"Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Par lui, tout s'est fait, et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes" Prologue de l'Evangile de Saint Jean
   

Dossiers
Donner, recevoir
Entretiens de Robinson - Année 2010


PRÉSENTATION DES ENTRETIENS DE ROBINSON

             Depuis vingt ans, initiée et organisée par le philosophe français de renommée internationale Paul Ricœur, une série d'entretiens débats se déroule chaque année en janvier-fevrier, au  Temple de Robinson à Châtenay (36 rue Jean Longuet), et parfois à celui de Palaiseau.
 

             Paul Ricœur est décédé en 2004. Mais depuis, une équipe, protestante à l’origine  mais comportant maintenant aussi des catholiques de St. Germain, continue à faire vivre ces Entretiens dans l’esprit de leur fondateur. Leur but principal est d’éclairer les grands problèmes de notre temps.
 

            Chaque entretien comporte un exposé d'environ une heure, suivi d'une discussion largement ouverte aux questions des auditeurs pendant une heure également. Les orateurs  sont sollicités en fonction de leurs compétences, de leur notoriété ainsi que d'une certaine ouverture à la spiritualité. L'approche des problèmes est, tour à tour, sociologique, philosophique, théologique...L'assistance est toujours nombreuse.
 

            Les résumés et notes des deux des "Entretiens de Robinson" sont disponibles ci-après, grâce à l'aimable concours d'un paroissien : Serge Drabowitch. Le thème général était: "La crise, la gouvernance et moi : être citoyen au XXIe siècle".

 

LE METIER DE CITOYEN FACE A LA CRISE ECONOMIQUE
Avec Jacques MISTRAL, économiste     - le dimanche 17 janvier 2010 de 16h à 18h

CRISE DE LA DEMOCRATIE, CRISE DE LA TRANSMISSION
Avec Jérôme POREE, philosophe, répondant à Renée KOCH PIETRE     - le dimanche 31 janvier 2010 de 16h à 18h

LES CRISES ET LEUR DEPASSEMENT à partir de quelques exemple bibliques
Avec Patrice ROLIN, théologien     - le dimanche 14 février 2010 de 16h à 18h
 

Lire ci-dessous les deux résumés :

 

 


 

Conférence de Jacques MISTRAL (17 janvier 2010) :

« Le métier de citoyen face à la crise »


1. Les causes de la crise actuelle :

Ces causes peuvent être directes ou « permissives », c’est-à-dire être des facteurs autorisant la crise sans la provoquer directement.

- Causes macro-économiques : la politique monétaire des USA et notamment d’A. Greenspan à la banque fédérale - permise par la combinaison des déficits des USA et des excédents chinois.

- Causes micro-économiques : l’utilisation dévoyée des innovations financières (Dr Jekyll et Mr Hyde…), permise par une supervision insuffisante des activités financières et une mauvaise gouvernance des institutions : après 18 mois de crise, on constate très peu de progrès sur ce point et une complaisance des esprits surtout aux USA, où l’on espère voir s’éterniser la prospérité sans la moindre prise sur l’économie réelle (et d’abord chez les responsables intellectuels et politiques).

- Une forme de cupidité (greed), conséquence plutôt que cause de l’enrichissement généralisé. Les rémunérations vont de 1 à 100, alors que dans l’Amérique de l’entre-deux guerres elles allaient de 1 à 8…

- Cf. la théorie des cycles  : on a aujourd’hui la superposition de trois cycles, 1) l’endettement de l’ère Bush, 2) le cycle d’investissement amorcé dans les années 90 (la « nouvelle économie » qui devait amorcer une croissance illimitée), 3) le cycle de l’urbanisation, commencé au XIX siècle et accéléré depuis la « sortie de crise » des années 30.

La crise est donc économique, mais pas seulement. Nos sociétés ont précisément placé l’économie au sommet de leurs choix depuis deux décennies, avec le concept de globalisation…

2. Comment s’est imposée cette victoire de l’économie ?

Elle n’a rien de naturel. Dès le XVIIIe siècle on pouvait lire dans Condorcet l’expression de la crainte de voir « la liberté n’être rien de plus aux yeux d’une nation avide que la condition nécessaire à la sécurité des affaires financières ».

On peut objectivement constater la puissance des forces économiques libérées à partir du XVIIIe siècle, et relire à ce sujet le Manifeste de Marx : la bourgeoisie a détruit l’économie traditionnelle et bouleverse nécessairement, constamment, les conditions de production elles-mêmes. Adam Smith fut le plus précoce propagandiste de l’idée de la division du travail et de la hausse de la productivité.

Au plan intellectuel, la liberté idéologique et politique n’a pas empêché que la liberté se réduise à ce que craignait Condorcet.

Au plan politique, on voit s’affronter la conception américaine d’une liberté sans l’obstacle de l’Etat, et la conception française d’une liberté garantie par l’Etat parce que toujours menacée par l’inégalité. Le dernier Prix Nobel de l’économie souhaitait ainsi développer les « capabilités des personnes ».

- La « Grande transformation » née des tragédies de l’entre-deux-guerres et issue de la « société de marché généralisé » dès le XVIIIe siècle, analysée par Karl Polanyi (abondamment cité par Ricœur en 1988), a pu elle-même provoquer cette reprise en main brutale de la société tout court par Hitler ou Staline. Jacques Mistral parlerait plutôt de « grande bifurcation »  : de la crise de 1929 furent tirées deux leçons opposées, celle de Keynes, avec la resocialisation de l’économie (l’économie est, en elle-même, le lieu d’une incertitude radicale  ; les investisseurs ne prennent de décision que pour répondre à l’insécurité, et c’est la fragilisation de la classe moyenne en Allemagne qui provoqua l’intervention de l’Etat dans le but d’éviter une complète destruction de la société), et celle d’Hayek, juif viennois, prix Nobel en 1974, qui prône la libéralisation de la société et accuse planification et contrôle étatique de provoquer le totalitarisme (et, de fait, les USA et l’Angleterre sont les seuls pays où la démocratie ait survécu après 1929).
Entre Keynes et Hayek, qui est le gagnant actuel ?

Aux USA on note le progrès des droits civils (des Noirs, des femmes : la dernière élection présidentielle s’est jouée entre une femme et un Noir…).

Mais Milton Friedman, depuis, a dépassé Hayek. Si, depuis 1970, les mécanismes de l’Etat Providence se sont essoufflés (Rosanvallon, « La crise de l’Etat-providence »), et s’est ouverte simultanément une période de prospérité extraordinaire, depuis Reagan on assiste aux USA à une politique catastrophique.

Il y a quarante ans, on assistait à un blocage absolu au Royaume-Uni, qui devint en 1976 le dernier grand pays industriel à devoir recourir au FMI, avant le drastique redressement opéré par le gouvernement Thatcher. Aux USA l’Etat-providence est très décentralisé, mais c’est lui qui fit payer les Blancs pour permettre l’ascension des Noirs. Mais aujourd’hui l’Etat est discrédité et sans moyens au terme de privatisations qui souvent affectent directement le lien social (grandes entreprises de réseaux), au point qu’on voit l’idée de « droits sociaux » remise en cause au profit de « droits conditionnels ». La social-démocratie est dépassée.

3. Il faut appeler à une nouvelle bifurcation.

L’atrophie du lien social appelle une réinsertion du marché dans la société. Ce ne sera pas pour autant un retour au passé. Il faut certes retrouver Keynes (sa « Théorie générale » paraît en 1936), mais peut-être l’appuyer par Stiglitz, en veillant à ne pas céder aux naïvetés (l’intervention croissante de l’Etat, depuis Colbert, va-t-elle dans le sens de l’Histoire ?)  :

 À côté des raisonnements sur l’efficacité, il faut penser aux aspects distributifs des conséquences de ce qu’on entreprend ; il fut aussi s’interroger sur ce qu’est une société bonne, solliciter un choix collectif. Il n’est pas question d’annuler les bénéfices des nouveaux outils financiers, mais il convient de veiller à la montée des peurs collectives, au sentiment d’insécurité dans la vie réelle, en notant cependant que jusqu’ici c’est la finance qui a sombré pendant que la société, elle, résistait.

 En Europe notamment,les pays de la zone Euro doivent éviter de chercher des solutions nationales et comprendre qu’ils ont mêmes difficultés et mêmes intérêts.



Quelques réponses aux questions de la salle :

- Sur l’alliance objective Chine-USA  : il y a une concordance d’intérêts entre les deux pays (la Chine trouve dans la prospérité une légitimation du régime communiste), mais les tentations protectionnistes sont de retour, et l’explosion de richesse en Chine en annonce d’autres, sociales et politiques  ; le plan de relance de 2008 en Chine repose intégralement sur le développement du crédit et promet donc le même boum immobilier et la même bulle financière qu’aux USA. Un G2 qui se substituerait au G20 est un pur fantasme, ni les USA ni la Chine n’en veulent, ils ne se mêlent pas d’une responsablité mondiale.

- Malthus a toujours eu tort. L’humanité continuera à trouver des réponses, notamment technologiques (enfouissement du carbone - aux USA les B52 fonctionnent au charbon…).

 

 


 

 

Conférence de Patrice ROLIN ( 14 février 2010).


« LES CRISES ET LEUR DEPASSEMENT »

à partir de quelques exemples bibliques.

 

  Introduction

            On peut dire que la Bible est une « littérature de crises ». Elle met en cause – en crise -  des représentations admises de la Réalité pour les dépasser.

            Le mot « crise » est presque absent des traductions de la Bible. Il évoque l’idée de « pointe » ou de « sommet ». En grec, « krisis » signifie aussi distinguer, séparer, choisir, juger. Une révélation, un instant de vérité. On peut l’associer à « kriticus » : ce qui peut être discerné, tranché (« La Parole de Dieu est comme un sabre à deux tranchants… »).

             Voici quelques exemples :


  Exemple 1 : La crise de l’Exil.

            Au VIIème siècle avant notre ère, la puissance babylonienne menace le Royaume de Judas. On y adore Yaweh, mais ce n’est pas encore le monothéisme : les autres dieux sont ceux des autres nations.  Vaincus par les babyloniens, une partis du peuple, notamment les classes dirigeantes, est déportée à Babylone. La crise est politique, économique, culturelle car les babyloniens ont une culture grandiose. Mais c’est surtout une crise spirituelle : car selon le mode de pensée admis jusqu’alors (le « paradigme »), si les babyloniens ont gagné, c’est que leur dieu, Mardouk est plus fort que Yaweh ! Pourquoi alors ne pas choisir le dieu des vainqueurs ?

            Mais parmi les exilés, certains proposent un nouveau regard sur la catastrophe. A partir de traditions orales préexistantes, ils réécrivent l’histoire depuis le début : depuis la fuite d’Egypte (Moïse…), mais aussi depuis les patriarches (Abraham…), et même depuis la création du monde ! Ils créent, ils écrivent une fresque fondatrice d’une nouvelle identité qui leur donne une nouvelle représentation de la crise. C’est aussi un recadrage qui propose une nouvelle conception de Yaweh qui devient vraiment unique, universel, maître de l’Histoire : Yaweh s’est servi des armées de Babylone pour punir Judas de ses infidélités.  La réalité objective n’est pas modifiée, mais la représentation catastrophique qu’en ont les gens se trouve radicalement transformée.

            Cette relecture des événements à la suite d’une crise est comparable à ce qui se passe dans le domaine scientifique : Lorsque des faits nouveaux viennent en contradiction avec les théories admises, une nouvelle théorie, un nouveau paradigme doit être trouvé. Il ne change pas les faits. Il les intègre et les fait voir autrement, dans une vision plus large.


 
Exemple 2 : Job.

            Mais le nouveau paradigme de la Bible qui annonce un Dieu  rétributeur qui protège les bons et punit les méchants, se heurte à des situations d’injustice qu’il a du mal à interpréter.  Le Livre de Job est emblématique de cette situation : Job, qui semble un homme exemplaire devant Dieu, est accablé de catastrophes. Il demande des comptes à Dieu.  Mais les amis de Job, attachés à l’idée d’un Dieu rétributeur, ne savent que condamner Job. Pourtant Dieu donne raison à Job !

            Vers quelle nouvelle idée de Dieu cette crise nous pousse-t-elle ? Selon le texte, deux interprétations semblent possibles :

-Dieu est mystérieux, impénétrable… on ne peut que lui faire confiance.

-Dieu est présent à tous ceux qui soufrent.

 
 
Exemple 3 : La rencontre avec l’Hellénisme. Le rôle des Macchabées.

            Depuis la fin du IVème siècle avant notre ère, sous les souverains Lagides d’Egypte, l’hellénisme se diffuse peu à peu. L’usage de la langue grecque se généralise. Mais quand apparaît le règne des Séleucides du nord, avec Antiochus IV épiphane, l’hellénisme devient une contrainte qui s’oppose aux traditions juives.  En 167 avant J.C. éclate une insurection conduite par Judas Macchabée. Un épisode de cette histoire est caractéristique de la crise traversée à ce moment. Sept frères, des « résistants », sont arrêtés et condamnés à manger du porc. Pour eux ce serait trahir leurs convictions religieuses. Loin de les pousser à céder pour sauver leur vie, leur mère les encourage à résister et à mourir dignement. : « Le Créateur vous rendra l’esprit et la vie car vous vous sacrifiez pour l’amour de ses lois… ». Ce qui est en jeu c’est que le tyran gouverne par la peur et la force (ancien paradigme) alors que les sept frères, en bravant la mort, dépassent cette logique et en un sens, sont vainqueurs de la mort (nouveau paradigme…).


 
Exemple 4: la mort de Jésus.


Quelles interprétations ? Elles se situent dans la même ligne. Pour l’apôtre Paul, le couple   « Crucifixion- résurrection » est indissociable. Entre ces deux pôles, deux tendances sont possibles :

-1- La mort est rendue nécessaire pour manifester la résurrection.

-2- La Résurrection est un événement qui dit : « C’est la mort elle-même de Jésus qui est victoire sur la mort ».


 
Exemple 5 : L’Apocalypse.


            A la fin du premier siècle, apparaît un écrit chrétien visionnaire : « Apocalypse » ne signifie pas catastrophe mais révélation, dévoilement. Un certain Jean y décrit ses visions d’un combat cosmique  des forces du mal contre l’Agneau, contre Jésus. Il y aura « crise », il y aura des ravages. Mais bientôt, les puissances terrestres symbolisées par « Babylone » (La capitale de l’empire Romain), seront détruites. Le mal peut être vaincu. Il est déjà vaincu. Alors apparaît le Jugement « dernier ». En quoi est il dernier ? Non pas dernier dans le temps, mais dernier en tant qu’existentiel, ultime. La figure de l’Agneau immolé révèle, dès maintenant la vérité ultime du présent de chacun.


 
Conclusion.

L’Apocalypse conserve sa pertinence aujourd’hui car c’est aussi un appel à la résistance vis-à-vis des puissances de fascination du monde. Nous aurions tort de sous estimer  la dimension fondamentalement spirituelle de la crise actuelle. Au-delà du technique et du politique, ce qui est en jeu est de l’ordre de l’ultime. Plutôt que renoncer à l’espérance, à nous de recadrer notre représentation de la crise en vue d’un nouveau départ.

A nous de « Tenir bon en attendant la victoire définitive sur le mal » .Le combat spirituel vaut d’être mené : « …c’est ici le temps de la persévérance et de la confiance des saints ».


 


 

 

Télécharger le tract 2010.

 


Date de création : 20/02/2010 @ 13:23
Dernière modification : 20/02/2010 @ 22:51
Catégorie : Entretiens de Robinson
Page lue 1919 fois


Prévisualiser Prévisualiser     Imprimer l'article Imprimer l'article


La Parole
Christ est Vivant !


Recherche




^ Haut ^