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   HISTOIRE ET TRADITION DES EUROPEENS
par Dominique VENNER (Editions du Rocher)
 
     
   Germinal n° 128, novembre 2002  
   

 

     Existe-t-il un homme européen ? Dans quelles légendes singulières, dans quels récits mythologiques se fond la diversité des peuples ? Quelle Tradition commune leur donne cette âme unique, ce même comportement devant l'existence, l'amour, la mort, le destin ? Dominique Venner se lance à sa recherche, sur les traces d'Ulysse, de Lancelot, de Roland ou de Perceval, et nous offre ainsi de redécouvrir les héros qui ont nourri une part de notre imaginaire.

     Mais surtout, il nous propose un étonnant voyage à travers l'histoire et la philosophie : Iliade, Odyssée, Roman du Graal ou Edda scandinave, tous ces textes épiques témoignent d'un même état d'esprit politique et spirituel. Seigneurs achéens, patriciens romains ou chevaliers francs forment des castes comparables de guerriers et de propriétaires terriens, une noblesse dont la puissance tient en respect toute forme de despotisme monarchique ou religieux. A tous ces peuples, en partage, les mêmes liens de vassalité, la même notion de citoyenneté fondée sur le service des armes. A tous ces hommes, en héritage, la même attitude de défi devant l'inéluctable, de volonté face au destin :

     " Si l'Asie épouse les énergies du monde, l'Europe est tentée de s'en emparer pour les soumettre. L'une est associée à la force apparemment tranquille de l'eau, l'autre à celle du feu… Sinbad n'est pas le cousin d'Ulysse, l'univers des Mille et une nuits ignore le sentiment tragique qui accompagne le marin batailleur de l'Odyssée ".

     C'était au temps où la terre était jeune… Bois, roches, rivières et bêtes sauvages ont encore une âme et la création toute entière se confond avec le sacré. Le héros cherche au combat la mesure de son courage. Il n'attend rien des Dieux, nul Verbe tout-puissant n'est venu lui dicter sa conduite. Seul lui importe de vivre selon ce qui est beau, droit, juste, harmonieux, élevé : ses vertus ne sont pas morales, mais esthétiques. Au monde qui l'entoure, à l'univers où ses sens l'ont plongé, il donne reflet et conscience. En retour, la nature lui apprend à mesurer ses passions, à borner ses désirs. En elle, son intelligence discerne sagesse et équilibre, trouve un modèle de perfection, établit des règles de vie. Il quitte l'existence simplement, comme une feuille se détache de l'arbre, avec, en plus, la seule exigence d'avoir vécu sans faiblesse, fidèle à son idéal.

     C'est vrai, un tel homme séduit et fascine. Mais plus son éclat grandit à nos yeux, plus se tasse une silhouette familière : tout petit, tout en bas, dans l'ombre du guerrier à la cuirasse étincelante, sous le regard de l'Homme Antique libre, innocent et fort… tâche péniblement d'exister le chrétien. Il va, ployant sous le fardeau du péché originel, mortifié, timoré, enchaîné par la peur et les interdits qui entravent sa nature humaine et asservissent son jugement.

     On pense, entre les pages, au religieux austère et violent imaginé par Zola, jetant ses regards courroucés sur tout ce qui prend naissance de la chair, croît, se développe et jouit de l'existence. On songe à ce prêtre aride et désincarné mis en scène par Maupassant, découvrant malgré lui, honteux et bouleversé, l'accord secret d'un clair de lune et d'un couple enlacé. On comprend Dominique Venner quand il reproche au christianisme d'avoir détruit deux harmonies fondamentales : celle de l'âme et du corps, celle de l'Homme et de la Nature ; avec la culpabilisation de la chair et le règne absolu du genre humain sur la création, l'homme, humilié mais fou d'orgueil, a rompu son équilibre et saccagé son univers ; son bonheur s'est brisé pour longtemps.

     Si ces deux griefs semblent justifiés, est-il tout à fait équitable d'opposer aux faiblesses du monde chrétien un idéal illustré par des personnages d'exception ou des héros mythologiques ? Le tout-venant du Celte ou du Romain vaut bien celui du chrétien… La sainteté n'est pas plus monnaie courante que la noblesse et le courage de chevaliers de la table Ronde. Ses exigences ne sont pas moins élevées. La force d'âme, l'audace, l'énergie, la loyauté, la générosité, le désintéressement, la maîtrise de soi et le mépris de la mort auraient-ils, par hasard, fait défaut aux saints et aux martyrs ? Il est d'autres théâtres que les tournois, les duels ou les champs de bataille pour mettre en valeur de telles qualités : tout au fracas des armes, l'auteur l'a peut-être oublié.

     Mais l'aspect plus troublant de ce livre est la façon très profonde dont il oppose deux morales, celle du bien et du mal et celle du beau et du laid : la première néfaste, source de tous les abus et de toutes les tyrannies, la seconde, saine et sage, offrant à l'âme, pour toute sanction, le seul reflet de sa grandeur ou de sa petitesse. Ainsi, à cet idéal de force et de vaillance se joint le respect d'une certaine élégance morale, le sentiment naturel de ce qui élève ou de ce qui abaisse. Avec ce seul garde-fou, qui ignore le péché et ne fait guère de part à l'amour, l'homme aura su se préserver des haines les plus implacables qui ensanglanteront le cours de l'Histoire. La leçon est cruelle…

     Tout de même, ne nous y trompons pas : il n'est nul besoin de haïr pour exclure de l'humanité. Malheur aux adversaires qui n'auront pas eu le courage de mourir sur le champ de bataille ! Ils ont cessé d'être des hommes, c'est ainsi que le monde antique justifie l'esclavage. Et le " surhomme " de Frédéric Nietzsche n'a-t-il pas, lui aussi, gagné droit de vie ou de mort sur les créatures ordinaires ? Aux vainqueurs sans état d'âme, une religion venue d'Orient a voulu donner une conscience. Le prix à payer aura peut-être été lourd. Mais l'Histoire montre aussi que, sans elle, le culte du héros se détourne facilement pour se mettre au service du pire.

     Reste à puiser dans les récits d'Homère ou dans ceux de Chrestien de Troyes cette recherche de mesure et d'harmonie, ce patient effort de construction, de maîtrise et de dépassement de soi-même. " Tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d'être aimé et honoré (…) tout cela, prenez le à votre compte ", voilà, décrit par Saint-Paul -dans des termes pratiquement esthétiques- un idéal à partager avec les héros du monde ancien. Et puis, loin des anathèmes et des persécutions, notre religion se métamorphose. On peut aujourd'hui l'imaginer ouverte à l'importance des sens et du plaisir comme à l'amour de la nature. Non pas parce que le monde change ; mais parce que, dans le respect de tout ce que Dieu a créé, ce sont deux réconciliations précieuses au bonheur de l'homme.

Anne TAUVEL

 
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