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   Notre Vestiaire Saint-Germain  
     
   Germinal n° 126  
   

     Au printemps de 1985, le Père Michel Prat fit appel aux fidèles de la Paroisse désirant faire œuvre de solidarité. La constitution d'un vestiaire fut décidée.

     On pensa d'abord le situer à la Butte-Rouge. Mais dans quel local ? Et nos paroissiens iraient-ils jusque-là pour nous apporter leurs richesses ?

     C'est donc au Centre Paroissial que, durant l'été, et aidé de quelques bonnes volontés, Michel Prat installa dans une pièce du sous-sol : des rayonnages, et un coin-bureau près de l'entrée. On nous apporta des vêtements … des chaussures …

    Un mercredi de septembre, ce fut le grand jour … très calme, il faut dire !… Le ²bouche à oreilles² n'avait pas encore fonctionné, et les annonces faites aux Messes n'étaient pas allées assez loin.

     Il faisait beau ; nous étions deux pour accueillir la ²clientèle" ; le soleil nous incita à sortir de notre cave sombre ; c'est dehors, en haut de l'escalier, que nous avons passé nos premières heures à … cirer les chaussures et blanchir les bottines de bébé, pour les rendre plus attrayantes.

     Vers la fin de l'après-midi, il nous vint une mère de famille ; heureusement nous avons pu lui donner deux pulls pour ses deux garçons. On la revit souvent. Plus maintenant : sa situation s'est améliorée … Mais nous la connaissons bien, notre première cliente !

     Après, nous avons ouvert notre "magasin" le lundi : le local n'était pas assez grand pour recevoir, à la fois, parents et enfants.

     Pour satisfaire tout le monde, il nous fallait un bel assortiment ; nous sommes allées chercher les surplus d'autres vestiaires des environs, même jusqu'à Chevreuse : un gros sac de petits vêtements de bébé à remettre en état …(Les lave-linge fonctionnaient souvent !)

     Qui dit : stock, dit aussi : cintres, matériel pour présenter … Alors, je me dois de citer M. Weber qui installa, tout autour de notre local, des barres pour suspendre les robes, les manteaux, les costumes, ainsi qu'un premier fichier avec l'adresse et la composition de chaque famille ; il venait tous les lundis nous assister par sa présence … Merci à lui !

     Nous étions si à l'étroit que nous n'avions même pas un petit réduit pour nos affaires personnelles. C'est ainsi que le gilet de laine de l'une de nous disparut … et qu'on le retrouva, quelque temps après, sur une de nos clientes … très ennuyée de s'être servie seule… Nous la consolâmes, pour cette fois !

     Après quelques semaines de débuts difficiles, on fit la queue "chez-nous". Il nous fallut limiter le nombre de visites de nos dames et de nos SDF, à "une fois tous les trois mois", sur présentation d'une lettre d'Assistante sociale - ou du CCAS de la Mairie - valable deux ans, sauf précision d'un délai plus bref.

     Autrefois nous préparions , tous les mois, un colis de vêtements d'hommes pour des sortants de prisons, à la demande d'un paroissien dévoué. Quand on nous signale un besoin, nous essayons de le satisfaire.

     Nous sommes restées pendant longtemps à deux ou trois seulement, quand nous n'avions qu'une salle. Pas toujours facile quand l'une s'absentait ! … Moment d'émotion quand on se retrouve seule à l'ouverture, face à une file d'attente de quatre ou cinq personnes, toujours pressées parce qu'elles sont venues une heure à l'avance pour avoir le meilleur choix … et qu'elles aimeraient bien se servir elles-mêmes et prendre beaucoup de choses à leur convenance, sans se demander s'il en restera pour les autres … Il faut avoir l'œil ! … Eh bien ! la Providence était avec nous … car, à part quelques remarques, ça s'est en général bien passé ! … Oh ! nous sommes conscientes de nous faire "avoir", quelquefois.

     Et le soir, à la tombée de la nuit, quand on oublie de fermer la porte derrière le dernier client, qu'on est seule pour ranger et qu'on voit apparaître un homme jeune, hirsute, mal rasé, qui entre sans dire un mot … qu'on lui demande ce qu'il désire … s'il est déjà venu ? quel est son nom ? son adresse ? …et de l'entendre dire d'une voix caverneuse : " Je suis obligé de vous répondre ? " … ça fait froid dans le dos ! Mais on essaie de lui parler : " Comme vous voulez, Monsieur ; moi, c'était pour faire connaissance, bavarder un peu " … Alors, lentement, il se détend … et repart un quart d'heure plus tard avec ce dont il avait besoin … après avoir donné son nom ! Nous le revîmes souvent dans nos débuts, il parlait volontiers … On lui mettait de côté des sous-pulls : il avait toujours froid.

      Depuis ce jour : "Fermer la porte à clé ", c'est le mot d'ordre.

     Il nous arriva aussi de nous faire traiter de "vieilles chouettes" !

     Nous en avons ri … après.

     Les Scouts abandonnèrent leur local contigu au nôtre. Nous avons donc, depuis, une salle pour le tri, et des rayons de réserve pour les changements de saison. Nous aimons bien aussi, dans cette salle, faire une petite causette avec nos approvisionneurs, tout en déballant les paquets … ou avec nos tricoteuses très appréciées.

     Depuis quelques années, nous sommes secondées efficacement par les messieurs de la Fraternité Saint-Vincent-de-Paul qui ouvrent, comme nous, leur bureau le lundi ; en relations amicales également avec l'antenne du Secours Catholique de la Butte Rouge nous recommandant certains cas difficiles.

     Par deux fois, notre vestiaire fut inondé. D'abord un orage violent, un jour vers midi : la pluie avait coulé par les deux escaliers. Le Centre nous appela en renfort pour aider le Père Michel Martin à évacuer cette eau. Il nous fit surélever nos cartons de réserve sur des cageots. Peu de perte heureusement, car étant vite arrivées nous avons pu sécher "notre linge" dans la cour. Sur la demande du Père, un seuil assez haut fut placé à la porte d'entrée.

      Mais une autre fois, pendant les vacances d'été, une fuite dans un tuyau longeant le plafond de notre local causa bien plus de dégâts, en arrosant les vêtements suspendus, les chaussures sur des rayonnages en dessous, détériorant la moquette au sol - cadeau d'une paroissienne - dont nous étions si fières ! C'est encore le pauvre Père Martin qui fut à la tâche, et l'une de nous qui, restée à Châtenay, s'occupa de faire sécher … mais il fallut beaucoup jeter.

     Une épopée qui dure encore, avec l'un de nos SDF. Un lundi d'hiver, sans que nous y prenions garde (nous servions dans le magasin), il avait dû se glisser sous un porte-manteaux de la réserve et …s'endormir. Le soir, vers neuf heures : grands coups et bris de vitre alertèrent le gardien : "notre homme" voulait sortir, ayant laissé un tas de vêtements sales et s'étant habillé de propre. Le Père Martin le libéra après quelques questions … et un petit sermon !

     Pendant les vacances d'été, la porte d'entrée fut enfoncée … Par qui ?

     Une autre fois, en plein jour, grand fracas : un pot de fleurs de la gardienne jeté au travers de la porte vitrée … C'était toujours le même … reconnu par l'une de nous qui rangeait dans l'autre salle ! Le Père Martin fit grillager cette porte …

     Nous n'avions plus envie de recevoir ce SDF. Mais après concertation … et comme autrefois il avait dit coucher dans le bois de Verrières … qu'il laissa passer du temps … on le servit … sans trop d'amabilité d'abord ; pour lui faire comprendre notre mécontentement … Il continue à venir.

     Un jour, il a inventé autre chose : il s'est trouvé un nom russe et ne prononce plus un mot de français … mais un Confrère de St-Vincent-de-Paul lui parla en russe et il répondit seulement "da" tout au long de la conversation …

     Maintenant, il est muet … demande par signes un crayon pour écrire, en français, ce dont il a besoin … Alors nous le servons, de peur qu'il ne fracture encore une porte, et en le plaignant, pauvre malheureux …d'en être arrivé là !

     Autre incident ! Un de nos hommes, d'ordinaire assez tranquille, tomba ivre, au milieu de nous ; après tentatives infructueuses pour le relever, et malgré l'aide du Confrère présent ce jour-là, nous avons dû appeler les pompiers : son état de santé nous inquiétait. Il refusa de partir et resta dans la cour assez longtemps pour se remettre. Nous ne l'avons pas revu depuis …

     Au fil des années, notre équipe a changé.

     Nous avons connu des maladies, des deuils …

     Certaines sont venues puis reparties, mais de temps en temps nous disent un petit bonjour en passant …

     Nous sommes maintenant dix bénévoles. Notre groupe a rajeuni ; nos nouvelles compagnes sont très actives , elles aiment le bel aménagement ! Nous nous entendons vraiment bien et pendant la pause finale nous parlons de la situation de "nos gens".

     Dernière amélioration d'importance de notre local : grâce à Philippe Guibard et au Conseil de Gestion, nous avons maintenant un éclairage de qualité qui met en valeur nos "belles choses" et nous permet de mieux distinguer ce qui est vraiment propre.

     A part les cas particuliers relatés plus haut, nos habitués, dans l'ensemble, sont assez corrects … pourvu qu'on les serve bien ! ….

     Dernièrement, c'est une mère de famille qui a disputé vigoureusement, en arabe, un client qui récriminait ; la semonce a dû être rude, car après il cracha sur elle … et se tut.

     Il arrive que nos chômeurs s'impatientent bruyamment en attendant que les mamans soient servies, parce qu'elles sont arrivées les premières, et qu' elles ont plusieurs enfants ; c'est assez long. Alors nous avons essayé de leur donner un bonbon … Ca marche !

     Les anciens nous connaissent bien, ils sont contents qu'on les appelle par leur nom, sans chercher. Ils prennent aussi de nos nouvelles, quand l'une de nous est absente.
Plusieurs mamans, se sont déjà trouvées seules avec leurs enfants, par décès ou par abandon de leur compagnon. Nous les aidons de notre mieux. L'une d'elles, en particulier, avec un enfant autiste, est suivie depuis longtemps par l'une de nous.

     Les jeunes que nous avons connus petits, grandissent et se marient … mais, souvent, reviennent à la maison avec des bébés … La vie est dure pour les mères … qui se confient à nous pendant que nous les servons.

     D'autres accueillent un frère ou une sœur venant "du pays" , et tous de s'entasser dans le même appartement … Nous fournissons alors : draps, couvertures, linge de maison, vaisselle …Tout ce qu'on nous donne est bien utilisé.

     Parfois, une lycéenne, une étudiante nous sont envoyées par leurs services sociaux, pour un dépannage ; c'est agréable de les servir.

     Admirer un joli bébé qui dort paisiblement dans un pagne, au dos de sa maman malienne ; cajoler un bambin qui s'énerve et lui offrir une peluche … voilà les plaisirs du lundi !

     De temps en temps, nous goûtons un biscuit marocain ou une datte d'Algérie … C'est gentil !

     Ces mamans, nous les rencontrons dans les rues du centre de Châtenay, parce qu'elles ont trouvé quelques heures de ménage ou de repassage ; elles viennent vers nous, contentes de nous voir : " bonjour mamie ! ", ou nous embrassent !

     Certaines gardent aussi des enfants qu'elles vont chercher à la sortie de l'école ; celles-ci se sont bien intégrées, on ne les voit plus au vestiaire ; elles parlent volontiers de leur famille. Nous nous réjouissons pour elles !

     En 2001, nous avons reçu 202 visites de familles et 168 de célibataires (les mêmes que ceux de la Fraternité ; ensuite nous nous consultons).

     Nous aimons les voir repartir avec le sourire.

     A leur sortie, nous les envoyons boire … un café ou un thé … au "Café du Lundi". Ils apprécient et les hommes, surtout, s'attardent un peu.

     Les surplus, direz-vous ? (C'est sûr, les Châtenaysiens sont généreux ! …). Autrefois nous les portions aux compagnons d'Emmaüs à Longjumeau, ou bien à Croissy-sur-Seine pour la Pologne. En Afrique, nous envoyons encore des cotonnades quand l'occasion se présente. Mais, surtout, depuis plusieurs années, nous confions nos paquets à l'Ordre de Malte pour approvisionner, par camion, des vestiaires en Hongrie et dans les pays limitrophes.

     Merci donc à tous ceux qui nous aident à partager.

M.T.
de l'équipe du Vestiaire

 
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