Au printemps de 1985, le Père
Michel Prat fit appel aux fidèles de la Paroisse désirant
faire œuvre de solidarité. La constitution d'un vestiaire fut
décidée.
On pensa d'abord le situer à la Butte-Rouge.
Mais dans quel local ? Et nos paroissiens iraient-ils jusque-là
pour nous apporter leurs richesses ?
C'est donc au Centre Paroissial que, durant
l'été, et aidé de quelques bonnes volontés,
Michel Prat installa dans une pièce du sous-sol : des rayonnages,
et un coin-bureau près de l'entrée. On nous apporta
des vêtements … des chaussures …
Un mercredi de septembre, ce fut le grand
jour … très calme, il faut dire !… Le ²bouche à
oreilles² n'avait pas encore fonctionné, et les annonces
faites aux Messes n'étaient pas allées assez loin.
Il faisait beau ; nous étions deux
pour accueillir la ²clientèle" ; le soleil nous incita
à sortir de notre cave sombre ; c'est dehors, en haut de l'escalier,
que nous avons passé nos premières heures à …
cirer les chaussures et blanchir les bottines de bébé,
pour les rendre plus attrayantes.
Vers la fin de l'après-midi, il nous
vint une mère de famille ; heureusement nous avons pu lui donner
deux pulls pour ses deux garçons. On la revit souvent. Plus
maintenant : sa situation s'est améliorée … Mais nous
la connaissons bien, notre première cliente !
Après, nous avons ouvert notre "magasin"
le lundi : le local n'était pas assez grand pour recevoir,
à la fois, parents et enfants.
Pour satisfaire tout le monde, il nous fallait
un bel assortiment ; nous sommes allées chercher les surplus
d'autres vestiaires des environs, même jusqu'à Chevreuse
: un gros sac de petits vêtements de bébé à
remettre en état …(Les lave-linge fonctionnaient souvent !)
Qui dit : stock, dit aussi : cintres, matériel
pour présenter … Alors, je me dois de citer M. Weber qui installa,
tout autour de notre local, des barres pour suspendre les robes, les
manteaux, les costumes, ainsi qu'un premier fichier avec l'adresse
et la composition de chaque famille ; il venait tous les lundis nous
assister par sa présence … Merci à lui !
Nous étions si à l'étroit
que nous n'avions même pas un petit réduit pour nos affaires
personnelles. C'est ainsi que le gilet de laine de l'une de nous disparut
… et qu'on le retrouva, quelque temps après, sur une de nos
clientes … très ennuyée de s'être servie seule…
Nous la consolâmes, pour cette fois !
Après quelques semaines de débuts
difficiles, on fit la queue "chez-nous". Il nous fallut
limiter le nombre de visites de nos dames et de nos SDF, à
"une fois tous les trois mois", sur présentation
d'une lettre d'Assistante sociale - ou du CCAS de la Mairie - valable
deux ans, sauf précision d'un délai plus bref.
Autrefois nous préparions , tous
les mois, un colis de vêtements d'hommes pour des sortants de
prisons, à la demande d'un paroissien dévoué.
Quand on nous signale un besoin, nous essayons de le satisfaire.
Nous sommes restées pendant longtemps
à deux ou trois seulement, quand nous n'avions qu'une salle.
Pas toujours facile quand l'une s'absentait ! … Moment d'émotion
quand on se retrouve seule à l'ouverture, face à une
file d'attente de quatre ou cinq personnes, toujours pressées
parce qu'elles sont venues une heure à l'avance pour avoir
le meilleur choix … et qu'elles aimeraient bien se servir elles-mêmes
et prendre beaucoup de choses à leur convenance, sans se demander
s'il en restera pour les autres … Il faut avoir l'œil ! … Eh bien
! la Providence était avec nous … car, à part quelques
remarques, ça s'est en général bien passé
! … Oh ! nous sommes conscientes de nous faire "avoir",
quelquefois.
Et le soir, à la tombée de
la nuit, quand on oublie de fermer la porte derrière le dernier
client, qu'on est seule pour ranger et qu'on voit apparaître
un homme jeune, hirsute, mal rasé, qui entre sans dire un mot
… qu'on lui demande ce qu'il désire … s'il est déjà
venu ? quel est son nom ? son adresse ? …et de l'entendre dire d'une
voix caverneuse : " Je suis obligé de vous répondre
? " … ça fait froid dans le dos ! Mais on essaie de lui
parler : " Comme vous voulez, Monsieur ; moi, c'était
pour faire connaissance, bavarder un peu " … Alors, lentement,
il se détend … et repart un quart d'heure plus tard avec ce
dont il avait besoin … après avoir donné son nom ! Nous
le revîmes souvent dans nos débuts, il parlait volontiers
… On lui mettait de côté des sous-pulls : il avait toujours
froid.
Depuis ce jour : "Fermer la porte
à clé ", c'est le mot d'ordre.
Il nous arriva aussi de nous faire traiter
de "vieilles chouettes" !
Nous en avons ri … après.
Les Scouts abandonnèrent leur
local contigu au nôtre. Nous avons donc, depuis, une salle pour
le tri, et des rayons de réserve pour les changements de saison.
Nous aimons bien aussi, dans cette salle, faire une petite causette
avec nos approvisionneurs, tout en déballant les paquets …
ou avec nos tricoteuses très appréciées.
Depuis quelques années, nous sommes
secondées efficacement par les messieurs de la Fraternité
Saint-Vincent-de-Paul qui ouvrent, comme nous, leur bureau le lundi
; en relations amicales également avec l'antenne du Secours
Catholique de la Butte Rouge nous recommandant certains cas difficiles.
Par deux fois, notre vestiaire fut inondé.
D'abord un orage violent, un jour vers midi : la pluie avait coulé
par les deux escaliers. Le Centre nous appela en renfort pour aider
le Père Michel Martin à évacuer cette eau. Il
nous fit surélever nos cartons de réserve sur des cageots.
Peu de perte heureusement, car étant vite arrivées nous
avons pu sécher "notre linge" dans la cour. Sur la
demande du Père, un seuil assez haut fut placé à
la porte d'entrée.
Mais une autre fois, pendant les vacances
d'été, une fuite dans un tuyau longeant le plafond de
notre local causa bien plus de dégâts, en arrosant les
vêtements suspendus, les chaussures sur des rayonnages en dessous,
détériorant la moquette au sol - cadeau d'une paroissienne
- dont nous étions si fières ! C'est encore le pauvre
Père Martin qui fut à la tâche, et l'une de nous
qui, restée à Châtenay, s'occupa de faire sécher
… mais il fallut beaucoup jeter.
Une épopée qui dure encore,
avec l'un de nos SDF. Un lundi d'hiver, sans que nous y prenions garde
(nous servions dans le magasin), il avait dû se glisser sous
un porte-manteaux de la réserve et …s'endormir. Le soir, vers
neuf heures : grands coups et bris de vitre alertèrent le gardien
: "notre homme" voulait sortir, ayant laissé un tas
de vêtements sales et s'étant habillé de propre.
Le Père Martin le libéra après quelques questions
… et un petit sermon !
Pendant les vacances d'été,
la porte d'entrée fut enfoncée … Par qui ?
Une autre fois, en plein jour, grand fracas
: un pot de fleurs de la gardienne jeté au travers de la porte
vitrée … C'était toujours le même … reconnu par
l'une de nous qui rangeait dans l'autre salle ! Le Père Martin
fit grillager cette porte …
Nous n'avions plus envie de recevoir ce
SDF. Mais après concertation … et comme autrefois il avait
dit coucher dans le bois de Verrières … qu'il laissa passer
du temps … on le servit … sans trop d'amabilité d'abord ; pour
lui faire comprendre notre mécontentement … Il continue à
venir.
Un jour, il a inventé autre chose
: il s'est trouvé un nom russe et ne prononce plus un mot de
français … mais un Confrère de St-Vincent-de-Paul lui
parla en russe et il répondit seulement "da" tout
au long de la conversation …
Maintenant, il est muet … demande par signes
un crayon pour écrire, en français, ce dont il a besoin
… Alors nous le servons, de peur qu'il ne fracture encore une porte,
et en le plaignant, pauvre malheureux …d'en être arrivé
là !
Autre incident ! Un de nos hommes, d'ordinaire
assez tranquille, tomba ivre, au milieu de nous ; après tentatives
infructueuses pour le relever, et malgré l'aide du Confrère
présent ce jour-là, nous avons dû appeler les
pompiers : son état de santé nous inquiétait.
Il refusa de partir et resta dans la cour assez longtemps pour se
remettre. Nous ne l'avons pas revu depuis …
Au fil des années, notre équipe
a changé.
Nous avons connu des maladies, des deuils
…
Certaines sont venues puis reparties, mais
de temps en temps nous disent un petit bonjour en passant …
Nous sommes maintenant dix bénévoles.
Notre groupe a rajeuni ; nos nouvelles compagnes sont très
actives , elles aiment le bel aménagement ! Nous nous entendons
vraiment bien et pendant la pause finale nous parlons de la situation
de "nos gens".
Dernière amélioration d'importance
de notre local : grâce à Philippe Guibard et au Conseil
de Gestion, nous avons maintenant un éclairage de qualité
qui met en valeur nos "belles choses" et nous permet de
mieux distinguer ce qui est vraiment propre.
A part les cas particuliers relatés
plus haut, nos habitués, dans l'ensemble, sont assez corrects
… pourvu qu'on les serve bien ! ….
Dernièrement, c'est une mère
de famille qui a disputé vigoureusement, en arabe, un client
qui récriminait ; la semonce a dû être rude, car
après il cracha sur elle … et se tut.
Il arrive que nos chômeurs s'impatientent
bruyamment en attendant que les mamans soient servies, parce qu'elles
sont arrivées les premières, et qu' elles ont plusieurs
enfants ; c'est assez long. Alors nous avons essayé de
leur donner un bonbon … Ca marche !
Les anciens nous connaissent bien, ils sont
contents qu'on les appelle par leur nom, sans chercher. Ils prennent
aussi de nos nouvelles, quand l'une de nous est absente.
Plusieurs mamans, se sont déjà trouvées seules
avec leurs enfants, par décès ou par abandon de leur
compagnon. Nous les aidons de notre mieux. L'une d'elles, en particulier,
avec un enfant autiste, est suivie depuis longtemps par l'une de nous.
Les jeunes que nous avons connus petits,
grandissent et se marient … mais, souvent, reviennent à la
maison avec des bébés … La vie est dure pour les mères
… qui se confient à nous pendant que nous les servons.
D'autres accueillent un frère ou
une sœur venant "du pays" , et tous de s'entasser dans le
même appartement … Nous fournissons alors : draps, couvertures,
linge de maison, vaisselle …Tout ce qu'on nous donne est bien utilisé.
Parfois, une lycéenne, une étudiante
nous sont envoyées par leurs services sociaux, pour un dépannage
; c'est agréable de les servir.
Admirer un joli bébé qui dort
paisiblement dans un pagne, au dos de sa maman malienne ; cajoler
un bambin qui s'énerve et lui offrir une peluche … voilà
les plaisirs du lundi !
De temps en temps, nous goûtons un
biscuit marocain ou une datte d'Algérie … C'est gentil !
Ces mamans, nous les rencontrons dans
les rues du centre de Châtenay, parce qu'elles ont trouvé
quelques heures de ménage ou de repassage ; elles viennent
vers nous, contentes de nous voir : " bonjour mamie ! ",
ou nous embrassent !
Certaines gardent aussi des enfants qu'elles
vont chercher à la sortie de l'école ; celles-ci se
sont bien intégrées, on ne les voit plus au vestiaire
; elles parlent volontiers de leur famille. Nous nous réjouissons
pour elles !
En 2001, nous avons reçu 202 visites
de familles et 168 de célibataires (les mêmes que ceux
de la Fraternité ; ensuite nous nous consultons).
Nous aimons les voir repartir avec le sourire.
A leur sortie, nous les envoyons boire …
un café ou un thé … au "Café du Lundi".
Ils apprécient et les hommes, surtout, s'attardent un peu.
Les surplus, direz-vous ? (C'est sûr,
les Châtenaysiens sont généreux ! …). Autrefois
nous les portions aux compagnons d'Emmaüs à Longjumeau,
ou bien à Croissy-sur-Seine pour la Pologne. En Afrique, nous
envoyons encore des cotonnades quand l'occasion se présente.
Mais, surtout, depuis plusieurs années, nous confions nos paquets
à l'Ordre de Malte pour approvisionner, par camion, des vestiaires
en Hongrie et dans les pays limitrophes.
Merci donc à tous ceux qui nous aident
à partager.
M.T.
de l'équipe du Vestiaire