(Extrait de " Le Musée Grévin
", 1943)
par Louis Aragon
Revenue de l'horreur d'où que vînt l'oppression
Souffrant avec l'exclu, le paria de la zone
Dans l'urgence vivait Geneviève De Gaulle…
Cette autre déportée méritait tant d'éloges
Ah ! par quel don de soi en réponse au malheur
par quelle sainteté et quelle compassion
Entés sur une foi qui jamais ne désarme !
Au flamboyant souvenir de cette grande dame
Récemment disparue et dont toute la vie
Fut un profond combat au service de l'Homme
A celle qui vécut l'enfer de Ravensbrück
Comme à celle en nos cœurs Pasionaria des pauvres
A l'âme de Geneviève de Gaulle-Anthonioz :
Quel thrène eut mieux rendu un hommage si pur
Quel péan qui appelât nos plus intenses larmes
?
Du partage de soi quelle auguste figure !
Peuple dont elle fut exalte sa mémoire.