Dans quelques jours, nous allons fêter
la Toussaint. Les Saints ont joué un grand rôle dans
ma vie. Toute petite, je lisais chaque soir à ma grand'mère,
la vie du saint du lendemain. Je revois encore le livre austère,
sans illustration, qui consacrait au moins une page à chaque
biographie. Ce livre faisait mon bonheur et le soir, je m'endormais
en rêvant à la sainteté et au martyre. Je devais
très vite déchanter en prenant conscience de ma faiblesse.
Mais cela ne m'empêchait pas de continuer à prier les
saints, en particulier mes préférés.
Aujourd'hui, ma dévotion envers
les saints, si elle demeure, a bien changé. Ceux que la canonisation
a authentifiés n'ont plus ma préférence. Quand
je pense à Dom Balaguer, je me demande d'ailleurs ce que signifie
la canonisation ! Je vois vivre autour de moi de nombreux saints qui
ne seront jamais canonisés car leur famille n'est pas suffisamment
riche pour régler les frais d'un procès à Rome
! Et pourtant, ceux-là sont d'authentiques témoins qui
rayonnent autour d'eux la foi, l'espérance et un amour sans
faille pour leurs frères proches et lointains..
Ce soir, je ferme les yeux et je les vois
surgir de ma mémoire, tous ceux qui sont passés dans
ma vie, en laissant derrière eux une traînée de
lumière. Ils s'avancent, longue procession de saints méconnus.
Il y a des jeunes et des vieux, des sages et des savants, d'humbles
travailleurs aux tâches obscures, des hommes et des femmes,
des Européens et des Africains....
L..., épouse fidèle et
aimante, M... jeune fille toute donnée aux autres, G... religieuse,
R... prêtre, N..., M..., Filles de la Charité, M... D...,
S..., ingénieurs, J... agent d'entretien, A... son épouse
à la gaieté communicative, A..., Marie-T..., Anne-M...,
professeurs, M... épouse fidèle jusqu'à la mort
à son ivrogne de mari, A... et Alvarho missionnaires à
la parole ardente et au coeur généreux, P... jeune veuve
courageuse, G... mère, grand'mère, toujours prête
à rendre service... et tant d'autres que je ne peux nommer
faute de place.
Tous ceux-là vivant ici-bas
ou déjà arrivés dans le Royaume, nous tiennent
par la main et nous font signe. Certains, leurs proches, leur rendent
hommage et manifestent leur amour par une visite au cimetière,
un bouquet de fleurs, une messe. J'avoue ne pas avoir la dévotion
des cimetières. Ce n'est pas là que je retrouve mes
morts. C'est dans la prière, dans le coeur de Dieu où
ils sont maintenant pour toujours.
Voilà ce qu'ils me disent par l'intermédiaire
de Jacqueline, la dernière en date qui soit allée fleurir
là-haut :
Je suis dans le silence
Je suis dans le matin
Je suis dans l'espérance,
Je suis sur vos chemins !
Chère Jacqueline, voici que relisant
ces quelques lignes envoyées par ta famille, je me sens mystérieusement
toute remplie de ta présence. Dès le mois d'août
2001, tu te savais gravement atteinte. Mais l'espérance remplissait
ton cœur et le souci des autres animait tes journées. Chez
toi d'abord où tu t'ingéniais à faire plaisir
même quand tes pauvres mains n'obéissaient plus fidèlement
à tes ordres. Dans les allées et venues à l'hôpital
où tu multipliais les paroles d'espérance, les sourires
et les gestes affectueux aux malades que tu rencontrais. A la paroisse
où tu traînais ton corps épuisé à
la messe dominicale jusqu'au jour où cela est devenu complètement
Impossible.
Lucide, tu suivais les progrès
de ton mal, mais tu ne te plaignais jamais. Tu réconfortais,
tu rayonnais la confiance. Le jour de Pâques, alors que tu savais
tes jours comptés et l'échéance finale toute
proche, alors que tu ne pouvais presque plus te servir de tes mains,
tu as trouvé l'énergie de m'écrire l'un de tes
derniers messages. Je le garde précieusement. C'était
un message de joie et de confiance "Que la joie de Pâques
nous remplisse tous de joie et d'espérance, que ce soit pour
nous tous une occasion de louer le Seigneur et de compter sur lui."
Il fallait que tu vives depuis longtemps dans l'intimité de
Dieu pour écrire ainsi à ce moment-là.
Grâce à des amis de la
paroisse, j'étais présente dans la petite chapelle de
J.Garnier à l'Eucharistie au cours de laquelle tu as reçu
le sacrement des malades. Confiance, sérénité,
joie se lisaient sur ton visage. J'ai pu t'embrasser et dans un souffle,
tu m'as murmuré quelques mots
"Merci, ma Sœur,
je suis heureuse :
Dieu est bon, tellement bon !"
Quelques semaines plus tard, tu t'envolais
vers ta demeure éternelle !
Les voilà donc, tous les saints
que j'admire et en compagnie desquels je vis ! Ils n'ont rien fait
d'extraordinaire. Ils n'ont eu ni visions, ni stigmates. Ils sont
simplement passés dans leur cité, dans leur quartier,
en semant l'amour autour d'eux. C'est cela que nous allons célébrer
vendredi, cette sainteté quotidienne qui est l'œuvre de Dieu
et qui le révèle mieux que n'importe quel discours.
C'est à cette sainteté-là que nous sommes tous
appelés avec l'aide de l'Esprit-Saint
Soeur Marie Joseph